24. Je deviens fou Elise

Notes de l’auteur : Août 1941

À ma tendre et douce Élise,

Je suis en vie. Je ne sais comment ni par quel miracle, mais je suis encore là. Je suis toujours là. Je ne sais pas quoi te dire, je ne sais pas quoi t'écrire. Je reste face à ma feuille en me demandant ce que je pourrais te raconter que tu ne sais pas déjà. Que tu ne te doutes pas déjà. Tu sais ô combien la guerre est horrible, ô combien la guerre est ignoble. Cela n'a rien à voir avec tout ce que nous aurions pu imaginer jusqu'à présent. À chaque fois, une nouvelle surprise. À chaque front, de nouveaux morts. À chaque bataille, une nouvelle arme. Une nouvelle façon de tuer, car tu sais, l'être humain est inventif quand il s'agit de s'entre-tuer.

J'ai vu des choses que tu ne pourrais imaginer même si je te les dépeignais. J'ai entendu des atrocités qui me bourdent encore dans les oreilles. J'arrive à saturation, Élise. Je commence à craquer. Par moments, le soir, je me réveille en sursaut quand j'arrive à dormir et je sors hurler. Moi, je hurle. Moi qui, jusqu'à présent, ai toujours tenu bon. Mais je ne suis pas fou, je sais que ce qui me maintient encore parmi les sains d'esprit, c'est ton image. Ta pensée. Je pense à toi et rêve de toi. Je m'imagine avec toi.

J'imagine, chaque jour quand je le peux, ce que tu fais. Je t'imagine bien occupée. Préoccupée.

Mais sache-le, mon Élise, je vais bien. Du moins, je suis encore en vie. En un seul morceau. Mon corps a les marques de la guerre. Les stigmates de la violence et de la haine. Les traces de l'atrocité, mais je vais bien. C'est assez paradoxal et je ne m'en rends compte qu'en t'écrivant cette lettre.

Nous sommes revenus en Angleterre et certains gars demandent des permissions pour aller voir les familles. J'oserai demander aussi... Mais je ne me fais pas d'illusion. Nous ne nous reverrons pas de suite, Élise. Peux-tu attendre encore un peu ? Je sais que c'est beaucoup te demander, mais j'aimerais que tu attendes. Que tu m'attendes comme on se l'est promis.

Chaque jour loin de toi me laisse à imaginer que tu es ailleurs, avec un autre. Chaque jour loin de toi me laisse à penser que je ne te mérite pas. Que tu es trop bien. Ô, Élise, comme c'est difficile.

Et cela n'est pas près de se terminer...

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Elora
Posté le 06/06/2021
Oh c'est monstrueux !
Pauvre Thomas, on imagine la souffrance qu'il doit vivre, mais l'imagination n'est pas assez grande pour sans rendre compte.
J'espère qu'il va tenir bon, qu'il le fasse au moins pour Elise, je sais qu'il peut le faire.
Je n'avais pas pensé au retrouvaille avant la fin de la guerre, mais qu'il puisse se voir une dernière fois serait le rêve, il le faut.
Ce chapitre est assez bouleversant, c'est un chapitre déclic, voir Thomas sombrer lentement fait mal, je vais pleurer ! T-T T-T T-T
MissRedInHell
Posté le 23/09/2020
Et me voilà qui switch d'histoire ! o/

Quel plaisir de revenir sur cette histoire ! <3
Évidemment, le thème est toujours aussi douloureux, mais j'aime vraiment la manière dont tu l'utilises.

Le titre de la lettre est clair sur l'état d'esprit de Thomas avec le terme "fou" et tu arrives à super bien le retranscrire à travers la narration et les évènements, que ce soit via des nuits chaotiques, des changements d'habitudes qui poussent Thomas à hurler ou le passage "Les traces de l'atrocité, mais je vais bien" qui révèle une bonne dissociation je trouve.
Son mal-être est bien perceptible entre les lignes et c'est ce qui le rend autant atroce qu'humain. C'est vraiment un "Show don't tell" qui marche très très bien ici. :3
ManonSeguin
Posté le 24/09/2020
<3 Franchement ce que tu dis me touche car j'ai l'impression que tu arrives à voir les choses que je ne dit pas et ça me fait extrêment plaisir pour le cas de Thomas ! Vraiment si c'est ce qui ressort à la lecture, je m'estime satisfaite de moi comme j'essaye toujours de nuancer sans entrer dans l'excès ou dans le "c'était horrible aaaah" mais en poussant sur des points différents pour montrer l'impact qu'a la guerre sur les gens.
MissRedInHell
Posté le 24/09/2020
Je trouve que c'est ce qui arrive quand on se plonge vraiment dans l'écriture d'un personnage, on laisse passer plein de trucs sans s'en rendre compte et c'est au final les lecteurs qui s'en rendent le plus compte. :3

Surtout que je suis très sensible au discours où on nuance, qui ne soit pas manichéen, quand bien même c'est la guerre. Du coup, je remarque assez facilement ce genre d'éléments. :3
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