2. Nick

Le café coulait dans la machine et embaumait le camping-car. C’était ce qu’il préférait. Il avait presque tendance à faire du café juste pour l’odeur. Il était de toute manière presque toujours occupé avec autre chose pour s’en souvenir et la boisson finissait par refroidir dans sa tasse.

Nick trempa son pinceau dans le sceau de peinture vert-sauge et le passa avec précision et douceur sur le bois. Quel plaisir de pouvoir enfin s’y mettre ! Deux ans. Deux ans passés à restaurer cette relique des années 90 et à la rendre belle et habitable. Bien sûr, il n’avait pas attendu autant de temps pour y vivre. Il n’avait jamais voulu dépendre de ses parents pour payer ses études et avait refusé catégoriquement de faire un emprunt à la banque. Les histoires qu’on entendait de jeunes remboursant de l’argent plusieurs années après être diplômés l’avaient refroidies à ce sujet. Non, il avait voulu vivre libre de dettes et de frontières. Acheter un camping-car avait été une évidence.

Comme il s’en était douté, les premiers mois avaient été particulièrement désagréables. Les murs intérieurs étaient moisis et il y avait des infiltrations d’eau. Il avait passé le premier weekend à arracher tout ce qu’il pouvait, à la chasse des fuites. Il avait ensuite dépensé son premier salaire d’apprentis sur du matériel isolant, qu’il avait installé lui-même. Le bois étant cher, il avait attendu plusieurs mois avant de trouver la bonne affaire. Le gymnase d’un lycée voulait refaire son sol en linoleum et avait donc cédé son vieux parquet. Encore raturé de ruban adhésif ayant servi à délimiter les terrains de jeu, le bois avait autrement été d’une excellente qualité. Et, personnellement, Nick était tombé amoureux de ce défaut multicolore qui trahissait la provenance de sa matière première.

Le gargouillis de la machine indiqua que le café était prêt. Nick termina la porte du placard de la petite kitchenette, puis posa son pinceau sur le pot. Une fois n’est pas coutume, il se servit une tasse et décida de la terminer avant de continuer son travail. Il avait le temps ; l’atelier était fermé. Ce n’était pas rare, mais agréable à chaque fois. D’habitude, il devait gratter les quelques heures de lumière du jour pour rafistoler sa maison sur roues. Maintenant, il savourait la pâleur du matin qui s’engouffrait par la fenêtre et savait qu’il serait là jusqu’à ce que le paysage se teinte d’orange. Un jour de tranquillité.

La sonnerie de son portable brisa le silence. Nick ferma les yeux et soupira. Il posa sa tasse sur son beau comptoir et entama la recherche du maudit appareil.

— T’es où ? T’es où ? T’es où ?

Finalement, Nick le trouva fourré dans un tiroir. A moitié déformé par le verre fendu, le visage de sa sœur apparaissait sur l’écran.

— Allô ?

— Nick, tu en as pris du temps !

Il ne répondit pas. Il savait où la conversation aller le mener. L’amour que le frère et la sœur portaient aux appareils technologiques était diamétralement opposé.

— Comment vas-tu ? demanda-t-il à la place.

— Bien, bien. Mais je n’appelle pas pour avoir des tes nouvelles.

— Sympa, dit-il en pouffant.

Il se dirigea vers son café encore fumant. Il était bien décidé à le boire encore chaud, pour une fois.

— Ellie a rompu avec John.

Nick lâcha sa tasse. Il la rattrapa avant qu’elle n’atteigne le sol, mais le contenu fut renversé. Il jura tout bas.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda Jean.

— Rien, j’ai juste renversé mon café.

— Qu’est-ce que tu peux être maladroit, des fois !

Il hocha la tête, bien conscient qu’elle ne pouvait pas le voir.

— Bref, reprit-elle, tu sais que son oncle Jimmy est décédé. Il lui a légué sa cabane à la plage. Comme elle a quitté son boulot et qu’elle ne peut pas rester dans l’appart avec John, elle a donc décidé d’aller vivre là-bas.

— Dans la cabane ?

— Dans la cabane.

Nick se passa une main dans ses épais cheveux blond foncé.

— Elle arrive aujourd’hui par train, puis par bus.

— Tu ne la conduis pas jusqu’ici ? Elle doit avoir plein de valises !

— Je lui ai proposé d’attendre jusqu’au weekend pour que je puisse l’amener, mais elle n’a pas voulu. Je crois qu’elle voulait quitter Londres le plus vite possible. Elle n’apporte que le nécessaire pour l’instant ; je viens ce weekend avec le reste. Et, Nick ?

— Oui ?

— Essaye d’être gentil avec elle.

Il fronça un sourcil.

— Pourquoi ne serais-je pas gentil avec elle ? On se connait depuis longtemps, on a pratiquement grandi ensemble parce qu’elle était toujours fourrée à la maison, tu te souviens ?

— Parce que je suis sa meilleure amie ; toi tu es le petit frère chiant qui nous tournais toujours autour ! Et puis, depuis votre dispute, vous ne vous parlez plus. Combien de temps, déjà ?

— Quatre ans.

Sa sœur siffla dans le combiné, probablement stupéfaite qu’on puisse se faire la tête aussi longtemps. Il se garda de lui dire qu’il n’y avait pas eu de dispute. Elle ne comprendrait pas.  Le souvenir de ce jour fatidique refit surface et il eut un sourire triste.

— C’était il y a longtemps, confirma-t-il. On saura se comporter comme des adultes, ne t’inquiètes pas.  

Il l’entendit hésiter au téléphone.

— Bon, si tu le dis. En tout cas, je suis contente de te voir ce weekend, ajouta-t-elle sur un ton plus enjoué. On va au pub de Sean ?

L’appel dura encore quelques minutes, pendant lesquelles Jean se remémora la cuisine de Sean avec des onomatopées bien sonores. Puis, ils raccrochèrent en même temps.

Nick jeta le portable sur le canapé. Il essuya le café du comptoir et du sol et se servit une nouvelle tasse. Perdu dans ses pensées, il ouvrit la porte du camping-car et s’assit sur la marche. Son regard se dirigea vers la cabane, cinq-cents mètres plus loin, qui dépassait des dunes. La vieille cabane de Jimmy s’approchait plus d’une maison. Il n’y avait que le bois dont elle était faite qui justifiait qu’on l’appelle comme ça. Elle n’avait pas d’étage, outre une mezzanine nichée sous le toit, mais l’espace habitable était assez spacieux pour une personne ou deux. Même trois si on parvenait à rester minimaliste. Elle était isolée, un peu surélevée sur une colline surplombant la plage. Depuis sa terrasse usée par le vent marin, on avait la plus belle vue du soleil levant au-dessus de la mer de tout Port Urchin. Ou, du moins, c’était ce que Jimmy avait toujours prétendu.

Cela faisait plusieurs années qu’elle n’était pas habitée, mais le vieil homme était venu tous les ans pour lui donner un peu de vie et réparer ce qu’il fallait. Il était venu au petit village portuaire toujours à la même période, pour son anniversaire de mariage avec Alice, l’amour de sa vie, qui l’avait quitté bien trop tôt. Nick avait admiré ce geste et la tendresse dont Jimmy avait fait preuve envers la bâtisse. Il se demandait néanmoins pourquoi il s’était donné tant de peine à la maintenir en état, si plus personne de la famille ne venait y passer ses étés. Maintenant, c’était clair : il avait toujours eu l’intention de la léguer à Ellie.

Nick se souvenait de l’année où il y était allé ; il devait avoir dix ans, Jean et Ellie dix-sept. Cette dernière avait tellement parlé de ses étés à la Cabane du Bonheur que Jean avait développé une véritable envie d’y aller aussi. Toutes deux avaient trouvé l’idée absolument géniale et avaient embêté leurs familles respectives. Une année entière. Ils avaient finalement fini par céder avec la condition que Nick les accompagne. Cela ne les avait pas enchantés, mais c’était un petit prix à payer pour le meilleur été de leur vie. En tout cas pour lui. Il en avait gardé un souvenir si poignant qu’il avait été plus qu’heureux d’apprendre qu’un atelier de charpenterie marine acceptait des apprentis là-bas. Trois ans qu’il y vivait, il n’en regrettait pas une seconde.

Et maintenant, Ellie allait devenir sa voisine. Nick sourit. Il but une gorgée de son café, qui était particulièrement délicieux ce matin-là.

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Gwenifaere
Posté le 10/03/2023
J'adore cette dernière petite phrase ^^
Deux points que je peux critiquer : attention au plus que parfait - effectivement, des fois c'est inévitable, mais ça alourdit quand même pas mal la narration. Perso j'aurais tendance à les limiter et les disséminer autant de possible dans le texte.
D'autre part, je veux bien qu'il soit habitué à certaines odeurs avec son boulot, mais se réjouir de l'odeur du café alors qu'il a le nez au-dessus d'un seau de peinture, dans un endroit clos de surcroît... Le café doit effectivement se sentir, mais la peinture aussi !
Je crois que je vais bien aimer Nick. Et je suis très intriguée par ce qu'il s'est passé il y a quatre ans...
MarenLetemple
Posté le 12/03/2023
J'avais pas pensé aux autres odeurs, mais il y a des peintures moins toxiques olfactivement, de nos jours... je vous Nick comme quelqu'un d'assez soucieux de l'environnement et de sa santé pour acheter des trucs bien :D
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