2. Shiloh Howard

Shiloh détestait quand Elijah étalait sa science. On pouvait penser qu’il se rendait intéressant mais la réalité était toute autre. C’était une façon pour Elijah de communiquer avec les autres et d’assimiler les choses. Shiloh le savait alors il temporisait lorsqu’il estimait que son ami allait trop loin.

Il trouva qu’il eut été un peu trop expéditif avec les policiers. Ces derniers allaient certainement croire qu’il avait quelque chose à se reprocher. Sauf que la seule chose qu’il faisait, c’était de lire les articles de journaux qui relataient de cette affaire. Il s’y intéressait juste, ni plus ni moins, et jusqu’à preuves du contraire, il n’y avait rien de mal à ça.

Shiloh avait toujours été friand d’émissions sur des enquêtes policières non élucidées, de documentaires sur de grands tueurs en série, et ce, depuis l’enfance.

À un moment de sa vie, il s’était demandé s’il n’était pas dérangé d’aimer se renseigner sur des tordus. Un petit garçon se passionne pour les dinosaures ou les pompiers, pas pour des gens qui font du mal aux autres, non ?

Et puis, il s’était finalement rendu compte qu’il n’était pas plus fasciné par le fonctionnement des tueurs que par le déroulement des enquêtes. Il s’était donc mis en tête de devenir policier plus tard. Il présentait d’ailleurs la chose comme une vocation.

Cependant, il faisait partie de ces personnes qui pensaient que parfois, les gens méritaient la balle qu’ils avaient reçue. Alors ce jour-là, il abandonna son objectif d’être flic.

Il ne fallait pas lui mettre une arme entre les mains.

 

 

Le soir vint rapidement et il n’avait pas oublié la virée entre potes. Au contraire, il y avait pensé toute la soirée. Il l’avait rappelé plusieurs fois à Elijah, pour être sûr qu’il n’oublie pas.

Ces derniers temps, Shiloh se sentait à fleur de peau sans qu’il ne sache pourquoi, il ressentait le besoin de décompresser et de passer du bon temps. Il avait le pressentiment que quelque chose le stressait mais il était incapable de mettre le doigt dessus. Il n’y prêtait pas plus attention que ça, se disant qu’il s’agissait très certainement du travail ou un état de fatigue générale. Peut-être qu’il avait juste besoin de vacances.

Il partit récupérer Elijah chez lui. Ce dernier était prêt depuis un petit moment déjà lorsqu’il arriva. Shiloh était parfaitement conscient que son meilleur ami ne voulait pas sortir, cela le contrariait un peu mais il était cependant ravi qu’il fasse l’effort de l’accompagner.

Après avoir échanger quelques banalités, ils empruntèrent le métro jusqu’à Piccadilly, là où les attendait Daniel. L’info d’un nouveau bar venait de lui. Apparemment, il avait surpris une conversation entre collègues à son travail. Malheureusement, la seule chose qu’il savait à propos de ce bar, c’était le nom et son endroit approximatif.

Shiloh entra le nom du bar sur le GPS de son portable. Il fut étonné de voir que l’adresse était introuvable. Il mit ça sur le compte de la récente ouverture du bar et le GPS ne s’était tout simplement pas mis à jour. L’itinéraire, qui n’était pas bien long, conduisait quand même quelque part. La bande d’amis décida de suivre le chemin et ils se retrouvèrent dans une espèce de ruelle située dans un renfoncement entre deux immeubles, mal éclairée et assez sale ; le genre d’endroit qu’il valait mieux éviter.

— Bon, apparemment c’est là, déclara Shiloh.

Daniel jeta un coup d’œil autour de lui, à la recherche d’une enseigne ou quelque chose dans le genre.

— Je vois rien, dit-il.

— Euh… j’espère que je ne suis pas sorti de chez moi pour rien. J’ai pas envie de marcher pendant des lustres avant de trouver un endroit pour se poser, rétorqua Elijah à l’intention de Shiloh.

Ce dernier réprima un soupir d’agacement, penché sur son téléphone pour trouver une image de la devanture du bar. Mais il y avait que dalle. sur Internet. Pourtant, Daniel lui avait pourtant assuré que cet établissement existait bel et bien et qu’il ouvrait ce jour-même ; c’était ce qu’il avait entendu.

Au fond de la ruelle, une porte s’ouvrit dans un grincement métallique. Le temps que la porte soit ouverte, les trois hommes perçurent de la musique. Ils tournèrent la tête en direction du bruit et virent un homme vêtu d’une veste en cuir sortir du bâtiment. Visiblement alcoolisé, il tituba vers la lumière de l’autre côté de la rue, sans prêter attention à ce qui l’entourait. Il traça sa route et grogna lorsqu’il heurta Shiloh. Celui-ci se retourna vers l’homme en se tenant l’épaule. Il eut eu l’impression de s’être pris un mur.

— Vu sa dégaine, il vient sûrement d’un bar, fit-il remarquer sans mentionner le choc qu’il venait de recevoir. Et c’est peut-être celui qu’on cherche, justement.

Daniel, Elijah et lui s’enfoncèrent vers le coin sombre de la ruelle d’où était venu le type.

— Il s’appelle comment, ce bar, déjà ? s’enquit Elijah.

— Le Sangtuaire, répondit Daniel en prenant son plus bel accent français.

— Sympa le jeu de mots, releva Elijah.

— Quel jeu de mots ?

Shiloh ne parlait pas très bien français, langue trop compliquée selon lui ; il avait toujours eu des difficultés à l’apprendre, contrairement à ses amis, ce qui eut entraîné des lacunes.

— Bah le propriétaire a mélangé le mot « sang » en français et « sanctuaire » pour former un nouveau mot, expliqua Elijah. D’ailleurs, je ne sais pas si je dois être fasciné par ce génie ou être dégoûté., c’est assez douteux comme choix.

Il lui avait sortit ça comme si la réponse était évidente.

Shiloh ne releva pas, cela aurait donné une occasion de plus à Elijah de faire le malin et de se la jouer critique gastronomique ou un truc du genre.

Les garçons examinèrent la porte d’où était sorti le mec bourré. Il s’agissait d’une porte de service sale en métal et une petite plaque avait été vissée à côté, aussi dégueulasse que le reste. Shiloh plissa les yeux pour mieux voir et essuya d’un doigt la saleté, sans réfléchir. Il grimaça, c’était tout poisseux.

— Sang… tuaire, déchiffra-t-il.

Un grand sourire éclaira son visage.

— Eh, c’est là !

Daniel et Elijah s’approchèrent, soulagés de pouvoir passer la soirée à l’endroit prévu plutôt que de se retrouver à errer dans Londres, comme ils le faisaient souvent. Ils déchantèrent aussitôt.

— Ça ressemble à une porte de sortie, ça, protesta Elijah, pas à une entrée. De l’autre côté, il y a un immeuble, on ne peut pas entrer.

Il secoua la tête.

— On dirait l’arrière d’une cuisine de restaurant, ajouta-t-il en pointant du doigt deux poubelles conteneurs.

— Écoute, y a qu’une porte donc y a qu’ici qu’on peut entrer, s’énerva Shiloh. Et au pire, on demandera si on tombe sur quelqu’un.

Elijah préféra ne plus rien dire, Shiloh aimait avoir le dernier mot. Quand il avait une idée derrière la tête, il ne l’avait pas ailleurs.

Il fit quelques pas vers la porte et grimaça en attrapant la poignée poisseuse. Il tira de toutes ses forces.

Les trois amis pénétrèrent dans une espèce de petit sas dont les murs étaient capitonnés de cuir rouge du sol au plafond, éclairé à la seule lueur de bougies placées dans des bougeoirs muraux de style gothique. Une fois à l’intérieur, la musique ne s’entendait pas autant qu’à l’extérieur, les basses vibraient dans la poitrine des garçons.

Aucun d’entre eux n’osa prononcer un mot, le silence fut d’autant plus oppressant à cause du bruit étouffé par le cuir. La petite taille et les couleurs sombres faisaient de cette pièce un petit cocon glauque.

Un pic d’adrénaline s’empara de Shiloh, comme s’il appréhendait d’entrer dans ce bar. Il fut décontenancé ; il sortait souvent, entre potes ou seul la plupart du temps, il aimait les bars, l’ambiance qu’il y trouvait, se poser au comptoir et discuter avec le barman ou une fille. Il avait donc l’habitude de ce genre d’endroit, pourquoi avait-il, ce soir-là, l’impression que c’était la première fois qu’il mettait les pieds dans un bar ?

Il comprit très vite qu’il était en réalité mal à l’aise. La ruelle était glauque, le sas était glauque. Le reste devait l’être tout autant. Il eut le pressentiment que de l’autre côté de la porte qui se tenait face à eux se trouvait une atmosphère bizarre, une ambiance repoussante.

Il regretta presque d’avoir entraîné ses potes là-dedans. Presque. Il aimait tester de nouvelles choses.

Sans réfléchir, il ouvrit cette foutue porte qui les séparait du bar, elle aussi capitonnée de cuir.

Leur premier contact avec l’autre pièce fut une forte odeur d’humidité qui leur sauta au visage, embaumant leurs narines.

Puis, ils découvrirent l’intérieur. Ils furent déboussolés, tous autant les uns que les autres. Ce fut comme si Shiloh avait ouvert la porte sur un monde parallèle. La déco du bar était de la même trempe que celle du sas : du cuir rouge partout sur les murs avec un lambris foncé sur la partie basse, sur les canapés et les tabourets de bar qui se trouvaient ici et là, une salle éclairée à la bougie placées dans des bougeoirs aux murs ou de grands candélabres ou encore suspendues au plafond par de gros chandeliers en fer forgé. Le sol et le plafond se composaient d’un parquet foncé – marron ou noir peut-être.

Shiloh eut une sensation étrange et il était convaincu que ses amis ressentirent la même chose : la salle était bien éclairée mais ils n’y voyaient pourtant pas grand-chose. Il fut incapable de savoir s’il y avait trop de lumière ou pas assez.

Les clients ne rattrapaient pas le reste. Tous habillés en cuir, résilles ou latex. Hommes comme femmes. Il était même parfois compliqué de les différencier. Certains avaient le visage recouvert d’un masque, d’autres étaient maquillés comme des voitures volées. Ils étaient tous occupés à boire leur verre ou rigoler de manière dramatique, bouche grande ouverte et main sur la poitrine, et pourtant, il semblait que leur intérêt se portât sur les trois amis.

Il n’y avait pas que leur apparence qui attirait l’attention. Leur démarche nonchalante et lascive forçait l’admiration. Comment pouvait-on se déplacer de manière aussi souple et fluide ?

Les trois amis ne purent décrocher leur regard d’une femme qui passait devant eux, verre à la main et toute de cuir vêtue. Elle ne les lâcha pas non plus des yeux. Si la scène s’était déroulée dans un film, il y aurait eu un slow motion à ce moment-là.

Ce fut la dernière chose que les garçons aperçurent avant qu’un gaillard aussi grand que large vînt se poster devant eux et leur cacher la vue.

— Je peux vous aider ? leur demanda-t-il d’une voix gutturale avec un fort accent latino.

L’homme les toisa tous les trois. Il devait bien faire dans les deux mètres – peut-être les dépassait-il. Ses bras croisés mettaient en valeur ses biceps musclés et tatoués de symboles étranges. La lumière se reflétait sur son crâne rasé, également tatoué.

Il se balança sur un pied puis sur l’autre en soupirant bruyamment, montrant son impatience. Pendant ce très court laps de temps, Shiloh aperçut du coin de l’œil une zone plus éclairée que le reste de la salle, qu’il n’avait étrangement pas remarquée au premier coup d’œil. Il se pencha légèrement sur le côté pour découvrir ce qui réclamait un traitement de faveur lumineux mais il en fut empêché par l’armoire à glace.

— Qu’est-ce que tu regardes ? aboya-t-il.

Shiloh sursauta, non pas par surprise mais de peur. Il s’attendit à ce que le type lui saute à la gorge. Il osa examiner ce videur monstrueux. Oui, le mot était parfaitement choisi. Ce fut court mais ces quelques secondes d’observation lui parurent une éternité. Le videur, tout en muscles, était mâte de peau mais son teint avait quelque chose de dérangeant ; il était aussi cireux que les bougies. Ce qui frappa le plus Shiloh, ce furent les yeux. Le noir de ses iris semblait flamboyer au contact de la lueur des lustres.

Une voix cristalline mais autoritaire se fit entendre derrière le rideau de muscles, suivie d’une petite main blanche comme la porcelaine qui contrasta violemment avec le bras couleur caramel sur lequel elle venait de se poser.

— C’est bon, laisse-moi gérer, dit la voix pendant le gars s’écartait.

Même si elle était juchée sur des escarpins noirs, on pouvait deviner sa petite taille – un mètre cinquante-cinq, peut-être moins. La fille portait un pantalon en cuir brun, sa taille était marquée par un corset en cuir brun également, lacé sur le devant, accompagné en-dessous d’un chemisier bouffant à manches longues blanc cassé qui dénudait ses épaules tatouées de motifs celtes. Sa chevelure rousse et ondulée lui arrivait au niveau des coudes, quelques mèches tombait devant ses yeux bleu ciel pétillants. Son visage, parsemé de taches de rousseur, affichait un petit air malicieux qui, Shiloh le reconnaissait, la rendait plutôt mignonne. Elle était aussi tatouée au visage ; une ligne partant du bas de la lèvre inférieure à la pointe du menton.

— Je peux vous aider, messieurs ? demanda-t-elle.

Shiloh prit les devants pour l’impressionner. Il ne le voyait pas mais il était prêt à parier qu’Elijah levait les yeux au ciel.

— On a entendu dire que ce bar ouvrait ce soir alors, on est venu le tester.

Elle fronça les sourcils.

— Ah oui ? Où avez-vous eu l’information ?

— J’ai entendu un collègue en parler, répondit Daniel. On aime bien sortir, du coup…

Il haussa les épaules avec une moue qui signifiait « pourquoi pas ».

— C’est tout à votre honneur, répondit-t-elle, mais je crois que cet endroit n’est pas pour vous.

Elle devint soudainement menaçante. Elle souriait mais ses yeux leur criaient « barrez-vous ». Elle n’avait rien ajouté de plus mais les garçons avaient bien compris qu’elle ne voulait pas d’eux. Malgré sa petite taille, ils sentirent qu’elle n’aurait aucun mal à les mettre dehors. Ses beaux yeux bleu ne pétillaient plus, elle était devenue carrément flippante.

Elle les observa de haut en bas. Il était vrai qu’ils faisaient tache dans le décor avec leur t-shirt/jean.

— Sauf erreur de ma part, intervint Elijah, rien ne nous interdit d’entrer et de consommer chez vous. Ce n’est écrit nulle part.

Shiloh sourit, satisfait. Son meilleur ami venait de lui clouer le bec.

Le regard de la fille dévia vers lui mais tout le reste du corps resta immobile. Elle le dévisagea un court instant avant de reprendre la parole.

— Bien, trancha-t-elle sans le quitter des yeux. Comme vous voulez.

Elle tourna les talons sans prononcer un mot de plus, suivie de l’homme très musclé. Shiloh eut toutes les difficultés du monde pour décrocher le regard de la fille rousse. Elle était toute aussi hypnotisante que l’endroit. Lorsqu’elle pénétra dans le bar, elle disparut dans la masse qui s’agitait frénétiquement sur la piste de danse.

À peine un pied posé dans l’enceinte du bar, les trois amis ressentirent encore plus qu’au début toute l’attention sur eux, certains faisaient des messes basses à leur passage, d’autres les jugeaient et les méprisaient du regard.

Les trois amis se frayèrent un chemin parmi la foule qui, l’air de rien, s’agglutinait autour d’eux. Un frisson de dégoût parcourut l’échine de Shiloh.

Il se sentit plus que mal à l’aise et il ne fut pas nécessaire de concerter les autres pour savoir qu’il n’était pas seul à être gêné. Ils n’étaient pas à leur place et ce n’était pas qu’une question de tenue.

— C’est vraiment space, ici, murmura Daniel à l’intention des deux autres. J’ai envie de partir.

Elijah et Shiloh hochèrent la tête. Ce dernier hésita même un instant à céder à l’envie de Daniel mais puisque c’était lui qui avait insisté pour venir au Sangtuaire, il n’en fit rien. Il serra les dents et prit sur lui. Ça arrive, de se tromper.

Shiloh avait à présent une meilleure vue d’ensemble de la salle et put ainsi découvrir l’objet de toutes les convoitises lumineuses, ce qu’il n’avait pas réussi à voir quelques minutes auparavant. Il s’agissait d’un immense fauteuil en adéquation avec le reste du bar, son assise capitonnée de velours rouge était tenue par une armature en bois foncé. Il connaissait ce type de meubles pour l’avoir déjà vu dans des films. Meubles Louis-quelque-chose, Elijah lui avait dit le nom c’était entré dans une oreille pour ressortir de l’autre. Shiloh fut surpris d’y voir la fille affalée dessus, les bras posés sur les accoudoirs. Le fauteuil était surélevé, de ce fait, elle surplombait la salle et assistait aux moindres faits et gestes des gens. Elle semblait aux aguets.

Les avait-elle déjà oubliés ?

— Eh ben… y en a qui se refuse rien, commenta Shiloh en faisant un signe de tête vers la demoiselle. Elle a dû payer la peau du cul pour être assise là.

— Je pense que c’est elle, la propriétaire du bar, répondit Elijah.

Shiloh haussa les sourcils.

— Ah ouais, ben elle se la pète grave. Bon, on va boire un coup ?

Malgré le malaise, il était hors de question d’oublier le but de cette sortie. Picoler.

Les trois garçons se dirigèrent vers le comptoir fait de bois foncé, lui aussi. Le trajet leur parut une éternité, comme si le temps s’était suspendu. Ils s’installèrent sur des tabourets. Le serveur, un grand gringalet aux cheveux blonds, vint à leur rencontre. Visiblement agacé, il les interrogea sur ce qu’ils souhaitaient consommer.

— Qu’est-ce que vous nous proposez ? demanda Daniel.

Le serveur soupira tandis que ses épaules s’affaissa. Les garçons se consultèrent du regard, de plus en plus énervés par le fait que le personnel du bar était exécrable.

— Je crains que rien sur notre carte ne vous convienne, dit-il d’un ton las.

Shiloh se leva de son siège en tapant du poing sur le comptoir.

— Bon, venez les gars, on se casse. On est trop mal accueilli.

Ils eurent à peine le temps de se retourner qu’ils firent de nouveau face à la petite rouquine.

— Que se passe-t-il ? s’enquit-elle.

Waouh. Quelle flèche. Trente secondes auparavant, elle était installée sur son fauteuil. Elle s’était téléportée ou quoi ?

— Il y a que l’amabilité n’existe pas chez vous, s’écria Elijah, excédé par toute cette foule et tout ce vacarme. Pourquoi nous avoir laissés entrer si c’est pour ensuite ne pas nous traiter comme des clients ?

La fille resta silencieuse et jeta un rapide coup d’œil au serveur.

— Je suis navrée pour ces fâcheux incidents, déclara-t-elle le moins sincèrement du monde.

Elle se dirigea ensuite vers le serveur et lui ordonna quelque chose dans une langue totalement inconnue pour les trois amis. Enfin, c’était ce que Shiloh croyait jusqu’à ce qu’il remarque la tête que tirait Daniel, on aurait cru qu’il avait l’air d’avoir retrouvé quelque chose de perdu.

Elle rejoignit le grand blond ensuite derrière le comptoir.

Le serveur ne dit rien et sortit trois verres opaques noir, des oranges sanguine, un presse-agrume et une bouteille de vodka pleine. La poussière qui la recouvrait indiquait qu’elle n’était pas souvent sortie. Elle n’avait même jamais été ouverte.

L’attention de Shiloh fut retenue par l’étiquette de la bouteille. Le papier était jaunie et les lettres rouges formaient des mots d’une langue, encore là, inconnue.

Shiloh était adepte des virées nocturnes, il aimait beaucoup l’ivresse qu’apportait les nombreux verres qu’il buvait. Il aimait surtout la vodka, son alcool de prédilection. Il s’y intéressait beaucoup, avait fait pas mal de recherches et en connaissait un rayon. Mais celle-ci… il n’en avait jamais vue, et encore moins bue. L’aspect vieillot de l’étiquette et la poussière le rebuta. La bouteille devait être là depuis un moment…

Il haussa imperceptiblement les épaules. L’alcool ne se périme pas.

Le grand blond pressa les oranges après avoir versé une dose de vodka dans chaque verre.

— Notre cocktail qui a le plus de succès est… (il marqua un temps d’arrêt pour soupirer, las) l’Orange Sanguine, composé de… eh bien d’orange sanguine et un peu de vodka, voilà.

— Mets-y un peu plus d’entrain, Dimitri, commenta la fille. Nous sommes partis du mauvais pied alors fais un effort pour rattraper le coup, s’il te plaît.

Elle sourit à ses trois nouveaux clients.

— Pour les consos, je veux bien, mais je te rappelle que c’est pas moi qui gère l’accueil, rétorqua Dimitri.

La fille baragouina à nouveau. Cette fois-ci, le ton fut plus tranchant. Dimitri le serveur prit congés en silence, la queue entre les jambes. Personne ne sut, en dehors des deux protagonistes, ce qu’il fut dit mais l’autorité de la fille était impressionnante.

Elle sourit ensuite de toutes ses dents.

— Excusez-le, il est dans ses mauvais jours. Une vraie tête à claque.

Shiloh trempa ses lèvres dans le verre, curieux de goûter cette vodka hors d’âge. Le cocktail n’était pas dégueulasse, il était même plutôt bon. Il rectifia son jugement après quelques gorgées : c’était carrément addictif, ça se buvait comme du petit lait. Le côté acidulé de l’orange était séduisant, la vodka se cachait derrière, timide, laissant un arrière goût amer enivrant. Il recommanda un deuxième verre, puis un troisième. Ses deux amis n’en étaient encore qu’à leur premier.

— Shiloh, stop, tenta de le raisonner Elijah. On doit rentrer après…

— Maiiis, on prend le métrooo, ça vaaa.

Sa voix lente et ses syllabes allongées indiquaient qu’il était saoul.

La musique et les voix résonnaient dans ses oreilles, les gens bougeaient lentement autour de lui. Sa tête tournait un peu mais pas au point d’en avoir la gerbe. Il entendait ce qu’il se disait mais il ne comprenait pas tout. Il essayait de tout répéter dans sa tête, en silence, pour se convaincre lui-même que non, il n’était pas bourré, et qu’il avait les idées claires

Elijah empêcha la fille de tendre le quatrième verre à son ami. Il posa simplement la main sur son avant-bras. Il retira sa main aussitôt comme s’il s’était pris une châtaigne. À sa tête, Shiloh devina que la fille n’avait pas du tout apprécié le geste. Mais alors pas du tout. Elle le fusillait du regard.

Shiloh sourit et réprima un gloussement, la scène était digne d’un film cucul-la-praline.

— Je ne vous permets pas de me toucher, cingla-t-elle.

Elijah se confondit en excuses maladroites. Le pauvre, il ne savait plus où se mettre, ce qui ne manqua pas d’amuser Shiloh.

— Ça vaaa, détend-toiiii, lança-t-il en lui donnant une grande claque amicale sur l’épaule. Elle va pas te bouffer.

Elijah n’était pas aussi certain que lui à ce niveau-là. Il fut dépité à la vue du sourire idiot de son meilleur ami, complètement mort.

— Non, répondit la fille. Comme moi aussi je n’ai pas été correcte avec vous, je ne vais pas tenir compte de ce petit… écart.

Le son de voix sur le dernier mot eut l’effet d’une douche froide sur les trois amis. Aucun d’eux n’eut le désir de rester plus longtemps.

— Bon, on y va, décida Daniel. On vous doit combien ?

Elle leva la main, plus souriante à présent.

— C’est pour moi.

Les trois garçons la remercièrent et quittèrent le comptoir pour filer vers la sortie. Shiloh s’arrêta un instant pour refaire ses lacets tant bien que mal. La fille eut largement le temps de les doubler pour les attendre à la porte qu’ils avaient emprunté quelques heures auparavant.

— Vous pouvez revenir quand vous le souhaitez, je veillerai personnellement à ce que l’entrée vous soit facilitée, leur annonça-t-elle lorsqu’ils furent arrivés à son niveau.

Ils furent mine d’être ravis mais ni Daniel ni Shiloh – et encore moins Elijah – n’avaient l’intention de revenir.

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Suturiae
Posté le 28/08/2020
Franchement j'adore l'univers du bar, cela pose beaucoup de questionnements, de mystère, et nous donne l'envie de continuer à lire tout ça. Ton écriture est fluide, mais pas simpliste, donc ça rend le tout agréable.
Josephine Edward
Posté le 28/08/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire, je suis contente que mon univers te plaise !
cnslancelot5930
Posté le 25/08/2020
Un chapitre très bien écrit. On ressent l'ambiance glauque et lugubre que tu poses ici par le choix de tes mots.
Et ce bar ne me dit absolument rien qui vaille ; j'aurais fait demi tour direct. Il a quelque chose de dérangeant et à la fois d'attirant, tel qu'on le perçoit fort bien tant dans la description assez fournie, tant dans le dialogue des personnages.
J'adore ! Et je continue dans cette lancée qui me paraît prometteuse.
Josephine Edward
Posté le 25/08/2020
Ton commentaire me fait chaud au coeur. Je suis ravie que l'effet voulu ait fonctionné (quand on a le nez dedans, ce n'est pas toujours évident de se rendre compte de la chose), ça veut dire que j'ai bien fait mon travail !
Miss-swann
Posté le 12/08/2020
Histoire prenante dès le début, un peu trop d'espace pour ma part. Dans le chapitre 2 on rentre directement dans le sujet et surtout très bien ecrit. Merci
Josephine Edward
Posté le 13/08/2020
Merci beaucoup pour ce commentaire, ça me fait plaisir ! Quand j'ai posté le 1er chapitre, j'ai essayé de rapprocher les paragraphes entre eux mais le site ne le permet pas malheureusement !
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