24. Interdit de mourir

Par Arod29

La pluie cascadait des arbres et l'humus, de la forêt des larmes, chuintait à chaque pas de Loup. Il s'approchait lentement de sa destination et son coeur s'emballait 

Il entra dans la clairière. La mousse et le lierre avait envahi les vestiges brûlées de son ancienne maison. Des visions envahirent son esprit, le visage doux de Dwenn, la naissance de ses enfants puis la violence, la mort et la haine. Il s'approcha des tombes. Une abondante mousse les avaient recouvertes. Loup se mit à genoux et passa ses mains sur le tapis vert. C'était si doux, doux comme la peau de Dwenn. Il ferma les yeux et se laissa ses émotions affluer. Il sentit les bras menus de Tilly autour de son cou, son rire. Il sentit les baisers de Dwenn sur ses lèvres et il sentit l'infinie tristesse de l'absence.

Loup s'allongea entre les deux sépultures et ses larmes trop longtemps captives s'évadèrent de leur prison. 

- Je suis tellement désolé de ne pas avoir été à la hauteur mais je vous promets que dans quelques jours. Vous serez à nouveau fier de moi.

Loup se redressa et essuya ses larmes.

Il posa ses mains sur la douce mousse des tombes.

- Je vous aime, murmura t-il.

***

Les jours parurent ne durer que quelques heures pendant trois mois. Sur le pied de guerre tout le monde s'affairait. Proche de la Vallée des soupirs, Le Mont Noir était devenu un camp de base. Des combattants de tous horizons venaient apporter leur aide. Les plans de bataille avaient été décidé mais beaucoup d'inconnues subsistaient. Les sorcières seraient elles présentes? Sinfen n'avait aucune nouvelle de Jared pourtant malgré toutes ces incertitudes, ils étaient prêt à en découdre. Et quand la veille de la bataille arriva, elle fut accueillit comme une délivrance.

Depuis le crépuscule, une brume épaisse emmitouflait le campement. A travers le voile nébuleux, on apercevait les feux qui semblaient ondoyer dans le vent. Les âtres dégageaient une lumière faible mais suffisante pour distinguer les nombreuses silhouettes s'affairant autour des flammes. Le vent portait les voix et les rires des guerriers. C'était la dernière soirée avant la bataille, une nuit de retrouvailles et d'adieux. 

Loup et la reine Lylly discutaient en buvant un verre de vin près de feu central.

— Loup mon ami. On ne se connait pas encore bien mais je t'apprécie. 

Loup regarda Lylly. La noirceur de ses cheveux contrastait avec son regard aussi intense qu'une émeraude frappée par un rayon de soleil,  il s'insinuait en vous et semblait tout savoir.

— Les gens m’apprécient beaucoup plus avec de l'alcool.

— Tssss! Non, non ,vraiment mon ami. Nous avons tous deux perdus notre grand amour. Sais tu quand j'ai su que j'avais trouvé l'homme de ma vie?

Loup fit non de la tête avec un  petit sourire.

— Bien sûr que non, tu ne le sais pas. Je ne l'ai jamais dit à personne, elle regarda son verre, le vin commence à faire son effet mais chuuut ça reste entre nous! 

— Je serais muet comme une tombe.

Lylly hocha la tête.

— J'étais si jeune à l'époque. Gus se faisait rosser par des camarades très affectueux. Je suis intervenue,  j'ai cassé le nez du plus costaud et les autres sont partis en courant. Je me suis penchée vers lui pour l'aider à se relever et quand sa main a touché la mienne. Crois moi ou pas mais j'ai su à cet instant que c'était lui.

Elle ferma les yeux et toucha sa poitrine.

— J'ai perdu une partie de moi et je donnerai mes deux jambes pour sentir ses lèvres se poser sur les miennes juste une fois. Il était mon aurore et mon crépuscule. Je n'ai plus rien. Même pas  l'enfant qui aurait eu les yeux de son père et à qui j'aurais pu dire à quel point il était magnifique.

Elle murmure ses derniers mots.

Loup se redressa et avala une gorgée de vin.

— Lylly. Pardonnez moi si vous me trouvez dur mais avec tout le respect que je vous dois, vos regrets de ne pas avoir été mère, je les trouve égoïste. Avoir un enfant qui aurait perdu son père et qui verrait sa mère partir dans une guerre dont elle n'est pas sûre de revenir. Est ce cela la vie que vous auriez voulu pour lui?  J'ai un fils qui a perdu sa mère. Il a vu sa petite soeur pendue à un arbre. Il les a enterré avec moi. Il a déposé un dernier baiser sur leur front glacé de mort. Jamais il ne s'en remettra et tout est ma faute. J'ai été égoïste de croire que je pouvais avoir une famille. Je les ai tué Lylly, pas directement certes, mais la nuance n'existe pas dans la perte d'êtres aimés. J'aime mon fils et j'aime ma femme et ma fille mais parfois, je me demande, et si je n'étais pas resté avec elle. Mes enfants n'aurait pas existé mais ils n'auraient pas souffert. Je suis coupable. Je ne vis plus que pour les venger et à la fin je les rejoindrais dans le monde d'après.

Loup baissa les yeux se rendant compte qu'il était peut-être allé trop loin avec la reine.

— Je suis désolé Lylly. Je n'aurais pas du vous parler ainsi.

La souveraine tendit la main vers le visage de Loup et le redressa. Elle lui caressa la joue.

— D'une certaine façon tu as raison. Jeter en pâture, dans ce monde cruel, des enfants innocents est complètement fou, égoïste et irresponsable mais que va t-il nous rester? A notre mort qui se battra pour transformer l'immonde en supportable? A qui allons nous transmettre que la liberté est si précieuse qu'elle mérite que l'on meurt pour elle, qu'il vaut mieux perdre la vie en se battant que la perdre le cul dans un fauteuil à regarder le monde se déliter et s'enfoncer dans la fange en se lamentant. Si vouloir avoir des enfants pour transmettre ces valeurs qu'ils transmettront à leur tour. Alors oui c'est vrai, je suis égoïste et j'en suis heureuse. Oui la vie est une lutte permanente, ce monde est merdique mais nous sommes là et nous savons ce qu'il faut faire pour le changer. Peut-être échouerons nous mais nous aurons semé les graines de la liberté. 

Loup ne répondit pas. 

Lylly le regarda avec une douceur qu'il n'avait pas vu depuis des années dans le regard d'un être humain.

— Tu ne prononces jamais leurs noms. 

Loup inspira et souffla.

— Dwenn était ma bien-aimée et Tilly mon trésor. 

Lylly posa sa main sur l'épaule de Loup et elle déposa un baiser sur son front.

— Ecoute moi bien mon ami, voilà ce que Gus t'aurais dis.

Elle prit une voix grave.

— Je ne suis pas plus sage qu'un autre, tout ce que je sais c'est que tout arrive pour des raisons bien précises. Tu mérites la vie autant qu'un autre. Nous sommes tous coupables. Pense à ce que l'on s'apprête à faire demain. Allez buvons encore un verre ou deux! Ne désespérons pas! Une gigantesque bataille nous tend les bras. Tendons nos bras en retour! Tuons cette pute d'Alzebal!

Loup sourit.

— Lilly. Ne mourrez pas demain, le monde perdrait un de ses plus beaux trésors.

— Pas de promesse Loup. Jamais de promesse avant une bataille.

— Ne m'appelez plus Loup. Je m'appelle Erhas.

***

Arcis s'était isolé des autres. Une pluie fine et froide piquait son visage.

Le jeune homme appréhendait la bataille qui arrivait. Cette impression qu'ils avaient plus à perdre qu'à gagner ne le lâchait pas.

Il sentit une main sur son épaule. Il eut un petit frisson agréable.

Alors on s'isole.

— Iria. Tu arrives toujours à trouver mes refuges.

Qu'est ce qu'il t'arrive?

— J'ai la frousse.

Nous avons tous peur Arcis. Même le plus brave et le plus téméraire des guerriers a peur de la mort ou alors il est stupide.

— Je n'ai pas peur de mourir. 

Iria lui fit un clin d'oeil.

Alors tu es stupide! 

— J'ai peur de perdre mon père et j'ai peur de te perdre.

Arcis caressa la joue de la jeune femme. La pluie fine avait déposé ses perles sur ses cheveux blonds. Elle était si belle.

Iria enlaça le jeune homme et délicatement, posa un baiser sur les lèvres d'Arcis.

Tu en auras un deuxième si tu survis.

Arcis sourit et Iria s'éclipsa tandis que, dans la brume, s'élevait les chants des guerriers.

Le jeune homme se demanda soudainement où était Arshard.

***

Voici venu le temps de la guerre.

Alors lève ton verre

Regarde

Vois à gauche ton frère

Vois à droite ta soeur

Regarde

Vois devant toi tes adversaires

Vois, vois des soeurs et des frères.

Regarde

Vois les tremblez devant ta fureur

Vois leurs peurs.

Vois leurs yeux emplis de frayeur.

Lève ton verre

Voici venu le temps de la guerre

Lève ton bras

Regarde.

 

 ***

 

Grys ne se mêla pas aux autre. Il était le paria. Celui que l'on tolère mais cela ne le gênait pas. La récolte des semis de sa vie était amère mais sans surprise.  La rencontre avec son ami Vands l'avait chamboulé plus qu'il ne l'aurait voulu. 

Qu'avait-il fait de sa vie? 

Il s'était enrichi et maintenant il n'avait plus rien. Il avait atteint la renommée et il n'était plus rien. Ses deux enfants encore vivants le croyaient morts et le détestaient sans aucun doute, et jamais il ne pourrait leur dire à quel point il était désolé. Il pensa à Kyuren que sa propre mère avait tué. Quel était ce monde? Grys se découvrait une conscience et comprenait vraiment pourquoi il l'avait toujours mis de côté. Les scrupules compliquaient la vie parce qu'il fallait réfléchir à chacun de ses actes. Les questions se multipliaient dans son esprit. Elles commençaient toutes par pourquoi?

Grys ne voyait qu'une seule réponse à toutes ses questions. 

Tu es une raclure mon vieux.

L'ancien mercenaire n'avait plus qu'un but. Demain il tuerait sa femme et il mourrait sans résistance sous l'épée de Loup.

Grys s'allongea et s’emmitoufla dans sa couverture. Il s'endormit rapidement bercé par les chants guerriers qui montaient vers le ciel.

***

Sinfen méditait.

Selenn serait là demain. Il voulait la sauver et racheter ses fautes. Il se sentait tellement coupable. Tout ce qu'elle avait enduré, c'était de sa faute. Il avait échaffaudé un plan avec Iria et Arshard. Il espérait que tout se passerait comme prévu.

D'ailleurs où était donc Arshard?

Des mains douces caressèrent son visage et le sortit de sa torpeur. Il sourit pensant savoir de qui il s'agissait.

— Toutes les mains des sorcières sont elles aussi douces que les tiennes Salgione.

— Les miennes le sont assurément plus que cette vieille peau.

Sinfen sursauta, ce n'était pas la voix de Salgione.

Une femme était agenouillée derrière lui avec ce regard que devait avoir toutes les sorcières. Un regard de défiance et d'insoumission. Derrière elle, des dizaines de femmes se tenaient fièrement debout. Toutes s'écartèrent et Salgione apparut au milieu, resplendissante.

— Bonsoir beau Sinfen. Je te présente toutes mes soeurs!

Sinfen se leva et s'inclina.

— Que vous êtes les bienvenus mesdames! 

Le mage regarda Salgione et joignit ses mains comme on fait une prière.

— Merci mille fois.

Une voix grave surgit du brouillard.

— Peut-on se joindre à la fête?

— Jared! Je n'espérais plus te voir!

Les frères se firent une accolade.

— Nous avons pris du retard mais nous sommes tous là. Nous avons établi un campement, un peu à l'écart pour éviter d'effrayer ceux qui croiraient que nous sommes du mauvais côté.

— Jared, je te présente Salgione et ses soeurs.

Le visage du frère de Sinfen s'éblouit.

— La célèbre Salgione. Ravi de vous connaitre vous ainsi que vos soeurs.

— Qu'il est poli et bien élevé ce mignon.

Salgione caressa la joue de Jared qui souriait béatement.

Sinfen intervint.

— Salgione, ne le dévergonde pas. Pas ce soir!

La sorcière plongea ses yeux dans ceux de Jared.

— Un autre soir peut-être.

Les frères s'assirent avec les sorcières et dégustèrent un vin épicé de Stannarg. Les rires fusèrent. Des rires pour oublier un instant, la sauvagerie dans laquelle ils se retrouveraient tous demain sur le champ de bataille.

***

Erhas était assis seul devant un des grands feux, les chants s'étaient tus. Tout le monde dormait ou presque.

— Bonsoir papa.

— Bonsoir Arcis, comment vas tu? Pas trop nerveux?

— Si. Papa, promets moi de faire attention à toi. Je ne veux pas te perdre.

— Approche Arcis.

Erhas le prit dans ses bras.

- Je ne peux rien te promettre. La seule chose dont je suis sûr c'est que je suis fier de toi et que je t'aime.  

— Je t'aime aussi papa.

— Je veux te dire autre chose. Je ne me suis jamais excusé alors je m'excuse.

— T'excuser? Mais de quoi.

— De t'avoir jeté dans ce monde. Tout ce qui est arrivé. C'est de ma faute. La vengeance m'a aveuglé et je ne t'ai pas vu grandir. Voilà pourquoi je n'ai pas accepté tes décisions concernant Grys et Sinfen. Pour moi tu étais encore le petit Arcis que j'avais quitté il y a dix ans. Tu es devenu un homme intelligent et fort.  Mais au fond de moi, j'ai toujours cette sensation d'avoir tué ta mère et ta soeur. Je suis tellement désolé.  Elles devraient être à tes côtés et je devrais être mort.

Arcis eut un sourire moqueur.

— J'ai toujours pensé que la sagesse venait avec l'âge mais tu as raison, tout est de ta faute. Cette pluie collante est de ta faute, ce brouillard, l'ampoule que j'ai au pied, ce vin dégoûtant. Tout est de ta faute. 

— Je suis sérieux.

— Moi aussi papa. Arrête de te torturer. Demain nous allons tuer un tyran et il s'avère que ce tyran a tué ceux que nous aimions. On a tous droit à la cerise sur le gâteau.

— Un fils qui donne des leçons à son père.

— J'ai la force de mon père et fort heureusement pour moi, l'intelligence de ma mère.

Erhas se mit à rire.

— Je n'ai pas souvenir de t'avoir déjà vu rire papa.

— Il fut un temps révolu où j'étais vraiment heureux, quand on était tous les quatre dans la Forêt des Larmes.

— Soyons heureux tous les deux après cette guerre.

— Je ne suis pas sûr qu'Iria voudrait son beau-père dans les pattes.

Arcis rougit.

— Qu'est ce que tu racontes?

— Je suis vieux mais je vois encore certaines choses. C'est une jeune femme fantastique. Tu as ma bénédiction.

Les joues d'Arcis s'empourprèrent.

— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.

— Pardon! Je ne voulais pas te gêner.

— Si tu le voulais. 

Loup rit et lui fit un clin d'oeil.

J'en entendu mon prénom? Vous parliez de moi?

Iria venait de s'asseoir aux côtés d'Arcis.

Arcis toussa.

La jeune femme caressa son dos.

Tu as avalé de travers?

Loup sourit.

— On parlait de toi.

— Papa!

— Je lui disais que tu étais une jeune femme fantastique et que je serais très fier de t'avoir comme belle fille.

Arcis se frotta le front.

Iria rit et embrassa le jeune homme sur la joue.

— Ca tombe bien que tu sois là Iria. Je voulais vous dire que j'en ai fini avec "Loup". J'ai repris mon vrai prénom Erhas. J'ai renié qui j'étais depuis bien trop longtemps, je l'avais presque oublié. C'est en me nommant ainsi que je tuerais Alzebal.

J'aimais bien Loup.

— Loup était un symbole, je n'en ai plus besoin.

— Je me suis jamais posé la question. Papa me suffisait.

— Ta mère le connaissait, Ereïm et mon ami Yian. Ce soir levons nos verres à celles et ceux qui sont morts et qui nous manque chaque jour cruellement.

Erhas se mit debout, remplit les chopes avec du vin et leva son verre.

— A Dwenn, Tilly, Yian et tous les autres.

Arcis brandit son verre.

— A maman, Tilly et tous les autres.

Iria se joignit à eux.

A papa et tous les autres.

Ils restèrent silencieux pendant quelques minutes, les souvenirs des disparus envahirent leurs esprits.

Erhas tendit les bras et tous les trois s'enlacèrent.

— Demain ce sera la bataille de notre vie mes enfants. Il n'y aura pas d'échappatoire. C'est vivre ou mourir et je vous interdis de mourir. Je vous aime.

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