Cela faisait plusieurs jours qu’Ephrem avait quitté Yggdol. Seul, il avait appris à se débrouiller, entre autres pour se nourrir et trouver un abri pour la nuit. Son périple l’avait finalement conduit à Divel, une bourgade animée, nichée à l’ouest de Cemen. C’était la dernière étape avant d’atteindre le château de Mellas, le roi immortel.
Le jeune homme venait de passer une nuit dans un établissement bien connu : l’Auberge royale. De toutes celles qu’il avait visitées, celle-ci était sans l’ombre d’un doute le plus beau, le plus confortable, mais également le plus cher ! Dorénavant habitué à la monnaie Humaine, il était maintenant conscient de la somme importante qu’il avait reçue en cadeau par Cherdrude.
Encore engourdi par le sommeil, Ephrem descendait les marches avec lenteur, ses paupières encore lourdes. Comme chaque matin, un petit-déjeuner copieux l’attendait dans le vaste salon de l’auberge. Au centre de la grande salle, une immense table débordait de pâtisseries au haricot rouge, spécialité locale de Divel. Désormais habitué à cette couleur insolite pour des gâteaux, il se laissa tenter par une tarte d’un rouge profond, presque sanguin. Dès la première bouchée, un goût poivré et puissant lui arracha une quinte de toux. Pourtant, une fois la surprise passée, il trouva l’alliance des saveurs plutôt agréable. Il engloutit le reste de la tarte en trois bouchées, avant de se lécher les doigts avec satisfaction.
Ce n’est qu’après avoir satisfait sa faim qu’il se rendit compte des changements autour de lui. L’auberge semblait avoir revêtu un nouvel éclat, plus flamboyant que jamais. Partout, le rouge dominait, agressant presque son regard. Comment n’avait-il pas remarqué plus tôt cette effusion de couleurs vives ? Chaque table était recouverte d’une toile cirée écarlate, sur laquelle reposaient des couverts étincelants qui reflétaient la lumière d’une façon presque aveuglante. Tout semblait neuf, brillant, saturé de teintes ardentes, jusqu’à la nourriture elle-même. Il avait l’impression d’être au beau milieu d’une fournaise.
Le ventre plein, Ephrem quitta L’Auberge royale, se frayant un passage parmi les habitants affairés à ajouter encore plus de décorations flamboyantes. Il se dirigeait vers le château du roi immortel, dont on pouvait voir les immenses tours depuis la rue. Cela faisait presque trente minutes qu’il marchait à bon rythme dans la ville bondée, quand il arriva à proximité d’un vendeur ambulant particulièrement bruyant. Il s’approcha pour voir ce que proposait cet hurleur.
— Bonjour ! dit simplement Ephrem, dont les yeux balayés des produits ordinaires.
— Bonjour mon très cher monsieur ! cria le vendeur en baissant la tête vers Ephrem. Qu’est-ce qui ferait plaisir à… commença-t-il avant de s’interrompre.
Ephrem, concentré sur les produits étalés devant lui, ne remarqua pas que le vendeur s’était figé en voyant son visage. Mais un TOI ! tonitruant le fit sursauter et relever la tête brusquement. Un homme grand et costaud, au visage empourpré, le fusillait du regard, les yeux rétrécis à deux simples fentes.
— Oui, c’est bien toi ! gronda l’homme, je te reconnais.
Le cœur battant à tous rompre, Ephrem reconnut l’homme qui se dressait devant lui. C’était Marve, l’un des hommes qu’il avait combattus au Cémenois ronfleur et qui le croyaient responsable du massacre de Luctès.
Ephrem mit une main sur son épée accrochée à sa taille et recula si rapidement qu’il faillit chuter. Mais à son grand étonnement, il vit Marve, une main sur une hanche, et l’autre derrière la tête, riant à gorge déployée.
— Houa ! Houa ! Houa ! Houa ! croassait-il joyeusement. Ne t’inquiète pas, je ne te veux aucun mal.
En position de combat, Ephrem resta éloigné des bras puissants de Marve, guettant le moment où il essaierait de lui sauter dessus par surprise.
— Je vois que tu me fais pas confiance, aboya Marve en continuant à rire. Normal, je vous ai attaqué sans raison. Excuse-moi. Maintenant je sais que les vrais responsables sont ces bêtes répugnantes de Tranek. Pour me faire pardonner, continua-t-il, je t’offre à toi et à ton ami ce que tu veux là, dit-il en désignant sa marchandise d’une main remplie de durions.
— Je suis seul, lui répondit Ephrem, ma sœur n’est pas avec moi.
— Ah bon ! s’exclama Marve en levant un sourcil. Alors c’est qui elle ? demanda-t-il en pointant un large index vers une fille qui se trouvait juste à côté d’Ephrem.
Méfiant, pensant que c’était une ruse du grand costaud pour le prendre par surprise, Ephrem tourna lentement la tête vers la direction qu’il lui montrait.
— Ça m’a l’air bien toutes ces choses, chantonna Mélusine, comme si elle continuait une discussion qui n’avait pas été coupée par plusieurs jours de séparation.
Cette fois Ephrem ne put s’empêcher de tomber à la renverse. Il n’en croyait pas ses yeux. Rencontrer Marve au détour d’une rue, pourquoi pas, il était dans le monde des Humains après tout. Mais jamais il n’aurait pensé retrouver Mélusine ici ! Devant l’air surpris de son frère qui ne s’était toujours pas relevé, la jolie Elfe se mit à rire.
— On croirait que tu viens de voir un fantôme, se moqua-t-elle.
Souriant à pleine dent, Ephrem se remit debout et s’essuya les fesses.
Après avoir fêté leur retrouvaille de façon plus ou moins bruyante, Mélusine et Ephrem s’éloignaient du stand de Marve. Ce dernier leur avait offert quelques gâteaux et boissons pour se faire pardonner, en plus de leur avoir proposé des prix plus qu’intéressants sur l’ensemble de ses articles. Le frère et la sœur étaient ainsi de nouveau réunis, se dirigeant vers le château de Lognis.
Pendant qu’ils se dirigeaient vers le château, Mélusine entreprit d’expliquer pourquoi elle avait quitté Yggdol. Cependant, le vent hurlait avec force, couvrant la voix de la jeune Elfe, qui dut hausser la voix pour se faire entendre.
— Mais puisque je te le dis ! criait-elle, agacée par l’expression de doute de son frère. Papa était d’accord pour que je vienne te rejoindre.
— D’accord ! répondit Ephrem qui trouvait cette histoire dure à avaler. Papa a laissé son unique fille partir. Mais pourquoi ? Et aussi pourquoi as-tu voulu venir me retrouver dans le monde des Humains, alors que tu étais si heureuse de renter à Yggdol ?
Ne voulant plus rien lui cacher, Mélusine raconta de nouveau à Ephrem sa vision du passé de Luctès. Cette fois, aucun détail ne fut omis. Elle lui raconta donc qu’elle avait vu une personne habillée de noir, camouflé par une capuche.
— Son aura était terrifiante ! précisa-t-elle sans pouvoir réprimer un frisson. Je pense qu’il est le cerveau derrière cette affaire, rajouta-t-elle.
Mélusine parla ensuite de la petite fille aux longs cheveux argentés, sosie de son élève Inza, qui, d’une façon ou d’une autre, lui avait demandé de l’aide.
— Tu crois qu’elle pouvait te voir ? L’interrogea Ephrem.
— Je ne sais pas, admit l’Elfe incertaine. Ça me semble improbable. Cela dit, j’ai eu l’impression que cet homme en noir me voyait, lui. Et je jurerais qu’il a tenté de me saisir à la gorge.
— Hum ! conclut Ephrem.
— C’est tout ce que tu as à dire ! se vexa Mélusine. Après tout le chemin que j’ai parcouru seule pour te retrouver. Après ce que je viens de t’apprendre. La seule chose que tu as à dire c’est hum ! s’écria l’Elfe en secouant son frère par une épaule.
Ephrem ne rajouta rien de plus, et c’est avec une Mélusine vexée qu’il continuât sa route.