22 - La peur divine

La peur divine

— Sergent, je peux vous parler ?

— Ed, vous tombez mal. Je suis assez pressé.

— Ca ne sera pas long.

— Soit. Je vous écoute.

— C’est au sujet de l’archiviste, sergent. Je viens de discuter avec lui et je pense qu’il perd la tête.

— C’est une accusation sérieuse, Ed. Vous avez des preuves de ce que vous avancez ?

— Il vient de me parler de la raison de nos âmes stagnantes. Comme quoi elles annoncent la fin de l’univers.

— Eh bien ? Il m’en a aussi parlé et je l’ai trouvé très convaincant.

— Ce n’est pas cette partie qui m’a fait douter de sa santé mentale, sergent. Plutôt celle où il a dit qu’il fallait laisser les formes de vie vivre. Il voudrait laisser le monde grandir à son rythme et découvrir que nous sommes là.

— Ah, Ed, j’ai eu la même réaction que vous. On est d’accord pour dire qu’il faut à tout prix redémarrer ?

— Bien sûr, sergent. C’est l’unique sortie de la situation. Enfin, il y a cette autre. Mais je pense que l’archiviste a surtout fabulé. Donc oui, il faut redémarrer l’univers !

— Une autre solution ? Il ne m’en a pourtant pas parlé.

— Oh, je vous assure que ce n’est pas une solution viable. A vrai dire, j’ai même honte de répéter ce que j’ai entendu. C’était à la limite de l’outrage, sergent.

— Quelle est cette autre solution, Ed ?

— L’autre solution, ça consiste à leur apparaitre publiquement. Sous une forme un peu mystique. Histoire qu’ils pensent bien que nous sommes des êtres divins et qu’ils ne se sentent pas l’envie de tout remettre en question.

— Vous allez rire, Ed, mais j’ai déjà envisagé cette solution. Je pense que tous ceux confrontés à ce genre de situation par le passé se sont retrouvés avec cette idée. C’est comme si on était voués à répéter le même schéma encore et encore. J’ai pensé à leur faire croire qu’on était des envoyés divins, que notre parole ne pouvait pas être contestée. J’y ai vraiment pensé, Ed ! Seulement, il y a un souci. Les apparitions divines, ça marche sur les peuples primitifs. Ici, nous parlons de civilisations tellement évoluées qu’elles sont à deux doigts de nous découvrir. Non, Ed, je pense qu’il faut effacer.

— Elle a bon dos, l’évolution, sergent. L’archiviste a dit que la raison pour laquelle on n’appliquait pas cette méthode, c’est qu’on n’avait pas assez d’effets de sons et lumière dans notre inventaire.

— Il a dit ça ?

— Ses paroles exactes.

— Du son et de la lumière, on en faisait avant que la première étoile ne vienne chasser les ténèbres. Ce n’est certainement pas ça qui va nous arrêter !

— Oui, mais le redémarrage est mieux, non, sergent ?

— Le redémarrage… Non mais moi, je faisais de très jolis effets un peu verdâtres. Ça faisait apparaitre une forme du brouillard. On m’accompagnait souvent aux tambours. Ça faisait un boucan fou, les foules étaient impressionnées. Et s’il croit que j’ai oublié…

— Vous avez été dans un groupe de musique, sergent ?

— Ouais, c’était il y a longtemps. Ton archiviste aussi. On s’amusait à parcourir l’univers avec nos concerts. Je crois qu’on a créé quelques centaines de religions. Tellement de mondes vénèrent à présent un dieu verdâtre qui fait du tambour. Et comme ils racontent tous la même histoire, ça me donne une certaine légitimité, tu vois ?

— Oui, mais vous n’avez plus joué depuis… depuis…

— Depuis un bon moment, d’accord. Mais j’ai entendu dire que c’est un peu comme le vélo, ça ne s’oublie pas.

— C’est quoi, le vélo, sergent ?

— Un instrument de musique. Vous savez quoi, Ed ? Je crois que je vais relever le défi. Et je vais aller faire revenir la peur d’un dieu sur ces civilisations prétendument évoluées !