— Maman ! Papa ! Venez me chercher !
— Au secours !
— Je veux rentrer chez moi !
Malgré les cris et les pleures des enfants enfermés avec elle, elle tentait de se concentrer pour contacter quelqu’un par la pensée. Mais c’était peine perdue. Ses pouvoirs l’avaient depuis abandonnée.
Après une autre tentative infructueuse pour joindre son frère, le plus puissant d’entre eux, un bruit de pas qui se rapprochait la ramena à la réalité. Elle leva la tête et fixa d’un regard déterminé l’homme qui l’observait.
— Tu n’es pas comme les autres toi. Tu ne pleures pas. C’est bizarre, remarqua l’homme.
Il s’accroupit pour être à la hauteur de la petite fille, qui devait avoir à peu près huit ans. Celle-ci, debout dans sa cellule, l’observait également avec curiosité. Sa présence, son aspect, sa tête de singe et sa voix railleuse l’exaspéraient. Elle n’avait pas peur, pas de lui en tout cas !
Il leva ses longs bras et les passa à travers les barreaux pour faire peur à la petite fille, qui ne tressaillit pas, mais cela n’empêcha pas l’homme à la tête simiesque de rire. Il s’agrippa aux barreaux en continuant à rire, en se balançant de gauche à droite, ce qui avait pour effet de faire onduler sa grosse touffe de cheveux sales et emmêlés, qui formait comme un dôme sur sa tête.
— Tu es un Humain, n’est-ce pas ? demanda la fillette, qui était restée de marbre devant cet étrange spectacle, toujours debout, droite comme un i.
— Ça ne se voit pas ?
L’homme relâcha les barreaux et rapprocha sa tête de la cage, la tournant de gauche à droite, comme pour inviter la petite fille à vérifier par elle-même.
— Alors que fais-tu ?
— Je suis le gardien. Léonin, le gardien des cellules de Kirdaol. Et toi et tes petits copains pleurnichards êtes mes invités.
— Si tu es bien un Humain, pourquoi aides-tu les hommes fauves ?
Le gardien ne répondit pas tout de suite. Il semblait réfléchir, un exercice apparemment complexe pour lui.
— C’est bizarre !
— Qu’est-ce qui peut être plus bizarre qu’un homme-singe ?
Léonin ne releva pas la pique.
— Tous les enfants pleurent, mais pas toi. Et puis…
— Et puis quoi ?
— Je ne sais pas !
— Nous voilà bien avancés, rajouta-t-elle sans le moindre sourire.
— J’ai l’impression que tu te moques de moi !
— Si c’était le cas ?
L’homme-singe retira un long fouet de sa ceinture et le balança sous le nez de la fillette qui continuait à fixer son bourreau dans les yeux.
— J’ai ordre de ne pas vous tuer, mais rien ne m’interdit de vous battre jusqu’à l’os, le menaça-t-il avec un affreux rictus. Alors à ta place, je me montrerais gentille.
— Pourquoi fais-tu ça à tes semblables ?
Léonin se leva brusquement en écartant ses mains vers le ciel.
— Pour l’argent bien sûr. Pour quoi d’autre sinon. Un peu aussi pour le plaisir de me venger, je l’avoue, ricana l’homme à l’apparence de singe.
— Te venger ?
— Oui ! Des petits rigolos qui se sont moqués de moi. Hé ! Regardez le singe ! Hé le singe, tu veux une banane ? Retourne dans ton arbre macaque… Les bons jours, je ne recevais que des peaux de banane sur la tête.
Il fit une pause avant de reprendre.
— Mais c’est fini tout ça. Puisqu’ils sont morts ! précisa-t-il hilare. Un homme est venu me voir un soir. Il m’a aidé à me débarrasser de ces idiots, et m’a proposé un travail. En plus de me promettre une montagne d’hélis.
— Tu as accepté de travailler pour lui, même si ça signifie maltraiter des enfants de la même espèce que toi ! Pathétique.
Le gardien des cellules se pencha de nouveau et observa sa jeune prisonnière avec encore plus d’insistance.
— C’est bizarre.
— Tu l’as déjà dit.
— Qui es-tu ?
— Je m’appelle Bellusane.
Surpris, Léonin recula et se cogna contre la cellule d’un petit garçon qui appelait sa maman.
— L’Alkast Bellusane ?!
Pendant ce qui sembla une éternité, le gardien et la fillette s’observèrent sans ciller. Autour d’eux, les pleurs, les cris et les reniflements ne cessaient pas, mais entre eux, un silence étrange s’était installé.
— Tu ne peux pas être la vraie Bellusane !!!
— Tu l’as toi-même ressenti. Je ne suis pas Humaine.
— Si tu es une déesse, tu ne devrais avoir aucun mal à te sortir de là.
— Une déesse de niveau inférieur, malheureusement. Et la moins douée en vérité, rajouta-t-elle plus pour elle-même.
— Mais même.
— Je ne souhaite pas sortir par mes propres moyens. En fait, je te regarde depuis un moment. Je sais tout ce que tu as enduré.
Elle marqua une courte pause.
— Il n’est pas trop tard. Tu peux encore choisir de ne pas ressembler à ceux qui t’ont fait du mal.
Pas trop tard ? répéta-t-il les yeux hagards.
— Non.
— Mais j’ai déjà tué. Et j’aime ça ! lâcha le gardien en rigolant.
Ne s’avouant pas vaincue, la mini-déesse changea de stratégie.
— Sais-tu ce qu’il en coûte d’emprisonner une déesse ? rugit-elle, ses yeux lançant des éclairs et ses longs cheveux argentés ondulants frénétiquement.
Léonin déglutit avec difficulté. Apparemment l’intimidation fonctionnait, et la peur faisait transpirer son visage recouvert de poils gris. Ses longs bras, également poilus, commencèrent à s’agiter.
— Libère-moi ! ordonna Bellusane en serrant ses petits poings.
L’homme-singe sursauta et poussa un petit cri pathétique. Cependant il ne bougea toujours pas. Bellusane le fixa de plus en plus intensément, comme si elle essayait de lui mettre le feu par la pensée. Elle sentit que cette stratégie allait payer.
— Dépêche-toi ! cria-t-elle de toute la puissance de sa voix.
Le gardien accourut vers la cellule de sa divine prisonnière et sortit un trousseau de clés d’une poche arrière.
— C’est gagné ! pensa la jeune Alkast.
Cependant, affolé, le gardien avait du mal à trouver la bonne clé.
— Ça y est, gémit-il en montrant un bout de ferraille rouillé, je l’ai !
Il fourra la clé dans la serrure, ouvrit la porte et recula pour laisser à la déesse suffisamment de place pour sortir. Contente d’elle, elle fit un pas vers la sortie, quand elle fut brutalement rejetée vers l’intérieur par une force invisible. Elle se cogna la tête et s’écroula.
Sa vue se troublait.
— Nous avons une invitée de marque ! Il serait dommage qu’elle nous quitte si tôt, n’est-ce pas ?
Un homme aux contours flou entra dans le champ de vision de Bellusane. Elle ne perçut alors qu’une masse infâme, noire, avant de finalement perdre connaissance.