La ville semblait s'être assoupie sous un voile glacé pendant le Winter Break. Depuis le matin, un froid mordant s'était abattu sur Everspring, transformant les rues en tableaux hivernaux. Les branches nues se dressaient comme des ombres effilées, et des guirlandes lumineuses pendaient encore aux fenêtres, rappelant les festivités de fin d'année. Arwen resserra son écharpe autour de son cou, le souffle formant de petits nuages devant ses lèvres. Elle attendait, légèrement nerveuse, à l'angle de la rue principale.
Liam avait proposé cette sortie la semaine précédente, presque par surprise. Leur dernière conversation à l'école avait été tendue, mais il avait fini par lâcher, sur un ton presque détaché : "Alors viens. On sort".
Arwen avait acquiescé sans trop réfléchir, malgré une légère hésitation, comme si sa réponse avait échappé à son contrôle. Depuis, elle ressassait mille questions. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Avait-il vraiment envie de passer du temps avec elle, ou n'était-ce qu'une façon de se débarrasser d'un malaise entre eux ?
Le bruit d'un moteur attira son attention. Une voiture noire ralentit devant elle, et Liam en descendit, les mains enfoncées dans les poches de son manteau sombre. Ses cheveux bruns et ondulés, légèrement décoiffés, brillaient sous la lumière terne de l'après-midi, et ses yeux verts semblaient plus froids que jamais. Il s'approcha d'un pas nonchalant, et Arwen sentit son estomac se nouer, tandis que le véhicule repartait.
— Salut, dit-il simplement, sans sourire.
— Salut, répondit-elle, la voix un peu plus faible qu'elle ne l'aurait voulu.
Ils se mirent en marche côte à côte. Le silence qui les accompagnait n'était pas désagréable, mais il portait ce poids invisible qui faisait battre le cœur d'Arwen plus vite. Le jeune homme finit par briser cette bulle de mutisme.
— On va au lac. Il est gelé, et y'a pas grand monde en ce moment.
La brune hocha la tête. Le lac, elle l'avait déjà vu en automne, mais jamais en hiver. L'idée de découvrir cet endroit figé sous la glace avait quelque chose de fascinant.
Ils marchèrent longtemps, laissant derrière eux le bruit de la ville pour gagner les abords plus calmes. Le paysage changeait, les maisons cédaient la place à des étendues enneigées où les pas craquaient sur la poudre blanche. Arwen resserra son manteau sombre, ses joues rougies par le froid, tandis que Liam, apparemment insensible au climat, avançait avec cette assurance tranquille qui le caractérisait.
— T'aimes pas trop parler, déclara-t-il au bout d'un moment.
Arwen cligna des yeux, un peu prise de court.
— C'est pas ça... C'est juste que je... je réfléchis beaucoup.
Un léger sourire, presque imperceptible, effleura les lèvres du garçon.
— Réfléchir, ça peut être bien. Mais ça peut aussi t'emprisonner.
L'adolescente baissa les yeux sur la neige, ses bottes laissant des empreintes nettes. Ses pensées revinrent à son carnet de croquis, à ses secrets, et à toutes ces choses qu'elle n'osait pas dire.
Quand ils arrivèrent au lac, le spectacle les coupa un instant du monde. L'eau s'était transformée en une étendue glacée d'un bleu pâle, fissurée par endroits, où la lumière du ciel se reflétait en éclats métalliques. Le silence régnait, seulement troublé par le craquement de la glace au loin et le souffle du vent.
— C'est beau, murmura Arwen sans même s'en rendre compte.
Liam s'accroupit près de la rive, ramassant un petit caillou qu'il lança sur la surface. Le bruit sec de l'impact résonna, amplifiant l'impression de solitude du lieu.
— Ça l'est, ouais, dit-il d'une voix plus basse que d'habitude.
Ils restèrent là un moment, contemplant le lac gelé. Puis le jeune homme se redressa et se tourna vers elle. Son regard se planta dans le sien, intense, presque troublant. Arwen sentit ses joues chauffer malgré le froid.
— Pourquoi t'es toujours à l'écart, Arwen ? lança-t-il, presque brutalement.
Elle resta figée.
— Je... j'ai mes raisons, finit-elle par dire, un peu trop vite.
— Des raisons, tout le monde en a, répliqua-t-il. Mais toi, on dirait que tu te caches derrière.
Ces mots la frappèrent en plein cœur. Elle détourna le regard, les yeux rivés sur le sol gelé. Elle aurait voulu répliquer, se défendre, mais rien ne sortit. Liam, voyant son silence, soupira et passa une main dans ses cheveux.
— Oublie, dit-il. J'pose trop de questions, parfois.
Un nouveau silence tomba. Pourtant, au lieu de la gêner, il semblait maintenant chargé d'une tension différente.
Ils quittèrent le lac pour marcher à travers un petit chemin boisé. Les branches, recouvertes de givre, craquaient doucement au-dessus d'eux. Arwen avançait un peu derrière Liam, observant sa silhouette élancée qui se découpait dans la pâleur du jour. Quelque chose en lui restait insaisissable, entre cette froideur affichée et les éclats de sincérité qu'il laissait parfois entrevoir.
— Tu fais quoi, quand t'es pas au lycée ? demanda-t-elle timidement.
Il haussa les épaules.
— Pas grand-chose. Je sors, je vois des gens. Et toi ?
— Je dessine.
Il tourna brièvement la tête vers elle, ses yeux verts s'attardant sur son visage.
— Je sais.
Arwen se figea.
— Comment ça, tu sais ?
Liam détourna aussitôt le regard, reprenant son pas tranquille.
— Je t'ai déjà vue, sous ton arbre, avec ton carnet.
Un frisson parcourut la jeune fille. Elle n'avait jamais imaginé qu'il l'avait remarquée, encore moins qu'il s'en souvenait. Son cœur battait un peu plus vite, mais elle garda le silence.
La fin de l'après-midi approchait quand ils prirent le chemin du retour. Le ciel s'assombrissait, et les premières étoiles commençaient à percer la pénombre. Liam marchait à ses côtés, ses mains toujours enfouies dans ses poches, mais quelque chose dans son attitude avait changé : moins d'arrogance, plus de retenue.
Arrivés près de la maison d'Arwen, ils s'arrêtèrent. Elle hésita un instant, puis osa :
— Merci... pour aujourd'hui.
L'adolescent la fixa, et pour la première fois depuis longtemps, un vrai sourire éclaira son visage, même s'il resta discret.
— C'était pas si mal, admit-il.
Il fit un pas en arrière, prêt à repartir, mais ajouta, comme si les mots lui échappaient :
— Tu me surprends, Arwen.
Puis il tourna les talons et s'éloigna dans la nuit froide. La brune resta immobile quelques secondes, son souffle suspendu. Elle ne comprenait pas ce qu'il voulait dire, mais ces mots résonnaient en elle comme une énigme.
Lorsqu'elle franchit la porte de la maison, Amy l'accueillit avec un sourire chaleureux, soulagée de la voir revenir. Sa nièce répondait distraitement, ses pensées encore prisonnières de cette sortie étrange. Ce n'était pas un rapprochement, pas encore, mais une fissure s'était ouverte dans la glace qui entourait Liam.
Et dans son cœur à elle, une étincelle fragile venait de naître.