Par Jason, avec incompréhension, le 17 décembre 201*.
« Et si tout était à recommencer,
Je ne changerais absolument rien.
Je saurais juste par où débuter. »
Rien. De tout le week-end, pas un seul message. Et il ose se pointer à l’école comme si de rien n’était ?
Je n’en crois pas mes yeux quand il range son vélo et rejoint le rang. Deux minutes après la sonnerie, alors qu’il a toujours de l’avance, normalement. Son regard qui se promène sur toute la cour, comme s’il cherchait quelque chose, finit par croiser le mien. Une expression douloureuse traverse brièvement son visage, et il détourne le regard. Il ne me rejoint pas, se contentant de se mettre en bout de file.
J’irais bien le rejoindre, mais Mme Klein est déjà là. Notre féroce prof de maths ne tolérera aucune incartade à la discipline scolaire, et encore moins des bavardages. De plus, ce tyran nous a imposé nos places en début d’année. Les explications attendront l’intercours, j’imagine…
J’essaie plusieurs fois de capter son regard, mais c’est comme si on était revenus aux premiers jours, quand il ignorait tout le monde.
Qu’est-ce que j’ai fait de travers ? Je pensais qu’on s’était justement rapprochés. Quand il est parti, il avait l’air de vouloir revenir. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? S’il avait eu un souci, il aurait pu m’en avertir, non ? Ce n’est pas comme si j’avais passé le week-end à lui envoyer des messages inquiets…
La leçon me passe complètement par-dessus la tête. Les quelques instants où je lui prête un peu attention pour ne pas que mon manque de concentration soit trop flagrant, la prof parle pékinois à mes oreilles.
Greg semble gentiment prendre note, sa tête penchée sur son cahier. Mais il écrit bien trop pour des exercices de math. Il doit travailler sur un poème, encore. Je me demande ce qu’il raconte…
Quand la sonnerie retentit, tout le monde se met à ranger en vitesse et déserte la classe. Je ne suis pas aussi pressé. Greg sort toujours en dernier pour éviter les bousculades. Il n’a pas réussi à retenir une grimace au son de la cloche et semble avoir été pris par surprise.
Je vais l’aider à ranger, on va se faire doublement engueuler, sinon.
Quand je saisis son cahier, il met une main dessus dans un réflexe presque surhumain. J’aurais juré qu’il ne m’avait pas vu approcher pourtant. Enfin, j’aurais dû me douter qu’il a juste choisi de m’ignorer…
Lorsque j’approche ma main de la sienne, il la retire. Sa tête se redresse pour me regarder. Il fronce les sourcils alors qu’une nouvelle grimace tord sa figure.
– Jason ? demande-t-il avec un effort visible.
Je fourre ses affaires pêle-mêle dans son sac et veux l’attraper par le poignet, mais il a un nouveau mouvement de recul.
– Allez, viens ! On va arriver en retard pour socio’ ! dis-je à voix haute pour Klein.
En vérité, je n’ai nulle intention d’assister au cours. J’ai des choses plus urgentes à apprendre. Ma rage a disparu dès que j’ai croisé son regard perdu. Quelque chose cloche, et grave.
Quand on sort de la classe, Klein a déjà reporté ses yeux sur ses interros. Greg a un moment d’hésitation. Est-ce qu’il cherche également un endroit où discuter ? Il a l’air d’attendre quelque chose, mais comme je ne fais que l’observer, il finit par parler.
– C’est par où, encore ?
La mâchoire m’en tombe. Il est sérieusement paumé, là ? Je n’y tiens plus, je dois savoir le fin mot de cette histoire.
– Viens, on doit parler, dis-je en voulant l’attraper par le bras.
Seulement, il se défile, un air confus sur le visage. Il me regarde, et cette même grimace douloureuse lui traverse la figure. Il essaie de garder une expression neutre, mais j’ai vu la fêlure dans le masque. Ce qui m’étonne et me blesse le plus, c’est qu’il essaie encore de le maintenir devant moi.
– On ne pourrait pas juste aller en cours ? demande-t-il sans conviction. On est déjà en retard…
J’abandonne l’idée de l’attraper par le poignet pour le traîner de force dans une classe vide… Quoique, non. C’est exactement ce que je dois faire.
Quand je le saisis cependant, toute ma détermination me quitte. Désorienté, je mets quelques pas en arrière, jusqu’à heurter le mur. Il me regarde avec les yeux écarquillés, une main hésitante tendue vers moi, comme s’il venait de me bousculer et voulait me retenir de tomber.
– Pardon. On se connaît, n’est-ce pas ? demande-t-il.
Quelque chose de terriblement fragile dans sa voix m’empêche de me moquer. Il a l’air d’avoir une sacrée migraine et d’être totalement paumé. Mais quand même, au point de ne pas me reconnaître ?
– Un peu plus que ça même !
Je me rapproche à nouveau, et il met un pas en arrière.
– Je n’ai pas peur de toi, dis-je en lui attrapant la main.
Je dois à nouveau me battre contre ses émotions, mais cette fois, j’arrive à garder mon calme. Je me dépêche d’entrer dans un local vide avant qu’Allen ou un autre éduc’ ne nous voie dans le couloir.
Quand je lâche sa main et me tourne vers lui, il est rouge pivoine. Je m’attends à ce qu’il m’engueule et qu’il sorte pour aller en cours, mais il n’en fait rien. Il évite mon regard et observe la classe de bio dans laquelle on a atterri.
Je n’y tiens plus. La question que j’ai voulu lui poser depuis que je l’ai vu franchir le portail ce matin — merde ! Depuis qu’il est parti ! — doit sortir.
– Pourquoi t’es pas revenu ?
Son regard quitte Oscar, le squelette, pour se poser sur mon visage. Très vite cependant, il baisse la tête pour fixer ses chaussures.
– Je suis là, maintenant, non ?
Je suis étonné qu’il esquive la question. Ce genre de lâcheté ne lui ressemble pas. Qu’est-ce qui lui arrive ?
– C’est très bien que tu sois venu à l’école, hein, mais pourquoi t’es pas revenu chez moi ?
Il fronce les sourcils et serre les dents, une main portée à sa tête. Malgré la douleur qui lui tord la figure, il me regarde bien en face.
– Je ne sais pas. Ou plutôt, je ne sais plus. Peut-être que c’est à cause de l’accident ?
À mon tour de froncer les sourcils.
– Quel accident ?
Son regard fuit à nouveau, comme s’il lui était trop douloureux de soutenir le mien.
– Je ne sais pas, okay ? Tout ce que je sais, c’est ce que mon père m’a raconté hier après-midi, quand je me suis réveillé.
Sa voix s’élève un peu, pleine de frustration. Elle est plus douce quand il relève la tête et poursuit.
– Il dit que je me suis fait faucher par un chauffard et qu’il m’a trouvé par terre, dans notre rue, le front en sang.
Il caresse délicatement son crâne, là où la bosse doit se trouver. Merde, ça explique pas mal de choses… Mais pas tout.
– Ma mère me l’aurait dit, si tu avais été admis à l’hôpital. Ils t’ont amené autre part ?
Ses sourcils se froncent, et il fait un léger mouvement de la tête en signe de dénégation.
– Je ne pense pas…
– Quoi, ils t’ont juste gardé à la maison avec un traumatisme crânien et une amnésie partielle ?
– C’est pas comme si un docteur aurait changé quelque chose, répond-il sans assurance.
Il a le regard fuyant, n’est pas à l’aise. Et ce n’est pas étonnant, s’il sait à peine se souvenir de mon nom et a un mal de crâne carabiné.
– Qu’est-ce que tu fous à l’école ? Tu devrais aller voir un médecin ! Qui sait quels dégâts tu as subis !
– Je n’ai pas besoin d’une deuxième mère ! Je vais bien. C’est qu’une question de temps pour que ça me revienne, d’accord ?
Sa colère irradie en filaments rouges, et je dois me battre pour garder mon calme. Si je n’étais pas aussi inquiet pour mon ami, je crois que je trouverais la situation extrêmement intéressante.
– Vraiment ? Tu vas bien ? Greg, laisse-moi t’aider. Tu ne t’en souviens peut-être pas pour le moment, mais je suis ton ami.
– Ouais, mon ami totalement désintéressé, crache-t-il. Tu ferais bien de me lâcher un peu, je me débrouillerai.
Je suis trop abasourdi pour le retenir quand il passe à côté de moi pour s’en aller. D’où ça sort, ça ? Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Il a perdu ses souvenirs, oui ou non ? Parce que les sous-entendus comme ça… Peut-être que je devrais me fâcher aussi. Il n’en est rien. Je reste juste là, à me demander où est passé mon meilleur ami et ce qu’on a fait de lui. Il faut qu’il aille voir un médecin, c’est probablement la douleur qui le rend irritable, ou alors le choc sur la tête a changé sa personnalité. Il ne faut pas que je le lâche, mais j’ai comme l’impression qu’il va être difficile à récupérer…
Non, décidément, je ne suis pas fâché. Triste est probablement l’émotion qui me décrirait le mieux. Je ne lâcherai pas. Je récupérerai mon Greg. Je n’ai pas fait tous ces efforts pour abandonner si facilement. Au moins, maintenant, je comprends mieux comment il fonctionne et comment l’approcher. Voilà peut-être pourquoi je n’ai pas ressenti l’envie de pleurer : je suis résolu.
Ah ouais, c'est quand-même violent de chez violent son amnésie ! Surtout qu'il doit, j'imagine, faire semblant d'en savoir plus que ce qu'il se rappelle pour donner le change. Pas étonnant qu'il soit autant sur la défensive.
Là, je ne sais pas si c'est particulièrement fort parce que son "père" est intervenu à la hache plutôt qu'au scalpel ou s'il se tapait à chaque fois des trous de mémoire gigantesques qui l'éloignaient de tous ceux qui auraient tentés de l'approcher par le passé.
En tout cas, j'admire Jason qui ne lâche rien et qui ne se satisfait pas de la première explication. J'espère qu'il saura le convaincre que toute cette histoire est louche et qu'il doit commencer à se méfier de ses parents.
Leur relation qui repart à zéro... Mais j'ai confiance en Jason. Je sais qu'il n'abandonnera pas Greg et qu'il l'aidera à se souvenir.
Mais du coup... Qui est vraiment Greg et pourquoi ses "parents" lui infligent ça ?
Est ce que ses cauchemars seraient en réalités des souvenirs ?
J'ai eu comme un petit blocage, ça n'a rien à voir avec l'histoire, je sais où je vais avec.
Je vais essayer de t'apporter des réponses rapidement ! Merci encore pour tous tes commentaires, ça aide pour la motivation ! Surtout quand tu sembles avoir vécu le chapitre aussi intensément.