Katy se tenait devant sa nouvelle propriétaire, une fille de son âge qui avait de beaux cheveux blonds et un affreux sourire. Elle était accompagnée par son majordome, un grand Amaryen aussi fin que sa moustache, qui se chargeait de traduire les ordres de sa maîtresse.
— Désormais tu es le modèle d’essayage de mademoiselle Lidia Heitzler, afin qu’elle puisse tester sur toi ses magnifiques créations. Tu devras lui obéir et m’obéir aussi. Je me nomme Garold.
Katy était pétrifiée, elle voulait tellement retourner en arrière, retrouver son manoir, ses amis, sa famille, son monde. Elle sentit les larmes dévaler ses joues déjà fripées.
Elle reçut une violente gifle.
— Si tu pleures encore une fois en présence de Mademoiselle, tu recevras dix coups de fouets !
Mais la fillette ne put s’empêcher de pleurer. Elle vit le visage dégoûté de Lidia, et la grimace de colère de son majordome.
Ils la firent monter à l’arrière d’un char mécanique de luxe. Lorsqu’ils arrivèrent devant une belle villa, elle fut conduite par Garold dans une petite pièce mal entretenue. Des fers étaient accrochés au mur, et une collection d’objets de torture était alignée sur une étagère.
Katy eut un mouvement de recul, elle se heurta au majordome.
— Je ne fais pas ça pour le plaisir, dit-il d’une voix presque compatissante. Mais tu dois comprendre que tu ne peux plus pleurer, maintenant. Tu ne dois plus montrer tes émotions.
Il la tint fermement et la déshabilla sans aucune gêne. Elle voulut le supplier, mais aucun son n’émergeait de sa gorge. Juste cette douleur rance. Elle fut accrochée au mur, Garold se saisit d’un fouet.
Le premier coup cingla son dos. Elle avait l’impression qu’il était ouvert en deux. Puis un deuxième coup vint le déchirer à nouveau. Et un troisième. Encore un autre. Elle perdit le compte. Ils se succédaient sans pause.
Elle pendait à ses liens, secouées de tremblements. Puis, son front heurta le mur froid en face d’elle. Elle comprit qu’on l’avait détachée. Elle eut un frisson quand elle sentit un baume s’étaler sur sa peau labourée.
— Voilà. Rhabille-toi, maintenant. Et souviens-toi : pas de larmes.
Katy hocha difficilement la tête. Elle se mordit les lèvres jusqu’au sang pour retenir ses pleurs.
Lorsqu’elle fut prête, Garold lui fit faire un tour de la propriété. Le manoir des Heitzler avait été récemment rénovée. Et pour cause, il était, quelques mois auparavant, occupée par une famille alycienne sans doute semblable aux Pumbleton. L’Empire s’empressait toujours, une fois un territoire conquis, d’y installer ses habitants et leur culture. La famille Heitzler s’était donc vue désigner la ville de Marmade pour que leur raffinement et leur manière de vie y rayonne.
Le manoir avait été aménagé selon les coutumes amaryennes. Les différents serviteurs ne logeait plus sous les toits mais sous le sol. Les tapisseries aux motifs floraux avaient été remplacées par d’autres, ornées d’aigles. C’était sans compter les portraits familiaux des Heitzler alignés le long des corridors ainsi que, dans chaque pièce, celui de l’Empereur lui-même que Katy devait saluer dès qu’elle passait devant.
Alors qu’ils descendaient vers les quartiers des domestiques, Garold fit claquer le couvercle de sa montre à gousset.
— C’est l’heure de la prière, indiqua-t-il. Tu devras l’effectuer avec les autres Muets à ton étage tous les matins et tous les soirs. Viens-voir.
Ils arrivèrent au sous-sol. Cet étage-ci était destiné aux employés et non aux esclaves, Amaryens pour la plupart. Une grande salle à manger accueillait une dizaine de personnes agenouillées face à un énième portrait de l’Empereur. Elles chuchotaient des prières dans leur langue, les mains jointes au-dessus de la tête, Garold lui glissa la traduction à l’oreille.
— Ô guilde de la Nation, maître de nouveau monde, puisse-Tu toujours connaître la victoire. Puisse-Tu apporter à notre peuple élu ce qu’il mérite, puisse-Tu redonner gloire à notre Patrie et étendre son territoire sur tout le monde connu.
Katy se demanda pourquoi les Amaryens avaient été élus, et par qui, pour justifier ce qu’il faisait subir au monde. Coincée dans la position déférente que lui avait imposé son tuteur, elle fixa le portrait dont les traits lui étaient déjà familiers, espérant y creuser un trou à la seule force de son regard.
Le dortoir des esclaves se situait dans le deuxième niveau du sous-sol, sous celui des domestiques. Tous esclaves de la maison étaient Muets. Contrairement à ce que Katy pensaient, ils n’étaient pas tous des prisonniers de guerre comme elle. Des Amaryens dormaient ici, des « hérétiques », selon Garold. Ce dernier finit la visite ici et lui ordonna d’aller se coucher. La pièce immense accueillait dix rangées de lits superposés. Une nuée de regards indéchiffrables suivit la fillette lorsqu’elle alla s’installer au fond de la salle. Le silence pesant se rehaussait de froissements de tissu et de grincements désagréables. Ignorant tant bien que mal cette attention ombreuse, elle grimpa dans sa couchette. Elle se blottit entre ses draps élimés, se recroquevilla comme si elle voulait occuper le moins d’espace possible.
Le sommeil. Son seul échappatoire.
Ses paupières se fermèrent sur les images d’horreur qui tournaient en boucle dans sa tête.
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Le lendemain, elle se réveilla tôt, une chance, car si elle avait été en retard, elle aurait sans doute été punie par Garold. Sa gorge, son bras, et surtout son dos la torturaient, elle avait l’impression qu’ils ne guériraient jamais.
Elle rejoignit le réfectoire, simplement séparé du dortoir par un rideau, où on lui servit une soupe insipide et une miche de pain carbonisée. Autour d’elle résonnaient des cliquètements de couverts et des bruits de mastications. Le silence, toujours.
Les Muets fixaient leur assiette comme si rien n’existait. Il y avait un creux dans leurs yeux, Katy eut peur de s’y noyer, alors elle les imita. Elle planta ses iris dans sa soupe.
Elle n’avait pas fini son repas que Garold apparut, les Muets baissèrent la tête en le voyant. Le majordome fit claquer ses semelles jusqu’à elle.
— Suis-moi, ordonna-t-il.
Elle obéit, tremblante.
Il la guida vers les étages supérieurs, slalomant dans les longs corridors richement décorés. Katy se demanda si sa maison aussi abritait des Amaryens désormais.
Garold amena Katy dans la chambre de Lidia. La salle croulait sous les fronces, les dentelles et les tissus raffinés, parfois assemblés en robes semées aléatoirement sur les meubles.
C’étaient toutes des créations de Lidia ; la jeune Amaryenne avait eu précocement des distinctions pour la mode et la couture. Alors ses parents, pour encourager son talent artistique, faisaient venir du monde entier des étoffes précieuses et des couturiers de talent. Malheureusement pour la demoiselle, elle n’avait pas trouvé de mannequin qui correspondait aux mensurations qu’elle exigeait, à savoir les siennes. C’est alors qu’elle avait eu l’idée de prendre une vraie personne pour modèle.
Pourtant, des deux, c’était Lidia qui ressemblait le plus à une poupée. Ses longs cheveux blonds, presque blancs, et sa peau de porcelaine donnait l’impression qu’elle allait se briser à chaque instant. Elle était jolie, sans doute plus que Katy. Délicate, élégante. Et terrifiante.
Garold partit bien vite vaquer à ses occupations. Dans la pièce ne restèrent que les deux fillettes et une Muette chargée de d’apporter tout le matériel nécessaire à la couturière. Ne pouvant pas communiquer avec son mannequin, Lidia se servit de ses aiguilles. Elle positionna d’abord Katy, docile, les bras écartés et le menton bien haut. Elle commença alors à lui enfiler des étoffes diverses. Mais les minutes s’égrenant, la jeune Alycienne sentait ses bras trembler. Elle sursauta, quand elle sentit une piqure fuser dans son coude. Lidia jouait avec une longue aiguille dans ses draps. Ses yeux bleu glacé se plissèrent au-dessus de son sourire. Elle piqua encore son esclave, jusqu’à ce que celle-ci se remette dans une position parfaite.
Le soir, quand Katy retourna à son dortoir, elle tomba dans les escaliers. Ses muscles en souffrance protestèrent encore quand elle tenta de se relever. Sa robe étaient mouchetée de points rouges. Son état déplorable n’empêcha pourtant pas des domestiques appelés par leur maître de monter les marches quatre à quatre en la piétinant. Après leur passage, elle tomba au bas des escaliers. Elle retint ses larmes jusqu’à ce qu’elle atteigne tant bien que mal son lit.
Voilà deux jours seulement qu’elle avait quitté sa maison.
Une éternité.
___
— Dis, Onetto ? s’enquit la petite Katy.
— Mmmh ?
Ils étaient allongés tous les deux sur l’herbe tendre de la prairie, le ciel moucheté d’étoiles paradait au-dessus d’eux.
— Les étoiles ?
— Hein ?
— Comment elles naissent, les étoiles ?
— Mmmmh, il y a une légende à ce sujet, tu veux que je te la raconte ?
— Oui !
Onetto prit une inspiration solenelle.
— Il y a très longtemps, il n’y avait pas d’étoiles dans le ciel : la nuit, la Lune était toute seule. Mais la lune voulait avoir des amis, elle voulait être entourée. Alors, une nuit, elle demanda à un homme de l’aider. Cet homme était un éleveur de chèvres tout à fait ordinaire, il ne se distinguait que par sa gentillesse. Lorsqu’on lui posa le problème, il décida d’aider la Lune. Il monta sur sa chèvre la plus puissante, prit une cruche de lait frais et grimpa sur la plus haute montagne. De là, il demanda à sa chèvre de faire de grands sauts, et il aspergea le ciel de gouttelettes de lait. Ainsi naquirent les étoiles. La lune était très contente, alors, pour remercier l’éleveur, elle lui proposa une montagne de cadeaux. Mais il les refusa tous, prétendant que l’amour de sa femme était bien suffisant pour lui. Malheureusement celle-ci mourut de maladie peu après. L’homme était effondré. Alors, la Lune, voyant la détresse de son bienfaiteur, prit l’âme de sa femme et la mit dans la plus brillante des étoiles, afin qu’elle puisse veiller sur son mari pour l’éternité. Ainsi, toutes les nuits, l’homme levait les yeux vers le ciel et contemplait l’étoile de sa femme. Puis il demanda à la Lune de faire de même avec tous les humains qui mouraient sur Terre. Depuis ce jour, les étoiles veillent sur les vivants.
— C’est une belle histoire, mais c’est pas possible.
— Pourquoi ?
— J’ai sept ans maintenant, je suis grande ! Je sais que c’est pas possible !
Onetto rit et ébouriffa les cheveux de la fillette.
— Oui, tu as raison. Mais moi j’ai envie d’y croire. Et tu sais, ce n’est pas nécessaire d’être une étoile pour veiller sur quelqu’un.
— Ah bon ?
— Oui, moi par exemple, je veillerai toujours sur toi. Où que je sois, je serai toujours à tes côtés, même si tu ne me vois pas, je t’aiderai.
— C’est bizarre ce que tu dis.
Il éclata de rire.
— Tu comprendras plus tard.
Un silence fila entre eux, accompagné d’une douce brise.
— Eh, Onetto ?
— Quoi ?
— Moi aussi je veillerai toujours sur toi.
- tu recevras dix coups de fouets ! (Fouet)
- Elle avait l’impression qu’il était ouvert en deux. (Qu’il s’était ? Je sais pas mais je pense que ce serait plus beau)
- Elle pendait à ses liens, secouées (secouée) de tremblements
- et une Muette chargée de (pas de “de”) d’apporter tout le matériel nécessaire
Remarques
1- Contrairement à ce que Katy pensaient, ils n’étaient pas tous des prisonniers de guerre comme elle. Des Amaryens dormaient ici, des « hérétiques », selon Garold. (j’aurais pas mis de point au milieu ca casse un peu la phrase je trouve)
- « récemment rénovée » rénové
- « occupée par une famille alycienne » occupé
- « La famille Heitzler s’était donc vue désigner » je crois que c’est vu : https://www.laculturegenerale.com/se-voir-confier-accorder/
- « leur raffinement et leur manière de vie y rayonne. » rayonnent ?
- « Les différents serviteurs ne logeait » logeaient
- « Viens-voir. » sans tiret
- « Ô guilde de la Nation » guide ?
- « maître de nouveau monde » du
- « puisse-Tu » puisses x3
- « ce qu’il faisait » ils faisaient ?
- « la position déférente que lui avait imposé » imposée ? J’ai un doute
- « des domestiques. Tous esclaves » Tous les et y’a un espace en trop après le point
- « Katy pensaient » pensait
- « Son seul échappatoire. » Sa seule
- « des bruits de mastications » j’aurais dit mastication mais pas sûr
- « La Lune / la lune »