Un comité de crise avait été ouvert. Chaque fée reçut l’ordre - pour la toute première fois en presque mille ans d’existence - de se présenter autour de la Fleur de Vie Originelle. Cela relevait d’un caractère exceptionnel, la surprise se mêlait à la panique dans les rangs.
«— S’il vous...S’il vous-vous pl-plaît... ». Ainsi balbutia la plus vieille des fées.
Davan se trouvait à ses côtés et n’eut pas la force de lever un geste rassurant dans sa direction. Il avait les yeux rivés au sol, l’air ébahi, presque parfaitement immobile. Chose vraiment rare que de voir l'entièreté du peuple féerique rassemblé en un lieu. Neuf-cent-soixante-neuf petits êtres ailés bourdonnaient d’inquiétude en communion. Une estrade de racines avait été magiquement conçue pour surélever leur aînée, laquelle attendait le silence. Au prime abord, en l’observant on pouvait la confondre avec n’importe quel autre de ses congénères; mais en y regardant de plus près quelques signes ne trompaient pas quant à son âge grandement avancé. Là où toutes les autres fées rayonnaient d’un éclat de jeunesse immortelle, Héalle avait quelques mèches grisonnantes accompagnées par deux-trois rides sur son doux visage habituellement illuminé de sérénité.
«— Mes enfants, écoutez-moi. » Son ton impérieux acheva définitivement le brouhaha environnant. Elle en imposait de fait. Un respect infini lui était voué de par son titre. On l’écoutait alors avec beaucoup d’attention. Même le bruissement des ailes s'était tûs, mué par l’angoisse générale. Davan observait les visages inquiets levés dans sa direction avec beaucoup d’appréhension. Comment expliquer ce sinistre phénomène ? Leur pauvre Fleur de Vie Originelle faisait de plus en plus grise mine, pour leur plus grand malheur.
«— Mes enfants. Je partage votre effroi, je la partage sincèrement. Depuis quelques jours nous constatons un certain déclin de la Fleur de Vie Originelle et... » Un sursaut de panique traversa la foule, comme une onde qui rompt la quiétude d’un lac. « Je vous en prie, tout va bien se passer. Je vous le promets, faites moi confiance. J’ai passé ces dernières soixante-douze heures à échanger avec nos plus éminents chercheurs, dont Davan ici présent en est le porte parole à ce jour. Je le laisse vous expliquer ce qu’il en est, il saura mieux vous en parler que ma modeste personne. »
Héalle descendit à petit pas de l’estrade, prenant soin d’esquiver les gros nœuds de racine. Elle s’appuya un instant sur l’avant-bras de Davan, pour retrouver pleinement son équilibre; puis alla s’installer sur un champignon non loin de là pour s’y reposer. Presque un siècle d’existence commençait à peser sur ses frêles épaules. Le Premier Conservateur de la Mémoire prit alors sa place avec beaucoup de nervosité.
«— Bonjour tout le monde. Je vais faire bref. Après de longues recherches dans nos nombreux livres et autres formes de savoir, nous avons trouvé quelque chose qui pourrait expliquer tout ça. » Un murmure soulagé fit frétiller l’assistance. « À l’aube de notre peuple, nous ne sommes pas simplement apparus comme par magie. Notre chère Héalle n’a pas éclos comme nous tous entre les pétales de la Fleur de Vie Originelle, mais c’est notre Mère Nature qui l’accoucha en son sein. Nous sommes persuadés que si aujourd’hui le berceau des naissances féeriques se met à fâner tristement, c’est parce que nous n’avons pas été assez reconnaissant envers Mère Nature pour ce miracle. Ce pourquoi nous avons décidé d’organiser dès demain toute une journée de célébrations en son honneur, chacun et chacune devra alors y mettre du sien. Et nous espérons que cela suffise pour que la Fleur de Vie Originelle retrouve toute sa vitalité pour l’Éclosion, qui aura lieu dans deux jours pour rappel. Merci de votre attention. »
Davan s’éclipsa, le visage rouge et les yeux humides. Parler devant un tel auditoire le mit dans un état de stress certain. Il s’isola derrière le champignon pour prendre de longues inspirations destinées à le calmer, tandis que leur aînée se releva pour rejoindre une fois encore l’estrade.
«— Vous voyez, nous avons une solution. Tout va aller pour le mieux, et réjouissons nous pour Mère Nature ! Remercions là du fin fond de notre coeur ! Nous avons failli oublier d’où nous venons et grâce à qui nous sommes là aujourd’hui, alors soyons reconnaissants autant que possible ! Vive Mère Nature ! »
L’amas de fées scanda alors cette phrase avec énergie. Les ailes se relevèrent, le bourdonnement reprit férocement tandis que les expressions de peur changèrent en grand soulagement et joie générale. Tout allait rentrer dans l’ordre, enfin.
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Pura regardait de loin cette foule qui commençait à s’éparpiller. Elle replaça une mèche noire derrière son oreille, se frotta les yeux et pesta aussitôt.
Quelle idiote, j’oublie toujours que j’ai du khôl !
La fée soupira avant de reprendre la direction de son habitation, la plus isolée de toutes. Elle traversa sans peur un marécage sombre et ignora superbement quelques hululements profonds. Là où plus d’un viendrait à trembler d’effroi, ici elle se sentait bien et détendue. La neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuvième fée écoutait attentivement son instinct, et celui-ci lui assurait que cette prétendue reconnaissance envers Mère Nature n’était sûrement pas la bonne solution.
Qu’ils aillent tous se faire arracher les ailes ! Pensa t-elle avec hargne.
Après tout cela faisait des mois, pour ne pas dire même des années et des années, que tout ce beau peuple gentillet faisait comme si elle n’existait pas. Et pourquoi ? Parce qu’elle savait des choses, elle devinait le futur proche et lointain et cela déplaisait la plupart du temps. Oh bien sûr, le jour de son Éclosion et les semaines d’après furent les plus chaleureuses de ses presque cent ans d’existence en cette terre. Mais on l’esquivait bien vite, on fuyait son regard ténébreux, on cessait de venir lui demandait des nouvelles, on chuchotait dans son dos en parlant de malédiction et de rituels machiavéliques. Alors le peuple féerique, son propre peuple, semblait faire comme si elle n’existait pas.
Ils se trompent. On va tous mourir.
Pura chassa cette pensée d’un haussement d’épaule, totalement étrangère face à leur sort. Une fois devant son cocon douillet, un frisson agréable traversa ses ailes grises. Tout le monde possédait des ailes translucides, à l’apparence si précieuse. Dès sa propre venue au monde, on l’avait doté d’une paire à la triste allure. Morne, grisâtre, qui donnait une raison de plus aux autres de ne plus la fréquenter.
La jeune fée ne prit pas la peine de contempler son arbre centenaire mort, et s’engouffra en son sein. Toute cette écorce effritée, ces fissures, ces insectes grouillants lui faisaient du bien. Cet habitat était comme elle, à part de tout le reste. Hors normes. Différente.
J'ai un coup de coeur pour le personnage de Pura. On se demande pourquoi... Hâte de la voir un peu plus en action.
Je refais mon correcteur superficiel.
Pour les propositions, j'ai eu du mal avec la phrase "Même le bruissement des ailes s'était tûs, mué par l’angoisse générale". Je pense que l'orthographe correct est "tu", et je ne sais pas si tu voulais dire "muet" ou "mu" (de verbe mouvoir).
"dont Davan ici présent en est le porte parole", je retirerais le "en".
"reconnaissant envers Mère Nature" : il faut mettre reconnaissant au pluriel.
"venir lui demandait des nouvelles" : demander.
Je remplacerai "étrangère" par "indifférente", je pense que c'est le sens que tu voulais donner à la phrase.
Bonne soirée !
Merci pour tes observations !
Elles ont une grande longévité mais je n'ai pas précisé à quel point :3
J'adore Pura <3
Ça fait un bout de temps mais j'ai été pas mal occupée dernièrement x)
Bah comme le commentaire juste en dessous, j'adore tout de suite Pura et je m'en suis directement attachée! Elle semble bien plus terre à terre, et puis on a toujours une passion pour le côté dark... (mais pourquoi donc?)
Toujours agréable à lire, quelques toutes petites coquilles mais pas de quoi fouetter un chat !
Merci beaucoup de ton passage ! Oui c'est fou cet attrait pour l'obscurité :) Et merci de ton retour ✨ Il faudrait que je me relise plus attentivement alors.
Je l'aime
Et je suis triste pour elle ouin
Et pour le reste du chapitre il était vraiment cool ! Je suis persuadé (et Pura m'en convainc) que ca va RIEN FAIRE pour les sauver mais soite, vive Mère Nature xD
J'vais pas lire la suite de suite car le sommeil m'appelle mais j'aime énormément
d'ailleurs le pouvoir de Pura et très intéressant ! Hâte d'en savoir plus sur elle !!
Ahaha peut être que ça va suffire, peut-être pas : Mère Nature le dira xD
Merci pour ton retour si enthousiaste ça m'fait très plaisir *-*