La suite de ma journée se résuma en une longue et plutôt agréable visite du campus. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse être aussi vaste d’ailleurs, et aussi verdoyant. C’était comme si la nature avait un rôle très important à jouer ici. Non pas que l’on y trouve un quelconque cursus botaniste, quoi que cela ne me m’aurait pas étonnée, mais plutôt comme si la présence de végétation et de petits cours d’eau bordant une série de chemins bien entretenus, était censée mettre les étudiants à l’aise, comme si le campus était un terrarium savamment étudié pour le bien être d’une espèce à laquelle je ne me souvenais même pas appartenir.
Améthyste m’avait accompagnée pour une bonne partie de ma promenade, me poussant à emprunter chaque fois les chemins les plus ombragés, me montrant les coins qu’elle jugeait être les plus rafraîchissants. Je notais tout particulièrement l’emplacement d’un vieux banc en bois faisant face à un cours d’eau derrière lequel se dressait un mur de végétation. La présence de cette fille pour le moins étonnante à mes côtés me donnait l’impression d’être en train d’emmener un enfant en balade. Comment, à son âge, pouvait-elle être aussi insouciante ? Elle parlait beaucoup, souvent pour ne rien dire, tentant de faire de l’humour à la moindre occasion, faisant parfois mouche, je devais bien l’avouer. Et moi, un peu sottement, je gardais le silence, autorisant de temps en temps un sourire à se dessiner sur mes lèvres. Je n’avais rien à dire de toute manière, et c’était peut-être cela qui me plaisait ; le fait d’entendre quelque chose que je pensais plus ou moins ou qui me faisait réfléchir, à l’occasion des diatribes de ma collègue. Alors je me contentais d’écouter, n’intervenant que rarement, dressant une carte des lieux dans mon esprit, autant que possible. Essayant tant bien que mal de ne pas me laisser distraire…
Finalement, nous retournâmes vers les quartiers des appartements universitaires, nos chemins se séparant assez tôt, Améthyste justifiant le fait d’habiter dans une chambre se trouvant à l’opposé de celle qui m’avait été attribuée. En ce qui concernait mes bagages, l’agence de voyages m’avait garanti de s’en occuper, en partenariat avec le campus avaient-ils précisé. Et au vu de leurs tarifs, c’était bien la moindre des choses.
Ma première épreuve en tant que nouvelle habitante des lieux, serait donc de passer par le hall d’entrée du bâtiment qui servait également de large pièce commune, à ce que j’avais cru comprendre de la bouche d’Améthyste.
Je me dirigeais donc avec une légère appréhension, mais également avec la pensée très positive de ne pas pouvoir rencontrer plus énergumène qu’Améthyste, en direction de l’entrée du bâtiment G. Ma chambre se trouvait au numéro cent-trois, cela me ferait au moins peu de marches à monter quotidiennement.
Je poussais alors l’un des grands battants de l’entrée principale et me raidis presque malgré moi. Ma posture se crispa légèrement comme pour être certaine d’être parfaitement droite, mes lèvres se pincèrent et mon regard se fit sans doute plus dur. Je fis de mon mieux pour ne pas paraître trop crispée alors que j’arrivais dans la vaste pièce commune et scannait immédiatement les lieux. Je remarquais une sorte de comptoir derrière lequel se tenait un large frigo en train d’être fouillé par quelqu’un, de nombreux sièges gravitant autour d’un gros sofa, face à un grand écran fixé au mur. Affalé sur ce dernier, un jeune homme en jogging bâillait en lisant un magazine tandis qu’un autre, l’air fatigué, était avachi dans un fauteuil. Ces deux-là n’avaient rien d’extraordinaire à première vue. Caucasiens, silhouettes banales, ils semblaient à peine avoir noté mon arrivée, ce qui m’arrangeait. Cependant, mon regard se porta instinctivement sur une silhouette que je jugeais imposante, qui se trouvait dans ma proximité immédiate, et que je n’avais pas vu approcher. Sur le coup, je me questionnais. N’était-ce pas la personne que j’avais vu fouiller dans le frigo ? Comment avait-elle pu venir jusqu’à moi aussi vite sans attirer mon attention ? Par réflexe, je reculais d’un pas et me figeais, les yeux grands ouverts, les jambes bien placées pour éventuellement fuir. Cela pouvait avoir l’air ridicule, mais je détestais être prise par surprise. La personne qui se tenait devant moi était une demoiselle d’une taille imposante à la peau couleur noisette, de deux têtes de plus que moi, et dont les formes pouvaient laisser penser qu’elle avait gobé quelqu’un de plus imposant que moi pour le petit déjeuner. Et vraiment, ce dernier détail me frappa. Car ses rondeurs n’avaient rien à voir avec celles que j’avais pu avoir, ayant été une enfant gourmande et trop gâtée. Chez elle, point de bourrelets flasques, point de vergetures, mais des formes soigneusement dessinées sous une peau ferme et maintenue par ce que je jugeais être une bonne musculature. Et pendant la seconde entière que me prit cette analyse, je fis un deuxième pas en arrière, presque sans m’en apercevoir.
— Hey, salut. Tu veux du thé ? me demanda l’imposante demoiselle dans un accent que je ne reconnus pas.
— Hum, je, quoi-donc ? tentais-je d’articuler en baissant enfin les yeux sur la canette qu’elle me tendait.
Tout comme je ne l’avais pas vu arriver, je n’avais pas perçu son geste. Aussi, cela me fit faire un troisième pas en arrière, voyant que l’on brandissait un objet à quelques centimètres à peine de ma poitrine. Cependant, après avoir assuré une distance raisonnable, je tendis doucement la main pour saisir la boisson en essayant de ne pas laisser ma détresse paraître sur mon visage.
— Oh, eh bien, merci, heu… formulais-je en encourageant mon interlocutrice à se présenter.
— Moi c’est Hélène, déclara-t-elle avec un sourire. Le zigoto en survêt' c’est Mauricio et celui qui est avachi dans le fauteuil c’est Timothée, présenta-t-elle avant de lever sa boisson, comme pour porter un toast. Bienvenue dans le bâtiment G, ma grande !
— Enchantée, je m’appelle Emily, répondis-je simplement, ne souhaitant pas prendre de risque.
Le dénommé Mauricio se redressa vivement et sautilla jusqu’aux côtés de la géante. Pour ma part, j’occupais mes doigts comme je pouvais en tirant lentement sur la languette en aluminium de mon thé glacé, un brin nerveuse. Le jeune homme sourit alors naturellement, puis tapota sa joue en me détaillant de ses yeux marron foncé.
— Ravi de te rencontrer Emily. En te regardant, je dirais que tu as besoin de faire du sport, ça te dirait de courir avec moi le matin ? demanda-t-il, sans gêne.
— Arrête-toi donc grand nigaud, réprimanda Hélène avant de tourner son attention vers moi. L’écoute pas, il cherche juste un partenaire de jogging parce qu’il ne trouve pas la motivation d’y aller seul tous les matins.
— Pardonnez-moi Hélène, mais je devrais sans doute monter vérifier mes bagages au plus vite… tentais-je de m’excuser.
— Vous ? répéta la colosse comme si elle avait du mal à y croire. Jeune fille, ça n’est pas parce que j’ai de la place pour plusieurs qu’il faut parler de moi au pluriel ! remarqua-t-elle en frappant son ventre.
Sa déclaration déclencha alors un fou rire chez Mauricio, qui semblait bien être du genre à apprécier ce genre d’humour. Car de toute évidence, c’en était. Et heureusement d’ailleurs. Je soupirais discrètement.
— Oui, je te demande pardon donc, articulais-je. Mais je dois vraiment…
Une sonnerie bien étrange retentit alors et Hélène sortit un téléphone de la poche de son large jean. Elle sembla ensuite lire quelque chose et sourit largement, dévoilant l’intégralité de ses quarante-deux dents, du moins c’est ce qu’il me semblait.
— Oh, on vient de recevoir un SMS de notre voisine préférée. Il paraît que notre nouvelle colocataire s’appelle Lili. C’est vrai que ça lui va bien ! déclara la géante en posant son regard sur moi.
Et malgré son accent chaleureux, qui m’évoquait un peu des îles ensoleillées bordées de plages paradisiaques, cette demoiselle venait de me glacer le sang. La douce anxiété de savoir que des inconnus étaient au courant de quelque chose de honteux sur moi ne me semblait pas avoir de prix. Pourtant, j’aurais payé cher pour qu’on m’en débarrasse.
— Oh oui, Lili c’est parfait. En plus, on dirait un nom de chat ! s’enthousiasma Mauricio avec un grand sourire.
— Lili, c’est noté, déclara Timothée qui semblait s’être réveillé juste pour cela.
— C’est vrai que tu ressembles à un chaton apeuré, compléta Hélène comme pour ajouter à ma déconfiture.
— Amélie Verreccia… grognais-je alors entre mes dents en fronçant les sourcils. Tu as osé.
— Oh, tu connais son nom complet ? s’étonna la géante. Mais ne l’utilises pas trop, ça fait bizarre, surtout ici, ajouta-t-elle avec un geste de la main qui, j’en suis sûre, créa un courant d’air.
— Bizarre ? Pourquoi ? C’est son surnom qui est bizarre, plaidais-je, un brin agacée.
— Pas du tout ! intervint alors Timothée qui accomplit l’effort de se lever de son fauteuil, et réalisant l’exploit d’avoir tout de même l’air avachi. Tu vois Lili, le surnom d’Améthyste fait sens avec les deux premières syllabes de son prénom, énonça-t-il comme s’il récitait une formule. De plus, cela correspond à ses couleurs préférées et à son côté un peu dur mais éclatant. Ce nom de roche est donc très pertinent, conclut-il en rajustant ses lunettes, que je n’avais même pas remarquées.
— Je vois… répondis-je, ne sachant que dire d’autre. Donc, vous connaissez tous Améthyste ?
— Qui ne la connaît pas ? demanda Mauricio. Elle est un peu la voisine de tout le monde avec son… fit-il en perdant son souffle en milieu de phrase lorsqu’il croisa le regard de la géante. Avec sa personnalité haute en couleur ! compléta-t-il un brin gêné.
— Tout ça pour dire, intervint Hélène. Qu’elle nous a vivement conseillé de t’aider à t’intégrer parce que… attend, s’interrompit-elle en sortant son téléphone pour y lire quelque chose. Tu es « une bourge un peu paumée qui essaie de bien faire », cita-t-elle.
— Je vais la gifler, soufflais-je distraitement, comme une juste conclusion.
— Je crois qu’elle t’aime bien, déclara la colosse avec un petit rire. En plus elle a raison, ton accent ressort encore plus quand tu es gênée.
— Bon sang ! dis-je en portant instinctivement une main à ma bouche. Je fais de mon mieux pour le cacher, c’est horriblement embarrassant.
— De quoi donc ? s’étonna Hélène. Et crois-tu que moi je cache mon accent martiniquais ? ajouta-t-elle en forçant sur son accent, justement. Et tu me trouves embarrassante alors ?
— Oh, non, bien sûr, c’est juste que… me défendis-je maladroitement.
— Tu as vraiment besoin de te décoincer, à l’occasion, viens au gymnase le vendredi soir, j’assure les cours de judo, tu verras, ça aide, m’assura la géante avec un pouce levé.
— Et c’est moi qui tente de la kidnapper pour mon jogging ? se moqua Mauricio en roulant des yeux. Tu mérites vraiment le tien de surnom, Hell.
— C’est vrai qu’elle nous fait vivre un enfer au quotidien, ajouta Timothée avec un hochement de tête solennel.
— Tous les deux, les garçons, vous venez au cours demain soir ! s’exclama alors la géante en faisant rouler ses hanches d’exaspération, du moins c’était l’impression qu’elle donnait. Parce que le lundi c’est Jujitsu, et je vais vous faire décéder si vous continuez de charrier comme ça devant la nouvelle !
Voyant là l’occasion idéale, je m’excusais poliment, assez discrètement pour être sûre que personne ne m’ait vraiment entendu, puis je filais à l’anglaise.
Plongée dans mes pensées, je montais les marches menant aux chambres en tenant toujours ma canette de thé glacé, ayant partiellement oublié son existence.
J’arrivais donc devant la porte numéro cent-trois et me figeais un bref instant, réalisant que derrière cette porte se trouvait l’endroit où j’allais passer une grande partie de ma vie pendant les trois prochaines années. C’était l’endroit où j’allais dormir, l’endroit dans lequel je devrais pouvoir me permettre d’être vulnérable en toute sérénité. Mes doigts tremblèrent légèrement autour de la boisson que je tenais entre mes mains. J’avais peur. Une boule d’angoisse présente depuis quelque temps déjà faisait désormais connaître sa présence, semblant réclamer son dû.
Améthyste n’avait pas tort en définitive… ici, je n’étais qu’une bourge un peu paumée. Une fille à papa échappée de sa cage dorée. Évidemment que j’étais perdue, évidemment que j’aurais voulu avoir quelqu’un à qui parler, que je me sentais seule.
J’ouvris pour la première fois ma chambre, ne m’autorisant à me laisser envahir par ce sentiment de tristesse qu’une fois la porte bien fermée derrière moi. Cela ne me ressemblait pourtant pas, d’être aussi émotive. Mais peut-être que la pression accumulée avait eu raison de moi. Une pression si fortement réprimée qu’elle en était devenue invisible, attendant d’exploser à la moindre occasion. Je me trouvais donc là, assise sur la moquette d’une chambre d’étudiant, adossée à la porte, reniflant mes larmes comme une gamine en pressant ma petite canette de thé glacé entre mes doigts, soulagée de pouvoir enfin pleurer.
Il était fou de constater à quel point le temps semblait être une chose toute relative lorsque l’on se trouvait dans un tel état de détresse. Je ne savais pas combien de temps je restais ainsi à me laisser aller, honteusement, pleinement… mais il aurait pu s’écouler une minute comme il aurait pu s’écouler une éternité que je n’aurais pas fait la différence. Cependant, tandis que mes mains tremblantes s’appliquaient à essuyer mes joues humides, je constatais que ma détermination était intacte. Je n’avais aucun désir de faire demi-tour, aucune envie d’abandonner… juste un besoin furieux de réconfort que je ne pouvais pas trouver, qui m’était inaccessible. Et même si la frustration se trouvait être une énergie très négative, elle en représentait tout de même une. Mais alors que faire maintenant ? Que faire pour calmer cette soudaine douleur, ou au moins l’oublier quelque temps ?
Ranger. Défaire mes valises, placer mes affaires dans ce petit appartement, non, dans cette grande chambre. Accepter définitivement mon sort en m’installant ici pour de bon.
Je me levais donc, tremblant légèrement sur mes jambes avant de prendre une profonde inspiration et de souffler, concentrant toute mon attention sur une chose aussi bête que le rangement.
Lorsque l’on est perdu, que l’on ne sait plus quoi faire, il est bon de simplement ranger. Mettre les choses à leur place, chasser les éléments indésirables, considérer l’agencement, dépenser son énergie dans une tache constructive et simple. Les vêtements, les livres, les petits éléments nécessaires à la vie de tous les jours et même… et surtout oserais-je dire, l’intégralité de ces petits objets inutiles mais dont on ne se séparerait pour rien au monde. La base même de notre identité, le rappel de notre humanité au-delà de la simple satisfaction de nos besoins primaires, la douce présence du superflu, qui nous donne à chaque instant une sensation de confort. Ou tout du moins, tel était mon cas.
Cependant, une fois mes affaires rangées, une étrange sensation de vide ne me quitta plus. Je n’avais pas suffisamment de choses à moi toute seule pour remplir le vide de ces lieux qui restaient trop froids à mon goût. Mais peut-être était-ce mon imagination, mon chagrin passager. Je m’approchais alors de mon bien le plus précieux… mon violoncelle. Soigneusement rangé dans son large étui recouvert de cuir, posé sur un socle dans un coin de la pièce, il attendait patiemment, comme toujours, que je vienne y répéter moult études apprises par cœur. L’instrument que j’avais choisi et que je n’avais jamais regretté, l’ami qui m’avait toujours suivi, écouté sans jamais rien dire, et que j’avais fait chanter tant de fois pour me consoler ou pour faire plaisir à ma famille ou à des proches.
Mon instrument m’attendait donc patiemment, comme il l’avait toujours fait, dans l’espoir que le devoir ou l’humeur me pousseraient à le faire chanter.
Cependant, je préférais le laisser pour le moment, et m’asseoir sur mon lit, que j’avais équipé de mes draps préférés. Pour ce soir, je n’avais strictement rien prévu. Mais ça n’était pas grave. Je sauterai le dîner. J’aurais aimé boire un grand verre de lait aussi, prendre le temps de me limer les ongles avec le soin que l’on réserve aux détails importants. Je m’étirais alors longuement, n’étouffant pas une seule seconde mes bâillements. Je détachais alors mes longs cheveux en me laissant aller en arrière, soupirant de soulagement, contemplant ce plafond inconnu que je fixerai à présent tous les matins, me laissant emporter malgré moi dans un sommeil peuplé de rêves oubliés.
J'ai moins accroché à ce chapitre. La mise en place continue, mais commence à être un peu longue (pour moi j'entends), et j'aimerais que l'histoire (les "aventures" comme promis par le titre) commence réellement.
Quelques phrases qui ont dérangé ma lecture :
- « Finalement, nous retournâmes vers les quartiers des appartements universitaires, nos chemins se séparant assez tôt, Améthyste justifiant le fait d’habiter dans une chambre se trouvant à l’opposé de celle qui m’avait été attribuée » --> Cette phrase me parait étrange, elle ne justifie pas qu'elle habite dans une chambre à l'opposé, mais le fait que leurs chemins se séparent tôt ?
- « l’agence de voyages m’avait garanti de s’en occuper » --> qu’elle s’en occupait ?
- "Vous ? répéta la colosse" --> il n’y a pas de « vous » dans la phrase précédente.
J'ai également été gênée par l’insistance sur le côté « imposant » d’Hélène (mot qui est répété plusieurs fois). Peut-être faire relire à une lectrice sensible.
A part ça, j'ai bien aimé que les surnoms se rapprochent toujours du prénom original, cela permettra de mieux s'en souvenir.
Le fait qu'Améthyste habite non loin mais on ne sait pas où sera un enjeu plus tard.
Et oui, j'ai conscience que les "aventures" prennent du temps à arriver, c'est ma première œuvre et je n'y suis pas tout à fait au point.
J'espère que tu accrocheras davantage à la suite, car je pense qu'elle pourra te plaire.