Davan priait de toutes ses forces, face aux neuf-cent quatre-vingt dix neufs portraits de toutes les fées venues au monde. Merci la magie, qui lui permet d’avoir un intérieur beaucoup plus vaste qu’un extérieur; et ainsi pouvoir exposer chaque tableau avec beaucoup de fierté. En tant que Premier Conservateur de la Mémoire, cela faisait partit de sa mission de conserver ces traces du passé, qui représentaient également leur avenir. Chaque représentation picturale, réalisée avec soin par les fées peintres, avait sa propre atmosphère. Les petits doigts à l'œuvre de ces images avaient réussi pour chaque personnalité à faire ressortir leur caractère, au cœur d’un décor symbolisant leur pouvoir. Il passa ainsi le plus clair de sa matinée à détailler chaque visage bienveillant, chaque expression bienheureuse, chaque force qui se dégageait de tous ces traits levés vers lui. Ces quelques heures de prières matinales lui apportèrent, enfin, une douce sérénité. Sa compagne avait raison : tout était pensé, préparé, conçu pour que le jour de l’Éclosion se passe merveilleusement bien. Comme tous les ans.
Une fois apaisé, le petit être féérique prit le temps de faire le tour du village. Et quand on approchait les mille occupants il faut s’imaginer que le territoire n’en était que plus large. Chacun, chacune avait trouvé l’habitation à leur goût. Des champignons géants par-ci, des chaumières par-là, ou encore des structures toutes en écorce voire même certaines excentricités composées de verre et de feuillage. Cela donnait un ensemble diversifié et coloré. Un régal oculaire. L’ensemble de leur tribu se trouvait au cœur d’une forêt, évoluant autour d’une belle clairière parsemée de buissons fleuris, de vergers généreux, et d’une jolie cascade chantante. Quelques habitants s’étaient isolés, par nature plus solitaires. L’important étant que tous trouvaient son bonheur; et une fois son tour finit, Davan en déduisit que ce fut le cas. Oh bien sûr il y avait bien des plaintes entre voisins, mais rien de méchant. La plupart du temps il s’agissait de malentendus, ou d’incompréhensions. À chaque fois, la paix du voisinage revenait grâce aux interventions des quelques fées travaillant au service des plaintes.
Bien. Allons jeter un œil à la Fleur de Vie Originelle. Je dois achever les mesures pour les guirlandes.
En plus de sa mission de conservateur, Davan était également en charge de la préparation de la grande fête organisée pour l’Éclosion. Autrefois, son père s’en occupait. Aujourd’hui, il préférait passer ses journées au soleil à cultiver des fruits rouges. Moins de stress disait-il. Une chose qui pouvait être courante chez les fées, c’est qu’à la moindre envie de changement : on s’écoutait. Cela s’avérait primordial, le bien-être étant au centre de tout. Une matière lui était dédiée à l’école des petites fées pour en saisir toute son importance !
Au lieu d’utiliser ses ailes, comme sa compagne pouvait encore le faire au quotidien, il usa de l’art de la téléportation. Après tout, la dernière fée-née leur avait apporté ce savoir. Pourquoi s’en priver et continuer de se fatiguer ? Une fois sur le seuil de sa chaumière, et chapeau haut-de-forme bien planté sur sa tête ronde, il ferma les paupières. Sa main effectua un petit geste vif et précis, tandis que ses sourcils broussailleux se plissèrent de concentration. Ses ailes tremblèrent de plus en plus vite, et soudain tout son être disparut en un amas de poussières. On aurait dit une nuée de petites étoiles vertes, qui doucement disparaissaient avant même d’avoir pu toucher la terre.
La fée s'épousseta pour décoller les derniers fragments magiques de la téléportation et poussa un soupir de contentement. Il venait de gagner presque une heure de vol, en l’espace de quelques secondes. Non vraiment, pourquoi se priver d’un tel prodige ?
«— Davan ! Quelle belle surprise ! Tout va bien ?
— Enchanté Lipe ! Oui, et toi ? Je viens simplement prendre quelques mesures.
— Mais, il est déjà midi ! Regarde le soleil, il est à son zénith. On mange ensemble ?
— Hmm. D’accord. J’aurai bien le temps de terminer ce que j’ai à faire après. Après tout, je serai fou de sauter le repas. »
Lipé le regarda avec un air effaré, en effet quelle idée saugrenue ! Alors bras dessus dessous, le duo ne prit pas la direction de la Fleur de Vie Originelle mais plutôt celle du verger le plus proche. C’est autour d’un panier de fruits tout juste cueillis, et d’une gourde contenant la plus pure des eaux - celle de la cascade - que les compagnons trouvèrent un coin à l’ombre afin de démarrer ce délicieux déjeuner.
Les bons amis discutèrent alors de tout de rien, du beau temps, des dernières récoltes, de l’apprentissage du bien-être… Et fatalement, le sujet des humains arriva sur le tapis. C’est d’ailleurs Lipé qui entama la discussion à ce propos le premier.
«— Encore un mort aujourd’hui, une jeune fée qui a cru pouvoir protéger un arbre à lui seul… Il… Il n’avait rien dit à personne, que les humains essayaient de nous prendre de la forêt par l’Ouest. Jusqu’ici ils se cantonnaient à l’Est. Quand il a vu ça, il s’est précipité seul là-bas. Tu sais, les jeunes fées; leur fougue tout ça... Au bout de quelques jours sans le revoir, d’autres fées ont ratissé les bois. Et l’ont trouvé… Si vulgairement écrasé contre le sol ! C’est… »
Alors que son discours avait commencé d’une voix triste, il le termina sur un sanglot. Davan posa un bras sur le sien, ému aussi par cette situation. Il hocha doucement la tête de gauche à droite, par dépit.
«— Je comprend mon ami, je comprend ton chagrin. Je ne sais pas quoi en penser mais… Des chercheurs affirment que la prochaine fée à naître serait suffisamment puissante pour nous permettre de vaincre une bonne fois pour toutes ces êtres gigantesques. »
Son interlocuteur eut un léger haussement d’épaules, peu convaincu.
«— Je sais comment te redonner le sourire ! Allons voir la Fleur de Vie Originelle ! Même si cette future fée n’est pas notre sauveuse, sa venue n’en sera que fabuleuse. Comme toujours.
— C’est vrai. Allons-y. »
Une fois le repas rangé, et l’espace utilisé nettoyé d’éventuels déchets, Lipé et Davan se mirent en route en quelques battements d’ailes. Cette sensation de légèreté, de brise qui caresse le visage, de pouvoir contempler le paysage et s’y perdre un peu; beaucoup; passionnément…
«— DAVAN ! C’est la CATASTROPHE ! »
La voix terriblement angoissée de son ami le fit sursauter. Il fit un bond dans les airs, esquiva de justesse une tulipe et retrouva ses esprits. En suivant son regard livide, un terrible nœud se forma - pour ne jamais se défaire même des années plus tard - au creux de son estomac. Il eut l’impression qu’on venait de lui faire avaler des litres de plomb tant ses ailes peinaient à le supporter.
«— Non… NON ! »
Les deux fées se précipitèrent près de la Fleur de Vie Originelle, terminant le chemin à pieds. Ils avaient beau courir de leurs petites jambes, l’inévitable se produisait juste sous leurs yeux. La belle fleur, grande, majestueuse, d’une blancheur aussi éclatante que la plus belle des colombes, avec ses pétales si gracilement recourbés en attente de pouvoir s’ouvrir au monde et laisser apparaître une nouvelle fée… Sa couleur avait perdu de l’éclat, et sa tige présentait des écorchures. Un liquide sombre dégoulinait de certaines lacérations, goutte à goutte dans un “splosh” régulier et terrifiant.
«— Comment… Comment c’est possible ? Qu’est-ce qu’il se passe, je ne... »
Lipé restait muet depuis leur arrivée. Davan quant à lui respirait fort, le coeur fou, l’air hagard. Ce ne pouvait être vrai ! Depuis presque un millénaire maintenant, cette fleur permettait au peuple féerique de prospérer siècle après siècle. La légende raconte que la toute première Fée l’a conçu de ses propres mains, avec beaucoup d’amour et de délicatesse; et toujours selon le mythe c’est Mère Nature elle-même qui lui a insufflé suffisamment de magie pour qu’elle puisse illuminer le monde de sa présence.
Le Premier Conservateur de la Mémoire connaissait ce récit sur le bout de la langue, et adorait pouvoir le conter auprès des plus jeunes. Il lui était inconcevable que ce berceau de vie puisse ainsi se mettre à dépérir… Les fées seraient alors inévitablement vouées à disparaître, et ce pour toujours.
Je ne pense pas être légitime à m'exprimer sur le fond : ce genre littéraire n'est pas le mien, mais j'avoue avoir eu une difficulté dans le paragraphe où il est question de la jeune fée qui a tenté de sauver un arbre. Même s'il semblerait qu'il n'y ait pas de masculin pour fée, lire la jeune fée et ensuite "il" partout, ça m'a légèrement perturbé.
j'ai relevé quelques coquilles :
- Je comprend : il faut rajouter un s.
- il manque un é à Lipé une fois dans le récit, je crois sa première apparition
- faisait partie au lieu de faisait partit
- habitation à son goût et non à leur goût, car le sujet est chacun, chacune.
si mes relevés de coquilles t'agacent, dis-le-moi.
J'ai le temps de lire encore un chapitre et je retourne bosser.
Ce chapitre me permet de découvrir un petit élément du lore que je n'avais pas compris: les fées partagent leurs pouvoirs (et surtout les nouveaux de celles qui naissent), et ça apporte un lourd sens.
Si j'ai bien compris, temporairement ce chapitre se passe avant le précédent?
Un petit soucis de l'utilisation du temps de temps en temps, ex : " Merci la magie, qui lui permet d’avoir un intérieur beaucoup plus vaste qu’un extérieur; et ainsi pouvoir exposer chaque tableau avec beaucoup de fierté." Ne devrais tu pas dire "il pouvait remercier la magie, qui permettait d'avoir... etc"?
Sinon c'est toujours aussi bien écrit et poétique (avec en plus un côté sombre bienvenu, je pense même que tu pourrais étoffer car tu en as la capacité!
Continues :)
Eheh oui j'essaie de ne pas trop en dire de suite mais en tout cas je suis contente de voir que ça marche ^-^
Hmm en fait je dirai qu'il se passe en parallèle car ici on a le regard sur la journée de Davan; et le précédent c'était plus focus sur la journée de Lylia. Je tenais à présenter leur quotidien finalement !
Merci beaucoup ça me fait plaisir ce que tu dis. Compte sur moi pour continuer :)
On ressent toute la détresse des fées et on a beaucoup de compassion pour elles et pour ce qui est de la mort de celui qui a voulu defendre seul aussi... meme si forcément il y a une distance qui est mise par la reaction de Davan mais c'est pas plus mal cette distance parce qu'on imagine bien que sur mille fées iels se connaissent pas toustes ! Et forcément quand on est pas proche on est moins touché par la mort ;;
Sinon j'adore ces metiers que toutes les fées ont, et leurs principe de vie (On devrait prendre exemple sur elleux) !!!
J'ai beaucoup aime ce chapitre et en découvrir plus sur leur vie ! 🧡
Je veux VIVRE avec elles/eux clairement T.T
♥
Le lore est vraiment intéressant, entre la nature en danger et les fées vouées à disparaître. C'est un peu ce que le monde vit aujourd'hui XD les fées en moins, mais d'autres espèces à la place.
C'est à la fois beau, joliment décrit, pourtant il y a quand un fond plutôt sombre. Un paradoxe vraiment agréable à lire !
Bref, j'aime beaucoup !
Merci pour ton commentaire ! Oui c'est vrai c'est un peu inspiré de notre chère réalité ahah
Peut être que les fées d'aujourd'hui se cachent mieux ahah !