26. Salysse

Par Hinata

Plongée dans la pénombre, la bibliothèque semblait dormir, à l’instar de tous les occupants du palais. Salysse n’avait pas besoin de lumière pour se diriger. Elle fréquentait l’endroit assidument depuis sa plus tendre enfance, même avant d’avoir appris à lire, trottinant dans l’ombre de sa mère. Puis elle avait exploré les lieux à la suite de Propys qui la tenait par la main. Elle marchait seule désormais, d’un pas décidé malgré son absence de chaussures. Le silence de sa progression avait quelque chose de perturbant tant il était inhabituel. Pas le moindre garde pour la talonner bruyamment. Pas le moindre murmure de discussion dans son dos. Pas le moindre tintement de bijou, pas même le froissement du tissu à chacune de ses foulées. Tout cela la changeait agréablement. Elle devrait se promener en chaussettes et robe de nuit plus souvent.

Salysse expira un petit soupir tout en serrant un peu plus contre elle le livre qu’elle venait reposer sur son étagère. Aussi plaisant que soit ce nouveau rythme de vie, elle ne devait pas trop y prendre goût. Cela ne durerait pas éternellement.

La mi-saison de l’automne était une période relativement calme en Helmer. La Réunion des Dirigeants était loin derrière et on avait déjà pu tenir compte de presque tout ce dont il y avait été question. L’hiver, quant à lui, sombre saison dans leur royaume du Nord, demeurait encore assez loin devant. Les paysans de province commençaient peut-être à s’en inquiéter, mais point encore la capitale.

L’année précédente, Salysse n’avait pas pu profiter de cette respiration que prenait le palais tout entier. Elle venait de monter sur le trône, et il en découlait une foule d’affaires spécifiques à traiter dont elle était à présent débarrassée pour quelques années. Ceci dit, l’hiver ne serait pas plus doux pour autant. Elle le savait bien : tout le loisir auquel son emploi du temps lui permettait enfin de goûter n’était qu’un sursis avant la période de l’année qui requérait le plus de décisions de sa part.

Ce n’était peut-être pas une bonne idée de se relâcher ainsi, à quelques semaines à peine du début des grands froids. Mais de toute façon, on ne lui laissait pas vraiment le choix. Tout son entourage, des ministres aux domestiques, savait l’énergie et la bonne volonté qu’elle déployait dans son exercice du pouvoir, et s’était fait un plaisir de lui accorder ces semaines de répit.

Depuis plusieurs jours, on la réveillait tard le matin, tout en la libérant exagérément tôt de ses obligations journalières. Même si elle n’aimait pas l’idée d’être ménagée, Salysse devait bien reconnaître qu’il n’y avait pas grand-chose à faire pour la reine à cette période. A défaut de mener des négociations décisives ou de pompeuses réunions mondaines, Salysse avait décidé de renouer le lien avec d’anciennes connaissances perdues de vue : les livres de la bibliothèque.

Depuis qu’elle était reine, Salysse n’avait pas eu une seule fois l’occasion de feuilleter un ouvrage de son choix. C’était un plaisir qu’elle avait oublié, et qui lui manquerait … Peut-être que si elle se mariait et partageait ses devoirs de souveraine avec une autre personne, elle trouverait le temps de lire à nouveau. Sa mère avait bien trouvé le temps d’écrire un roman…

L’idée l’effleura de faire demi-tour pour rejoindre la salle de littérature, mais Salysse l’abandonna bien vite. Dix ans après le décès de sa mère, elle avait enfin fait son deuil. Ce n’était pas le moment de se replonger dans un marasme de chagrin, surtout pas maintenant qu’elle avait commencé à régner par elle-même. Du souvenir de la reine Zellana, Salysse ne devait garder que ce qui lui tiendrait lieu d’exemple pour remplir au mieux le rôle qui lui avait échu. D’ailleurs, elle ne comptait pas s’inspirer seulement de celle qui l’avait précédée sur le trône. Toute expérience était bonne à prendre. Salysse voulait gouverner au mieux, prendre les meilleures personnalités pour modèle et tirer profit des erreurs du passé pour ne pas les réitérer. Ce n’était pas pour rien qu’elle choisissait ses lectures dans la salle des biographies depuis une semaine.

Lorsqu’elle franchit enfin le seuil de la pièce, son regard se laissa happer comme à chaque fois par la hauteur étourdissante du plafond. Bien sûr, les murs de la bibliothèque étaient partout tapissés de livres, mais il n’y avait qu’ici que les échelles ne suffisaient pas à atteindre toutes les étagères. Tout le long des parois, s’enroulait une multitude de petits balcons intérieurs. Pour y accéder, il suffisait d’emprunter l’un des quatre escaliers en colimaçon, spirales métalliques d’une élégance indéniable. C’était en posant ses mains sur l’une de leurs rampes que Salysse s’était sentie prise pour la première fois d’une sincère admiration pour les Révélés de son royaume. Elle avait beau maîtriser les bases de l’escrime, Salysse ne s’était jamais découvert de penchants particuliers pour les armes. Heureusement, les Révélés du métal ne se contentaient pas de ce genre d’ouvrages. Sans eux et leur Don, de telles œuvres d’art architecturales n’auraient jamais pu se retrouver ainsi au fin fond du palais. Et sans Propys pour la tenir encore une fois par la main, Salysse n’aurait jamais osé en grimper les marches.

Elle ramena les yeux devant elle, abandonnant les hauteurs de la pièce au passé. Les jeux et les aventures dans lesquelles l’avait si souvent entraînée sa sœur, avaient pris fin à la mort de leur mère. Depuis le couronnement de Salysse, elles n’avaient même plus l’occasion de se voir tous les jours. C’était pour le mieux. Salysse avait un rôle à tenir, et elle souhaitait à Propys de profiter pleinement de sa vie insouciante.

Rangée numéro quatre, rangée numéro cinq, et enfin sixième rangée : celle qu’elle cherchait. Salysse s’y engagea et laissa son doigt glisser le long de l’étagère jusqu’à l’emplacement attitré du livre qu’elle tenait contre elle.

Avec précaution, elle remit l’ouvrage à sa place et s’empara de son voisin. Au règne de la reine dont elle venait de lire la biographie, succédait celui d’un certain Waldo qui l’intéressait particulièrement. Elle savait déjà qu’il avait été régent de son ancêtre, le roi Kristobb, trop jeune pour endosser la couronne à la mort de ses parents.

Salysse souffla la fine pellicule de poussière qui maculait la couverture. Le livre ne pesait presque rien. Dire que même pour rédiger la vie du fameux prince, mort le jour-même de son couronnement, les scribes avaient eu besoin de quelque trois-cents pages. Visiblement, un régent au pouvoir pendant douze ans méritait toujours moins d’encre.

Pourtant, être régent, ce n’était pas rien. Et en même temps, ce n’était pas grand-chose non plus. Pas de couronne, pas d’héritiers à donner au trône, pas de tombeau dans la crypte du palais ; autant de privilèges accordés au légitime souverain d’Helmer. Beaucoup disait que cela importait peu, qu’une régence avait également son lot de responsabilités, d’honneur et de mérites.  

Tiens… Elle s’arrêta à la fois de marcher et de feuilleter son ouvrage. L’encre était d’une couleur différente sur toute une partie du livre. Salysse se porta dans la clarté que diffusait une fenêtre pour mieux examiner ces pages. Ce n’était pas seulement l’encre et le papier, l’écriture aussi différait de celle du scribe. Elle trouva la signature à la fin du passage : Waldo avait écrit lui-même ces lignes. C’était excitant, un lien authentique avec cette personne depuis longtemps décédée, mais qui avait marché entre ces murs, tenu ce papier dans ses mains… Elle ne pouvait pas attendre le matin pour lire ce témoignage. Ni même attendre d’être revenue dans sa chambre.

Salysse trouva rapidement ce qu’elle cherchait : une alcôve avec un fauteuil, ainsi qu'un candélabre et de quoi l’allumer. Elle noua de son mieux ses cheveux avant d’enflammer la bougie et s’assit jambes croisées sur le siège pour abriter ses pieds sous le tissu de sa chemise de nuit. Enfin, elle put rouvrir son livre et en commencer la lecture.

Le régent menait une vie de roi. Cela semblait logique. Mais là ne s’arrêtaient pas ses mots. Waldo continuait en nuançant que bien qu’il vécût dans l’opulence et exerçât une autorité incontestable, une sombre pensée lui rongeait constamment le cœur. En effet, une certitude absolue le minait chaque jour : il n’était pas, contrairement à l’héritier au trône, quelqu’un d’indispensable, ou, selon ses propres mots, un être irremplaçable.

Salysse releva les yeux de son livre pour les fixer sur la flamme du chandelier.  L’ondulation incandescente hypnotisait sa pupille, lui permettant de réfléchir en paix.

Finalement, qui d’autre qu’un véritable souverain pouvait connaître ce sentiment ? Elle-même se savait indispensable, précieuse, inestimable même. Sans héritiers donnés au monde, elle ne pouvait pas disparaître. Elle était la dernière descendante directe de leur grande lignée. À ce jour, tous les membres de sa famille proche avaient quitté ce monde.

Il y avait bien Propys, mais elle n’existait pour personne. Propys était la sœur jumelle de Salysse, pas celle de la reine. De son vivant, la reine Zellana n’avait jamais rendu officielle la naissance de cette deuxième fille. Pour tout le monde, il n’y avait jamais eu qu’une seule et unique princesse héritière ; elle avait les cheveux blonds et s’appelait Salysse. La reine Zellana avait depuis dix ans abandonné son trône pour les cryptes, rejoignant son mari, le roi Corin, qui l’avait précédée en ce lieu des années plus tôt. Plus personne n’était donc en mesure de faire de Propys un membre de la famille royale.

Si Salysse mourait sans descendance, sa sœur n’aurait aucun droit au trône. Alors, les plus riches familles, les cousins et parents éloignés de la lignée, se disputeraient le pouvoir pendant des années, déchirant le royaume. Non. Salysse ne pouvait pas disparaître.

Elle était importante, nécessaire. Elle était reine d’Helmer, Protectrice de tous les peuples, Dirigeante des cités et des territoires d’Archangelsk. Cela faisait beaucoup pour une seule jeune femme, quand on y pensait. Mais on l’avait élevée dans cette perspective. Alors, Salysse assumait le ton clinquant de ses titres sonnant et trébuchant comme un millier de pièces d’or. À chaque cérémonie, quand le héraut déclamait ses distinctions, ces mots forts et puissants écrasaient l’audience comme si l’on déversait sur eux un tas d’or. C’était comme si, au fur et à mesure, on ne les voyait plus. Ils disparaissaient tous sous cette montagne de trésors qu’étaient sa grandeur et sa magnificence de souveraine légitime !

– Salysse ?

Elle sursauta violemment. Secoué, son simulacre de chignon se défit et libéra ses cheveux blonds qui retombèrent en cascade sur ses épaules. Passée la surprise, son corps crispé se détendit immédiatement. Même sans distinguer encore la moindre silhouette dans l’obscurité, elle reconnaissait la voix de celle qui l’avait surprise.

− Je suis là, indiqua Salysse tandis que les bruits de pas feutrés se rapprochaient.

Propys pénétra dans la lumière diffuse de l’alcôve et son apparition soudaine lui donna l’air d’un brin de paille qui aurait pris feu. La comparaison s’arrêtait là, car sa sœur tenait actuellement plus du squelette frigorifié que de la brindille enflammée.

– Qu’est-ce que tu fais là ? s’enquit Salysse en la détaillant de la tête aux pieds.

Sa jumelle ne portait comme elle que sa chemise de nuit et surtout, elle se promenait sans chaussettes, dansant maladroitement d’un pied sur l’autre sur le sol glacial. 

– Comment ? s’insurgea Propys. Ce serait à moi de poser la question ! Mais comme je suis polie, je daigne répondre à la tienne : je te cherchais, pardi.

− Et pour quelle raison ? Tu tenais absolument à me montrer ce nouveau pas de danse, c’est cela ?

Propys se dandina de plus belle. 

− Pas du tout, j’essaye simplement de me réchauffer ! Mes orteils sont frigorifiés ! Je crois qu’il faudra bientôt me les amputer… Si tu n’étais pas venue te cacher à l’autre bout du palais, je n’en serais pas là !

Comme d’habitude, la réaction excessive de Propys lui donna le sourire.

− Tu es folle, commenta-t-elle. Nous arrivons à la fin de l’automne, le château lui-même semble frissonner, et tu sors de ta chambre dans cette tenue.

− C’était pour la bonne cause, puisque je te cherchais, chère sœur adorée.

Elle s’arrêta brusquement de gigoter pour capturer entre ses doigts sa chevelure détachée qui l'agaçait et commença à la tresser. Salysse observa attentivement le mouvement des brins châtains entre ses mains, qui se croisaient et s’entremêlaient dans un mouvement fluide et mécanique à la fois. Cela faisait partie des choses que Propys savait faire mieux qu’elle. En fait, Salysse était même parfaitement incapable de se coiffer. Entre ce savoir tout bête et le don de sa jumelle pour la peinture, elle ne savait pas pour être honnête ce qu’elle enviait le plus. De toute manière, la question ne se posait pas. Salysse n’avait le temps pour aucune de ces deux choses. Il était naturel qu’elle laisse les domestiques s’occuper de ses cheveux, et les artistes lui dresser des œuvres d’art. Sa mission à elle était ailleurs, et d’une importance capitale.

- Par moments, j'ai vraiment envie de me raser la tête, marmonna Propys dans sa barbe tout en terminant de se coiffer. 

Elle noua un ruban au bout de sa tresse et l’envoya avec nonchalance se balancer dans son dos. Cette chevelure brune que Propys portait si bien constituait leur seule et unique différence. Les deux soeurs étaient dotées des mêmes yeux châtains, des mêmes lèvres fines et rosies, des mêmes pommettes que feu leur mère. Mais leur couleur de cheveux surmontait ces similitudes pour n’accentuer entre elles qu’une différence frappante.

Petite, Salysse avait cru qu’on l’avait destinée à devenir reine à la place de sa sœur car sa blondeur était plus caractéristique des humains, et que ses deux parents avaient la même chevelure dorée. Puis, sa mère lui avait appris qu’elle était tout simplement née la première.

Avant d’être éprouvée aux rouages des textes et de la loi régalienne d’Helmer, Salysse avait toujours trouvé très logique la préséance qui lui avait été donnée sur sa sœur. Il semblait évident qu’on ne pouvait pas donner deux reines au royaume d’Helmer. Dans les contes, lorsqu’un couple royal donnait naissance à des enfants jumeaux, les parents abandonnaient un de leurs bébés chez des paysans, et celui-ci finissait par découvrir ses origines et causer une foule d’ennuis.

Enfants, les deux sœurs étaient tellement ravies que leurs parents n’aient pas agi de la sorte que Propys n’avait jamais envié un seul instant la position de la petite princesse héritière. La cadette s’estimait tout simplement heureuse d’avoir pu rester vivre au palais, quoique dans le plus grand secret et un anonymat parfait. Et même en grandissant, son sentiment n’avait pas changé. Propys avait compris, dans cette espèce de sagesse excitée qui lui était propre, qu’elle n’aurait jamais fait une reine aussi exemplaire que Salysse. Elle répétait que porter la couronne serait même pour elle une véritable torture. Elle était faite pour le jeu et l’insouciance, Salysse pour le devoir et les responsabilités.

Oui, une seule différence physique les opposait, mais à cela il fallait ajouter une infinité d’autres dissemblances dès lors que l’on se penchait sur leurs caractères.

Malgré tout, Salysse s’était longtemps inquiétée pour sa sœur, seule dans l’ombre de la reine, pas même autorisée à exister au grand jour. Puis l’habitude et le bonheur évident de Propys avaient apaisé ses craintes et sa culpabilité naissante. Elle le constatait un peu plus chaque jour désormais : tout allait pour le mieux.

Bien que depuis quelques années, Salysse ne vît plus aucune explication logique au refus de sa mère de reconnaître Propys comme princesse légitime, elle ne laissait pas ce mystère l’obnubiler. De toute manière, on ne pouvait plus rien y faire.  

– Je disais donc que je te cherchais. Et d'ailleurs, pointa malicieusement Propys en ramenant toute son attention sur elle, je ne m’attendais pas vraiment à te trouver dans la bibliothèque, seule qui plus est...

– Voyez-vous ça… Et comment m’imaginais-tu passer ma soirée ?

– Perchée sur un cheval au galop, perdue à contempler les étoiles, ou occupée à découvrir les joies du plaisir charnel, voire tout ça à la fois d’ailleurs, en tout cas sûrement pas assise dans un fauteuil comme un rat de bibliothèque, escortée d’un triste cierge et nez à nez avec un livre plus vieux que notre arrière-grand-mère !

Salysse ne chercha pas à réprimer le grand sourire qui lui étirait les lèvres. Il n’y avait bien qu’une personne au monde capable de lui parler en ces termes, et de se lancer dans une telle tirade au beau milieu de la nuit, alors qu’elle tremblait de froid qui plus est.

– Le rongeur bibliophile t’invite sur son moelleux fauteuil qui est bien assez large pour deux spécimens. Allons, viens vite !

Sa sœur ne se le fit pas dire deux fois et vint se recroqueviller sur le siège. Tandis que Salysse déposait délicatement la biographie de Waldo sur le sol, Propys replia ses jambes avec empressement pour réchauffer ses pieds bleus de froid.

Malgré ce que Salysse avait affirmé, elles étaient un peu à l’étroit entre les accoudoirs. Cette proximité ne la dérangeait pas, elle avait l’habitude. Être reine ne lui épargnait pas vraiment les contacts physiques. En plus des baise-main que toute la noblesse se plaisait à lui accorder, Salysse dansait régulièrement, y compris avec des gens qu’elle ne connaissait pas personnellement. Et puis, depuis toujours, Salysse était habituée à se faire laver, habiller et coiffer par des domestiques. Elle avait compris très jeune que son corps devait être autant que son esprit dédié à son rôle de souveraine. C’était d’ailleurs précisément pour cette raison qu’elle ne pouvait pas se permettre de faire n’importe quoi avec…

– Les joies du plaisir charnel, soupira-t-elle.  Propys, mais que vas-tu imaginer ?

Sa sœur frotta son épaule contre la sienne et roucoula en battant des cils. Salysse laissa échapper un rire auquel Propys fit écho sans la moindre hésitation.

– Salysse, dit-elle ensuite en prenant un air sérieux, écoute-moi bien attentivement. Quel âge avons-nous ?

– Tu ne connais pas ton propre âge ! Même venant de toi, c’est un peu honteux.

− Arrête de jouer les bécasses ! Je veux te l’entendre dire. Quel âge ?

− Vingt ans.

– Exactement, et pas soixante-dix ! Pour une fois que tu as du temps libre, pourquoi est-ce que tu n’en profite pas ?

– Oh, détrompe-toi, j’en profite.

− Pas de la bonne manière !

− T’entendre dire cela me confirme au contraire que je prends les bonnes décisions.

Propys expira un rire offusqué.

– Tu sais tout de même que je ne suis pas un monstre de mauvaise conduite ! Je reste gentiment dans ma suite jour après jour, aussi sage et tranquille que les tableaux que je peins.

− Oh, et rappelle-moi ce qui est arrivé entre toi et les modèles de ton dernier tableau…

Les joues de Propys rosirent à vue d’œil.

− Ne me taquine pas avec cela ou je ne te raconterai plus rien de mes histoires !

Salysse aurait vraiment de la peine si cela devait arriver un jour. Les récits de Propys ne manquaient jamais de la distraire. Elle se mettait toujours dans les pires situations et savait si bien raconter ses petites folies quotidiennes. Comme c’était bon de parler avec elle.

− Je n’ai pas à être la seule de nous deux à s’impliquer dans des ébats amoureux, glissa Propys à son oreille. J’ai d’ailleurs entendu dire que Parish ne demande qu’à se trouver le plus possible en ta présence.

– Je m’en doutais un peu. Seulement, sans vouloir absolument réduire à néant tes petites intrigues, je dois te dire que Parish ne peut même pas espérer épouser la châtelaine du vignoble voisin. Je ne sais même pas ce qu’il fait encore à la cour depuis la déchéance de son père.

– Mais il est absolument adorable, et drôle, et il joue aux cartes comme un capitaine de navire ! Et puis, qui que tu épouses, tu demeures la reine, n’est-ce pas ?

– Tu sais comme moi que ce n’est pas aussi simple.

– Non, contrairement à toi je ne connais pas le protocole sur le bout des doigts. Rappelle-toi que ces histoires de noblesse et de politique, je ne m’en mêle pas d’un cheveu.

– Et bien sache que la reine n’est pas supposée fréquenter quelqu’un d’autre que son fiancé. Et puisque je n’en ai point pour l’instant, je peux me concentrer sur ma tâcha, à savoir gouverner. Et puisque je compte m’en sortir seule encore quelques années, je n’ai pas le temps de rêvasser.

Salysse sentait le souffle chaud de sa sœur à côté d’elle. Depuis que Propys était arrivée, elle s’était rendu compte du froid qui régnait dans la salle. Elle s’imagina sous son édredon gonflé de plumes, mais le simple trajet en pensée de toutes les ailes du palais l’épuisait tout à fait. Elle sentit le sommeil prendre peu à peu possession de son corps. Ses paupières s’alourdirent.

Elle était encore réveillée, mais à peine, quand sa tête dodelina puis bascula sur l’épaule de sa jumelle. A demi-consciente, elle entendit Propys se lamenter :

– Oh non…Salysse, réveille-toi ! Tu ne vas pas dormir ici ! En tout cas, ne compte pas sur moi pour te porter. J’en serais incapable de toute manière, je n’ai pas assez de muscles. Un chevalier servant, voilà ce qu’il nous faudrait, et même deux tant qu’on y est !

Fatiguée de parler toute seule, Propys cessa son monologue. Elle ramena une mèche derrière l’oreille de Salysse et murmura doucement :

– Je t’aime comme tu es, sœurette. Je serais toujours là pour toi, et je vais te regarder devenir la meilleure souveraine de tous les temps. Dors bien. 

Salysse, presque endormie déjà, se fit un plaisir de lui obéir et sombra dans un profond sommeil.

Lorsqu’elle se réveilla, Propys était partie, et un drap de velours recouvrait son corps recroquevillé entre les accoudoirs du fauteuil. Elle étira son dos raide et ses membres tout ankylosés. Etrangement, elle avait aussi bien dormi que certaines nuits passées dans son grand lit.

Il faisait grand jour dans la bibliothèque, mais abritée dans l’alcôve, elle ne s’était pas fait déranger par la lumière du soleil. Non seulement elle n’avait pas dormi au bon endroit, mais qui plus est sûrement bien trop longtemps.

Elle se dressa sans tarder sur ses pieds et dut remonter sur ses chevilles les chaussettes laineuses qui avaient glissé pendant la nuit. Puis elle ramassa la biographie du régent Waldo et déposa l’ouvrage sur un présentoir de la salle. Elle n’avait pas le temps de le ranger à sa place. Un certain nombre de domestiques devait déjà vaquer à leurs occupations partout dans le palais à cette heure-ci.

Elle traversait le hall central de la bibliothèque en direction de la sortie quand l’inévitable se produisit : Salysse croisa le chemin de quelqu’un.

Le valet, quand il l’aperçut, abandonna son travail de rangement et disparut dans le couloir du palais. Honteuse de s’être laissé surprendre en chaussettes, en chemise de nuit et tout à fait décoiffée, Salysse hésita un moment à retourner dans l’alcôve se cacher sous le drap de velours. Au lieu de cela, elle marcha jusqu’à la porte de la bibliothèque et glissa dans l’embrasure un regard inquiet. Aucun garde n’était posté là, mais dans les couloirs résonnait la lointaine activité du palais.

C’est alors que la reine vit venir vers elle la déléguée d’un de ses ministres dont elle reconnut de loin le visage. Salysse recula dans la bibliothèque et un instant plus tard, la femme y pénétrait à son tour. La déléguée semblait plus empressée encore que d’ordinaire et ne prit même pas la peine de fermer derrière elle la porte à double battants.

– Votre Majesté, la salua-t-elle rapidement.

Salysse inclina légèrement la tête, ravalant difficilement sa honte et son inconfort. Mais son interlocutrice ne paraissait même pas remarquer l’accoutrement singulier de la reine.

– Votre présence est requise au plus vite auprès de vos ministres. Vous avez reçu deux plis confidentiels ; l’un de Lignum, l’autre de Galfinir. Tout le monde est inquiet.

Les lettres confidentielles ne pouvaient être descellées que par la reine en personne. Les ministres détestaient le délai qu’impliquait ce genre de missives. Heureusement pour eux, les Dirigeants n’en échangeait que rarement. En recevoir deux du même coup laissait en effet place à une certaine inquiétude. Non, cela ne pouvait vraiment rien augurer de bon. 

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Alice_Lath
Posté le 23/08/2020
"je peux me concentrer sur ma tâcha" -> Ptite faute de frappe ici
Et je me demande bien pourquoi Salysse peut pas "légitimer" Propys ? Techniquement, elle en a le droit à présent haha, c'est la reine, non ? Puis ces lettres... Aaaaah, j'ai envie de lui dire de pas les ouvrir. La pauvre, elle était si tranquille, si soucieuse de bien faire. Et là, y'a ce centaure de mes deux qui peut pas réfréner ses pulsions belliqueuses et qui va coller tout le monde dans le cacaaaa! Non, vraiment, pas cool de sa part, à ce butor de quadrupède
Hinata
Posté le 23/08/2020
Merci pour la petite faute !

Pour Propys : aloors, à la base, je m'étais dit que la fille cachée ne pourrait être légitimée que par ses parents, puisque ce seraient les seuls capables d'attester ce genre de choses en fait. Et je me dis que c'est pas si absurde, SAUF QUE ... tu viens de me faire penser qu'en fait dans le tome 3 (c'est pas du spoil vu que je reste vague et puis c'est dans tellement longtemps que si tu le lis un jour t'auras oublié depuis, nan?) bah Salysse fait exactement ça avec qqn (genre décider arbitrairement que telle personne sera désormais héritier.e au trône) ... Du coup c'est pas cohérent !! Du coup va falloir que je donne une autre raison pour cette relégation de Propys dans les coulisses .. humpf. Bon, je vais y réfléchir !

Eh oui, on a un peu de la peine pour les emmerdes qui vont lui tomber dessus XD La faute à ce butor de quadrupède! (et aux gens responsables de toutes ces attaques aussi, accessoirement, huhu)

Merciii pour tes comms, il me font grave plaisir !
_HP_
Posté le 28/06/2020
Heyy !!

Pauvre Propys :( Genre "Hey, chui là mais vous en savez rien" XD :/ (fin c'est cohérent, avec les explications etc, mais quand même quoi :/) Mais leur complicité est très touchante ^^
Je me demande quel rôle elle va jouer ^^
Et j'ai souris en imaginant Salysse devoir ouvrir ces lettres sans avoir eu le temps de se préparer xD
Désolée, Salysse, tu vas pas trop pouvoir profiter de la bibliothèque pour l'instant... :(
En tout cas j'aime bien ce chapitre, posé, où on en apprend plus sur ce personnage ^^
Hâte de continuer <3

"Et puisque je n’en ai point pour l’instant, je peux me concentrer sur ma tâcha, à savoir gouverner." → ma tâche ^^
Hinata
Posté le 28/06/2020
Heeey HP ^^

Haha, Propys te dirait qu'elle n'est pas à plaindre, mais je comprends moi ce que tu veux dire, elle mériterait d'être connue et reconnue cette brindille en or ! Oui, malgré les circonstances, elles se comportent vraiment en sœur et ça fait chaud au cœur ^^
Ah ha, je ne dis rien sur le rôle de Propys (hormis que ce personnage est un investissement sur le long terme...faudra être patiente ;)

Ah oui, la pauvre ... C'est un comble ça tout de même, les crises diplomatiques urgentes avant d'avoir eu le temps de s'habiller et de boire son café XD

Je suis très contente que le chapitre t'ait plu ! Merci pour ton gentil commentaire, c'est trop cool ^^ Hâte de vous partager la suite de l'histoire !

PS : Merci pour la coquillette ;)
Xendor
Posté le 28/06/2020
Un petit chapitre calme, avant de passer aux choses sérieuses, j'aime bien :) Par contre, je ne savais que Salysse avait une soeur jumelle. Enfin, maintenant que tu l'introduis, je me demande déjà le rôle qu'elle va jouer dans l'histoire.

Au vu de ce que je lis d'elle, Salysse n'aura strictement aucune idée des accusations qui vont lui parvenir. Je l'imagine déjà en PLS avec ses conseillers :/ Enfin, tout cela pour dire que l'instigateur de ce complot est juste un pur génie.

Je suis d'accord avec Propys pour dire qu'elle est une bourreau de travail, mais je ne suis pas nécéssairement d'accord sur la manière de s'aérer l'esprit.

Bon courage pour la suite ;)
Hinata
Posté le 28/06/2020
Oui, je suis assez attachée à ce chapitre parenthèse qui nous montre Salysse sous un jour différent, et je suis contente d'avoir quand même rajouté la fin avec l'arrivée des lettres pour ne pas perdre le fil de l'histoire et faire un peu monter la tension! (la première version s'arrêtait quand elle s'endort hum, pas ouf ouf)
Propys aussi est un personnage que j'aime bien, et en effet tu ne la connaissais pas, Salysse ne la mentionne pas du tout avant ce chapitre (parce que sa jumelle fait justement partie, et incarne même presque, cette facette plus détendue et privée de la reine) Haha, je comprends que son idée de l'amusement ne puisse pas aller à tout le monde XD ça ne convient pas du tout à Salysse non plus, comme tu as pu voir ^^

Haha, l'instigateur serait ravi de t'entendre le complimenter comme ça ! Tu auras peut-être moins envie de lui jeter des fleurs quand il se sera bien vanté de son génie pendant tout un chapitre, et encore moins quand il se sera mis pour de bon en action...enfin on verra ;)

Merci !! J'ai prévu de carburer en juillet pour terminer et pouvoir continuer à vous poster des chapitres régulièrement ^^ En tout cas vos lectures et commentaires de fou à tou.te.s sont le meilleur boost qui soit, alors un grand merci vraiment, vous avez clairement votre part de mérite dans cette histoire !!

A la prochaine Xendor =D
Xendor
Posté le 28/06/2020
Bah, encenser les méchants n'est pas un de mes trips, mais je dois reconnaître qu'il en a dans le cabot. Ceci étant dit, être méchant n'empêche pas d'être un génie ...

Yes, à la prochaine 👋
Notsil
Posté le 28/06/2020
Coucou !

De retour du côté des humains, et ça va être une bonne chose ^^

Salysse semble bien s'occuper de son royaume, pourtant je la trouve un brin superficielle avec ses "moi, je suis indispensable" :p

C'est horrible d'ailleurs pour sa soeur ! Elle est là en mode "coucou, je n'existe pas !" Je trouve ça cohérent avec les explications, ceci dit ^^ Néanmoins, légitimer la soeur en tant que numéro 2 ça aurait aidé en cas de pépin avec la numéro 1. (les rois/reins sont tenus à l'enfant unique, du coup, pour ne pas compliquer la succession ? ^^).

Ceci dit, leur complicité de soeur est touchante :) Même si j'ai longtemps cru que la soeur venait pour la tuer (avec tout ce que tu nous dis avant ^^).

Enfin, elle ne va pas avoir trop le temps de se recoiffer, je crois, ou alors, va falloir un miracle de rapidité :p
Car les nouvelles vont être mauvaises, et je me demande comment elle va réagir. Se sentir insultée d'être tenue pour responsable ? Etre horrifiée ?

La guerre approche, finie la tranquillité de la bibliothèque...^^
Hinata
Posté le 28/06/2020
Coucou Notsil !

Ah ça, c'est sûr qu'elle n'a pas les chevilles fines, la jolie petite reine XD Je suis contente que ce léger défaut d'égo un peu surdimensionné soit perceptible même à travers sa propre narration ^^

Oui, le sort de Propys est assez horrible, mais en même temps, ça pourrait être pire... Ah cool si ça semble cohérent ! Et non, il n'y a pas de coutume officielle de l'enfant unique, même s'il semblerait en effet que ce soit pour éviter de la contestation/complication à l'égard du règne de Salysse que sa mère aurait décidé de garder secrète l'existence de la jumelle...

Haha, une Propys meurtrière, my my, c'est vrai que ça aurait pu faire du joli spectacle XD Tant mieux si leur complicité a réussi à te convaincre malgré ces attentes un peu différentes haha ^^

Yep, ça va être la toilette du matin la plus express que Salysse ait jamais connu je crois (même si bon, techniquement, ils sont pas à une heure près dans un monde où il faut plusieurs jours à un message urgent pour être transmis...)
Ah ça, Salysse va devoir arrêter la lecture pendant un certain temps ... mais pas nous haha, il reste encore du chemin avant la fin ;)

Merci pour ton super commentaire, ça me fait toujours aussi plaisir !
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