Je fis de mon mieux pour sortir de ma torpeur, hantée par une pensée fort désagréable ; celle d’avoir échoué à communiquer correctement avec la toute première personne que je rencontrais au sein de cette université. La première impression compte énormément, et celle que j’avais donnée un peu plus tôt était inacceptable. Une grande partie de la culpabilité que je ressentais en ce moment même provenait de l’éducation que mon père m’avait administrée pendant des années. Il était important de préserver son image sociale, d’avoir un maximum de contrôle sur ce que les gens pensaient de nous, car le pouvoir n’est pas une chose que l’on possède, mais une chose que les autres nous accordent.
J’expirais lentement en portant une main à mon front, comme pour prévenir d’une éventuelle migraine. Mon père continuait d’intoxiquer mes pensées et d’alimenter mes angoisses encore aujourd’hui, et cela m’exaspérait réellement. Je devrais plutôt me soucier de la demoiselle que j’avais offensée, me soucier de corriger mon comportement afin de devenir une meilleure personne, tout simplement. Et pourtant, mon angoisse portait principalement sur l’image que je pourrais renvoyer aux autres, et la manière dont elle affecterait mon confort social.
Je pris une profonde inspiration afin de regagner contenance et commençais à chercher la cafeteria du regard. Ça n’était pas une bonne idée de courir après la demoiselle pour lui adresser la parole, ce serait trop impoli. La retrouver à destination était une idée que je trouvais plus élégante. Heureusement, le bâtiment que je cherchais ne se trouvait pas loin et était parfaitement reconnaissable, de par son allure ainsi que sa vaste baie vitrée qui laissait entrer le soleil dans le réfectoire. Je me dirigeais donc immédiatement vers le petit pont enjambant le cours d’eau, réfléchissant déjà à ce que je pourrais bien pouvoir dire pour dissiper le malentendu.
Le campus était particulièrement fleuri, et de petits chemins à larges pavés sinuaient entre les massifs.
Des buissons, des fleurs, de petits arbres fruitiers visiblement bien entretenus… Et toute cette nature baignait dans les rayons du soleil, bruissant légèrement sous la brise tiède qui soufflait de temps en temps. Comment ne pas apaiser son esprit dans ce genre de décor ? La température était idéale, le bruit du cours d’eau emplissait l’air, et l’odeur de la végétation embaumait agréablement. Malgré tout, mon pas était précipité, le son de mes escarpins frappant le pavé résonnait dans le relatif silence des lieux, comme l’agaçante trotteuse d’une vieille horloge, comme le rappel des battements trop rapides de mon cœur.
Puis, le son oppressant de mes propres pas s’estompa lorsque je bifurquais afin de remonter un chemin de terre battue, au bout duquel j’apercevais l’entrée de la cafeteria. La demoiselle de tout à l’heure ne semblait pas s’y trouver ; je m’étais sans doute bien plus dépêchée qu’elle, qui semblait plutôt s’y être dirigée avec nonchalance. J’avançais donc avec confiance, décidant de me placer non loin de l’entrée, puis de m’y diriger le plus naturellement possible dès que je l’apercevrais.
Après tout, qu’y avait-il de mal à mettre en scène une rencontre fortuite s’il s’agissait de présenter des excuses ?
La cafeteria était ouverte toute la journée et disposait même d’une buvette plutôt élégante pour un simple bâtiment universitaire. Cependant, je n’admirais que très brièvement l’intérieur des lieux à travers la baie vitrée, me contentant de me tenir hors de vue pour quelqu’un qui arriverait par l’un des deux chemins qui semblaient mener ici : celui que j’avais emprunté, et celui que la demoiselle avait pris un peu plus tôt. Je me trouvais sous une sorte de préau abrité du vent par de hauts panneaux en bois, qui se trouvaient près de la sortie. Je ne quittais pas des yeux les deux chemins qui menaient jusqu’ici, je devais me tenir prête et agir de la manière la plus naturelle possible lorsque j’apercevrais enfin la personne que j’attendais…
— Qu’est-ce que tu fous, miss bourge ?
Surprise, je fis immédiatement volte-face, ma queue de cheval suivant le mouvement de ma tête tandis que j’écarquillais les yeux, me crispant largement alors que je faisais face à la demoiselle de tout à l’heure. Elle se tenait là, dans ce qui devait être le seul coin d’ombre de ce préau, adossée au mur, en train de finir sa cigarette. Je ne pouvais toujours pas voir ses yeux à travers ses lunettes, mais je distinguais clairement ses sourcils légèrement froncés. J’étais pourtant sûre et certaine qu’elle ne se trouvait pas ici quelques secondes plus tôt. Mon regard se posa alors un peu plus loin, à l’angle du bâtiment. Peut-être était-elle passée derrière moi car elle venait de l’autre côté. Mais cela lui aurait fait faire un détour inutile.
— Oh, je… Je regardais simplement les cerisiers, articulais-je en désignant les quelques arbres que j’avais croisés en venant ici.
— Tu ressembles à un chat qui vient de se faire surprendre alors qu’il guettait une souris, déclara la demoiselle en crachant un nuage de fumée. Tu es tendue, tu as les pieds légèrement écartés comme pour fuir rapidement, et tes yeux sont grands ouverts, ajouta-t-elle, toujours sans gêne, avant de me pointer du doigt. C’est moi qu’t’attendais la bourge ? T’as un truc à m’dire ?
J’entendais bien, au ton de sa voix, que ses déclarations un brin provocatrices étaient faites pour me rappeler mon manque de politesse, en plus du fait qu’elle savait très bien ce que je comptais faire. Et je ne pus m’empêcher d’en être un petit peu plus humiliée. Faisant un pas hésitant vers l’avant, je pris une brève inspiration avant de cligner des yeux.
— En fait, je… je voulais m’excuser, assurais-je avec sincérité.
— Sans dec' ? s’étonna mon interlocutrice en haussant les sourcils. Voyons voir si t’es sincère, miss bourge.
À ces mots, elle pinça son mégot encore rougeoyant entre son pouce et son majeur, leva la main vers moi, puis utilisa son index pour frapper le filtre de sa cigarette et l’envoyer dans ma direction. J’écarquillais les yeux, effrayée de retrouver une tache, ou pire, une brûlure sur mes vêtements. Cependant, je n’avais pas le temps de réagir, le mégot incandescent étant trop rapide. Mais ce dernier passa sans même me frôler entre mon oreille et mon épaule, et acheva sa course dans la poubelle en métal qui se trouvait juste derrière moi. Je soupirais alors de soulagement, sachant que je n’étais pas la cible de ce lancé, puis je me tournais de nouveau vers l’inconnue qui s’avançait déjà dans ma direction. Elle ne semblait plus être en colère. Sa démarche était décontractée, tout comme sa posture, et ses sourcils n’étaient pas froncés. Ce qui ne m’empêcha pas de me demander ce qu’elle comptait faire ensuite… jusqu’à ce qu’elle affiche un large sourire mi-satisfait, mi-amusé, s’arrêtant juste devant moi.
— Pas mal. Tu t’es pas énervée en prenant ça pour une agression, déclara-t-elle avec enthousiasme. T’étais même soulagée en voyant que j’visais la poubelle. T’es quelqu’un d’bien, conclut-elle en me présentant sa main.
Hésitante au début, observant tour à tour son visage enjoué et sa main tendue, je levais finalement la mienne pour la lui serrer. Sa poigne était ferme, assurée et sincère, de ce que je pouvais en dire tout du moins. Pour ma part, je me contentais de rester délicate et de simplement accepter cette réconciliation aussi ubuesque qu’inattendue.
— Heu, excusez… articulais-je avant de me raviser face à un haussement de sourcil. Je veux dire, excuse-moi, mais, tu vas simplement te contenter de ça ?
— Ouais. répondit-elle sans hésitation en relâchant ma main. J’ai pas besoin d’justifications, j’sais bien que t’as pu m’trouver flippante et mal le prendre. On vient pas du même univers, miss bourge, expliqua-t-elle avec un petit rire.
Je restais relativement coite face à de telles déclarations. Je m’attendais à devoir lui expliquer que j’avais mal interprété son geste, lui assurer que si j’avais pu connaître ses réelles intentions je n’aurais pas réagi de la sorte, lui avouer que ma mauvaise humeur avait honteusement joué en sa défaveur… Mais ce qu’elle attendait de moi n’était rien d’autre que des excuses sincères. Et tout cela sur la base d’un test de réflexes psychologiques mené à l’aide d’un mégot de cigarette et d’une certaine dose de dextérité de sa part. Ce dernier point me semblait d’ailleurs capital, et je la remerciais intérieurement de ne pas avoir manqué sa cible. Et comme je ne savais vraiment pas quoi répondre à tout cela, je me contentais d’un point trivial, et donc indispensable :
— Je préfère encore « Lili » plutôt que « miss bourge », articulais-je en regagnant un peu d’assurance. Mais tu pourrais au moins utiliser mon prénom.
— OK, va pour Lili alors, déclara la demoiselle avant de poser une main sur sa poitrine. Je m’appelle Amélie Verreccia, mais tout le monde m’appelle Améthyste, précisa-t-elle sans cesser de sourire.
Son choix de conserver le surnom ridicule qu’elle m’avait trouvé et dont elle semblait si fière me fit légèrement soupirer. Mais son enthousiasme et sa manière de se présenter à son tour, surtout après avoir soulagé ma culpabilité aussi facilement, finirent par m’atteindre, me faisant esquisser mon premier sourire amusé de la journée. Je croisais donc les bras avec élégance et relevait la tête pour lui faire face.
— Très bien, dans ce cas nous utiliserons ces surnoms, déclarais-je avec bonne humeur. Améthyste donc ? Je peux voir pourquoi, ajoutais-je en examinant de nouveau son look.
En effet, la grande place des nuances de violet dans le style vestimentaire et capillaire de mon interlocutrice pouvait très largement inspirer la pierre dont elle tirait son surnom. Cependant, un détail me titillait encore un peu. Son nom de famille me rappelait quelque chose. C’était italien, sans aucun doute possible. Je dirais même qu’il avait une consonance plutôt napolitaine. Je jurerais l’avoir déjà entendu quelque part. Cependant, je haussais mentalement les épaules et passais à autre chose. Quoi de mieux que d’échanger quelques trivialités supplémentaires afin de sceller ce début de bonne entente ?
— Dis-moi, tu as dû faire tout le tour du bâtiment pour arriver jusqu’ici sans que je te voie. Pourquoi te donner cette peine ?
Étonnée, elle détourna légèrement le regard en tournant la tête vers les deux chemins qui arrivaient jusqu’ici. Avec ses lunettes de soleil, j’avais du mal à décrypter son expression.
— Bah, j’ai fait l’tour pour rester à l’ombre, c’est tout, répondit-elle un peu laconiquement.
— Oh, je vois. La température me semble agréable pourtant, et puis tu as dû courir pour arriver avant moi.
— Haha, nan… fit-elle avec un geste de la main. C’est parce que j’ai coupé dans la broussaille, justifia-t-elle.
— Je suis à peu près sûre que c’est interdit, de marcher sur les massifs, fis-je remarquer.
— Haha, ouais, déclara Améthyste comme s’il y avait de quoi être fière. Heureusement qu’personne m’a vu dans ce cas.
Elle se pencha alors soudainement dans ma direction avant de hausser légèrement un sourcil en observant la montre à mon poignet, puis elle releva la tête en m’adressant un sourire.
— Déjà midi, on s’rentre ? proposa-t-elle avec enthousiasme. Aujourd’hui, y a d’la fritaille.
— Je te suis, répondis-je avec un petit sourire.
À cette heure-ci, l’endroit n’était pas très peuplé. Il y avait quelques professeurs et autres employés attablés çà et là, ou en tous cas, des personnes bien trop âgées pour être des étudiants. Normal, les cours n’avaient pas encore commencé après tout. J’imitais donc Améthyste et m’emparais d’un plateau et de quelques couverts avant de le poser sur les rails qui longeaient des présentoirs chargés de plats déjà servis. Je connaissais le principe du self-service, mais il fallait avouer que c’était la première fois que j’y prenais part. C’est alors qu’une question me vint :
— Dis-moi, pourquoi es-tu venue ici aujourd’hui ? demandais-je en m’emparant d’une salade de tomates. Pour ma part, je viens effectuer un petit repérage.
— C’est cool, jugea simplement mon interlocutrice. Moi, ben… j’me faisais chier, du coup j’suis venue faire un tour, ajouta-t-elle en attrapant une assiette de frites.
— Oh, je vois. Après tout, les résidences étudiantes ne sont pas loin. C’est un joli coin pour une promenade, répondis-je simplement.
— Haha, ouais, les résidences étudiantes, répéta Améthyste comme s’il s’agissait d’une bonne blague.
Cependant, je n’insistais pas, jugeant qu’il serait impoli de la questionner davantage. Décidément, cette demoiselle était pleine de curiosités et de mystères. Et j’étais plutôt curieuse par nature ; trait de caractère que j’étouffais habituellement en société.
Une fois nos plateaux bien garnis, nous arrivâmes devant une caissière à laquelle ma collègue tendit une carte magnétique qu’elle fit biper sur sa machine.
— Il te reste qu’un seul repas, pense à recharger, Améthyste, déclara l’employée de la cafeteria.
J’étais plutôt étonnée d’entendre un membre du personnel de cuisine appeler une simple étudiante par son surnom. Je me demandais alors si elle était particulièrement connue, ou si elle ne donnait que rarement son vrai nom. Autant dire que ma curiosité s’en retrouvait davantage piquée.
— J’y penserais ouais, si j’ai les moyens, répondit la demoiselle aux lunettes de soleil avec un petit sourire en coin.
Je passais alors à mon tour devant l’employée et commençait à sortir mon portefeuille de la poche de mon tailleur.
— Excusez-moi, je n’ai pas encore ajouté de repas sur ma carte, expliquais-je avec un léger sourire. Je vais directement payer mon repas.
Cependant, mon sourire disparut rapidement lorsque je vis l’expression de l’employée se durcir légèrement.
— Je dois le répéter chaque année, déclara-t-elle dans un soupir. J’ai que ma machine pour biper les cartes de cantine, je peux pas encaisser d’argent, ajouta-t-elle avant de lever un doigt vers la porte d’entrée. C’est écrit juste là, qu’il faut aller recharger sa carte aux heures d’ouverture du secrétariat avant de venir, s’exaspéra-t-elle.
Je reculais d’un pas en me crispant légèrement, écarquillant les yeux tandis que je sentais le rouge de la honte me monter aux joues. J’étais tellement préoccupée par ma rencontre avec Améthyste, que j’en avais négligé d’observer les nombreuses affiches d’information qui se trouvaient près de la porte d’entrée.
— J-je vous demande pardon, je n’y ai pas prêté attention, m’excusais-je en baissant la tête. Je vous promets de revenir avec une carte pleine la prochaine fois pour que vous puissiez y soustraire ce que je dois, proposais-je avec espoir.
— Tu exagères, l’année est même pas commencée que tu me demandes de te faire crédit, soupira l’employée. Tu sais que je me fais taper sur les doigts si la direction apprend que je fais ça ? Pour une première année en plus, s’exaspéra-t-elle.
Et tandis que la honte me submergeait au point que je souhaite pouvoir disparaître sous terre, et que j’envisageais déjà de sauter mon repas de midi, j’entendis un soupir amusé venant de ma nouvelle camarade. Cette dernière s’approcha alors du comptoir et tendit de nouveau sa carte.
— C’est cool Monique, utilise ma carte, fous pas la misère à une p’tite nouvelle. Et puis c’est des conneries c’t’histoire de pas pouvoir payer sur place. Tout ça pour pas te payer le salaire d’une vraie caissière, déclara Améthyste avec un sourire que je jugeais salvateur.
— Hah, tu l’as dit ! s’exclama l’employée en bipant la carte qu’on lui tendait. Allez, bon appétit les filles, déclara-t-elle avant de disparaître en cuisine.
Par réflexe, je suivis Améthyste, tenant fermement mon plateau pour ne pas laisser mes mains trembler. Je me sentais tellement nulle. C’était ce que l’on appelait un grand moment de solitude. Je posais alors mon plateau sur une table, face au sien, et décidais de m’asseoir avant de rassembler mon courage pour prendre la parole.
— Merci beaucoup. Je… j’ai été négligente, je te dois un repas, articulais-je avant de me cacher derrière mon verre d’eau, buvant doucement.
— Haha, t’inquiète, c’est cool, assura mon interlocutrice avec un petit rire décontracté. C’est quand même marrant, parce que tout à l’heure, tu m’as envoyé chier parce que tu croyais que j’voulais qu’tu m’paies à bouffer, et maintenant c’est l’contraire. Tu dois vraiment t’sentir con, taquina-t-elle.
Vexée, je reposais mon verre, les joues rouges de honte, et pinçait légèrement les lèvres avant de plisser les yeux.
— S’il te plaît, n’en parlons plus, demandais-je en essayant de garder contenance. Jamais plus, ajoutais-je.
— Ahah, OK, OK… T’es du genre susceptible hein ? répondit-elle plongeant sa fourchette dans ses frites.
— Je me suis déjà ridiculisée deux fois aujourd’hui, et en moins d’une heure, soupirais-je avant d’ajouter un geste de la main. Et devant toi en plus…
— Hm, détend-toi Lili, ça arrive. T’as grave l’air angoissée aujourd’hui, c’est ouf, jugea-t-elle avant de commencer à manger.
Je l’imitais rapidement, attaquant ma salade avec appétit en essayant de me détendre. Après tout, elle avait raison, ces choses-là arrivent, surtout lorsque l’on est angoissée, comme elle l’avait si justement fait remarquer…
Notre repas se passa donc tranquillement. La nourriture n’était pas très bonne, mais elle avait le mérite d’être suffisamment variée pour pouvoir composer un repas équilibré. Ou tout du moins si l’on s’en donnait la peine, car ma voisine de table semblait avoir pour objectif de faire un maximum de réserve de graisse, avec son pâté de campagne en entrée, ses frites noyées de mayonnaise en plat principal et son morceau de brownie inondé de crème anglaise en dessert. Le tout arrosé d’une canette de soda. Alors que j’en avais à peine fini avec ma salade et attaquais mes haricots verts et mes carottes vapeur, Améthyste en était au dessert, qu’elle mangea avec délice malgré la qualité toute relative de la crème.
Je ne pus m’empêcher de soupirer, tandis qu’un léger sourire se dessinait tout seul sur mes lèvres. Je ne savais pas vraiment pourquoi, mais la présence de cette étrange personne m’apaisait. Peut-être était-ce simplement dû au fait qu’elle avait su me pardonner facilement ? Ou bien était-ce parce que nous parvenions à communiquer, malgré que nous provenions d’univers différents, comme elle l’avait si bien souligné.
Et cela me confortait dans l’idée que, malgré le milieu très hermétique duquel je provenais, j’étais bel et bien capable de m’ouvrir à d’autres mœurs et de tisser des liens avec des personnes bien différentes de moi. Cela pourrait paraître triste d’en douter, mais avant de m’échapper de ma prison dorée, je me sentais comme un majestueux poisson plein de vigueur, dominant les eaux calmes et paisibles de son territoire. Mais à quoi bon être comme un poisson dans l’eau, si la surface et la terre ferme sont à jamais inaccessibles ?
Mon esprit cessa alors de vagabonder lorsque j’eus fini mon assiette, contemplant avec peu d’envie mon yaourt nature. Pourtant, j’adorais les produits laitiers. Mais une étrange mélancolie commençait à brosser mon esprit, comme une vague brossant le sable d’une plage.
— Tu manges pas ça ? demanda alors ma voisine de table en désignant mon dessert.
— Non, tu peux l’avoir, proposais-je avec un sourire fatalement forcé.
— Tu t’fais du bile ? Qu’est c’qui c’passe ? me demanda-t-elle en entamant de dévorer mon yaourt.
— Oh, rien. Et puis ce serait vraiment ridicule de faire part de ses angoisses à une inconnue, soufflais-je en contemplant le fond de mon verre.
L’arrêt soudain des bruits de petite cuillère raclant le fond d’un pot me fit alors relever la tête. Améthyste m’observait avec un sourcil haussé, les lèvres légèrement pincées. Elle avait l’air un peu perplexe. Peut-être était-elle vexée que je ne lui dise rien. Aimait-elle les ragots ? J’avouais tacitement ne pas comprendre en haussant un sourcil à mon tour.
— Meuf, t’es sérieuse ? fit-elle de sa voix naturellement éraillée. Une inconnue ? J’croyais qu’on était devenues amies !
Je dus me mordre la langue pour ne pas laisser échapper un petit rire amusé. Je ne m’attendais vraiment pas à cela. Il était vrai que l’on avait discuté un bref instant, que l’on avait partagé un repas qu’elle avait dû me payer et que sa présence m’était étrangement agréable. Mais qu’elle déclare notre amitié aussi soudainement me prit par surprise, surtout au vu de son expression de déception vraiment impayable. Au final, je retrouvais momentanément le sourire.
— Eh bien, ce serait aller un peu vite je trouve, expliquais-je sans animosité. On ne se connaît pas vraiment. Mais je suis sûre que nous serons amenées à nous rencontrer, puisque nous suivons le cursus musical toutes les deux.
Mon interlocutrice afficha alors une grimace un peu différente, semblant réfléchir à ce que je venais de lui dire. Vraiment, les expressions de son visage étaient fascinantes. Un peu comme si elle ne se souciait pas de la tête que cela lui donnait. D’ailleurs, je pensais avoir mis le doigt sur quelque chose. Ce que je trouvais si rafraîchissant chez elle était certainement son côté frondeur et sa franchise. Deux choses dont j’avais rapidement été privée dans mon enfance.
— Ouais… je vois c’que tu veux dire, articula Améthyste en passant un doigt sur son menton. Mais j’veux dire, on est quand même copine ?
— Copines ? répétais-je avec un petit rire.
— Bah on est potes alors, au minimum ! négocia ma voisine de table, qui affichait un sourire amusé.
— Améthyste… soupirais-je avec une bonne humeur retrouvée. Nous sommes des collègues, des camarades si tu préfères, expliquais-je en tendant ma main par-dessus la table avec délicatesse. Et j’en suis ravie.
— Bah ! Toi et tes circonvolutions sémantiques, jugea-t-elle en roulant certainement des yeux derrière ses lunettes. Mais d’accord… camarade, approuva-t-elle en venant me serrer la main, avec bien plus de douceur que tout à l’heure.
À cet instant précis, je ne regrettais finalement pas de m’être enfuie de chez moi pour venir faire mes études dans cette université. À peine arrivée, je faisais déjà les plus curieuses, les plus effrayantes et les plus réjouissantes rencontres que j’avais pu espérer faire… et tout cela en une seule et même personne.
La pose de l'histoire se poursuit tranquillement. Ici j'ai été un peu surprise du "vide", dans le sens où à part la caissière, il n'y a personne à l'ouverture de la cafétéria ? De plus, ce n'est pas un jour de cours si je comprends bien, mais la cafétéria est ouverte toute la journée ?
Un peu plus d'explications (rapides) sur ce détail ne serait pas de refus.
Et s'il y a tout de même du monde, ne pas oublier de le préciser dans l'histoire, même juste comme ça en passant.
En effet, je n'ai pas pensé à ce détail ! Je corrigerai en essayant d'apporter plus de descriptions sur les circonstances d'ouverture de la cafeteria et sa fréquentation. J'espère que tu continueras à commenter pour m'aider à m'améliorer.