Les quatre hommes reprirent la route au matin après un déjeuner copieux. Si Armand et Aramis ne reparlèrent plus de son secret, le premier commençait à apprécier le fait que le second soit dans la confidence. Ils partagèrent à nouveau leur chambre à l’auberge suivante et la travestie découvrit l’Aramis galant qui charmait tant ces demoiselles.
À l’aube du troisième jour, alors qu’ils s’approchaient du port d’Artois, Armand eut une idée en regardant la carte. Ce n’était pas malin, ça ne faisait pas partie de leur mission, mais un petit moment de confort ne ferait de mal à personne, si ? Malgré sa raison, qui lui disait de ne surtout pas faire cela, Armand s’obstina et osa enfin demander :
—Excusez-moi, j’ai une proposition.
Les hommes s’arrêtèrent et il eut trois paires d’yeux centrés sur lui. Il se racla la gorge mal à l’aise, mais continua tout de même.
—Une amie d’enfance à moi vit ici. Je sais que cela ne fait pas partie de nos ordres mais nous pourrions faire une dernière halte chez elle, nous pourrions ainsi nous reposer et nous restaurer convenablement avant d’arriver à destination.
Sans étonnement, Athos commença à protester mais fut vite coupé par les deux autres mousquetaires qui avaient pris le parti du jeune homme. De guerre lasse, et sachant qu’il n’avait aucune chance de se faire obéir, Athos abdiqua et le groupe suivit le chemin indiqué par le plus jeune.
Ils virent puis arrivèrent aux abords d’un grand domaine. Le manoir de pierres blanches et rouges s’élevait dans les plaines. Ils laissèrent Armand s’avancer vers les gardes des grilles, et après quelques mots et une course de l’employé, les battants de fers forgés s’ouvrirent et la troupe passa le sentier dallé bordé d’arbustes et d’un jardin taillé aux dernières modes de Paris. Face à eux s’étendait l’habitation et au centre de la grande porte ouverte une femme en robe de soie ne les lâchait pas des yeux. Armand mit pied à terre, demandant à ses ami de patienter et s’avança, gravissant le perron, s’arrêtant devant la maitresse des lieux, assez loin de ses compagnons d’armes. Il savait que son arrivée la choquerait mais s’il devait compter sur une personne, cela ne pouvait être qu’elle.
—Eh bien, ne me reconnais-tu pas ? Ricana le jeune homme avec un sourire malicieux.
La femme ne bougea pas, clignant des yeux puis sa bouche s’ouvrit, une idée un peu folle lui traversant l’esprit.
Elle franchit la distance, s’arrêta à nouveau, le temps de bien observer son vis-à-vis puis se jeta dans ses bras, serrant son amie.
—Mais qu’as-tu fait ?!
Armand rigola, heureux de son petit effet.
—C’est une longue histoire, je te raconterais. Amelia, personne ne doit savoir qui je suis et encore moins que je suis venue ici. Aujourd’hui, je suis Armand Lacroix, mousquetaire et en mission. Peux-tu faire cela pour moi ?
—Bon dieu … tu m’intrigues . Mais si je peux aider une personne c’est bien toi.
—Tu peux nous accueillir chez toi moi et mes amis mousquetaires jusqu’à demain matin ? demanda Armand avec espoir.
Amelia tiqua un instant, plus consternée que réticente.
—Evidement, ramène tes… amis ici, j’en serais ravie.
D’un signe de mains d’Armand, les trois mousquetaires descendirent de leurs montures, tendant les rennes à des valets.
Les hommes pénétrèrent dans un grand hall au sol décoré de carreaux de ciment et les murs de moulures. Devant eux, Armand se tenait en compagnie d’une jeune femme d’à peu près 25 ans. Ses cheveux blonds attachés selon la dernière mode, elle portait une robe d’un jaune doré, décorée de nœuds et de froufrous.
—Messieurs, prenez vos aises je vous prie. Vous êtes mes invités.
—Nous vous remercions de votre hospitalité, dit Athos en s’inclinant. Pouvons-nous connaître l’identité de notre hôtesse ?
—Amelia de Bougainville, comtesse d’Axe et non pas pour vous servir, ajouta-t-elle avec un sourire.
—Ceci est plutôt notre rôle, madame, répondit Aramis en s’inclinant, un air charmeur sur le visage.
—Elle est mariée Aramis ! Ne tentez pas de pervertir mon amie je vous prie.
La mine contrite du mousquetaire arracha une volée de rire à toute la troupe. Même Amelia se prit au jeu.
—Des chambres seront attribuées à chacun d’entre vous, reposez-vous et demandez si vous avez besoin de quelque chose.
Profitant d’Amelia parlant avec les mousquetaires, Armand rejoignit Porthos à part.
—J’avoue que c’est une très bonne idée. Heureusement que tu l’as proposée.
—Je trouve aussi, au moins ce soir nous pourrons chacun dormir dans un lit !
—Puis-je vous emprunter mon ami, demanda Amelia en s’immisçant. Je vous laisse visiter les lieux.
Sans attendre de réponse la comtesse d’Axe prit le bras d’Armand, emportant rapidement le jeune homme dans un dédale de couloirs, plantant là les trois hommes. Après plusieurs pièces passées, ils débouchèrent dans un jardin et elle se permit de ralentir son pas.
—Alors, tu m’expliques ce que tout cela signifie ? Tes habits, ces mousquetaires ?!
Armand soupira. L’heure de la justification était arrivée, en espérant qu’Amelia soit assez conciliante.
X
Des chambres furent attribuées à chacun d’entre eux et ils y passèrent le reste du temps jusqu’à ce que le diner fût annoncé. Assis à table, les quatre hommes se réjouissaient de ce confort inouï et encore plus en pleine mission. Amelia discutait avec toute la tablée, accrochée aux lèvres des mousquetaires qui contaient leurs plus rocambolesques aventures, enjolivant légèrement chaque situation. Des blagues et commentaires fusaient, faisant à chaque fois éclater un fou rire à l’assemblée. Dire qu’Armand était heureux était bien peu, il rayonnait du bonheur d’avoir retrouvé une amie et avoir pu se confier à elle. Amelia avait toujours été sa confidente, et la savoir au secret lui enlevait une part de ce qui lui pesait. Retrouver également ce confort, ces mets et la chaleur d’une pièce délicatement chauffée suffisaient à le rendre euphorique.
Une main se glissa sur son accoudoir, sous la table et vint se poser sur sa cuisse, lui faisant ouvrir les yeux qu’il avait fermés après une gorgée de vin. C’était celle de Porthos, dégantée. Il vérifia que personne ne les observait et reposa la sienne dessus, savourant sa chaleur sous ses doigts qui étaient froids. Porthos frissonna au changement de température et enserra sa main, réchauffant ses extrémités glacées par la sienne. Le jeune homme rougit de l’attention et se laissa faire, heureux de ce simple toucher. Il lança un furtif regard au métis au même moment où celui-ci faisait de même. Leurs yeux s’accrochèrent, un instant, une seconde, mais assez pour échanger bien plus que ce qu’ils pouvaient se dire par des mots.
X
L’aube s’était levée depuis plus d’une heure. Du fond de son lit, Armand dormait profondément, reléguant au placard toutes ses habitudes matinales qu'il avait prises au baraquement des mousquetaires. Cela faisait aussi bien trop longtemps qu'il n'avait pas dormi dans des draps de soie, sa tête enfuie dans une multitude d’oreillers moelleux. Les effluves de lavande, dont étaient parfumés les linges, lui effleuraient les narines à chaque fois qu’il enfonçait son nez dans les tissus. Il aurait prolongé son sommeil d’une petite heure si des coups n’avaient pas été frappés contre sa porte. Précipitamment, il remonta les draps par-dessus sa poitrine quand la porte s’ouvrit sans attendre son autorisation.
—Ce n’est que moi, plaisanta la blonde et accessoirement maîtresse des lieux.
—Qu’est-ce que tu veux.
Le grognement tira un rire à Amelia alors qu’Armand repoussa son drap, réveillé.
—Bonjour à toi aussi ! Le déjeuner est prêt et tes amis t’attendent, ils disent que vous devez vite reprendre la route ... .
La voix mourut à la fin et Armand regarda son amie, souriant tristement.
—Je suis heureuse de t’avoir revu même si ce n’était que pour un soir. J’espère que cette affaire se finira vite pour pouvoir revenir ici, te voir et enfin revivre.
Amelia prit place sur le lit et enserra la travestie de ses bras. Elles restèrent enlacées jusqu’ à ce que l’une ne libère l’autre pour la laisser s’habiller.
X
Les chevaux fraîchement nourrit et scellés attendaient patiemment sous le soleil d’automne de reprendre la route. C’était également le cas des cavaliers, qui après des remerciements et des adieux, prirent congé de leur bienfaitrice.
Dans une énième étreinte et des mots murmurés, les deux amies se disaient un au revoir le cœur serré, sous les yeux gênés et interrogatifs de deux mousquetaires. La proximité des deux amis était évidante mais seul l’un d’eux connaissait le véritable lien qui les unissait.
— Reviens sain et sauf, Armand Lacroix.
—Je te le promets, j’ai encore trop à faire !
Le dernier cavalier enfourcha son cheval et ils quittèrent la cour du manoir dans une envolée de poussière. Si le cœur d'Armand s’était alourdi ces derniers jours, ce petit moment lui avait permis une échappatoire à laquelle il n’espérait plus. Léger, serein, il était prêt à arriver à leur destination.
C’est dans les rayons rouges d’un soleil mourant qu’ils arrivèrent en vue du port. Si la fatigue était présente, elle était moindre que ces deux derniers jours et chacun d’eux pouvait remercier une certaine comtesse.
Ils mirent pied à terre, là où ils purent attacher leurs chevaux et en groupe de deux, ils se mirent à la recherche des navires de la flotte.
Armand, en compagnie d’Aramis lisait chaque nom avec hâte et appréhension. Son cœur cognait fort, trop fort. Si la compagnie d’Aramis était agréable et encore plus maintenant qu’elle le savait dans le secret, une gêne persistait, elle se demandait continuellement ce que le mousquetaire pensait, si sa vision avait changé, s’il échafaudait ses propres théories.
—Quel était le nom de la compagnie déjà ? Demanda Aramis, le sortant de ses pensées alors qu’ils passaient aussi près que possible de chaque navire, repérant pavillons et lisant leurs noms.
—La compagnie de la Baie du nord, marmonna le jeune homme après un court silence.
—Et les noms des navires qui devaient être à quais ?
Armand leva un sourcil. Pointilleux comme il l’était, rares étaient les fois où Aramis oubliait les détails d’une mission.
—L’Ecume, l’Ancre et la Marée, récita le jeune homme par cœur.
Aramis plissa les yeux, fixant le jeune homme sans que l’autre ne le remarque, l’esprit ailleurs. Ses doutes se confirmèrent.
—Vous les connaissez, déclara Aramis.
Armand ne s’arrêta qu’une seconde mais ce fut assez pour confirmer les dires du mousquetaire. Il ne répondit pas ; ce n’était pas une question.
Ils passèrent devant une flopée de navires au pavillon hollandais qu’ils pouvaient encore distinguer dans les dernières lueurs du soleil mourant au crépuscule.
—Vous savez, on dit souvent que parmi tous les mousquetaires, vous seriez le plus intelligent, fit remarquer Armand. Je commence à me dire qu’ils ont peut-être raison. Vous commencez à me faire peur, Aramis.
—Je vous avais promis devant Dieu de ne pas vous trahir, vous n’avez pas à en douter, répondit Aramis. Nous devrions arrêter, il fera bientôt sombre. Retrouvons Athos et Porthos.
Armand hocha la tête, préférant arrêter là leur discussion.
Les deux autres les attendaient un peu plus loin du quai, hors de vue, évitant d’attirer ainsi l’attention. À leur attitude, Armand compris immédiatement qu’eux avaient réussi dans leurs recherches. Son cœur s’emballa, excité et pourtant apeuré que le moment fatidique ne se rapproche
—L’Ecume et la Marée sont amarrés de l’autre côté du port, légèrement isolés d’ailleurs.
—Que faisons-nous ? demanda Armand d’une voix légèrement tremblante qu’il tenta de contrôler.
—On attend. Ils doivent quitter le port ce soir. Nous attendrons qu’ils chargent toute leur cargaison, de quoi avoir matière pour les arrêter, et nous les fouillerons. Toutes les preuves seront là.
Chacun acquiesça, sans rien à redire au plan de leur chef. Armand regarda vaguement dans la direction indiquée par Athos, le ventre noué. Tout pourrait se terminer cette nuit, si le ciel lui était favorable. L’accusation de contrebande ne pourrait que venir appuyer sa propre cause. Il espérait de tout cœur que la fouille soit concluante, il en allait de son destin.
La nuit était tombée depuis quelques heures, de même que le froid, son fidèle compagnon. Entre les bâtisses, trois hommes attendaient patiemment, alors qu’un quatrième ne lâchait aucun des deux navires des yeux, scrutant toutes les allées et venues. Après ce qui sembla être une éternité il bougea enfin, discrètement pour rejoindre ses amis, cachés par les murs de bois.
—Ça commence à bien bouger, raconta Aramis, ils ont déjà bien chargé les navires, surtout l’Ecume, je pense que nous devrions y aller.
Athos acquiesça. En faisant fi de toute discrétion, ils se dirigèrent vers les deux bateaux et grimpèrent la rampe sans plus de cérémonie.
—Je veux parler au capitaine, tonna Athos d’une voix forte.
Un homme d’environ la quarantaine s’avança, se présentant comme l’homme qu’il cherchait.
—Par ordre du roi, nous venons inspecter ce navire, tonna Athos. Il restera à quai jusqu’à nouvel ordre. En attendant je dois fouiller vos cales.
Aucun des hommes présent ne réagit, seul le capitaine hocha la tête et les guida vers le lieu voulu. Lacroix reçu l’ordre de rester sur le quai avec Aramis, évitant tout piège au fond du bateau.
Une lampe à la main, Athos faisait ouvrir sacs et caisses sans résultat. L’anxiété les gagnait, lui et Pothos. Ils savaient ne pas s’être trompés mais ressortir sans aucune preuve signerait l’échec de leur mission.
—Il n’y a pas d’autres cales ? hasarda Porthos.
—Non messire. Voici tout ce que nous transportons, comme vous le voyez ces marchandises en ont l’autorisation.
Le mulâtre ne répondit pas, inspectant le lieu. Ce n’était pas possible. Il vit Athos tourner en rond, les mêmes pensées cheminant dans son esprit. Il laissa encore une fois son regard dériver et eut une impression étrange. Quelque chose le dérangeait et il mit quelques secondes pour mettre le doigt dessus. Empressé il fit signe à Athos et se dirigea vers le fond, face à la cloison de bois. Il tapa, quelques coups mais qui résonnaient clairs et creux. Trop creux.
—C’est un faux, il y’a quelque chose derrière ! clama Porthos. Ouvrez ce mur. Ordonna-t-il.
Les deux mousquetaires virent le regard du capitaine se tinter d’agacement avant qu’il ne tire sa lame, vite suivi des autres membres de l’équipage.
—Il aurait mieux fallu pour vous que le noir ne remarque rien, commença le capitaine.
—Je vous laisse une chance, répondit Athos, rendez-vous et personne ne sera blessé.
—C’est vous qui allez baisser vos armes, mousquetaires ! Gronda une voix de l’autre côté de la cale, près de l’escalier. Au début ils ne virent rien, puis l’équipage s’écarta et ils virent un homme d’une haute stature avancer avec retenue contre lui, une dague sous la gorge, le membre le plus récent de leur petite équipe.
—Espèce de lâche !
Porthos siffla entre ses dents, la mâchoire serrée, les yeux orageux. Cela faisait longtemps qu’une telle colère ne l’avait pas pris, mais cette vision seule suffit à l’enrager. Son regard accrocha celui du jeune homme. Il pouvait voir à sa respiration rapide la panique qu’il ressentait mais il se maitrisait mieux qu’il ne l’aurait espéré, se tenant aussi droit que possible.
Il remarqua Aramis un peu en arrière, dans la même situation, à ceci près que ce n’était pas une dague mais un pistolet qu’on pointait sur sa tête.
—Je pense que vous avez compris, reprit l’homme qui retenait Armand. Lâchez vos armes, tout de suite.
Les deux mousquetaires encore libres échangèrent un long regard puis déposèrent lentement rapières et pistolets, résignés.
Déjà, je suis très heureuse de retrouver nos mousquetaires et le petit Armand^^ Ils m'avaient manqué ces bisounours!
Ensuite j'ai beaucoup aimé ce chapitre qui nous fait rentrer de plus en plus dans l'action et le passé d'Armand! Je me suis tapée une de ces barres en imaginant la déconfiture d'Aramis en apprenant que Amelia est mariée XD
De même que Porthos est tout choupi *-*
Bref, toujours fan de ton écriture qui nous enmène si bien dans ce 17e s romancé et ses actions .
Hâte de lire la suite^^
Des bisooous de ta fangirl XD