Fid avait vu juste. À l’aube, George revint avec le journal, sur lequel on évoquait les liens qui unissaient Viya au Prieuré. La jeune fille demeura prostrée dans le jardin d’hiver, sans rien répondre à l’Intendant qui lui assurait que la Confrérie étoufferait l’affaire, refusant la proposition de Fid qui lui suggérait de lui conter quelque chose pour lui changer les idées. L’action conjuguée de sa fièvre qui n’avait pas chuté tout à fait et de cette mauvaise nouvelle la rendait nauséeuse. Elle ne pouvait s’empêcher de pleurer des larmes d’épuisement et de colère mêlée. Elle avait tout fait pour repousser son passé, et voilà qu’il lui revenait en pleine figure.
Tout cela à cause d’Eugénia. Intérieurement, Viya n’en démordait pas : elle devait parler à sa rivale - son miroir -, et vite. On l’enverrait peut-être sur l’Archipel le soir même. Mais Fid s’était mis en tête de la veiller et ne la lâchait pas des yeux, bien que son visage fût marqué par la fatigue de leur nuit de cauchemar.
L’occasion que Viya attendait se présenta enfin en début d’après-midi. George était sorti faire des courses, Véra était repartie sur l’Archipel. Dans la véranda, Fid commençait à s’endormir sur le fauteuil qui faisait face au sien. Lorsqu’elle vit, entre ses cils, la tête de son mentor basculer en avant et entendit sa respiration devenir régulière, elle mobilisa ses forces et se leva sans faire de bruit. Un vertige la saisit immédiatement et elle dut se rasseoir.
L’adolescente retint un juron de dépit. Elle ne pouvait pas traverser la ville dans cet état ! Son regard glissa alors vers la canne de Fid, appuyée contre l’accoudoir du siège où il s’était installé. Avant de se donner le temps d’éprouver du remords, elle se pencha en avant pour s’en saisir et se déplia à nouveau. Viya quitta la véranda à pas lents, en s’appuyant aux murs plutôt qu’à canne, pour que le bruit familier de l’objet heurtant le sol ne réveille pas Fid. Elle revêtit son manteau en retenant son souffle, enfila ses chaussures en bataillant contre l’épuisement et sortit. L’air frais la revigora quelque peu. Elle ignorait où pouvait se trouver Eugénia à cette heure.
L’image de la Montagne se forma dans son esprit et elle projeta vers l’Intermonde ses pensées brumeuses « Je ne sais pas pourquoi tu l’as rejetée alors qu’elle voulait te protéger, et pourquoi je suis toujours une Élue alors que je te hais. Mais si je suis au moins un peu importante pour toi, tu vas me guider. »
La jeune fille se sentit stupide. La Faille ne parlait pas, n’entendait pas. Mais il y eut soudain un frémissement dans son esprit et l’évidence s’imposa à elle. Elle était tombée plus d’une fois sur sa tortionnaire sans la chercher. Elles étaient connectées par un lien plus fort que la haine ou la rancœur. Viya savait exactement soudain où la trouver.
*
Fid fut arraché du sommeil par une douleur lancinante dans sa jambe. Il se plia en deux en gémissant, réfréna son cri en se rappelant que Viya dormait à quelques mètres de lui… et réalisa seulement que son fauteuil avait été déserté. Il grommela. Peut-être la jeune fille s’était-elle installée ailleurs, mais elle aurait dû le prévenir. Si jamais elle faisait un malaise, George ne manquerait pas de le houspiller lorsqu’il rentrerait.
Il entreprit de se lever, cherchant l’appui machinal de sa canne à sa droite.
Sa main ne rencontra que le vide.
Le Légendier fronça les sourcils, jeta un coup d’œil à sa gauche. Son regard plongea de fait dans le couloir enténébré.
Sur le portemanteau, la redingote de Viya manquait à l’appel.
— Bordel de merde.
Il n’était pas du genre à se satisfaire des jurons qu’employait le commun des mortels, mais il se trouva trop inquiet pour être créatif.
— Viya ? tenta-t-il d’appeler de sa voix forte et puissante.
Seul le silence lui répondit. Il tenta en vain de se mettre debout seul, vacilla et retomba contre le dossier.
Cheshire choisit cet instant pour rentrer par le carreau manquant de la véranda et s’installa sur le fauteuil qu’occupait son élève, où il entreprit de se toiletter consciencieusement.
— Mais utilise donc tes pattes valides pour partir à sa recherche au lieu de rester là à lambiner, stupide animal !
Le stupide animal en question interrompit son nettoyage, une patte en l’air, considéra Fid d’un air hautain, puis il s’ébroua et sauta de son perchoir pour disparaître dans la cuisine.
Le Légendier frappa l’accoudoir du plat de la main. À tous les coups, Viya lui avait désobéi et était allée voir Eugénia. Et si elle commettait un impair ? Il avait sous-estimé sa détermination.
La douleur dans la jambe de Fid s’intensifia tant qu’une fine pellicule de sueur recouvrit son front et qu’un frisson glacial descendit le long de son corps.
— Je ne peux rien faire pour elle, ça ne sert à rien de me torturer !
Surpris par ses propres paroles, il en oublia la douleur. L’Intermonde tentait-il vraiment de le prévenir que Viya courrait un danger ? Ou bien délirait-il ? La souffrance reflua aussi vite qu’elle était venue. Ses paupières se fermèrent. Il tenta de les rouvrir pour ne pas voir les images de guerre qui venaient s’y presser, en vain.
« Peut-être qu’au fond, tu as bien fait d’y aller, gamine. Il va bien falloir que tu règles cette histoire d’Intermonde, un jour ou l’autre. » songea-t-il. Un picotement remonta jusqu’à son genou. « Et moi aussi, c’est vrai. Moi aussi. »
*
Viya n’aurait jamais cru que s’infiltrer à nouveau au 26 Place des Orapailleurs lui aurait été si aisé, mais elle connaissait le lieu par cœur et n’eut aucun mal à se glisser par la porte de service. Située à l’arrière du bâtiment, celle-ci s’ouvrait sur un long couloir de pierre nue qui desservait les cuisines et le service postal. Après avoir dissimulé son insigne de Légendière, l’adolescente déroba en passant un colis et remonta le corridor avec l’air assuré de celle qui sait où elle va. Le peu de personnel qu’elle croisa ne lui prêta aucune attention, en dépit de sa canne. Les apprentis Orateurs étaient si nombreux que personne ne s’embarrassait à retenir leurs visages et il n’était pas rare que l’un d’eux vienne chercher du courrier.
La jeune fille monta laborieusement à l’étage par un escalier vermoulu, gagnant l’espace des amphithéâtres. Par les hublots pratiqués dans les portes, elle discernait les riches plafonds et murs couverts de fresque des salles de cours. Un curieux mélange de nostalgie et de douleur l’envahit dans la brume de sa fièvre. Si elle n’avait pas si lamentablement échoué, elle serait encore aujourd’hui membre de cette école prestigieuse, n’aurait pas été victime d’une tentative de meurtre et ne se trouverait pas contrainte de s’infiltrer en catimini pour tenter de comprendre qui en voulait à sa vie…
Viya poursuivit son chemin jusqu’au troisième palier, où elle dut faire une pause pour essuyer la pellicule de sueur que l’effort avait déposée sur son front. Eugénia commençait sa carrière d’Oratrice, elle avait quitté les dortoirs et possédait désormais sa propre suite à ce niveau. C’était un endroit où la Légendière n’avait jamais mis les pieds. Des tentures colorées recouvraient les murs du couloir du troisième étage, largement mises en valeur par l’important éclairage apporté par des lustres en cristal. Le parquet brillant n’amortissait pas le bruit de sa canne. Impossible pourtant de s’en défaire, la tête lui tournait de fièvre. Elle pria pour ne pas être repérée, surtout lorsqu’elle passa devant la chambre de Kerl, indiquée par une petite plaque dorée. Son ancien mentor ne manquerait pas de la reconnaître. Son regard égrenait au fil de son avancée les noms familiers de ceux qui avaient été ses professeurs et ses modèles. Un nom, soudain, la figea. Trois petites lettres presque effacées par le temps étaient gravées dans l’or : Fid.
La jeune fille était étonnée que la pièce n’ait pas été réattribuée. La légende de Fid effrayait-elle donc à ce point les futurs Orateurs ? L’idée la fit sourire, et, par curiosité, elle poussa la porte.
C’était la chambre d’un fantôme. Personne n’avait pris la peine de protéger les meubles et une épaisse couche de poussière les recouvrait. À droite, le lit était défait, la couverture repoussée comme si quelqu’un s’était allongé là la veille. Viya s’approcha du bureau posté à côté de la fenêtre. Une chemise mangée aux mites traînait sur la chaise qui lui faisait face. Sur le secrétaire, un encrier ouvert avait séché. Un livre jauni et un carnet griffonné demeuraient ouverts. Mais ce qui attira son attention, ce fut le mur. Quelqu’un y avait écrit, en grandes lettres rouges délavées par le temps : « Fid est un homme mort ». Fid avait rageusement hachuré la troisième lettre du dernier mot, si bien que l’on pouvait désormais lire « Fid est un homme mot ». Il avait tracé une flèche et inscrit avec un humour caustique : « Quand on y réfléchit, la mort n’est qu’un mot qui se donne un air ! » Viya eut un léger sourire, qui n’effaça pas tout à fait son angoisse. Fid n’avait pas simplement été congédié de l’Ordre. S’était-il obstiné à rester au point qu’on le menace, ou bien la haine croissante à son égard l’avait-il poussé à vider les lieux ?
— Je me disais bien que j’avais entendu du bruit.
Viya se retourna en sursaut. Eugénia se trouvait dans l’embrasure de la porte, vêtue d’une robe de chambre en soie bleue, ses longs cheveux noirs détachés dans son dos. Elle fit un pas pour la refermer derrière elle.
— Jolie canne, commenta-t-elle. Néanmoins, Hydendark n’avait certainement pas besoin d’un deuxième Légendier infirme.
Viya crispa ses doigts sur son appui.
— En revanche, deux Légendiers morts lui auraient été bien utiles, n’est-ce pas ?
Eugénia tressaillit, surprise autant que Viya elle-même par cette répartie. L’Oratrice se reprit très vite :
— Mais c’est qu’elle a appris à mordre, s’amusa-t-elle. Quoi de plus normal quand on côtoie la sauvagerie de Fid…
La Légendière ne la laissa pas poursuivre. Elle était trop faible pour s’adonner à une joute verbale et décida d’être directe :
— Je sais tout. Je sais que tu étais l’ancienne Élue du Prieuré et que tu as su que j’étais celle qui t’avait remplacée. Je sais que tu as livré cette information à des membres des Corporations pour nuire aux Légendiers. Tu leur as fait miroiter une possible alliance entre moi et le Prieuré et ils ont décidé de me tuer, hier soir. C’est ce que tu voulais, n’est-ce pas ? Que je meure, et que la Montagne te rappelle auprès d’elle…
Eugénia esquissa un sourire amusé.
— Hypothèse intéressante.
— Je me moque de la Montagne, Eugénia ! Je n’ai jamais désiré être une Élue. Je négocierai avec les Sœurs et tu prendras ma place, si tu le souhaites. Mais ne détruis pas les Légendiers. Dis-moi ce qui se trame et je…
L’expression de sa rivale avait perdu son flegme.
— Je n’ai vu ton visage qu’une seule fois, coupa celle-ci d’une voix dure. Tu étais trop petite pour garder une image de moi, mais le moindre de tes traits s’est imprimé en moi et je t’ai haïe chaque jour. Et puis un jour, tu es arrivée au 26 Place des Orpailleurs, comme un fantôme revenu du passé. J’ai écrit aux Sœurs. Je leur ai dit où tu étais et assuré que je me tenais prête à assumer ce rôle que tu avais lâchement abandonné, et sais-tu ce qu’elles ont répondu ? Qu’elles étaient soulagées de te savoir en sécurité, que tu avais besoin de temps pour t’ouvrir à ta mission et qu’elles te l’accordaient.
Viya chancela. Un frisson de fièvre la parcourut.
— Les Sœurs ont cédé à ton caprice, alors qu’on m’a reléguée à l’Académie comme une paysanne ! Et qu’as-tu fait de ce temps, Viya ? Rien. Tu as été une apprentie Oratrice ratée et une Légendière médiocre, mais tu restes malgré tout l’Élue. Alors, vois-tu, je ne vais pas t’aider. Je vais continuer à tracer mon chemin, celui qui me permettra d’arrêter de souffrir.
— Je n’ai jamais voulu te faire de mal, rétorqua la Légendière, la gorge sèche et la tête soudain prise dans un étau.
Un sourire amer étira les lèvres d’Eugénia. Elle s’approcha de Viya, si près que leurs souffles se mêlèrent.
— Tu m’en as pourtant fait, chuchota-t-elle. Et tu continues. Comment peux-tu dénigrer avec tant de force tout ce dont j’ai rêvé ?
— Je…
Le début de sa phrase mourut alors que son corps tremblait de froid. Eugénia essuya du doigt une goutte de sueur qui perlait sur le front de la jeune fille.
— Tu ne pourras pas continuer à le faire longtemps. Et pour ce qui est de ta petite bande de conteurs, les choses vont s’accélérer. Ce n’est que le début.
— Le début de quoi ?
Un sourire odieux étira les lèvres d’Eugénia.
— Nous laissions à Fid le soin de trouver. Il est infiniment plus perspicace que toi, mais si je me fis à tes affirmations, il semble un peu perdu. Alors, un conseil pour vous deux : Quand on ne sait plus où va l’histoire, il est toujours bon de revenir en arrière.
*
« Revenir en arrière ». Alors qu’elle marchait vers Dreamyard Alley, ces mots résonnaient en boucle sous le crâne de Viya, ils se propageaient en onde de choc dans son corps transi de froid. Que voulaient-ils dire ? C’était son dernier souvenir. Elle ne savait plus comment elle avait quitté le siège des Orateurs ni où elle trouvait la force d’avancer. « Revenir en arrière ».
« En arrière. »
« En arrière. »
Viya n’était plus qu’à quatre cents mètres de l’hôtel particulier des Légendiers lorsque sa vue se brouilla. La canne de Fid lui sembla soudain trop fine pour supporter son poids. La pluie s’était mise à tomber et faisait dans son cerveau un boucan insupportable. Elle dérapa sur le trottoir, dû trouver l’appui d’un réverbère pour ne pas s’écrouler. Ses yeux papillonnèrent. Fermer les yeux. Se reposer, une minute, le temps de...
« Revenir en arrière. »
Ses dents se mirent à claquer. La jeune fille glissa au sol et entendit la canne rouler. L’eau qui imbiba ses genoux lui parut intolérablement glaciale, mais l’instant suivant, son corps entier s’affaissait sur les pavés détrempés, et elle ne ressentit plus rien.
Dans un ultime sursaut de volonté, Viya bascula sur le dos pour pouvoir voir le ciel.
« Revenir en arrière »
– Tout ira bien.
La silhouette est floue. La voix grave. C’est celle de papa.
Viya a cinq ans, et la buée qui sort de sa bouche fait comme un petit nuage qui serait descendu du ciel juste pour elle.
Viya a cinq ans et elle ne peut pas parler. Son nez coule en même temps que ses yeux.
Une main qu’elle ne connaît pas se mêle à la sienne. Ce n’est pas la main de maman - si elle se concentre un peu, elle peut se rappeler la texture de sa peau dans la sienne. Cette main-là est plus fine, plus douce aussi - mais que peut-il y avoir de plus doux que la main de maman ? Elle décide qu’elle n’aime pas cette main ni le sourire de la femme, qui veut ressembler à celui de ses parents sans y parvenir.
– Tu vas vivre une vie merveilleuse ici, ma chérie.
Elle a entendu d’autres adultes utiliser ce mot, pour s’adresser à des enfants qu’ils ne connaissent pas, en espérant que ceux-ci les apprécieront davantage. Mais le père de Viya l’appelle « mon soleil », sa mère « ma fleur des neiges ». Ce sont des surnoms juste pour elle. La femme ne peut pas rivaliser avec l’éclat de lumière qu’elle devient dans la voix de papa et la promesse de vie téméraire au milieu de l’hiver qu’elle est pour maman.
La suite est floue.
Elle ne sait pas si papa l’embrasse, s’il la prend dans ses bras. Elle a froid. Des larmes viennent se former à la surface de ses yeux, deux grosses gouttes de pluie rondes qui refusent de glisser sur ses joues. Elles sont là, éternelles, ces perles de douleurs.
Elles se sont asséchées depuis, mais elles ne l’ont jamais quittée.
Les portes se referment. La dame l’entraîne à l’intérieur, dans une maison qui n’a pas l’odeur de thym et de lessive de son foyer. Même le feu de la cheminée ne l’enveloppe pas de la même façon. Les draps dans lesquels elle se glisse ensuite, le bruit du parquet, et jusqu’au chant du vent sur la plaine… Rien ne sera plus jamais pareil.
Par la fenêtre se dresse une grande montagne qui masque une partie des étoiles au ciel. Les arbres qui la recouvrent dansent avec le vent en un mouvement de balancier.
Viya se voit, enfant, regarder cette foule d’arbres anonymes Elle l’ignore encore, mais bientôt, elle dormira parmi eux. Pour le moment, allongée dans son lit, elle serre comme si sa vie en dépendait les pans de sa couverture autour de son corps. Et puis, alors qu’elle dresse entre elle et le monde le bouclier de ses draps, tout semble soudain ralentir. Elle sent soudain qu’elle est ici pour toujours, seule à jamais.
— Je veux rentrer à la maison, gémit-elle…
Là, derrière la fenêtre, la faille sous la montagne danse pour elle et lui murmure qu’elle l’aime. Mais Viya ne l’entend pas. Elle ne voit pas non plus que les arbres la saluent en se courbant dans le vent. Elle ferme les yeux, très fort. Et avec les yeux, se ferme tout le reste. Son cœur, sa bouche, son esprit.
L’étreinte de la faille reflue.
Il lui faudra du temps.
Viya, elle, pleure des sanglots étouffés.
*
— Je veux rentrer à la maison…
Fid sortit en sursaut de sa lecture en entendant Viya geindre sur le divan. Lorsque la porte d’entrée avait claqué, le Légendier avait rassemblé son souffle pour lui passer le savon de sa vie. Mais il avait vu arriver Dan et Élisabeth, deux jeunes Légendiers de la Confrérie, qui avaient trouvé la jeune fille à quelques centaines de mètres de l’hôtel particulier. Elle gisait inanimée dans leurs bras, les vêtements trempés de pluie et la peau brûlante de fièvre.
Ils avaient installé l’adolescente dans le salon. Élizabeth s’était chargée de la changer pendant que Fid, qui avait récupéré sa canne, alignait des pas rageurs dans la cuisine, sous le regard impuissant de Dan.
— Donc, c’est elle, Viya ? avait tenté le jeune vingtenaire pour défaire le silence pesant entre eux. Celle…
— Qui a utilisé de la poudre d’Escampette sur une Oratrice ? avait complété Fid d’un ton acerbe. Oui. Et qui ne me cause que des ennuis ! Elle ne devait pas sortir ! On nous a tirés dessus hier soir, elle est en danger !
— On a tous fait des bêtises, moi le premier.
— Ne lui cherche pas d’excuse ! Bon sang, elle avait pris ma canne, je ne pouvais même pas partir à sa recherche !
Un sourire caustique avait étiré les lèvres de Dan.
— Tu ne pouvais surtout pas aller pis…
Le regard féroce de Fid l’avait dissuadé de terminer sa phrase.
— Ce n’est pas drôle ! Quand elle sera réveillée, elle va m’entendre !
Mais lorsque la voix de la jeune fille résonna, Fid ne cria pas. Il posa son livre et vint à son chevet, alerté par son gémissement. Une larme avait roulé sur la joue de Viya, qui n’avait pas ouvert les yeux.
— …veux… rentrer à la maison, répéta-t-elle dans un sanglot.
— Tout va bien, murmura son mentor. Tu es à la maison.
Elle secoua frénétiquement la tête, mais il savait qu’elle ne s’adressait pas à lui. Un tremblement la parcourut et un sanglot jaillit de sa gorge sans qu’elle ne se réveille. Ses paupières tressautaient. Elle cauchemardait et ne parvenait pas à s’extraire de son rêve.
Fid sentit la douleur revenir s’installer dans sa jambe. Il eut alors la certitude que Viya n’était pas plongée dans un songe ordinaire. Sa rencontre avec Eugénia avait dû provoquer son état, raviver des souvenirs, à moins qu’Eugénia soit particulièrement douée et ait induit ce rêve. Fid avait, par le passé, réalisé la même opération à de nombreuses reprises – il se refusait à compter.
Viya poussa un cri apeuré et se débattit contre un ennemi invisible. Il saisit sa main, repoussant son émotion, mélange d’abattement et de colère.
— Shh… Tout va bien, Viya.
Elle ne parut pas l’entendre. Ses traits demeurèrent crispés. Il fut saisi d’un frisson, hésita… Cela faisait si longtemps… Un autre sanglot le décida. Il rassembla sa voix, la sculpta. Elle sortit de lui, plus basse et monocorde qu’à l’accoutumée.
— Viya, écoute ma voix…
La jeune fille s’apaisa. Il continua à parler, d’une voix douce, mesurée, hypnotique. Jusqu’à l’arracher lentement à ses ombres, jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux. Deux yeux perdus où s’accrochaient encore des lambeaux de cauchemars.
— Revenir en arrière, murmura-t-elle.
J'ai beaucoup aimé ce chapitre. La tension est palpable et les émotions de Viya sont très bien décrites. On ressent son désespoir et sa détermination, ainsi que la complexité de ses relations avec Fid et Eugénia. La scène finale est particulièrement intense. J'adore !
J'ai hâte de lire la suite !
Vraiment un chapitre sympa avec une très belle fin ! J'ai adoré le fait que Fid soit en colère et dise elle va m'entendre pour finalement complètement changer d'état en la voyant plein de détresse. J'adore le suspense que tu fais monter "ça faisait longtemps qu'il n'avait pas fait ça". Hypnothérapeute le Fid ?
C'est ultra intéressant aussi de voir Viya découvrir l'ancienne chambre de Fid, ça apporte du relief à la backstory du personnage et ton univers. "un homme mot" : très belle trouvaille !
"Comment peux-tu dénigrer avec tant de force tout ce dont j’ai rêvé ?" très bon ! cette réplique d'Eugénia explique ultra bien l'état d'esprit du personnage.
Le "revenir en arrière" avec le flashback est très intéressant également.
Je me régale avec ton histoire ! J'attaque la suite (=
Et, tu sais ? J'ai sur-aimé ce chapitre. Vraiment je l'ai trouvé si beau... Tu vois, j'ai lu les autres com aussi, rapidos, et surtout celui d'Isa (hahaha à croire que je me fis qu'à son avis), et là pour le coup je suis pas d'accord avec elle. Avec ce chapitre-ci, j'ai tout sauf l'impression de piétiner, et j'ai même l'impression de faire un gros pas en avant, à vrai dire. Et pourtant on a pas d'éléments nouveaux "concrets", MAIS plutôt, je dirais, une multitude de petits indices, par-ci par-là, qui à mon sens, sont comme des éléments déclencheurs. Le "revenir en arrière" : je trouve déjà que poétiquement, c'est beau, et surtout j'ai l'impression que c'est crucial pour la suite. Quant à la partie en italique (très belle !) là aussi j'ai l'impression que beaucoup d'éléments sont des détails importants.
Donc pour moi, ce chapitre est parfait. Surtout, il est empli d'émotions, et je suis vite sensible devant ce genre de scène. Et là, il y a : l'ancienne chambre de Fid (j'adore, j'adore, j'adore le "Fid est un homme mot". Vraiment, j'ai lu ça, et si tu savais l'immeeeense sourire qui a illuminé ma face, vraiment j'ai trouvé ça d'une grande subtilité et finesse, et si évocateur et bref, c'est juste une phrase mais ça m'a percutée), Viya qui s'affaiblit, le face-à-face avec Eugénia dont on comprend sa haine, Viya qui s'évanouit, les souvenirs de Viya, puis Fid qui, malgré qu'il veuille engueuler Viya, au final s'attendrit... Enfin bref, un condensé de belles choses, émouvantes, si bien que je n'ai absolument pas ressenti de longueur ou quoi, ni de piétinement de l'intrigue. Et puis, d'ailleurs, chaque chapitre n'a pas à contenir des scènes d'action ni des avancements dans l'intrigue, certains peuvent se centrer sur l'émotion, même si ça fait pas avancer en soi, et là il y a l'émotion + avancement dans l'intrigue (même si c'est plus par indices dont on n'en comprend pas encore la signification).
Enfin bref, éloge de ce chapitre, certes. Pour moi il n'y a rien à y retoucher.
Des bisous ! Hâte de lire la suite ^^
C'est un peu la difficulté avec cette histoire, c'est que c'est un cheminement intérieur. La tournure de l'intrigue dépend de l'état d'âme des protagonistes, de leur volonté à avancer. Chacun d'eux est limité par quelque chose, et cette barrière met du temps à être franchie. Parfois ils reculent et n'y arrivent pas.
Je parlais des problèmes de rythme qu'ont soulevé de nombreuses plumes, problèmes souvent liés à une forme de passivité de Viya, avec une amie qui a aussi été ma première beta-lectrice. Elle est d'accord avec ça, mais a aussi souligné le fait que le caractère du personnage fait qu'elle ne peut pas non plus trop prendre les choses à bras-le-corps. Trop gagner. Gagner prend du temps ;-) Mais il y a peut-être un juste milieu...
Merci à toi, bisous !
Donc, maintenant que j'y réfléchi : c'est délicat, parce que je t'ai noté un petit ralentissement du rythme, et ce serait cool de le redynamiser, effectivement, donc pourquoi pas rendre Viya plus active, plus "victorieuse" et en même temps, il y a peut-être d'autres pistes à creuser, comme peut-être la Sororité à rendre plus présente ? Comme une ombre qui plane sur Viya de façon plus incisive, mordante, plus effrayante, oppressante ? Et alors ça ajoute de la tension, de la peur chez Viya, et le problème est "réglé" ? Pour qu'on sente moins le coup de mou? Je sais pas hein, je propose ça, mais je me dis juste que le côté "retenu" de Viya n'est peut-être pas ce qui pose problème, puisque c'est son cheminement propre et changer ça lui ferait perdre de son essence première. Si l'évolution d'un personnage, c'est bien, faut pas qu'on arrive à la fin avec un autre personnage qu'au début.
Enfin voilà, je sais pas si j'ai été claire. De toute façon, je lirai la suite et je te redirais mon ressenti à mesure que j'avance ^^
Si tu veux des précisions, n'hésite pas à me le faire savoir !
Bisous !
Je note l'idée de rajouter plus de tension du côté de la Sororité, ça me parait pas mal en effet. Il va vraiment falloir que je relise tout d'un bloc pour bien ressentir les creux du texte et les combler, au besoin.
L'état de Viya qui s'empire de plus en plus, qui rend son déni de sa mission de plus en plus difficile... Je pense que ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'elle reparte pour la Montagne, elle ne va pas avoir le choix :/
J'adore toujours ses face-à-face avec Eugénia, celui-ci ne fait pas exception ! On comprend un peu mieux la rage de cette dernière, même si je pense qu'encore une fois on a pas toutes les infos :P J'aimerais bien qu'elles fassent la paix quand même un jour ! Si elles étaient ensemble, elles pourraient tout défoncer ^^
L'inquiétude de Fid pour Viya est vraiment touchante.
Hâte de lire la suite ! A bientôt ;)
Merci pour ta lecture !
Je suis contente que tu perçoives cette gradation dans la dégradation dans l'état de Viya ^^En effet, elle va devoir faire un choix !
Non, en effet tu n'as pas encore toutes les infos pour Eugénia, ça viendra petit à petit!
Merci pour ta lecture !
J'ai bien aimé les déambulations fiévreuses de Viya : on ressent bien à la fois son malaise physique et aussi sa détermination. A titre de lectrice, je regrette qu'encore une fois, elle soit restée presque muette devant Eugénia. Mais en tant que relectrice, ça me paraît cohérent vu que c'est ce qui se passe depuis toujours.
J'ai bien aimé aussi les inscriptions dans la chambre de Fid. C'est toi qui l'as trouvé "La mort est un mot qui se donne un air" ? C'est très bon en tout cas !
En revanche, j'ai à nouveau la sensation que l'histoire piétine un peu (désolée, je me fais l'effet d'être une empêcheuse d'écrire en rond à chaque fois que je te fais une remarque de ce genre...). Sauf si je ne vois pas toutes les implications (ce qui est possible), j'ai l'impression que le seul élément important de ce chapitre, c'est l'histoire du retour en arrière (qui est très flou pour l'instant). En dehors de ça, j'ai eu l'impression que je n'apprenais rien que je ne savais déjà. Je ne me suis pas ennuyée, hein, parce que les différentes scènes sont très bien écrites et pleines d'émotion, mais elles ne font qu'illustrer des éléments déjà abordés avant. Par exemple, en soi, j'ai beaucoup aimé la scène en italique, mais est-ce qu'il y a un élément clé caché dedans ? Un élément indispensable à la suite ? Si c'est le cas et que je ne l'ai pas vu, alors oublie ma question. Mais sinon, est-elle indispensable ?
Je me demande si le rythme des évènements ne devrait pas être un peu plus rapide. Je ne parle pas forcément d'action (un chapitre peut être très intense sans aucune action), mais vraiment de l'avancement de l'intrigue. Je pense qu'il faut que chaque chapitre apporte des éléments nouveaux. Là, j'ai eu la sensation de ne pas être plus près de comprendre les enjeux de l'histoire ou ceux de Viya qu'à la fin du chapitre précédent. Peut-être que tu pourrais en donner un peu plus ?
Je dois te paraître insatisfaite chronique, mais encore une fois, ce n'est pas le cas : j'aime beaucoup l'atmosphère de ton roman. Je suis juste frustrée de ne pas en apprendre plus (peut-être que la lecture par chapitre n'aide pas, non plus).
A très vite
Effectivement, deux points de vue ici, et celui de Fid pour la première fois ! C'est important pour la suite et il y en aura d'autres !
Il me paraissait cohérent en effet que Viya reste plutôt silencieuse, d'autant qu'elle est mal en point ^^
Pour la phrase de Fid, elle est normalement originale. En tout cas quand elle m'est venue, je l'ai googlée plusieurs fois et je me suis livrée à une petite introspection de ma bibliothèque mentale sans trouver d'occurences. J'en ai d'autres de rechange au cas où ^^
Je vais peut-être tenter de réécrire pour rendre les enjeux plus lisibles, mais en gros, l'enjeu du chapitre pour moi, c'est de dire que Fid s'est trompé dans sa déduction. Le choix des mots d'Eugénia sur sa dernière phrase est aussi important, mais on ne le comprendra que par la suite. Pareil pour le chapitre en italique. Il y a des choses cachées un peu partout ^^ Peut-être que la lecture "chapitre par chapitre" donne cette impression de lenteur, mais je peux t'assurer que ce chapitre est important et que rien n'est là seulement pour faire joli. Je suis très attentive là-dessus, d'aurant que comme je te l'ai dit, je suis angoissée par l'idée que mon roman puisse être trop long ^^
Donc, je vais quand même réfléchir à ce que tu me dis... mais je pense que tu comprendras par la suite. Je suis du genre à être très perfectionniste et à me remettre baucoup en question, mais là, je suis presque sûre de ce que je fais :p
Mais en tout cas, si tu es sûre de toi, c'est ce qui compte ! ;)
"Il n’était pas du genre à se satsifaire des jurons qu’employaient le commun des mortels, mais il se trouva trop inquiet pour être créatif." Petite coquille à "satisfaire" mais j'ai adoré xD Mine de rien ça nous rappelle que Fid reste humain haha
"« Peut-être qu’au fond, tu as bien fait d’y aller, gamine. Il va bien falloir que tu règles cette histoire d’Intermonde, un jour ou l’autre. » songea-t-il. Un picotement remonta jusqu’à son genou. « Et moi aussi, c’est vrai. Moi aussi. »" J'ai trouvé ce passage surprenant et pourtant c'est intéressant de voir Fid se remettre en question !
J'ai le sentiment que globalement on suit un peu une tournure là, non ? Viya a des vertiges depuis un moment mais on sent bien que là ça se concrétise et qu'on atteint un point de non retour : il va bien falloir faire quelque chose de cette histoire d'Elue et d'intermonde. À voir comment tu le ressens toi-même ! Et d'ailleurs avec le recul et parce que je sais qu'il en a déjà été question dans les commentaires, je me permets de remarquer que cet enjeu apparaît peut-être plus clairement que ce qui précède (l'arrivée de Viya parmi les Légendiers, le Prince qui la remarque) (j'insiste : "peut-être"). En espérant que cette remarque puisse t'aider ou du moins confirmer tes directions :)
Au plaisir de lire la suite !
J'ai relevé plusieurs petites choses à corriger, même si je me doute bien que tu les aurais vues toi-même :) (enfin parfois on ne voit plus ce qu'on écrit ^^)
"l’Intendant qui lui assurait que ma Confrérie" la*
"Viya lui avait désobéie" désobéi*
"Q’elles étaient soulagées" Qu'*
"si je me fis à tes affirmations" fie*
"Elle dérapa fois sur le trottoir" manque un mot ?
"Viya se voit, enfant, regarder cette foule d’arbres anonymes Elle l’ignore encore" manque le point
"frénétiuqment" frénétiquement*
Tout à fait, les choses deviennent concrètes ! Du coup, à la lumière de ce que m'ont dit les plumes, je vais tenter de mieux dessiner les enjeux, maintenant que je comprends mieux ce que les lecteurs ressentent.
Je suis desolée pour toutes ces coquilles,je les corrige vite ! Malheureusement, je ne parviens pas à réactiver mon correcteur sous word et quand je le relis, les lettres manquantes dans les mots m'échappent ^^' (sans compter que j'ai posté ce chapitre à deux heures du matin xD)
Bref, merci et désolée, je m'en occupe !