Arc de triomphe de l’Étoile : le monument le plus considérable qu’on ait construit en ce genre ; il s’élève sur une éminence qui termine la promenade des Champs-Élysées, à Paris, au milieu d’une place circulaire d’où rayonnent douze avenues.
(…) Des décorations superbes ornent le monument, entre autres les figures de la Renommée par Pradier, le Départ de Rude, le Triomphe de Cortot, la Résistance, la Paix d’Etex, etc. Il porte inscrit le nom de 386 généraux ayant figuré dans les guerres de la République et de l’Empire et le nom des principales victoires de l’Empire.
Larousse, édition 1905 datée 1906.
— J’ouvre la voie ! cria Jules en s’élançant dans l’escalier.
Je tentai de suivre son rythme effréné et faillis me rompre le cou trois fois en m’empêtrant dans mes longues jupes. Marre de ces tenues malcommodes.
— Plus vite ! m’aiguillonnait Gus de sa grosse voix.
Cramponné à mon chignon, il se faisait secouer alors que je négociais la spirale de l’escalier à toute vitesse. Je me sentais de plus en plus étourdie à force de pivoter sur moi-même. J’entendis le pas de Jules, devant, changer de cadence. Il était en bas.
— Grouille-toi ! hurla-t-il. Ils arrivent.
J’avais à peine touché le sol que Jules m’attrapa la main et me tira. J’eus tout juste le temps d’apercevoir la masse compacte qui s’approchait dans un nuage de brume tournoyante, mais l’image demeura gravée sur ma cornée : des soldats habillés d’uniformes de toute sorte chargeaient à pied ou sur des montures chamarrées. Il y avait des légionnaires romains, des arquebusiers du moyen-âge, des grenadiers napoléoniens. Leur aspect martial n’était rien, cependant, à côté des êtres fantastiques qui les accompagnaient, à terre ou dans les airs : des centaures formidables ébranlaient le sol du roulement de leurs sabots, survolés par des dragons ailés dont les naseaux fumaient d’anticipation.
Je tournai les talons, épouvantée à l’idée de griller dans un jet de flamme. Mais si la troupe disparate était bien visible, il nous restait quelques dizaines de mètres d’avance qui nous permirent de quitter la place de l’Étoile.
Nous nous engouffrâmes sans ralentir dans une large avenue qui s’étirait à l’infini. Aucune chance de semer nos poursuivants sur un terrain aussi dégagé. Que nous voulaient-ils, à la fin ? Pourquoi un tel déploiement de force brute ? Notre présence à Pantruche était-elle à ce point insupportable aux faées majeures ? Je regrettais à présent d’avoir laissé grossir ma liste de questions à Gus sans chercher à obtenir ses éclaircissements sur le monde des faées. Allions-nous finir embrochés et grillés comme des perdreaux à cause de cela ?
Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule vers nos poursuivants. Ils paraissaient à la fois lointains et proches ; il y avait comme une ondulation dans l’air qui déformait mes perceptions. Les sons étaient distordus eux aussi, tantôt assourdissants, tantôt étouffés. Comment être sûrs de quoi que ce soit ici ?
Une certitude m’envahit pourtant, qui me fit piler net : je n’avais rien à craindre. Je n’appartenais pas à ce monde, alors je n’avais pas à en respecter les règles, tout comme les faées ne suivaient pas les règles du nôtre. Non seulement cela, mais je pouvais les changer, modifier à ma guise la fabrique du Pantruche faéerique. Une drôle d’intuition ?... Ne serait-ce pas plutôt un nouveau tour soufflé par Gus ? Non, je le sentais trembler dans mon chignon.
Je me retournai et lançai mes deux mains en avant, paumes vers la troupe en pleine charge. Aussitôt, un mur se matérialisa devant eux, tombé du ciel comme un rideau de pluie solide. On entendit un fracas et des cris étouffés, tandis que les belligérants se ratatinaient contre l’obstacle. Des hurlements de frustration retentirent, suivis par des imprécations, car le mur tenait bon malgré l’assaut aérien autant que terrestre.
J’attendis en vain le soulagement espéré. Au lieu de cela, montait et enflait une énorme colère qui m’envahit. Je levai une fois encore les mains et rejetai au loin mur et attaquants en un monstrueux coup de balai. L’horizon se dégagea devant moi, le silence revint. Je n’en croyais pas mes yeux : tout avait disparu. Je ne voyais plus que la masse imposante de l’Arc de Triomphe.
— Maintenant, il va me falloir des réponses.
J’attrapai Gus sur ma tête et le balançai devant mon nez, suspendu par les bretelles de sa salopette de travail.
— Je ne joue plus. Ou du moins, pas selon les règles de ce monde ahurissant. Fini de me faire balader. F-i-n-i ! Alors, tu vas tout m’expliquer vite fait.
Jules ajouta son grain de sel :
— Nom de Dieu ! Ils étaient sacrément nombreux. J’ai bien cru qu’on allait se faire refroidir.
Jules prenait toujours grand soin de son langage avec moi, sauf quand il cherchait délibérément à me choquer ou m’amuser. Qu’il se laisse aller à un parler aussi grossier dénotait son trouble… tout autant que son teint crayeux.
— Réchauffer plutôt, fis-je par plaisanterie. Tu as vu les dragons ?
— Si tu dis ça pour me rassurer, c’est raté !
De son côté, le petit faée, pas le moins du monde ébranlé, présentait tous les signes d’une joie sans mélange :
— Je le savais ! Tu peux agir sur le nether, sur la matière du monde faéerique. Tu peux tout faire : devenir l’impératrice des faées et régner sur l’ensemble de la création faéerique !
L’extravagance de ses propos était telle que je demeurai silencieuse un bon moment avant de réagir. Je ne m’attendais pas à cela.
— Eh bien voyons ! Et tu vas le faire avec moi ? C’est cela ton plan ?
— Sans vouloir lui donner raison, intervint Jules, c’était salement impressionnant, ton coup de colère.
Allons bon, s’il s’y mettait lui aussi… Je fixai Jules et Gus en alternance, en comparant l’ahurissement de l’un à la jubilation de l’autre. La belle équipe !
À cet instant, une voix retentit derrière moi :
— Vous ne devriez pas rester là. Ne sentez-vous pas que le temps file ? Et pour des explications, mademoiselle, il vaudrait mieux ne pas compter sur ce parvenu. Il ne sait pas grand-chose, comme ceux de son acabit. Veuillez nous accompagner.
Je me retournai. Je découvris deux faées de taille minuscule et d’allure tout à fait conventionnelle – silhouettes filiformes et grandes ailes translucides. Il se dégageait d’elles une prestance et un air martial qui allaient mal avec leur apparence de petites libellules.
Je fixai Gus en attendant qu’il réagisse à l’insulte, mais les faées s’éloignaient déjà et devenaient indistinctes, si bien qu’il n’y avait d’autre choix que de les suivre ou les perdre. D’une moue, Jules m’indiqua sa perplexité. De toute façon, après ce qui s’était passé, nous n’allions pas rester là, bien visibles au milieu de cette avenue, à deux pas de l’Arc de Triomphe.
Je fourrai un Gus à la mine revêche dans la poche de mon manteau, pris fermement la main de Jules et emboîtai le pas aux apparitions.
₰
Les faées nous firent éviter les grandes avenues et prirent des raccourcis en traversant des immeubles et des cours. Je reconnus des rues que j’avais déjà arpentées dans le vrai Paris, quelques édifices remarquables, mais à part un vague sentiment que nous allions vers l’est – ou son équivalent ici – je fus rapidement incapable de me situer. Les zones floues n’aidaient pas : les bâtiments y devenaient incertains, comme esquissés par des enfants, sans souci des proportions, sans épaisseur, blocs posés au petit bonheur, au sein d’un dense brouillard gris. Nos guides les contournaient soigneusement, ne s’en approchant pas à plus de vingt pas.
Je retrouvai mon orientation sur l’avenue Saint-Honoré, juste avant que nous suivions les faées dans le Palais de l’Élysée. Je n’avais jamais vu l’original d’aussi près, mais celui-ci me parut plus neuf et plus propre. Dans notre Paris, le président de la République y demeurait ; allions-nous rencontrer son homologue faéerique ? Le sentiment d’impunité que j’avais éprouvé en balayant nos assaillants se fissura quelque peu : s’il s’agissait de la présidente des faées majeures – ou de leur impératrice, si j’en croyais Gus –, elle devait disposer de pouvoirs supérieurs à ceux de la troupe à ses ordres.
Jules dut se faire la même réflexion, car il pila et me retint fermement.
— Pourquoi irions-nous rencontrer ces faées majeures qui viennent de nous faire cavaler ? Ça défie la logique.
— Oui, c’est peut-être une ruse, admis-je.
La façade du palais nous faisait face, depuis la grande cour où nous nous tenions. Les faées avaient presque atteint le porche principal, mais elles firent demi-tour en constatant notre immobilité.
— Qu’attendez-vous de nous ? demanda Jules. Le gratin qui règne ici ne nous veut pas du bien.
— Les faées majeures n’ont pas leurs entrées dans ce palais. Ce lieu n’a pas été choisi au hasard. Il symbolise le pouvoir et montre que le leur reste limité, dans ce Paris recréé.
La seconde faée renchérit :
— Vous ne craignez rien, je vous assure.
Jules me regarda, les paupières étrécies par la méfiance :
— Aucun pouvoir ne nous veut du bien, en règle générale. D’ailleurs, j’aurais jamais pensé entrer dans ce palais de ma vie. Le dynamiter, à la rigueur…
Mes lèvres s’arrondirent sur un O de réprobation, mais une mimique me montra que sa dernière phrase était une boutade. Le soulagement me fit sourire à sa blague, pourtant pas si drôle : je n’aurais jamais débarqué chez Jules si j’avais pu l’imaginer en terroriste.
Je levai le menton avec détermination :
— Je veux des réponses, pas toi ?
Il acquiesça en tordant la bouche. Pas facile de mesurer les risques ici, mais il était prêt à me suivre.
— Je vous assure que vous en aurez, insistèrent les deux faées en chœur.
Toujours main dans la main, pour nous réconforter, nous emboîtâmes le pas aux deux faées dans les couloirs du palais. C’était un lieu magnifique, mais j’étais un peu trop préoccupée pour en apprécier le faste, jusqu’à ce que Jules remarque :
— Tout ça, c’est payé avec la sueur du peuple. C’est vrai à Paris, et on dirait bien que ça l’est ici aussi.
Nous arrivâmes bientôt devant une porte monumentale, sur laquelle les deux faées frappèrent respectueusement, avant d’ouvrir :
— Vous pouvez entrer.
Devant nous se tenait le président de la République française : Émile Loubet.
Et je ne suis absolument pas déçue.
J'ai l'impression que chacun de mes commentaires n'est qu'une répétition des mêmes compliments. J'ai bien peur de ne pas t'apporter grand chose, mais je tiens, tout de même, à me manifester parce que je sais que ça fait du bien de constater que les lecteurs sont présents, assidus et, pour le coup, carrément embarqués dans son histoire.
Dans ce chapitre, j'ai adoré tes descriptions, surtout celle de la créature. Elle est sublime et effrayante à la fois. Les images que tu utilises sont belles et fortes à la fois. "tandis que sa taille s’étranglait entre des hanches et des épaules larges". Non seulement je visualise parfaitement ce corps étrange, mais qui plus est, l'emploi d'un verbe fort comme "étrangler" donne quelque chose de savoureusement dérangeant. Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
Bref, coucou, je suis toujours là ! :)
Quelle balade, Rach, quelle balade ! D'abord Paris, puis Pantruche (tu mets longtemps à révéler cet étrange titre dans son entier, et j'ai trouvé ça chouette ! Quand on lit "Pantruche" pour la première fois, ça rend enthousiaste !). Je ne sais par où commencer pour commenter ♥
J'ai retrouvé avec beaucoup de plaisir la douceur de ta narration. Tu sais aller à ton rythme, sans perdre ton lecteur. A mon sens, tes chapitres font la bonne taille sans que tu ne négliges pour autant la description de ton environnement. Ton Paris était délicieux à parcourir, et Leo la guide parfaite !
Elle, c'est vraiment un personnage en or ♥ Fragile mais décidée, les deux pieds dans son époque mais les bras loin devant, prête à saisir la moindre parcelle d'opportunité ! Je me suis beaucoup attachée à elle ! (ce qui ne m'empêche pas de fort apprécier ce Jules aussi !)
Ton dernier chapitre montre l'étendue du voyage parcourut ! :o Cette créature incroyable, ce monde caché, toute cette magie... cette menace pas du tout voilée !
On comprend tout de même cette volonté de ne pas voir un monde saccagé par des ambitions dévastatrices... Mais j'espère que Leo pourra lui montrer qu'il y a plus que ça, chez les humains.
Et puis, cet ange de la mort qui aurait enlevé Hypolite avec l'aide des Américains ! Serait-ce possible que le peuple des faés soient divisés, que certains désirent une guerre ?
Trop de mystères ! J'ai hâte de lire la suite ♥
Merci pour ton histoire !
Ton commentaire me fait super plaisir, et en même temps, ça me met la pression pour la fin de l'histoire... (je m'en approche dans la phase d'écriture)
Tu me rassure avec l'attachement à Léontine, je me demandais si on n'aurait pas de mal à se mettre dans ses bottines.
Pour les descriptions, j'essaye de faire court mais efficace, sans les oublier mais sans en faire des tartines. Il y aura sûrement de petits rajouts à la relecture, j'aime beaucoup rajouter de petits détails évocateurs.
Pour les mystères, je ne dis rien, hein... XD
Ca faisait longtemps que je ne t'avais fait signe à travers ton récit, alors je vais le faire maintenant, j'ai vraiment beaucoup de choses à dire !
Au fil de ma lecture, j'ai trouvé une certaine ressemblance de style avec la plume de Lucie Pierrat-Pajot dans "Les Mystères de Larispem". Je trouve ça plutôt plaisant étant donné mon amour pour sa trilogie, et si tu ne l'as pas encore lue, je te le re-co-mman-de à 100%. Mais si tu l'as déjà lu, est-ce une inspiration pour toi? ;)
J'accroche absolument au récit, en tout cas, même si je trouve que Léontine est peut-être un peu trop insensible à son passage dans le monde parallèle. A sa place, je me sentirais un minimum déboussolée.
Même remarque quand elle se fait poursuivre par les centaures et les dragons : Pourquoi Léontine ne marque pas plus d'émerveillement à la vue de telles créatures ? Ces bêtes ne doivent pas être sans intérêt ! Je ne te demande pas de faire une observation archi-détaillée de ces créatures, la finesse de leurs muscles ou leur nombre de dents, juste de forcer sur leurs attitudes, l'impression qu'ils dégagent. Ca aiderait à l'enrichissement de ton texte et donnerait plus de repères à ton lectorat.
Le paysage aussi est peut-être un peu trouble. Si l'ambiance est merveilleusement construite, je trouve qu'on pourrait encore améliorer "l'atmopshère". Je ne sais pas si tu vois la nuance entre "ambiance" et "atmosphère", mais si tu ne me trouve pas assez claire (ce que je suis certainement) n'hésites pas à me le dire, j'essayerais au maximum de me rendre compréhensible. x)
J'ai adoré par exemple les sensations que tu découpes à travers tes mots. Comme Sissi, j'ai presque pu sentir l’odeur du feu de cheminée et le goût de la tisane.
Et troisième et dernière remarque : Hippolyte est enlevé par les faées, certes. Mais je trouve que tu ne le répètes peut-être pas assez tout au long du récit. Il se passe tant de péripéties qu'on perd parfois de vue le premier objectif de Léontine : sauver son frère.
Voilà-voilà ! Passons au profond positif, maintenant !
En premier lieu, je vanterai primordialement les mérites de la fluidité de ton texte, jamais épuisée. Tout s'enchaîne, péripéties en péripéties : j'aime beaucoup cette manière d'accrocher les éléments les uns sur les autres, un peu comme on introduit des perles dans une ficelle pour en faire un collier. C'est très astucieux, et cela accroche le lecteur !
Quant à l'emploi de ton vocabulaire... Succulent ! J'adore définitivement cette idée d'employer tant de vieux mots, parfois même oubliés, cela donne une saveur assez magique et poussiéreuse à ton récit qui est purement inoubliable !
Je sais avoir été assez sévère dans ma critique descriptive, cependant, j'aime beaucoup la description de cette étrange créature en fin de chapitre, et surtout son discours ! Ce chapitre se termine en beauté !
Franchement, bravo à toi, ton travail est de réelle qualité <3 (et j'en profite aussi pour te féliciter d'avoir atteint le poste de modératrice, PA est entre de bonnes mains <3)
Bonnes inspirations !
Pluma.
Je note précieusement toutes tes remarques. Cette partie commence à être moins relue que le début, alors il y a encore des ajustements à faire . C'est vrai que tu as raison pour la troupe par exemple, je n'ai pas assez montré son côté extraordinaire. Léontine sera plus déboussolée plus tard, là elle n'a pas eu véritablement le loisir d'avoir des états d'âme. Pour hippolyte aussi, il faut que je pense à rappeler que Léontine est là pour lui avant tout.
Je n'ai pas totalement compris ce que tu entends par "atmosphère" qui serait différent de ambiance. j'avoue qu'en effet je ne vois pas tout à fait ce que tu veux dire.
Merci pour les compliments. je me régale avec les vieux mots , l'argot de l'époque par exemple, que Gus manie avec déléctation..
J'ai lu et bien aimé les mystères de Larispem, mais je ne pense pas que cela m'ait spécialement inspirée. Pour autant, je trouve chouette de faire du "steam punk" qui ne soit pas toujours situé dans un pays anglo-saxon.
Merci pour ton commentaire. :-)
Et pour atmosphère, j'entends en fait une sorte de "particularité" dans le milieu qui les entoure. Durant la fuite de Léontine, au début, avant qu'elle se rendre compte qu'elle ne craignait rien, on avait du mal à se jouer la scène, à s'insérer les images de celle-ci dans la tête. Où du moins, il faudrait préciser "qu'elle ne faisait pas attention à ce qu'il l'entourait, tellement sa course étai effrénée", quelque chose de ce style ; ça arrangerait le coup.
Mais en effet, la nuance est des plus minces.