Arwen, emmitouflée dans son manteau sombre, avançait d'un pas prudent sur les trottoirs encore glissants. Elle n'aimait pas particulièrement l'hiver ; il lui rappelait des sensations trop froides, silencieuses, proches du vide qu'elle portait en elle. Pourtant, il y avait aussi une forme de beauté, dans ce calme figé, que ses yeux savaient capter mieux que ses mots ne sauraient l'expliquer.
Au lycée, les couloirs bruissaient déjà d'agitation. Le Winter Break avait laissé derrière lui une vague de récits et d'anecdotes : qui avait voyagé, qui s'était disputé, qui avait eu une aventure. Arwen n'avait rien à raconter. Elle s'était contentée de passer du temps avec Amy, de dessiner un peu plus, et de se laisser bercer par une étrange impression que quelque chose se préparait autour d'elle, sans qu'elle puisse encore le nommer.
Nelly l'attendait près de son casier. Ses cheveux noirs formaient une masse frisée qui semblait presque défier le froid. Quand elle aperçut son amie, son visage s'éclaira d'un sourire.
— T'as l'air gelée, dit-elle en lui tendant un café acheté à la machine du hall. Tiens, sauvetage du matin.
Arwen esquissa un sourire en prenant le gobelet entre ses mains.
— Merci... Tu lis dans mes pensées, souffla-t-elle.
La journée débuta comme tant d'autres : des cours monotones, des bavardages incessants , et la neige qu'on apercevait à travers les vitres, flocons fondant aussitôt sur le sol humide. Mais tout prenait un autre relief à cause de lui.
Depuis leur sortie avant les vacances, quelque chose avait changé. Elle avait voulu croire, un moment, qu'un fragile équilibre pouvait naître entre eux. Mais Liam s'était montré plus distant, presque froid. Il répondait, il parlait, mais avec une réserve nouvelle, comme s'il avait décidé de remettre entre eux une barrière invisible.
Arwen le remarqua encore ce matin-là, en cours. Il était assis deux rangs devant elle, entouré de ses camarades habituels. Sa silhouette se détachait nettement : grand, sûr de lui, avec ce charme désinvolte qui attirait naturellement les regards. Il riait à une blague, mais ses yeux, lorsqu'ils croisèrent ceux d'Arwen, se détournèrent presque aussitôt. Elle sentit son ventre se tordre. Pourquoi tu joues à ça ? Un jour tu me parles, l'autre tu fais comme si j'étais transparente.
À la pause déjeuner, Nelly et elle retrouvèrent leur arbre habituel dans la cour. Bien que nu et glacé en cette saison, il restait leur repère. Elles s'installèrent sur le banc gelé, soufflant dans leurs mains pour se réchauffer.
— Tu tires une tête pas possible, nota son amie. Qu'est-ce qui va pas ?
Arwen hésita. Elle avait envie de parler, mais chaque fois qu'il s'agissait de lui, les mots restaient coincés. Elle haussa simplement les épaules.
— Rien... Juste fatiguée.
Son amie la regarda longuement, comme si elle devinait ce qu'elle taisait. Puis elle décida de changer de sujet.
— Tu sais, j'ai pensé... Ce week-end, y a une expo photo en ville. On pourrait y aller ensemble, ça te changerait.
Arwen leva les yeux vers elle, un peu surprise.
— Une expo ?
— Oui, répondit Nelly avec enthousiasme. Des clichés sur les paysages d'hiver. Je me suis dit que ça pourrait t'inspirer pour dessiner.
La brune sentit un sourire furtif naître sur ses lèvres. L'afro-américaine savait trouver les mots. Elle accepta d'un signe de tête.
L'après-midi s'étira lentement. En fin de journée, alors qu'elle rangeait ses affaires, Arwen entendit une voix familière derrière elle.
— T'as deux secondes ?
Elle se retourna brusquement. C'était lui. Il s'était approché, les mains dans les poches, son expression à la fois sérieuse et fermée.
Le cœur d'Arwen fit un bond dans sa poitrine. Elle acquiesça sans parler. Nelly, qui se tenait à côté, les observa brièvement, puis s'éclipsa sous prétexte d'aller chercher un livre à la bibliothèque.
Un silence pesa entre eux avant que Liam ne reprenne.
— J'voulais juste... m'excuser si j'ai été bizarre ces derniers temps.
L'adolescente fronça légèrement les sourcils.
— Bizarre ?
Il soupira, jetant un coup d'œil vers le couloir désert qui s'était vidé après la sonnerie.
— Je sais pas... Disons que je gère mal certaines choses. Mais... j'aimerais qu'on reparle.
Arwen resta immobile, partagée entre méfiance et curiosité.
— T'as une façon étrange de montrer que tu veux parler, dit-elle doucement.
Un coin de la bouche de Liam se releva, mais son sourire ne monta pas jusqu'à ses yeux.
— Peut-être. Mais j'essaie.
Un silence flotta encore. Puis, presque sur un coup de tête, le jeune homme lâcha :
— Tu sais, même si je ne te l'ai pas dit, j'ai bien aimé notre sortie près du lac. Ça te dirai d'en refaire une ?
Arwen écarquilla légèrement les yeux.
— Une sortie ?
— Ouais. Rien de fou, hein. Juste... un endroit tranquille. Pour discuter.
La brune sentit une chaleur étrange l'envahir. Elle ne répondit pas tout de suite, se contentant de le fixer. Liam, pour la première fois depuis longtemps, paraissait sincèrement hésitant, presque vulnérable.
— D'accord, finit-elle par dire, sa voix plus basse qu'elle ne l'aurait voulu.
Il hocha la tête, comme soulagé.
— Je t'enverrai les détails.
Puis le garçon s'éloigna, ses pas résonnant dans le couloir silencieux. Arwen resta plantée là, le cœur battant, incapable de déterminer si elle venait de franchir une étape... ou de s'approcher d'un piège.
Le soir, dans la maison réchauffée par les lumières douces, Arwen retrouva Amy. Sa tante préparait un gratin dans la cuisine, fredonnant doucement. L'odeur réconfortante emplissait l'air.
— Ta journée ? demanda la femme sans lever les yeux de sa recette.
La jeune fille hésita un instant, puis répondit vaguement :
— Comme d'habitude. Longue.
Amy se retourna, lui lançant un sourire rassurant.
— Tu sais, tu peux toujours m'en dire plus. Même si ça paraît pas important.
La brune soutint son regard une seconde, puis détourna les yeux. Il y avait tant qu'elle ne pouvait pas expliquer, tant qu'elle gardait pour elle. Elle préféra se réfugier dans un silence prudent.
Plus tard, dans sa chambre, elle ouvrit son carnet. Ses doigts parcoururent la couverture usée. Le livre, continuait de hanter ses pensées. À chaque page, elle cherchait des indices, des fragments de vérité. Les mots laissés par son père ou par une main qu'elle n'arrivait pas à identifier ressemblaient à un puzzle.
Ce soir-là, elle tomba sur une phrase qu'elle n'avait pas remarquée avant, griffonnée en marge d'une note : "Sous les rires, les chaînes se resserrent."
Arwen resta figée, ses yeux parcourant les lettres à plusieurs reprises. Elle ne comprenait pas encore, mais son instinct lui criait que cette phrase avait un poids.
Elle ferma le carnet avec précaution, le glissant sous son oreiller. Puis elle s'allongea, fixant le plafond. Ses pensées dérivaient inévitablement vers Liam, vers la sortie qu'il venait de lui proposer.
Un doute rongeait son esprit : était-il sincère, ou n'était-ce qu'une nouvelle illusion prête à se briser ?