25. Disparitions

Par tiyphe

Louise

Louise émergea difficilement. Elle toussa alors que de la poussière s’engouffrait dans sa gorge. Elle se redressa précipitamment sur ses coudes et expectora au sol. Reprenant péniblement sa respiration, elle leva la tête. Le phare avait été soufflé, il n’en restait que des ruines autour d’elle. Seules les fondations du bâtiment étaient encore quelque peu debout alors qu’une pellicule de poussières demeurait suspendue à quelques centimètres du sol.

À sa gauche, la Princesse aperçut une main sous les décombres. Pâlie par le plâtre et les débris des pierres, elle ne bougeait pas. Louise reconnut facilement les doigts fins et élégants de Sibylle. Elle pensa tout d’abord à la laisser là, sous une poutre. Mais même si la rivalité était présente entre les deux jeunes femmes, Louise ne pouvait abandonner un Occupant. C’était de sa responsabilité de protéger son peuple.

Difficilement, la Créatrice se redressa sur ses jambes, sa cuisse la lançait terriblement. Lorsqu’elle regarda, une simple cicatrice rouge se refermait doucement, ne laissant de la blessure que le sang séché qui avait éclaboussé sa robe où les motifs cachemires beiges s’entrelaçaient sur le tissu verre bouteille. Elle s’approcha en boitillant du monceau de plâtras. Sa rivale était immobilisée sous un gros morceau de bois qui devait initialement servir à tenir la structure. Inconsciente, la jeune femme avait le visage caché par ses longs cheveux blanchis par la craie. Louise essaya dans un premier temps de la réveiller.

— Sibylle ? appela la Princesse. M’entends-tu ? Peux-tu bouger ?

Un silence pesant lui répondit. La dirigeante tenta de soulever la poutre elle-même, mais la structure était trop lourde pour ses petits bras frêles. Elle se concentra et réfléchit.

— Que ferait Jeanne dans cette situation ? pensa-t-elle tout haut.

Une idée lui vint, elle ferma les yeux et imagina. Une barre de fer se matérialisa dans ses mains. Elle la glissa sous la poutre et poussa de toutes ses forces pour faire levier. Le montant de bois trembla et se souleva de quelques centimètres, mais ce n’était pas suffisant. Seule, elle ne pouvait y parvenir.

— Sibylle ! cria-t-elle. Réveille-toi ! Je vais lâcher.

Alors qu’elle sentait le poids de la poutre augmenter de plus en plus sur la barre, quelqu’un derrière elle attrapa le morceau de métal et appuya avec force dessus. Le bois décolla plus haut, laissant assez de place pour faire glisser le corps de la jeune rousse.

— Je tiens le levier. Va la chercher, fit une voix essoufflée près de son oreille. Dépêche-toi !

Sans se retourner, Louise se précipita vers Sibylle. Elle la tira loin de la poutre qui s’effondra dans un nuage de poussière pâle. La Créatrice tomba à genoux près de la voleuse, crachant ses poumons. Lucas s’accroupit à son côté et posa une main sur son épaule.

— Tout va bien, Princesse ?

Pour la seconde fois, le jeune homme semblait sincèrement inquiet. Louise acquiesça sans le dévisager. Elle leva finalement la tête vers lui, plongeant ses yeux émeraude dans le regard bleu glacé. Il lui rappelait tant Conan : ses jolies pommettes saillantes, sa bouche fine et délicate. Tout en cet homme ramenait Louise au souvenir de son amant et amour. Involontairement, elle s’était rapprochée de lui, réduisant l’écart séparant leur visage au-dessus de la jeune femme inconsciente.

C’est à ce moment-là que Sibylle se réveilla. Elle se redressa d’un coup, espaçant les deux Créateurs. Louise reprit ses esprits et se mit debout, tournant le dos aux retrouvailles écœurantes du couple.

La brume s’était à présent éloignée et la vue était dégagée. Il ne restait plus que des ruines du phare, ainsi que la fine couche de particules immobile à quelques centimètres du sol. Des morceaux de pierre, de plâtre et de verre s’étalaient sur plusieurs dizaines de mètres, comme si l’ouragan qui avait soufflé sur les plaines vides avait également balayé la tour. Les fragments de murs étaient comme ils les avaient vus en explorant le sémaphore, aussi pâles que le désert à l’extérieur et sombres comme la nuit à l’intérieur. Louise se retourna vers les deux jeunes, ignorant leurs regards langoureux.

— C’est moi qui ai causé cela, prononça-t-elle. Avec mon pouvoir incontrôlable, j’ai détruit le phare.

Elle s’arrêta et posa ses yeux sur Sibylle qui était maintenant attentive.

— Et je t’ai blessée, ajouta-t-elle en baissant le regard.

La Princesse culpabilisait. Comment pouvait-elle s’occuper d’un peuple, le diriger, le guider, alors qu’elle le mettait en danger ? La jeune voleuse à la chevelure de feu se redressa, aidée de Lucas. Elle s’avança jusqu’à la responsable qui dut supporter le regard vert sombre de sa rivale.

— Si ce sont des excuses, Louise, je les accepte, fit-elle avec un sourire timide aux lèvres.

La rouquine tendit sa main vers la Créatrice.

— Et si on faisait la paix, proposa-t-elle.

D’abord étonnée, l’intéressée ne bougea pas. Elle observait Sibylle avec de grands yeux ronds. Puis elle croisa la mine encourageante de Lucas. Elle prit alors les doigts de la jeune femme et les serra timidement, puis avec conviction.

— Cela ne change rien au fait que je ne te fais pas confiance, précisa la Princesse.

— Évidemment, répondit Sibylle étirant de plus belle ses lèvres pourpres, laissant apercevoir ses parfaites dents. Allons-y progressivement.

Elles se lâchèrent la main en riant de façon légère. Lorsqu’elles se tournèrent vers Lucas, leur sourire s’évanouit. Le jeune homme semblait agacé.

— Maintenant que vous avez fini vos copinages, nous pourrions peut-être essayer de retrouver le reste du groupe, s’impatienta-t-il.

Les deux femmes acquiescèrent d’un même mouvement de tête.

***

Lucas

Lucas était ennuyé. Sibylle et Louise ne se supportaient pas et, alors qu’ils se trouvaient dans une situation extrême, voire dangereuse, elles faisaient connaissance, papotaient, se souriaient. Le jeune Créateur avait l’impression de perdre du temps pendant que Johny, Hans et Tadjou étaient quelque part sous les décombres. Même si une part de lui appréciait de voir les deux femmes se rapprocher, il trouvait le moment inapproprié.

Il parcourut les ruines du regard. Le brouillard s’était dissipé, mais une fine couche de poussière blanche restait suspendue dans les airs. C’était comme si l’attraction terrestre, s’il y en avait une dans ce monde, n’influençait pas cette poudre de plâtres qui flottaient à une vingtaine de centimètres du sol.

Curieux, Lucas passa la main dans l’étrange nuage, déplaçant comme de minuscules grains de sable. Il regarda sa paume et ses doigts, mais il n’y avait rien. Pourtant, il sentait les particules sur sa peau lui faisant parcourir des frissons, mais il ne pouvait les attraper.

— On dirait des paillettes, fit Sibylle, qui semblait intéressée par l’étrange phénomène également.

Le jeune homme ne releva pas. Il était hypnotisé par cette brume de poussière, comme indépendante de la dimension temporelle. Il fut alors surpris et sursauta lorsqu’un grand fracas se fit entendre derrière lui. Sa partenaire poussa un petit cri aigu.

— Qu’était-ce ? s’affola Louise, un peu plus loin.

Un nouveau bruit de pierre brisée retentit. Puis encore un, et un autre. Cela ressemblait à des impacts portés sur un bloc. Lucas se précipita vers le lieu d’où provenaient maintenant des craquements de roche se fendant. Il vit un pan de mur se craqueler. Les coups continuaient de battre tandis que des morceaux de pierre se détachaient, agrandissant les fissures. Le Créateur s’empressa d’aider la personne qui semblait sous les décombres de ce large mur.

Le prisonnier n’eut cependant pas besoin de son assistance. Un dernier choc propulsa des débris vers Lucas qui dut se protéger le visage. Il perdit un instant l’équilibre et toussa la poussière qui s’était infiltrée dans sa bouche. Lorsqu’il put de nouveau ouvrir les yeux, un large trou s’était formé dans le mur et une grande main ensanglantée semblait essayer d’en sortir. Le jeune homme s’approcha et aperçut Hans, recouvert de plâtre.

— Les filles, cria Lucas. Venez m’aider !

Louise et Sibylle accoururent. À trois, ils réussirent à extirper le géant de la fosse. Johny, toujours inconscient, gisait au fond de la crevasse. Hans avait dû le protéger avec sa grande carrure. Ils récupérèrent l’homme évanoui et l’emmenèrent loin des décombres. C’est alors que la poussière en suspension se mit en mouvement. Elle tournoya autour des ruines blanches, formant une colonne de débris. Les Occupants durent reculer jusqu’à sortir de la tornade, les particules voletaient en cercle de plus en plus vite, leur brouillant la vue.

Sous leurs yeux ébahis, chaque pierre, chaque mur, chaque fenêtre, chaque marche constituaient un tourbillon qui se solidifiait. Les pièces s’assemblaient entre elles, tout revenait à sa place initiale. Du haut vers le bas, le phare se reformait de lui-même : la coupole, la salle vitrée, le balcon, l’escalier en colimaçon, les murs extérieurs. Lucas crut même apercevoir un filament rouge apparaître près des marches.

Le calme s’installa de nouveau dans les plaines vides, comme si rien ne s’y était passé. Ils se détaillèrent tous. La main de Hans guérissait et Sibylle reprenait des couleurs. Louise s’était agenouillée sur le corps de Johny. L’homme était toujours inconscient et Lucas remarqua que sa veste et son tee-shirt étaient complètement déchirés et ensanglantés. La Princesse essaya de le réveiller en l’appelant, mais il ne bougeait pas.

Pas très grand, il avait les cheveux foncés et décoiffés. Une barbichette noire surplombait sa mâchoire carrée. Louise retira ses vêtements abîmés et lui en enfila un qu’elle venait de créer. Il ressemblait à présent à un homme de la Renaissance et Lucas ne put retenir un sourire.

Avant que quelqu’un ne l’en empêche, Hans donna une grande gifle à Johnny sur le sol. Ce dernier se releva d’un seul coup, poussant un cri de fureur, une main sur sa joue rougie.

— Voilà, fit bêtement le colosse. Il est réveillé.

— Mais ça va pas dans ta tête, s’énerva le pauvre homme. Tu m’as fait mal.

Hans rigola, traitant Johny de chochotte avant de l’aider à se relever. Ce dernier se laissa faire tout en jetant tout de même un regard noir au géant. Louise s’approcha de lui, vérifiant que leur compagnon n’avait pas de séquelles. Toujours un peu agacé, Johny remarqua ses vêtements. Il tira sur son haut, se tournant vers la Princesse.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il, choqué.

— Comment cela ? répondit-elle, surprise.

Il lui montra sa tenue, apparemment scandalisé par le peu de charme et de tendance dont elle faisait preuve.

— C’est un pourpoint, se reprit Louise. Un vêtement porté par les hommes de bonne famille à mon époque.

Lucas, n’en pouvant plus, pouffa de rire, accompagné de Sibylle. La Princesse leur jeta des éclairs avec ses yeux. Le jeune Créateur devait se tenir les côtes tellement l’hilarité s’était emparée de lui. Il ne s’était pas autant amusé depuis la disparition de son frère. Il remercia Louise en essuyant des larmes qui s’étaient échappées pendant sa gaieté.

Après s’être calmé, il pensa à des vêtements plus modernes, qu’il offrit à Johny. L’homme se précipita dessus afin de retirer l’horreur qu’il portait. Vexée, Louise le brusqua lorsqu’il fut habillé.

— Maintenant que tu as fini de faire ta diva, s’irrita-t-elle. Peux-tu nous raconter comment tu t’es retrouvé dans ce phare ?

Lucas voulait également connaître la réponse. Il était avec eux lorsque la tempête les avait surpris. Plusieurs questions tournaient dans sa tête, mais il attendit la version de l’homme avant de les poser. Johny semblait gêné tout à coup. Il se mordilla la lèvre, puis affronta le regard de ses compagnons.

— Lorsqu’il y eut l’ouragan, relata-t-il. J’ai vu… Je vous ai perdu, se reprit-il rapidement, comme s’il ne voulait pas parler de sa peur. Je vous ai appelé, mais personne ne me répondait. Il se trouve que mon père était marin, il m’a appris deux ou trois choses sur la navigation. Alors, quand j’ai vu le faisceau du phare, je me suis dit que c’était le meilleur moyen pour se retrouver. J’ai donc traversé les nuages de fumée jusqu’à la lumière. Il n’y avait personne, donc j’ai attendu. J’ai dû m’évanouir, parce que je ne me souviens de rien avant de me faire réveiller par une lame qui me tranchait la gorge. J’ai essayé de bouger, mais le couteau repassait à chaque fois, ne me laissant pas le temps de guérir et m’échapper.

L’homme baissa la tête. Il paraissait accablé par le rappel traumatisant de cette expérience. Hans posa une main bienveillante et amicale sur l’épaule affaissée du trentenaire. Ce dernier lui sourit faiblement pour le remercier. Le colosse semblait être une personne agissant avant de réfléchir, mais une aura d’altruisme et d’affection l’enrobait à présent aux yeux de Lucas. Les membres de l’expédition avaient toujours été de simples soldats qui les accompagnaient pour assurer la sécurité de la Princesse, mais le garçon prenait conscience de leur humanité et leur soif d’aventure. Ils étaient là pour la protection, mais également pour traverser les plaines vides au titre d’explorateurs.

— Est-ce que tu penses que c’est quelqu’un qui t’a porté dans ce phare ? osa demander le Créateur, se reconcentrant sur la conversation.

Johny resta un instant songeur.

— Je ne sais pas, avoua-t-il. Je n’étais pas conscient lorsque j’ai été déplacé. Dans ce monde, ça peut être n’importe qui ou n’importe quoi. Au fond de moi, j’ai l’impression que l’aiguille qui pompait mon sang était comme vivante et que j’ai été traîné par une corde ou un tube, je ne saurais l’expliquer, tout est flou.

Il s’arrêta un instant, jetant des coups d’œil autour de lui.

— Où est Tadjou ? questionna-t-il.

Lucas réalisa également l’absence du jeune garçon. Il concentra sa pensée sur leur compagnon.

« Tadjou ? M’entends-tu ? »

Aucune réponse. Le groupe s’affola. L’adolescent s’était volatilisé de la même façon que le trentenaire avant lui. Semblable à un pressentiment, Lucas ne voulut pas croire à une coïncidence. À chaque nouvelle épreuve, un des leurs disparaissait, comme pour leur montrer le chemin jusqu’à leur objectif. Ils cherchèrent autour du phare, l’appelèrent, mais le Dominicain ne se trouvait pas dans les environs. Hans se risqua seul dans la tour damnée. Quelques minutes plus tard, il en sortit sans Tadjou et couvert de sueur. Pendant ce temps, le Créateur fouilla dans son sac à dos, étonnamment toujours indemne. Il attrapa sa sphère métallique.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda le colosse qui s’était rapproché avec la jeune femme rousse.

L’homme tremblait encore de son expérience dans le phare, mais il semblait vouloir le cacher au reste du groupe.

— Une carte, répondit Sibylle. Tu peux trouver Tadjou avec ça ? interrogea-t-elle à l’intention de l’inventeur du gadget.

Lucas appuya sur un bouton. Un hologramme d’une couleur bleutée apparut sous le regard médusé de Hans et celui admiratif de la jeune femme. Le géant ne semblait pas connaître cette technologie, car il passa son bras à travers, de plus en plus étonné par cette illusion sans consistance.

— C’est curieux comme truc, prononça-t-il.

Lucas lui sourit avant de zoomer sur les plaines vides à l’aide de deux doigts qu’il écarta l’un de l’autre. Quatre petits triangles écarlates montraient leur position, seul Johny n’avait pas encore son pictogramme. Par la pensée, il plaça un phare à quelques mètres d’eux sur la carte, identique à celui qui venait de se reconstruire à l’instant. Il pointa les marqueurs et expliqua :

— Les indicateurs rouges, c’est nous. On peut voir le château plus loin et également que nous avons parcouru 243 kilomètres.

— En un jour ? s’étonna Hans.

— Non, lui répondit Sibylle. Je me suis fait la réflexion, mais je pense qu’il n’y a pas de jour ou de nuit dans les plaines vides. Il fait constamment lumineux. Si ça s’trouve, on est parti depuis plusieurs jours.

Lucas acquiesça d’un signe de tête, lui aussi avait remarqué ce phénomène. Tout en expliquant qu’il avait ajouté le phare près d’eux, il essaya de chercher l’indicateur de Tadjou.

— Comment vas-tu le retrouver ? demanda sa partenaire.

Mal à l’aise, le Créateur ne releva pas tout de suite la tête. Quand il le fit, il vit le regard inquisiteur de son amie.

— Eh bien…, commença-t-il.

— Que nous caches-tu, Lucas ? interrogea Louise qui les avait rejoints avec Johny.

Le jeune homme prit une grande inspiration.

— Je ne vous en ai pas parlé avant, parce que je pensais que vous m’en voudriez de ne pas vous les avoir données avant la tempête, argumenta le garçon en se dandinant d’un pied sur l’autre.

— Accouche, le brusqua Hans.

— Dans les billes de télépathie, j’y ai ajouté un traceur connecté à la carte holographique. C’est-à-dire que grâce à cela, je sais exactement où vous êtes.

— Les billes de télépathie ? C’est quoi ? demanda Johny.

Personne ne lui répondit. Lucas baissa les yeux vers l’image bleue devant lui, attendant les réprimandes de la Princesse. Mais il fut étonné d’entendre :

— Cela veut dire que nous allons retrouver rapidement et facilement Tadjou ? admira-t-elle.

Sibylle hocha la tête avec un sourire et Hans donna une tape virile dans le dos de Lucas pour le féliciter. Les quatre compagnons se penchèrent sur la carte avec Lucas pour essayer de trouver leur ami. Seulement, elle n’était pas complète. Difficile de savoir s’il y avait des rivières, des crevasses ou alors des habitations là où ils aperçurent le triangle rouge appartenant au jeune Dominicain. Ils étaient néanmoins sûrs d’une chose, le garçon se trouvait à seulement quelques kilomètres d’eux au Sud.

Ils se mirent donc en route en direction de l’indicateur affichant l’emplacement de Tadjou ou de son oreillette tout du moins. Lucas tenait la sphère métallique dans la main et dirigeait le groupe. Sur le chemin, il fit apparaître une bille beige de télépathie pour Johny, lui expliquant son utilité. L’homme l’inséra dans son oreille et le Créateur vérifia le curseur rouge, représentant le trentenaire, s’afficher sur la carte.

Alors qu’ils marchaient silencieusement, Lucas sentit tout à coup un grand vide. Il poussa un hurlement de douleur et s’effondra à genoux, lâchant la sphère. Ses compagnons s’affairèrent autour de lui, mais il ne les voyait plus. Le déchirement dans son cœur l’empêchait de respirer. Il criait à pleins poumons, mais n’entendait pas le son de sa voix. Tout son corps le faisait affreusement souffrir. Mais c’était principalement sa poitrine qui menaçait d’imploser.

— Lucas ? crut-il ouïr près de lui.

Une main essayait de le calmer dans sa crise d’angoisse. Il était maintenant roulé en boule sur le sol et il suffoquait. Pourquoi ses poumons refusaient-ils l’oxygène ? Ses yeux se voilaient par moments, lorsqu’il ne voyait pas des flashs blancs aveuglants.

« Lucas ! fit une voix entre ses deux oreilles. C’est moi, Sibylle. »

Que faisait-elle dans sa tête ?

« Laisse-moi ! », pensa-t-il très fort.

Les doigts sur son épaule se retirèrent d’un seul coup. Entre deux éclairs éblouissants, il aperçut la jeune femme rousse à terre, les mains sur les oreilles. Quelqu’un d’autre essaya d’entrer dans son crâne. Il le repoussa une fois de plus et c’est Johny qui se retrouva à genoux, la tête dans les bras.

« Calme-toi. », murmura une douce et jolie voix.

À qui appartenait-elle ? Lucas regarda autour de lui. La douleur était toujours présente, mais sa vision revenait peu à peu. Hans s’occupait de Johny et Sibylle, un peu plus loin. Louise avait les yeux fermés devant lui.

« Louise ? »

« Calme-toi, Lucas. », répéta la voix.

Inconsciemment, cela l’apaisa. La quiétude l’envahit comme la souffrance l’avait fait auparavant. Le jeune homme n’avait jamais remarqué le timbre agréable et reposant de la Princesse. Il réussit finalement à se redresser en tailleur.

— Que…, essaya-t-il de dire.

— Doucement, prends ton temps.

La Créatrice, assise devant lui, avait ouvert les paupières et le regardait avec inquiétude. Lucas inspira profondément, puis souffla tout l’air de ses poumons. Il recommença plusieurs fois pour apaiser les battements de son cœur. Il y ressentait toujours un grand vide, comme s’il avait perdu quelque chose ou quelqu’un. Et il savait exactement ce que cela signifiait.

— Tom, prononça-t-il avec difficultés. Je ne le sens plus, je ne sens plus sa présence dans ce monde.

 ***

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