21. Cache-cache

Hmm... Par quelle direction commencer ?

May’ké réfléchit. Il écoute. Mais y a rien.

Juste les murmures glacés du vent.

Alors il baisse les yeux sur le sol. Il examine les grands pavés de la rue de l’Herboristerie -May’ké sait pas pourquoi elle s’appelle comme ça, y a jamais eu d’herboristerie ici-.

Et il découvre que certains pavés sont enfoncés de trois millimètres de trop.

Le Perce-Magie, quand il marche, ça change rien. Il est super léger. Mais quand un Ange marche, ça enfonce les jolies pierres rousses. Ça peut être qu’Abeln, vu que les autres Résistanges s’éloignent jamais autant du stade.

Le Perce-Magie suit le chemin des pavés enfoncés de trois millimètres de trop.

Et il arrive sur la place de la Faranfole. C’est la fin de la piste, parce qu’après, y a plus de pavé. Seulement de la terre.

May’ké regarde autour de lui. Il y a que des petits magasins d’artisans qui étaient ouverts sept jours sur sept. C’était très pratique d’ailleurs, surtout quand on avait oublié un anniversaire et qu’il fallait trouver un cadeau en urgence.

Le petit homme se rapproche de la vitrine d’un petit atelier de couture. Les vêtements exposés sont tout froissés. Alors qu'hier, ils l'étaient pas. Ce froissement pourrait être dû à un courant d’air. Un courant d’air causé par l’ouverture d’une porte.

Ha ha, May'ké est trop fort, Abeln a aucune chance contre lui !

May’ké entre après s’être soigneusement essuyé les pieds sur le paillasson. Une grande allée de mannequins se présente à lui. Ils sont tous très bien habillés. Des vêtements de fête, pour la plupart. Mais aucun n’est dans une position vraiment naturelle. Du coup, le résultat est un peu glauque.

Des piles de tissus jonchent le sol. Il y a tellement de motifs différents que le Perce-Magie se demande si certains étaient vraiment utilisés. Peut-être pour les robes...

La porte claque.

May’ké se retourne.

Une silhouette. Une grande silhouette longiligne dont les yeux brillent dans l’obscurité de la petite boutique.

C’est pas Abeln, vu que cette personne possède de la magie scripturale. Beaucoup de magie scripturale. Presque trop.

Etrange...

May’ké réfléchit aux sorties de secours qui s'offrent à lui. La petite fenêtre du couloir, l’escalier chancelant du petit local ou un trou du toit. Mais il a pas le temps de bouger que la silhouette s’exclame :

- Ah, sire, vous êtes là ! Je vous ai cherché partout !

Le prince Arkaël. En voilà un qui a pas peur des ruines d’Arkeide.

Un sourire flotte sur ses lèvres délicates. Il penche la tête vers le côté et prend une pose encore plus exagérée que celle des mannequins. May’ké, lui, il reste raide et muet.

- Je voulais m’entretenir avec vous, commence le prince, mais si vous ne le voulez pas, je comprendrai tout-à-fait. Il est vrai que suis un Scribe et que vous devez en avoir par dessus la tête, des magiciens...

- C’est vrai, ça me tente pas trop, au revoir, répond froidement le Perce-Magie.

Oups, le petit sourire princier s’efface. Il a certainement pas l’habitude qu’on refuse de parler avec lui, hé hé hé.

- Très bien, ce n’est pas grave, une autre fois, peut-être... reprend Arkaël qui s'est reconstruit un sourire bienveillant.

- Mon prince, ne le laissez pas vous recaler ainsi ! s’indigne la petite stratège insupportable que personne n'a vu arriver.

May’ké se disait bien qu’il y avait trop de magie pour une seule personne ! Comment c’est possible qu’il ait ni vu ni entendu cette fille ? C'est comme si elle était subitement apparue...

- Alyzana ! la réprimande le prince, tu n’as pas honte d’écouter ainsi les gens !?

Sa remarque l'aurait peut-être intimidée, s’il l’avait pas prononcée avec un grand sourire.

- Mais sire, cet homme est dangereux ! réplique la jeune fille, c’était pour vous protéger au cas où il vous attaquerait !

- Non mais tu l’as regardé !? Il fait deux têtes de moins que ton prince ! s’exclame l’un des mannequins.

Sursaut général.

May’ké met quelques secondes à reconnaître Abeln qui s’est déguisé en mannequin en enfilant des habits de fête. C'est drôle. Sa posture était vraiment très réaliste...

- Sire, vous avez vu !? s’exclame la gamine, lui aussi écoutait votre conversation en douce ! Et c’est sûrement dans un but malveillant !

- Ah mais c’est pas pareil, on jouait à cache-cache ! s’indigne Abeln.

- A cache-cache ? s’étonnent les deux Scribes.

- Bon ben au revoir, hein, tranche May’ké qui commence à en avoir vraiment marre de cette discussion idiote.

- Oh, juste une seconde, retente le prince, c’est par rapport à la phrase que vous avez dite hier...

Le menteur.

Il avait dit que c'était pas grave si May'ké répondait pas.

- Où est l’Enfant au Bâton d’Encre ? S’il est aux îles de Lei, il ne peut pas être ici, n’est-ce pas ?

May’ké répond pas. S’il a dit cette phrase, c’était pour Terels. C’était un code pour signifier au vieux magicien qu’il avait plus d’ordre à lui donner. Un code établi par la Fillette dans le Vent.

Qu’Arkaël essaie d’interpréter ces phrases, c’était certainement pas dans le plan des deux gamins. Ce prince a l'air d'en savoir un peu trop sur l'Enfant au Bâton d'Encre...

Dans tout les cas, il se trompe, Naomind est bien ici et pas aux îles de Lei.

- Vous ne voulez pas me répondre... Vous êtes dans son camp... murmure le prince en souriant.

May'ké a pas peur d'un petit prince manchot. Il est chez lui, dans son quartier. Il peut disparaître quand il veut.

Il échange un regard complice avec Abeln et les deux disparaissent au fond de la pièce.

Ils se volatilisent dans les ruines d'Arkeide.

Dix minutes plus tard...

- Il est bizarre ce prince, tu trouves pas ? demande Abeln en agitant les jambes dans le vide.

- Hmm, répond Mayké absorbé dans la réparation de la barrière d'un petit balcon.

- Je me demande si c’est vraiment un prince... Et aussi, je me demande comment les Résistanges ont pu établir un contact avec lui...

Ça, May’ké le sait. C’est la Fillette dans le Vent qui s’est amusée à jouer les messagers invisibles. Mais il le dit pas.

Abeln jette un coup d’œil à son ami toujours trop silencieux à son goût.

- May’ké ? Tu sais, parfois, tu me fais vraiment de la peine, t’as tout le temps l’air super triste...

- Hmm...

- Non mais vraiment... J’ai l’impression que tu me caches tous les trucs qui te font du mal... Tu peux me dire ce qu’il y a, tu sais, je peux peut-être t'aider...

- Abeln, t’en fais pas pour moi.

- Mais je peux pas, je tiens à toi...

- Bah moi aussi, je tiens à toi, alors je veux pas t’impliquer dans mes affaires.

Abeln le regarde dans les yeux. May'ké l'a jamais vu aussi sérieux.

- Alors c’est vrai, ce que le prince disait ? Tu travailles avec... une autre personne que les résistants ? Une que j’ai jamais vue ?

Tais-toi, tais-toi, tais-toi !

May’ké aimerait crier, hurler et crier encore.

Non, je suis pas avec l’Enfant au Bâton d’Encre ! Et encore moins avec la Fillette dans le Vent !

Je suis le Perce-Magie, je suis dans le camp de personne !

May'ké ouvre la bouche.

Et la referme.

Il a senti quelque chose.

Des Anges.

Mais pas les Résistanges.

Des Anges de la Tour.

Il y en a plein.

Plein d’un coup.

Et ils viennent à Arkeide.

C’est pas normal.

En voyant la tête du Perce-Magie, Abeln comprend tout de suite la situation.

Les deux amis disparaissent dans les ruines.

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