Ils atteignirent la Drasga Rhall en quelques heures.
Brusquement, les vents forcirent, l’air devint froid et humide et les grondements sourds de la tempête précédèrent les éclats blafards de la foudre. À cet endroit, les nuages formaient une masse sombre bouillonnante, d’où s’échappaient de temps en temps les griffes des éclairs. En un rien de temps, l’orage les avala.
La tempête que Katy et Théodorus avaient subi avant d’arriver au Royaume Ailé n’était rien comparée à celle-ci, démentielle.
— Ne pouvons-nous pas passer au-dessus de cet orage ?! hurla le scientifique à l’attention du pilote alors qu’une pluie diluvienne s’abattait sur eux telle la salive d’un monstre affamé.
— Impossible, l’altitude serait bien trop élevée ! Nous n’avons pas le choix, nous devons rester dans le nuage ! Mais je peux remonter un peu pour nous épargner la pluie !
Ce qu’il fit, même s’ils étaient déjà trempés.
Le Migrateur était malmené par les vents, et émettait de lourds grincements alors que Rhyn louvoyait entre les courants afin de le ménager. La foudre s’abattait autour d’eux, risquant de les frapper à tout moment. Il régnait un noir presque total au cœur du cumulonimbus, et ils voyaient se découper les contours des volutes qui, le temps d’un éclair, dessinaient parfois des formes terrifiantes.
La natte de Katy s’était détachée et ses cheveux pris de folie fouettaient Théodorus sans que ni l’un ni l’autre ne puisse rien faire. Tous serraient les dents, trempés, épuisés et tendus comme les cordes d’un arc prêt à tirer, perdus dans cet enfer et ballotés en tous sens comme des fétus de paille. C’est seulement grâce à Tempête de Neige qu’ils survivaient pour l’instant. La chouette sentait les rafales avant qu’elles n’arrivent et les guidait dans la tourmente, pour les amener à bon port. La jeune fille était surprise que ce frêle animal puisse voler au milieu de ces bourrasques tout en s’orientant parfaitement.
Pourtant, malgré les difficultés, et le fait qu’ils allaient sans doute mourir, Katy ne pensa pas un instant à abandonner. Elle avait vu Rhyn survivre, elle avait vu un miracle. Un autre s’était opéré en elle. Elle voulait vivre.
Cela la frappa d’un coup et lui fit monter les larmes aux yeux.
Elle voulait retrouver Johann, continuer à se battre pour la Résistance. Peu importe si c’était Peru d’avance, elle vivrait.
Rhyn tourna la tête vers eux pour crier :
— Les réserves d’énergie sont au plus bas ! Nous allons bientôt arriver à court !
Katy croisa son regard paniqué.
Soudain, un puissant courant ascendant les percuta. Le Migrateur fut propulsé vers le haut à une allure vertigineuse.
Le coeur battant à toute vitesse, la jeune fille leva la tête vers le ciel et aperçut une lueur, qui éclata et l’éblouit. Les nuages se déchirèrent, laissant un flot de lumière se déverser sur eux, alors que les vents se taisaient.
Plus d’éclairs, plus de rafales, plus de nuages.
En quelques secondes, ils se retrouvèrent dans un immense couloir. La tempête s’était fendue en deux comme pour leur laisser passage, révélant au loin une île solitaire.
Rhyn n’eut pas besoin de plus pour foncer vers ce point à peine visible.
— Comment est-ce possible ?! s’exclama Théodorus en fixant les parois tourbillonnantes de l’orage. Je n’ai jamais entendu parler d’un phénomène climatique comme celui-ci ! C’est proprement stupéfiant !
— Ce n’est peut-être pas un phénomène climatique, hasarda Rhyn, c’est peut-être la volonté de la Drasga Rhall.
— De la magie ?! N’importe quoi ! Je suis sûr qu’il y a une explication scientifique !
Katy vit le bout du sourire de Rhyn.
— Y en a-t-il une pour Tempête ? demanda-t-il, presque espiègle.
Le savant ne trouva rien à répondre. Près d’eux, la chouette poussa un hululement d’assentiment.
Au fur et à mesure qu’ils avançaient, la silhouette de l’île se précisait. Ce que Katy avait d’abord pris pour un pic de roche immense qui la surplombait se trouva être un gigantesque arbre.
Il ne manque plus que les elfes.
Ils laissèrent la tempête derrière eux. Celle-ci s’arrêtait à proximité de l’île, formant un cercle protecteur.
Le soleil laissait pleuvoir un rideau de lumière sur ce bout de terre paradisiaque. Eaux turquoise, forêts tropicales verdoyantes et plages de sable blanc la composaient. Sans oublier l’arbre-montagne, dont les racines ondulaient dans la jungle.
Katy crut voir un escalier serpenter autour du tronc. Elle baissa les yeux et aperçut soudain un village, sculpté à la base de l’arbre. Elle voulut prévenir ses compagnons mais le Migrateur piqua soudain du nez.
— Plus d’énergie ! cria Rhyn tandis que la surface de l’eau se rapprochait rapidement.
Il régla les ailes, qui freinèrent la chute de l’appareil pour le faire planer.
Ils se crurent sauvés mais le trou fait par les tirs des Voltigeurs sur l’aile gauche s’agrandit soudain. Dans le même mouvement, les tiges qui tenaient l’aile droite se disloquèrent. Le Migrateur rendait l’âme.
En arrivant près de l’eau, Katy constata qu’ils allaient encore beaucoup trop vite. Le choc allait être douloureux.
— Détachez-vous ! hurla Rhyn. Détachez-vous vite !
Mais il était trop tard, l’Aereilyre frappa la surface avec force.
Sous l’impact, le fuselage se déchira, la machine se tordit et les ailes se détachèrent presque entièrement.
L’eau salée les happa, tordant les membres et frappant les corps.
Katy se sentit tirée par sa ceinture, aspirée vers le fond par le poids du véhicule de métal. À moitié assommée, elle tenta de décrocher son entrave sans y parvenir. La panique, le manque d’oxygène et la pression s’accentuèrent.
Elle apercevait les cheveux noirs de Rhyn, qui emplirent sa vision.
Mais, alors que ses chances de survie et celles de ses compagnons s’amenuisaient, une silhouette humaine se dessina dans son champ de vision, puis deux, puis trois. Sa ceinture se détacha et elle sentit des bras l’enlacer.
Les elfes, se dit-elle, ce sont les elfes.
Elle sombra dans l’inconscience.