2. Ses grands yeux bleus-tirant-vers-le-vert

Par Leadet

"Le destin conduit celui qui consent et tire celui qui résiste"

CLEANTHE

Si j’avais su à cet instant qu'une question venant d’un inconnu dans un bar où je n’avais jamais mis les pieds auparavant changerait le cours de ma vie, est ce que j'aurais agi différemment ? Non je n’aurais rien changé. On dit souvent que si on pouvait connaitre les conséquences de tel ou tel acte on ferait les choses autrement. Ce n’est pas mon cas.

Cette nuit-là, mon destin s’est écrit avec un stylo remplit d’encre en or.

Cette nuit-là, tout a changé. 

- Dis, tu connais la théorie du bar ? 

Non, je ne connais pas cette théorie. Mais si c’est toi qui me l’exposes, je suis prête à t’écouter toute la nuit et toutes les nuits suivantes.

C’est perdu dans ces pensées et dans ses grands yeux bleus-tirant-vers-le-vert que je me rendis compte que je devais avoir l’air d’un poisson rouge, les yeux béants et la bouche grande ouverte. Quelques minutes en plus et je suis sûre qu’un filet de bave commencerait à couler.  

- La théorie du bar, qu’est que c’est ? m'entendis-je répondre d’une voix qui se voulait assurée. 

L’inconnu aux  grands yeux bleus-tirant-vers-le-vert se mit à rire  

- Désolée je pensais que j’aurais le temps de trouver quelque chose à dire une mais il n’existe pas de théorie du bar. Me voilà attrapé. En réalité je cherchais une excuse pour venir te parler et c’est tout ce qui m’est venu. C’est très cliché je l’avoue. 

Pas de panique je suis dans un bar, c’est tout à fait normal qu’on vienne m’adresser la parole. Avec l’éclairage tamisé des bougies, je suis sûre d’être bien plus à mon avantage qu’à l’ordinaire. Il suffit de lui répondre et d’éviter d’avoir l’air d’une idiote. Et puis, je m'étais moi même retrouvé dans une situation impliquant une théorie quelques heures plus tôt. 

- C’est drôle, quand tu as évoqué une théorie ça a fait écho avec la journée que je viens de passer. J’aurais pu croire que c’était le destin si tu n’avais pas inventé ce prétexte pour venir me parler.  

- Enfaite, pour te dire la vérité, c’est la première chose qui m’est venu à l’esprit pour t’aborder. Je t’ai vu aujourd’hui. Enfin, j’ai vu ton dos quand tu as exposé ta théorie du lapin à ce pauvre professeur. Elle existe vraiment où tu essayais juste de te sortir d’une situation compliquée ?  

Tout cela devenait étrange, j’étais à la PSSF depuis cinq ans et je ne l’avais jamais vu. Ni en cours, ni dans les couloirs, ni au réfectoire, ni à la bibliothèque, ni à aucune soirée étudiante. L’inconnu compris mon désarroi car il s’expliqua rapidement, presque sur la défensive. 

- Je suis des cours du soir en auditeur libre. Je n’ai jamais aimé les études mais quand j’ai du temps libre j’aime bien aller aux conférences d’histoire de la psychologie de Mme. Flek.  

Mme Flek était une professeure incroyable. Je l’avais eu mes deux premières années d’études à la PSSF. Je pouvais comprendre pourquoi il suivait ses conférences du soir. Elle donnerait envie à n’importe qui d’aller en cours et de travailler. Elle jouissait d’une réputation impeccable et était surement une des plus vieilles professeures de tout le pays encore en activité. Pour tout vous dire, si je n’avais pas autant de travail, j’y serais sûrement aussi tous les soirs. Je ressentis ça comme un signe du destin. 

- Mme. Flek ? Je l’adore. Tu as tant de chance de pouvoir assister à ces conférences ! Les places sont chères et c’est si rare qu’elle accepte des personnes extérieures à l’université. Comment as-tu fait pour avoir une place ?  

- Oh, hésita-t-il, tu sais un ami qui connait un ami... Et toi, que t’avait fait ce professeur pour que tu lui hurles dessus de la sorte ?  

- Eh bien, répondis-je en rougissant légèrement, il ne m'a pas laissé finir mon intervention. Intervention que j’ai passé la moitié du semestre à préparer. A peine j’ai eu laissé un blanc dans la présentation qu’il en a conclu que je ne maitrisais pas mon sujet. Je me suis donc permise de lui faire un rapide résumé avec cette théorie.  

- La théorie du lapin oui, j’ai adoré. Sur quoi portait ton intervention à la base ?  

- Sur le syndrome de Stockholm.  

- En effet, c’était plutôt pertinent comme métaphore.  

Je m’apprétais à lui répondre que ce n’était pas vraiment une métaphore mais plus une étude fondée sur des expériences et observations scientifiques quand nous nous fîmes interrompre violemment.  

-Evan, je peux savoir ce que tu fais ? Tu crois que le boulot va se faire tout seul ? On est deux mon pote alors viens me donner un coup de main au lieu de ...

Il s'interrompit pour me regarder de haut en bas. Je me suis rarement senti aussi jugée, même après les cours de Mr. Jarts. Au moins mon inconnu n’était plus un inconnu. Il s’appelait Evan. 

- Viens me donner un coup de main au lieu de discuter avec cette … fille.  

Tout en finissant sa phrase il leva les yeux au ciel, me re re regarda de travers et la pauvre Kléo, qui entre temps j’avais oublié, subit le même sort quelques instants plus tard.  

Evan se retourna vers moi et s’excusa : 

- Je suis désolée, il faut que je retourne travailler. Peut être nous aurons le temps de parler plus tard.

Il hésita longuement, puis rajouta avec un demi sourire

- Je l’espère en tout cas.  

Aussitôt sa phrase terminée, il se leva et rejoins son “pote” derrière le bar. Il travaillait donc ici. Un barman aimant suivre des conférences d’histoire. Il me semblait de plus en plus mystérieux. Je rejoignis Kléo, elle avait l’air mortifié. Elle était assise au bout du bar où elle avait du se réfugier quand Evan était venue me parler. Sa manière à elle de m’encourager sans doute. A peine je l’avais rejoins qu’elle commença à se plaindre  

- Théa enfin tu es là, ce type était horrible, vraiment horrible. J’ai essayé de disucter avec lui, il m’a répondu avec des sortes de grognements. Je comprends qu’il travaille mais enfin il aurait pu faire un effort. J’ai vidé le bar en espérant qu’il finisse par s’intéresser à moi et rien du tout. Il m’a regardé d’une manière, comme si j’étais un insecte trainant sur le sol de son bar. Comment on peut être aussi beau et aussi méchant franchement.  

- Attends Kléo, tu parles de quel type ? Et tu sais sans vouloir te vexer il n’existe aucune preuve qu’être beau rend gentil. 

- De quel type je parle ? De celui là, me répondit-elle en désignant le “pote” à Evan qui venait de nous intérrompre aussi brutalement, c' est quoi son problème ?  

Je pris le temps de l’observer. Evan et lui étaient affairés derrière le bar. Ils avaient l’air tout les deux contrariés. Ils étaient le contraitre l’un de l’autre. Si Evan était la lumière alors l’autre était l’obscurité. Des opposés. Evan était blond avec des légers frisottis. Il avait des yeux bleus merveilleux. Ses traits étaient doux et il respirait la gentillesse. L’autre était brun avec des yeux noirs perçants qui pourraient faire fondre de la glace. Ses traits étaient tirés. Je ne comprenais pas comment Kléo avait pu croire qu'il était gentil. Enfaite il avait un côté terrifiant comme les méchants dans les films. Il n’étaient sûrement pas de la même famille et s'il ne s’étaient pas parlé aussi familièrement j’aurais pu croire qu’ils se connaissaient à peine, partageant seulement un lieu de travail.  

- Effectivement, il n’a pas l’air super sympa. Il m’a interrompu quand je parlais à Evan.  

- Evan ? C’est qui Evan ? Le beau blond avec qui tu parlais ?  

- Oui, c’est lui. Il est très sympatique 

- Théa tu as les yeux qui brillent. Je ne crois jamais t’avoir vu avec les yeux qui brillent. Je commence à être fière de moi.  

Il était fort problable que Kléo trouvait mes yeux brillants car les siens l’étaient tout autant. Quand elle disait qu’elle avait vidé le bar elle ne plaisantait pas. Ma discussion avec Evan avait dû durer à peine dix minutes mais il y avait déjà quatre verres vides faisant face à Kléo.  

- Kléo je pense que tu as trop bu et que ta vision est troublée. Tu veux que je te ramènes ?  

Mmmhh avec plaisir, de toute manière ce bar est affreux. Tu avais raison nous n’aurions jamais du venir. C’est vraiment pas accueillant, lança t-elle bien distinguement pour attirer l’attention de nos deux barmans, allez Théa on s’en va demain on a cours de bonne heure et c’est à mon tourr de faire une intervention dans le cours de ce cher Mr. Jarts.  

- Quelle chance tu as Kléo, lui repondis-je ironiquement, allez récupères ta veste et ton sac on ya va, rajoutai-je à contre cœur.

J’aurais bien aimé rester plus longtemps pour reprendre ma discussion là où elle s’était arrêté avec Evan.  

En ramassant nos affaires, je tenta de croiser son regard mais rien n’y fis. Evan avait les yeux rivés sur le bar comme s’il ne souhaitait pas me regarder. Et son “pote” le fixait d’un air sévère. Je me rendis compte à quelle point l’ambiance était pesante et je fus finalement soulagé de partir d’ici.  

En moins de cinq minutes nous avions traversé le bar et atteint la porte menant à l’extérieur. Je me retourna une dernière fois vers Evan en espérant croiser son regard mais je ne croisa qu'un regard d'une pair d'yeux noirs perçants non sollicité si froid qu'en sortant je sentis à peine les cristaux de glace me transpercer. 

Qu’est ce qui s’était passé ce soir ?

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