Ma tendre cousine,
Anticipant tes reproches suite à ces semaines passées sans donner de mes nouvelles, je t’écris aujourd’hui, quand bien même je n’ai rien de particulier à te raconter. De toute manière, d’ici que tu reçoives cette lettre, son contenu ne sera plus d’actualité : je l’envoie à votre adresse de Chine où vous n’arriverez pas avant encore quelques semaines. Tant de mois nous séparent encore de nos retrouvailles. J’ai l’impression que vous m’avez quitté grand adolescent en partant de l’île et que je serai vieillard le jour où vous y reposerez le pied. Même si vous me manquez, Léon et toi, je ne peux pas m’empêcher de sourire chaque fois que mes pensées volent vers vous. Tes chers beaux-parents languissent moins que moi, sans doute parce qu’ils sont bien plus occupés. Vous avais-je déjà informé qu’ils faisaient désormais partie du comité décisionnel du bourg ? Tous les habitants de la colline, moi y compris, sont ravis qu’ils aillent y faire entendre notre voix. Je fais confiance à Leslie et Manuela pour apaiser les nombreuses contrariétés de Monsieur Henri et de son cousin Éric (quoiqu’il faille tout même leur reconnaître qu’ils se plaignent un peu moins que du temps où tu vivais là).
Pour ma part, je me rends de plus en plus rarement jusqu’au village. Philomène a la gentillesse de récupérer les lettres que je veux envoyer lorsqu’elle vient me remettre le courrier à l’Orée. Quand je pars pour une promenade plus longue que d’ordinaire, je passe plutôt par le hameau de la vallée. J’y croise d’ailleurs souvent mon ami Gilles, qui fréquente depuis un moment maintenant le garçon de ferme de l’éleveur. Il l’accompagne pour aller garder les moutons dans les prés. Gilles m’a avoué que ce jeune homme n’avait pas la moitié de mes qualités, une comparaison que je n’ai d’ailleurs pas trouvée spécialement pertinente. En tout cas, quels que soient les défauts de ce berger, mon ami a décidé de s’en accommoder. Je devine par ailleurs qu’ils ne sont pas tous pour lui déplaire, à commencer par son manque certain de professionnalisme. Je suis presque déçu de Gilles de ne pas prendre sur lui pour empêcher son partenaire de batifoler sur son temps de travail. Il m’a déjà glissé plusieurs fois que je ne pouvais pas comprendre. J’ai l’impression de me retrouver face à toi qui me parlait des sentiments amoureux. Maintenant que je suis adulte, les mêmes discussions reviennent, cette fois sur l’attirance physique. J’en finis par me demander à nouveau si parce que je n’éprouve pas certaines choses, je ne peux vraiment pas les comprendre. J’ai l’impression que cela n’empêche pas ma compassion et ma perception intellectuelle des choses, et donc ne m’empêche pas d’avoir une opinion, mais la plupart des gens ont un avis différent sur la question. Enfin, cela n’a pas grande importance. C’est peut-être même aussi bien que je garde mes jugements pour moi.
Marcher jusqu’à ce versant de l’île donne aussi lieu à des rencontres amicales pour Bosco : il est toujours ravi de revoir sa mère et les autres chiens de berger du coin. Ce sacripant adore surtout semer la zizanie dans les troupeaux, heureusement qu’il revient toujours aussi promptement près de moi dès que je l’appelle. C’est presque effrayant d’avoir autant d’autorité sur un autre être-vivant. J’aurais l’impression qu’il a peur de moi s’il ne venait pas aussi me voir spontanément. Il a d’ailleurs pris l’habitude amusante de venir me lécher la jointure des doigts si je reste immobile trop longtemps sans rien faire. Je crois que c’est sa manière de me réconforter, autrement qu’en se couchant sur mes pieds, j’entends.
Je travaille beaucoup au jardin ces derniers temps. Non pas que j’aie spécialement développé ce goût des plantes qu’Oncle Jasmin guettait si fort en chacun de nous deux (heureusement qu’à lui seul, Léon aura comblé ses espoirs les plus fous). J’aime simplement quand l’extérieur de la maison a l’air aussi raisonnablement ordonné que l’intérieur, or à cette époque de l’année les herbes folles s’en donnent à cœur joie. Dans le même temps, l’été commence avec une certaine sécheresse, aussi les jardinières ont-elles grand besoin de mes longues séances d’arrosage. Je devrais peut-être redonner vie à la serre au lieu de m’acharner ainsi en plein-air. Peut-être que le jour où tu reviendras, j’aurais à cœur de le faire avec toi.
Laisser libre cours à mes pensées m’a fait plus écrire que je l’imaginais. Je terminerai sur cette petite note de gaieté : le jasmin que j’ai planté cet hiver près des tombes de nos parents est à présent en pleine floraison. Ces nuages de petites fleurs jaunes font comme un halo doré dans la douce pénombre de la clairière. Pour ne rien enlever, le parfum du buisson embaume désormais toute cette partie du jardin. Si j’en crois mes maigres connaissances en botanique, cette plante grimpante est originaire de Chine. Tu me diras si tu en rencontres dans les jardins que vous visiterez.
J’espère que votre long périple en Russie s’est bien terminé. Puisse la suite de votre voyage se dérouler mieux que dans vos rêves les plus fous.
Je t’embrasse,
Ton cousin
Basile
"Gilles m’a avoué que ce jeune homme n’avait pas la moitié de mes qualités" Mmmmmh... 😏😏😏😏😏😏😏😏😏😂 (je suis certaine qu'à des kilomètres, tu peux lire mes pensées xDDD)
Mais ce chien est juste 😍😍😍🥺🥺
Ohh j'adore comment tu as interprété ce mot, c'est super touchant ! <3
Philomène, jamais bien loin, hein ! 😂
Encore une très très belle lettre <3
Haha, oui clairement même si Gilles a compris que Basile n'était pas intéressé, il se prive pas de lui rappeler que ça valait pas pour lui XD En restant subtil, bien sûr hum hum
Ouuui après les enfants parfaits, le chien parfait XD Je me régale ^^
Aw merci !! J'ai eu un petit sursaut de frayeur au début parce qu'en cherchant à quoi ressemblait le jasmin, je tombais sur des fleurs blanches, mais en fait il existe plusieurs variétés dont des jaunes huhu <3
Ah nan mais clairement, Philomène fait complètement partie des personnages secondaires maintenant haha <3
MER-CI <3 <3 <3