Et au loin, là-bas, j’apercevais la banquise glacée du Pôle. Enfant, combien de fois avais-je rêvé de mettre le pied sur cette terre d’eau gelée ? Et enfin, enfin ! j’étais parvenu au but de toute ma vie. Pour cette terre, j’avais quitté ma famille, ma sœur. J’avais abandonné mes plus tendres amours pour offrir corps et âme à cette expédition. J’avais réuni des loups de mer, férus d’aventure. Ils buvaient, beaucoup, ils chantaient, faux, mais sans eux, je ne serais pas là.
J’étais capitaine, bien sûr, du navire qui atteindrait le Pôle le premier. J’étais, bien sûr, celui qui poserait le pied sur la glace du Sud. J’étais, bien sûr, celui dont se rappelleraient les livres d’histoire. C’était un bel avenir qui m’était promis là.
Mais se souviendrais-t-on des dizaines de marins terrassés par la maladie et le froid ? Nous rappellerions-nous des multiples coques brisées, des départs répétés ? Saurait-t-on que nous avions des mères inquiètes et des épouses déchirées qui nous attendaient sur le port ?
Non, bien sûr. On ne se souviendrait que de mon nom.