25 Les émules de Claires

Notes de l’auteur : ATTENTION PARTICULIERE.
Ce chapitre peut-être, pour certaines personnes, assez difficile à lire. Les sujets abordés sont emprunts de violence et de traumatisme.

   Quel Lundi ! Mais quel Lundi !

   La tête de Claire lui faisait atrocement mal ; appuyée contre la vitre du tramway, elle essayait d’appliquer le plus de fraîcheur possible sur son front bouillant.

   L’attaque terroriste qu’avait subit le laboratoire lors de l’inauguration avait tout chamboulé. Une pagaille monstre, voilà ce que c’était ! Des gens de la haute sphère demandaient des comptes, provoquant l’avalanche d’une quantité abominable de travail. Et pour couronner le tout, Dupieux…

   Monsieur Dupieux

   …Monsieur Dupieux, était encore plus exécrable que d’habitude. Tout le monde en prenait pour son grade, et évidemment, particulièrement Claire et Marie.

   Vraiment un sale con.

   …pensa tout bas Claire, comme si il pouvait entendre ses pensées. Il était plus de 20h et elle rentrait enfin chez elle. Dupieux

   Monsieur Dupieux

   …Monsieur Dupieux les avait retenu toute la journée, les faisant suer jusqu’à la déshydratation. C’était sans doute cela, le mal de crâne.  Son obligation de s’absenter en fin de soirée fut l’opportunité pour les filles de filer à l’anglaise, Claire passant devant, Marie assurant la fermeture des bureaux. Marie en avait décidé ainsi. Elle était si gentille… Que ferait-elle sans elle ?

   Son soupir embua la vitre du Tramway. A cette heure, en période estival, il était pour son plus grand bonheur pratiquement vide. Et dire qu’il fallait y retourner le lendemain ! Dupieux sera d’une humeur encore plus massacrante. Il leur reprochera de …

   Ting !

   Le smartphone de Claire l’interrompit dans ses pensées. Elle le sortit de sa poche, et remarqua qu’une notification brillait en arrière plan.

 

   Le journal du Calvados

 

   La Walkyrie ou la vraie justice ?

   Après les révélations chocs de celle qui se fait appeler Justice, et la colère populaire qui en a découlé, le procès Faquin est rouvert. La position du député serait-elle-même remise en question.

 

   Claire lut l’article à toute vitesse, et se surprit à sourire bêtement. Enfin une chose de bien, de concrète, qui arrivait dans sa vie, et dont elle était une des principales actrices.

   Elle soupira encore, emplissant ses poumons d’air frais. Frais, si on faisait fit de l’odeur d’huile de noix rance que dégageaient ses aisselles. Ses vêtements étaient si poisseux qu’elle avait l’impression que son slip avait rétrécit de deux tailles ; il lui rentrait très désagréablement dans les fesses. Elle rêvait de sa douche tiède. Après ça…

   Après ça, nouvelle cible pour Alice, pensa-t-elle avec un sourire espiègle.

   Elles avaient jeté leur dévolu sur Joseph Eccleston, PDG d’une entreprise du bâtiment ayant obtenu de juteux contrats ; quelques bonnes ficelles et des amis bien placés avaient donné un nouveau souffle à la PME.

  Bref, comme souvent, l’accession a un peu de pouvoir s’accompagnait d’un penchant exagéré pour de jeunes filles à peine sorties de l’adolescence.

   Claire serra les dents.

   Je hais les hommes.

   Claire avait profité des quelques minutes de sa pause-déjeuner pour voler les preuves nécessaire à la justice d’Alice. Ce fut une petite bouffée d’air réconfortante lors de cette terrible journée. Profitant de l’inattention de ses collègues, elle avait imprimé les dossiers confidentiels entre deux dossiers officiels, qu’elle avait placés directement dans la petite chemise violette. Chemise violette qu’elle glissa délicatement dans son…

   Les yeux de Claire s’écarquillèrent, son sang gela sur place. Elle releva sa tête lentement, le cœur résonnant dans ses côtes. Ouvrant à demi son sac, ses craintes se confirmèrent. Dans la tourmente, le surmenage de la journée, Claire avait laissé la chemise violette sur le bureau ! Elle la visualisait, là ! En. Plein. Milieu. Du. Bureau !

   Mais quelle CONNE ! QUELLE CONNE QUELLE CONNE QUELLE CONNE !

   Claire bondit de son siège, se précipitant vers la porte coulissante fermée, se préparant à sortir dès que cette dernière s’ouvrirait. Elle tapotait nerveusement son sac qu’elle serrait contre sa poitrine. La ram s’arrêta et elle se faufila dans l’entrebâillement avant même que les portes ne s’ouvrent entièrement. Elle sauta sur le quai, bousculant les badauds présents et ce malgré son poids plume. Le soleil entamait sa descente ; il fallait se dépêcher avant que n’arrivent les femmes de ménage.

   Vite vite vite !

   Claire courait aussi rapidement que ses petites jambes le lui permettaient. Elle coupa par des rues qu’elle ne prenait jamais, sautait par-dessus des poubelles, des bancs. Son sac valdinguait sous ses aisselles, tantôt lui tapant le dos, la tête où les côtes.

   Enfin, totalement rougie par l’effort, elle arriva au pied de l’immeuble, d’où elle remarqua qu’aucune lumière ne miroitait aux fenêtres, ce qui lui enleva déjà un gros poids. Elle calma sa respiration, sortit son badge de son sac d’une main tremblotante, et se dirigea d’un pas discret vers l’entrée. Ici aussi, tout était éteint. En montant les premières marches de l’escalier, elle remarqua la voiture de Marie sur le parking. Bizarre. Mais après tout, elle n’habitait pas si loin.

   Claire monta rapidement les dernières marches et se retrouva dans le hall de leurs bureaux, près de la porte en verre. En rentrant sa clé, elle remarqua que la porte n’avait pas été fermée. Elle fit dépasser sa tête et lança un regard circulaire dans la pièce, et ne voyant ni n’entendant aucune présence, se dirigea à pas feutrés sur la moquette molle en direction de son bureau. Elle exultât silencieusement : la chemise était toujours là, posée exactement dans la position où elle l’avait laissé. Sa tension retomba d’un coup, l’épuisant, ravivant son mal de tête. Elle était cependant soulagée ; un sourire au coin, elle attrapa la chemise et la plaça délicatement dans son sac, comme elle aurait dû le faire quelques heures avant, vérifiant trois fois que le dossier était bel et bien dedans. Un fracas lointain la fit sursauter. Replaçant son sac en bandoulière, elle se dirigea vers la source du bruit, sur ses gardes; quand elle fut au niveau de la porte de l’ascenseur, un cri fendit l’obscurité.

   — Pitié, NON !

   Cela venait du bout du couloir, des toilettes !

   Deux personnes s’y trouvaient, et le tenant de leur conversation n’était en aucun cas amical. N’écoutant que son courage, Claire s’approcha encore. Une nouvelle plainte se fit entendre :

   — Arrêtez, s’il vous plait…

   C’était Marie ! Elle sanglotait horriblement, emballant le cœur de Claire.

   — Tais-toi ! lui répondit l’autre personne. Je sais que tu en as envie. T’es une belle petite salope toi tu sais ?

   Dupieux !

   Le visage poupon de Claire s’effaça, laissant place à un faciès stoïque, sans vie, fixe devant la porte. La lueur dans ses yeux devint glaciale, sa posture guerrière. Elle laissa tomber son sac à terre.

   — Non, non c’est faux ! sanglota Marie. Arrêtez, lâchez-moi !

   — Tu n’as pas à refuser de toute façon ! Tu es A MOI.

   Claire ne put se contenir plus longtemps ; elle agrippa la poignée de porte de toutes ses forces, cette dernière explosant dans sa main comme un vulgaire morceau de craie. La poignée devenue inutilisable, Claire enfonça la porte d’un simple coup d’épaule, avec une facilité déconcertante ; elle en fit sursauter Mickaël Dupieux qui se trouvait bel et bien de l’autre côté, et dont la tension était parfaitement visible au travers de son pantalon.

   Connard.

   Elle fixa de ses prunelles iceberg son patron ; il avait retourné Marie qu’il plaquait dans un coin, entre le mur et le lavabo, l’empêchant de bouger, de s’échapper. Une main agrippant son sein qu’il martyrisait, il tirait avec l’autre le pantalon de Marie vers le bas, emportant avec sa culotte, la laissant les cuisses à l’air, le haut de la raie des fesses visible, l’entrejambe de Mickaël menaçante à seulement quelques centimètres. Les yeux noisette de Marie suppliaient à l’aide.

   — Qu’est ce que tu fous là toi morveuse ? beugla Mickaël, passablement énervé d’être interrompu.

   Claire le fixait toujours, penchant la tête de quelques degrés, remarquant enfin la petitesse de l’être qu’elle avait en face de lui. Ces années gâchées à cause d’un tel déchet. Il n’en valait vraiment pas la peine.

   — Tu vas la laisser partir, Mickaël, ordonna-t-elle d’une voix froide, s’appliquant sur chaque syllabe.

   Les joues de Mickaël prirent une teinte écarlate. Il ne s’attendait pas à un tel affront, surtout de sa part. Claire ne bougea pas d’un sourcil.

   — Et qu’est ce que tu comptes faire petit poulet ? demanda Mickaël. Tu sais bien que tu ne peux rien contre moi. Regarde !

   Mickaël plaqua de plus belle Marie contre le mur, son souffle contre sa nuque, et glissa une main vicieuse dans sa culotte. Marie hurla comme jamais, allumant une rage inextinguible dans la poitrine de Claire.

   — Tu vas le payer très cher ! lui promit Claire en serrant fortement ses dents. Elle avança vers lui d’un pas décidé, et enfin il s’éloigna assez de Marie pour qu’elle puisse s’échapper vers l’autre coin de la pièce. Claire leva le poing droit en l’air, et Mickaël attendit sa venue, bras ouvert. A son approche, il descendit sa main en un éclair pour la gifler.

   Grave erreur.

   D’un reflexe, Claire arrêta le soufflet avec aisance. Leurs yeux se croisèrent ; les pupilles de Claire étaient toujours froides, et purulaient de mépris ; dans ses yeux à lui, c’était l’incompréhension. Il n’eut pas le temps d’analyser ce qui se passait ; alors qu’elle tenait toujours son poignet de sa main gauche, de l’autre elle l’attrapa par le col ; pivotant sur elle même, elle lança Mickaël contre les urinoirs du fond où il s’écrasa avec lourdeur, cassant une partie de la faïence qui vola en éclat dans la pièce. Marie poussa un nouveau cri de terreur, se recroquevillant de plus belle dans son coin, les mains sur la tête.

   Mickaël soupira de douleur, s’extirpant de la poussière blanchâtre des décombres en se remettant sur ses fesses. Il porta deux doigts à son nez et découvrit avec horreur qu’il saignait abondamment.

   — Mais qu’est ce que tu as fait ?...

   Claire s’avança rapidement vers lui, avec une telle détermination dans le regard que Mickaël se liquéfia de terreur. Elle l’attrapa de nouveau par le col, et Mickaël tenta de la repousser de toutes ses forces. Ses deux mains agrippèrent le poignet droit de Claire, mais il avait beau tirer, pousser, serrer du plus qu’il le pouvait, Claire ne bougea pas d’un pouce. Au contraire, elle semblait s’en amuser, et un sourire narquois à la commissure de ses lèvres le terrorisa de plus bel.

   — Bah alors Mickaël, on ne rivalise pas avec la force d’une morveuse ?

   — C’est… gnn, arf… c’est… c’est impossible !

   Il se débâtait, s’agitait dans tous les sens, sans jamais ne serait-ce qu’égaler la force de Claire. Elle attrapa sa main gauche dans la sienne, cette main pernicieuse qui avait osé toucher le sein et l’intimité de Marie. Les yeux de Claire s’enflammèrent de fureur, et elle broya entre ses doigts ceux de Mickaël, qui hurla de douleur. Elle approcha sa tête de la sienne, toujours les yeux en furie, et lui cracha au visage :

   — Plus JAMAIS !

   Elle lança Mickaël à travers les cloisons des toilettes, qui explosèrent sous l’impact en une pluie d’éclat d’aggloméré. Mickaël en traversa une, puis deux, puis trois, dans un fracas de tous les diables, brisant la porcelaine des toilettes et, provoquant des geysers d’eau. Sa course s’arrêta dans la troisième toilette ou il resta écroulé à terre, inconscient, sous un amoncellement de débris, le visage maculé de plaies et de sang.

   Claire admira son travail, au travers des cloisons détruites. Mickaël respirait encore. Un nuage de poussière resta là, stagnant, reposant.

   Claire reprit conscience d’elle même en entendant des sanglots derrière elle.

   Marie !

   Marie était toujours avachie en position fœtale dans son coin. Elle s’en approcha doucement, mais la jeune femme se recroquevilla de plus belle à son approche, criant pour la repousser.

   — Marie ! Marie c’est moi, c’est Claire ! Je ne te veux pas de mal !

   — Va-t’en !

   — Marie !

   Claire posa une main douce sur son bras.

   — Je ne te veux aucun mal, je suis là pour t’aider.

   Marie calma un peu ses pleurs, et posa son regard sur Claire, et sur les toilettes explosées. Elle se cacha de nouveau sous ses mains.

   — Tu es… tu es un monstre !

   Un monstre ?

   — Mais Marie, je… je…

   Claire se rendit compte de toute la pagaille qui l’entourait. C’était vraiment elle qui avait fait tout ça ? Elle secoua la tête et se retourna vers son amie.

   — Marie, je t’en supplie, viens ! Tu ne peux pas rester là !

   Marie écarta les mains de ses yeux, regardant ceux de Claire qui n’étaient plus qu’amour et compassion. Elle hocha alors la tête, et se redressa tant bien que mal. A peine fut-elle remise sur ses genoux qu’elle eut un violent haut-le-cœur et vida son estomac sur le carrelage, Claire lui attrapant par reflexe ses cheveux et l’aidant à évacuer d’un frottement dans le dos. Marie tremblait, ses jambes flageolaient. Elle l’aida à se rhabiller, remettant en place son débardeur et son gilet, releva son pantalon et sa culotte. Marie redressa la tête, toujours à genoux, et essaya de se lever, sans succès ; elle était bloquée dans une torpeur qui l’empêchait de desserrer les jambes. Elle pleura à chaudes larmes.

   — Il m’a… il m’a…

   — Je sais Marie, je sais. Prends le temps qu’il te faut.

   Claire la soutint par l’épaule pour l’aider à se relever. Après maints efforts, Marie était debout, pas droite mais debout, accrochée à la vasque du lavabo, essayant de reprendre pied. Ses cuisses étaient toujours insécables.

   — J’ai l’impression de sentir toujours sa main dans… sur mon…

   Marie relâcha de nouveau son estomac dans le lavabo, par spasmes douloureux, devenant blanche comme un linge. Claire ressentait son mal, et tenait avec la haine. Derrière, Mickaël commençait à reprendre conscience. Il remuait et poussait des soupirs douloureux.

   — On va devoir y aller Marie, lui dit Claire en lui tenant les épaules. Tu te sens capable de marcher?

   Marie la regarda les yeux rougis, et fit non de la tête en fondant en larme sur son épaule.

   — Ce n’est pas grave. Viens.

   Claire tendit ses bras, pour l’accueillir, et Marie la regarda avec incrédulité.

   — Je peux ? demanda Claire en remuant les mains.

   Après quelques secondes d’interrogation, Marie hocha doucement la tête. Claire passa sa main derrière sa cuisse, et la souleva dans ses bras, comme si Marie était une enfant, puis se dirigea vers la sortie.

   — Mais comment ? Comment ? lui demanda Marie.

   — Je t’expliquerais.

   Marie s’agrippa alors à son cou, trimballée comme un poupon. Elles dépassèrent Mickaël qui reprenait toujours conscience, Marie remarquant alors son état.

   — Il… il va s’en sortir ?

   — Oui. Il aura peut-être quelques séquelles.

   — Et s’il te dénonce ?

   — Il a trop d’amour propre pour ça.

   — Et s’il s’en prend à d’autres filles ?

   — Alors je reviendrais.

    Elles passèrent devant le sac de Claire déposé à l’entrée, et Marie le ramassa. Puis elle posa sa tête contre la poitrine de Claire, se blottissant comme un chat, protégée par sa présence.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez