Le plafond blanc semblait bouger de lui-même après cet effort court mais intense.
Allongée sur le lit, les cheveux en bataille, la respiration encore haletante, Rose appréciait encore le frisson, l’extase parcourant son bas ventre, raffermissant son buste à lui en faire mal. Dans le mélange musqué de leurs ébats, l’odeur fruitée de Sophie prédominait encore, et dieu que cette odeur lui avait manquée. Au pied du lit, le sac de voyage était à peine ouvert ; en vérité, rien n’avait été déballé. L’appel des lèvres de sa belle rousse avait été plus fort. Sophie se tourna vers elle, cachant ses seins avec un morceau de couette, remettant sa belle tignasse rousse et soyeuse en place.
— Ce petit quart d’heure valait le coup, non ? dit-elle en reprenant son souffle.
Rose pouffa, glissa ses mains sur ses hanches et lui sourit.
— T’es pas croyable toi tu sais ? Ils vont nous attendre !
— Ils ne sont pas à cinq minutes près ! rétorqua Sophie. En plus Rachid ne doit même pas encore avoir posé ses affaires dans sa chambre d’hôtel. Et puis…
Sophie balaya ses cheveux d’un coup de tête, les replaçant en arrière, et grimpa à califourchon sur sa compagne. Elle se pencha pour lui embrasser le cou.
— Et puis tu m’as terriblement manqué… alors laisse-moi profiter un peu.
Rose leva les yeux au ciel, mais soupira d’un commun accord. Ses mains posées au dessus du séant de sa chère et tendre, elle suivait ses mouvements de hanches en rythme, dans un ballet délicieux. Nouveau mouvement de joie trop rapidement interrompu par les vibrations du portable sur la table de nuit, qui sortit Rose de sa transe aussi sec. Elle attrapa son smartphone sous les mécontentements de Sophie.
— Rachid nous attends, lui dit Rose, il faut vraiment qu’on y aille.
Sophie soupira, une moue résignée au visage.
— Bon d’accord.
Elle déposa un doigt fin entre les deux seins de Rose, et lança un sourire malicieux.
—… mais à charge de revanche !
Rose sourit à son tour, renversa Sophie sur le côté pour échanger leurs position, puis glissa au bout du lit, déposant un baisé furtif sur son intimité.
— A charge de revanche.
En bas de son hôtel, Rachid attendait patiemment depuis cinq minutes. Il en profita pour observer les rues grouillantes de cette ville qu’il avait appréciée jadis, quand il y habitait encore. Il aperçut Rose et sa compagne Sophie qui descendaient la rue d’une démarche pressée. Rose avait les cheveux ébouriffés sur le côté droit, et son haut était assez mal ajusté ; Sophie, comme à son habitude, avait une allure impeccable, malgré des joues un peu plus roses que d’habitude.
— Désolée, s’excusa Rose, je rangeais mes affaires, j’avais la tête ailleurs.
Rachid se contenta de faire une mine moqueuse. Prenant la voiture de Sophie, les trois se dirigèrent vers le hangar où ils étaient attendus. Les grincements des gonds de la porte ne perturbèrent même pas les occupants, trop absorbés dans une conversation près du bureau.
— Donc techniquement, on pourrait limiter leur pouvoir ? demanda Edmond à Laurent.
Assis dans le canapé, Lucie à ses côtés, il faisait face au scientifique qui s’était simplement adossé à un tabouret haut. Samantha quand à elle était à califourchon sur un accoudoir.
— Le limiter, voir l’anéantir. Enfin, tout cela si ma théorie s’avère juste.
— C’est une bonne nouvelle ça ! s’exclama Lucie en pressant le bras d’Edmond qui grimaça de douleur. Rose, en arrivant près d’eux, remarqua les pansements sur son poignet et sur la paume de sa main.
— Quelle théorie ? demanda-t-elle en toute décontraction, comme si elle était présente depuis le début.
Les quatre remarquèrent alors enfin la présence des nouveaux arrivants. Edmond bondit et enserra sa mentor dans ses bras, un geste plutôt inhabituel de sa part.
— Je suis tellement content que tu sois là, soupira-t-il.
— Moi aussi Eddy, répondit-elle maternellement. Tu t’es blessé ?
Il recula de quelques pas et regarda son bras.
— Oh ça ? Oui, mais c’est beaucoup mieux. Grâce à Samantha.
— A Samantha ? Pourquoi ?
Edmond baissa la tête et eut une moue amusée malgré lui.
— Je crois… Je crois qu’on a beaucoup de choses à te raconter.
Après la brève présentation de Rachid aux membres du groupe qui ne le connaissaient pas, la conversation reprit autour d’un bon café, Rose digérant toutes les informations qui lui été parvenues. Elle souffla sur la vapeur, serra la tasse contre son torse, et ce malgré la chaleur étouffante qui baignait déjà le hangar sous le soleil.
— Donc Samantha peut soigner des plaies ?
— Je ne puis soigner, simplement ôter la douleur, répondit la chevaleresse, toujours délassée au bout du canapé.
— Et toi aussi, Edmond, tu as découvert une nouvelle facette de ton pouvoir ?
— Oui c’est ça, confirma Edmond. Je peux créer une sphère de protection.
— Et c’est grâce à cette sphère que toi Laurent tu penses que les membres d’E.C.O tirent leur pouvoir de phéromones ?
— Oui ! En émettant l’hypothèse qu’ils arrivent à diffuser des phéromones – ils savent les synthétiser, d’après leur conférence sur les engrais -, toute leur maitrise est réduite à cela. Edmond, en créant sa sphère, a dû les « casser », et couper ce lien.
Rose fixa le fond du hangar quelques secondes, réfléchissant, puis tourna sa tête vers Laurent.
— Je ne sais pas si ça a du sens, mais pourquoi pas.
— Ce qui est intéressant, continua Laurent, c’est que cela voudrait dire que l’on peut détruire le lien qui les uni à leurs bestioles, voir carrément l’anéantir.
— Et cela nous sera grès, car leur maîtrise s’accroit de jour en jour, ajouta Samantha. Ils sont malins. Ils savent utiliser ce pouvoir à bon escient.
— Samantha a raison, dit Edmond. Au départ, ils ne faisaient qu’appeler leurs animaux, leur demander d’attaquer. Là, j’ai vu Océane faire faire des choses bien précises à ses abeilles ; leur ordonner de faire une forme complexe, d’effectuer un mouvement particulier. C’est à la fois bluffant, et terrifiant.
— Ok, répondit simplement Rose.
Elle se leva avec souplesse, la tasse de café toujours contre sa poitrine, et commença à faire les cents pas entre le canapé et les tabourets, sous l’œil de sa compagne, alors que les autres membres avaient tous un regard pensif, tourné vers le néant. Rose s’arrêta une première fois devant Laurent et tourna sa tête vers lui.
— Tu penses que tu peux réussir à fabriquer un produit capable de briser ces phéromones ?
— Bien sûr, répondit-il avec sarcasme. Si tu me laisses dix ans et vingt millions d’euros.
Rose grimaça un sourire mesquin, baissa la tête en réfléchissant et reprit sa marche. Elle s’arrêta cette fois-ci devant Edmond.
— Ta sphère, tu es capable de la refaire ?
Edmond baissa les yeux, l’air morne.
— Je…
— Il a essayé toute la journée d’hier, répondit à sa place Lucie qui lui tenait toujours le bras avec tendresse. Mais tout ce qu’il a réussi à produire c’est une migraine atroce.
— Je suis désolé Rose, ajouta Edmond penaud.
Elle rigola, replaça sa mèche de cheveux et s’accroupit devant lui.
— Tu n’as pas à l’être Edmond. La seule chose sur laquelle j’ai envie de te disputer c’est ta prise de risque. Mais il faut croire que tu as fait un bon choix tout de même.
Il releva la tête et la regarda dans les yeux. Elle n’y décela pas cette joie qu’elle y voyait d’habitude, cette vie. Cela glaça quelque peu son cœur, déclenchant un signal d’alarme au plus profond de son cortex. Elle resta cependant stoïque et dure à l’extérieur, plaçant alors une main sur le genou d’Edmond pour compenser sa froideur.
— Tu m’avais dis que tu avais presque résonné Océane ?
Il gigota les jambes, comme un enfant qui a fait une bêtise.
— Je n’ai pas réussi.
Rose sourit.
— Je ne t’en veux absolument pas, au contraire. (Rose posa cette fois-ci sa main sur son épaule) ; je suis fière, extrêmement fière de toi ; de savoir que tu as recherché la diplomatie plutôt que l’attaque. C’est tout ce que j’attends de toi Edmond. Et à chaque fois, je voudrais que dès que tu le peux, tu recours à cette méthode. Encore plus la prochaine fois qu’on les rencontrera.
Edmond haussa les épaules.
— Je l’ai énervé la dernière fois ; ça ne marchera pas.
Rose baissa la tête, cherchant un moyen de réconfort. Elle observa le pansement sur son bras.
— Ta blessure c’est …?
— Morsure de rat.
Rose sourit de nouveau.
— Pas de piqûre d’abeilles alors ?
— Non.
— Aucune ?
Edmond releva la tête.
— Non.
— Alors c’est que ça marche. Cette fille ne te veut aucun mal. Je suis persuadée que tu peux la convaincre de revenir. Edmond, c’est même ce que tu dois faire.
Il eut un air confus.
— Tu crois que j’en suis capable ?
Rose ouvrit la bouche mais Lucie fut la plus prompt :
— Bien sur que tu en es capable mon Edou ! Enfin ! Tu es la personne la plus gentille que je connaisse, la plus désintéressée dans le geste ! Tu penses aux autres avant tout. Si une personne peut bien convaincre quelqu’un de faire le bien, c’est toi !
Les yeux de Lucie le regardaient avec cette candeur tendre qu’il ne trouvait que chez elle, et il en frissonna. Rose ressentit quelque chose se passer, la main toujours sur l’épaule d’Edmond, un léger picotement chatouillât le bout de ses doigts. Elle retira sa main et les picotements disparurent. Se redressant, elle glissa dans l’oreille d’Edmond :
— On se voit tous les trois un peu plus tard.
Puis elle tourna les talons, et reprit sa marche. Elle s’arrêta entre Samantha et Laurent.
— A quel point sont-ils dangereux ?
— Seuls, ils ne le sont pas, répondit Samantha. La fille a des hanches à enfanter, pas à guerroyer ; leur chef est mince comme la hampe d’une lance ; celui aux cloportes est sans doute le seul qui possède un peu d’aptitudes physiques. Par contre, plus ils invoquent de leur grouillants, plus ils sont fort. Quand les trois invoquent leurs armées, c’est tout bonnement impossible de les avoir.
Rose pencha la tête sur le côté, tapota son mug avec l’index, but une gorgée du breuvage.
— Si nous voulons les capturer vivant, notre meilleure chance serait tout de même d’affaiblir leurs liens.
Rachid, assit sur l’autre tabouret à côté de Laurent, prit à son tour part à la conversation :
— Au moins, désormais, nous avons l’avantage du nombre. C’est un point à ne pas négliger.
— C’est vrai.
Rose s’arrêta quelques secondes, réfléchissant à la manière de s’y prendre.
— Bon, au travail alors, reprit-elle.
Rose tourna d’abord sa tête vers Rachid puis Samantha :
— Sam, tu trouveras en Rachid un parfait partenaire d’entraînement. Sans armure, essaie de le déstabiliser.
Sam sauta de son accoudoir, et fit une courte révérence envers Rachid.
— Entendu !
Elle prit le pas vers l’armurerie, suivit de près par le nouvel arrivant.
— Edmond, va avec Lucie dans les appartements de Samantha, et fait un peu de méditation. Je veux que tu essaies de retrouver ce que tu as ressentis lorsque tu as fait ta sphère. Je vous rejoins dans quelques minutes. Le temps que l’on sache ce que l’on doit chercher avec Laurent.
Lucie et Edmond partirent à leur tour. Alors, d’une démarche fluette, Sophie s’approcha de sa partenaire :
— Et moi je peux aider ?
Dieu qu’elle était belle.
— Oui chaton. Je pense qu’on aura besoin d’énergie.
— Pates carbo made in Soso ?
— Tu as toujours su me séduire.
Sophie déposa un baisé sur sa joue.
— Je sais !
Samantha rentra dans l’armurerie et invita Rachid à en faire autant. Attrapant la totalité de ses cheveux couleur charbon, elle en fit une queue de cheval très serrée ne permettant à aucune de ses mèches le loisir de lui chatouiller le visage, dévoilant un peu plus ses petites oreilles décollées, Elle se plaça devant le râtelier d’arme d’entraînement en bois, tournant le dos à son nouveau partenaire de combat.
— Vous… tu veux quel type d’arme ? demanda-t-elle en bafouillant.
Surveille ton langage, sotte, se dit-elle à elle-même. Elle n’allait tout de même pas passer pour une hurluberlue devant le nouvel arrivant !
Rachid déposa sa veste à capuche noire sur un porte manteau proche de lui, attrapa dans sa poche sa Ventoline pour en absorber une bouffée, puis se plaça à un mètre derrière Samantha, bras ballants, les pouces dans les poches de son jean.
— D’habitude je suis plutôt marteau ; mais j’ai peur de te blesser tant que tu n’as pas évalué mon style de combat. Donc pour l’instant ça sera sans.
— Nous allons nous battre à mains nues ?
— Non, rigola Rachid, seulement moi. Toi tu choisis ce que tu veux.
Samantha se retourna alors, circonspecte, et observa Rachid de haut en bas. Il était un tout petit plus grand qu’Edmond, avec un physique replet ; sa barbe de trois jours, ses lunettes rectangulaires ne faisait en rien de lui un combattant. Sa posture, les épaules tombantes avec les mains dans les poches de son jean, et ses paupières semi-baissées achevaient d’endiguer le peu de menace qu’il représentait.
— Euh… tu es sûr ?
— Oui-oui. Je ne te demande qu’une seule règle ; ne vise pas les lunettes.
Samantha leva un sourcil interloqué, puis se retourna et choisit une épée bâtarde, pratiquement de la même taille que la sienne. Elle fit quelques moulinets pour s’échauffer, puis s’étira le bas du corps. Rachid lui se contenta de rouler sa tête pour détendre les ligaments du cou et des épaules, et effectua la même démarche pour ses poignets. Enfin, il se plaça à un bout de la pièce, droit comme un piquet sur le tatami, et se pencha à la manière d’un karatéka pour la saluer. Samantha, sans trop savoir pourquoi, l’imita, prenant ensuite une position d’attaque à l’autre bout de la pièce.
— Quand tu veux, lui dit Rachid d’une voix douce.
Samantha hésita encore un instant, puis tournoya l’épée, effectua deux pas d’élan rapide, s’abaissa d’un mouvement fluide en effectuant un tour sur elle-même afin de donner de l’entrain à son geste, le bras accompagnant le spin pour que le bout de l’épée percute précisément, au maximum de sa force, les cottes de Rachid. Le coup s’arrêta aussi net, et percuta si violemment la peau dure comme du métal qu’il se réverbéra dans la poignée en bois et provoqua une douleur cuisante dans l’avant-bras de Samantha, douleur qui remonta jusqu’à son épaule ; Rachid en profita pour attraper la lame en cèdre dans sa main, tira et lui subtilisa aussi simplement l’épée ; Samantha tomba à genoux, tirée de la sorte. Elle posa sa main gauche sur sa clavicule douloureuse, levant des yeux rouges, entre frustration et admiration, vers Rachid.
— Comment ? Comment est-ce possible ?
Rachid lui tendit une main pour la relever.
— Disons que le don que j’ai reçu est un peu pété.
Pété ?
— Mais il n’est pas sans faille, reprit Rachid. Si Rose nous a mis ensemble à l’entrainement, c’est pour une raison. Je pense que je peux t’apporter quelque chose. Et vice versa.
Samantha hocha la tête, et accepta sa main. Rachid la releva avec plus d’aisance que ne le faisait Edmond.
— Tu caches bien ton jeu, lui avoua-t-elle.
Rachid rigola.
— Disons que mon enveloppe corporelle déroute. Mais ce n’est pas vraiment fait exprès. Rose me tanne depuis des années pour que j’améliore ma condition physique. Elle me dit que je pourrais devenir un guerrier redoutable, comme mon mentor.
— Et pourquoi tu ne le deviens pas ? demanda Samantha curieuse.
Rachid haussa les épaules.
— J’aime aider les plus faibles, mais je ne serais pas un vigilant de vocation. J’ai pu voir les effets néfastes que cela a sur Rose. Ce n’est pas pour moi. Mon corps c’est le moyen que j’ai de me défendre de cette folie.
Il reprit sa position sur le tatami et fit un nouvel hochement de tête vers Samantha.
— Allez, réessaie !
Samantha s’exécuta, tachant simplement de trouver des points faibles sur le corps en acier de l’enclume. Celui-ci était doté de reflexes surprenant qui, combiné à l’amortie de sa peau, lui permettait à chaque fois de s’emparer de l’arme et de l’utiliser contre elle-même. Résignée, Samantha laissa tomber au sol l’épée de bois pour le prochain jouc, voulant s’essayer à mains nues.
— Ah, je vois que tu commences à comprendre ! Pour me battre, il faut utiliser plutôt sa tête que sa force.
Samantha, qui transpirait à grosse gouttes, plaça deux mèches de cheveux qui s’étaient échappées de son chouchou de chaque côté de son front, et se mit dans une position de combat, les paumes ouvertes vers Rachid. Celui-ci l’observait, attendant patiemment qu’elle approche.
Samantha fit quelques pas rapides, voulu s’emparer du bras droit de Rachid en effectuant une prise basse, et commis l’erreur de lancer sa main droite sous l’aisselle trop rapidement. Rachid se décala de quelques centimètres, et les doigts de la chevaleresse percutèrent ses cottes de plein fouet. Une nouvelle douleur cuisante s’empara de son avant bras, lui faisant perdre sa posture ; Rachid en profita pour attraper son bras gauche, la fit pivoter afin qu’elle tombe, la bloquant manu-militari au sol, son genou coinçant sa gorge. La douleur combinée à la défaite mirent les larmes à l’œil de Sam. Rachid se releva rapidement afin de ne pas l’humilier.
— Bien ! dit-il en la soutenant.
— Je n’ai rien fait de bien, maugréa Samantha en se remettant sur ses fesses et en se massant le poignet.
— Si. Tu as compris comment m’atteindre. Tu manques juste de pratique. Allez, on se repose un peu et on reprend.
Samantha se releva immédiatement, encore douloureuse, et rétorqua :
— Non, on reprend maintenant.
Rachid la regarda, et hocha d’approbation, satisfait.
— Qu’est ce que tu as trouvé sur Jules Miasme ? demanda Rose derrière Laurent, qui cherchait des informations sur l’ordinateur.
— Pas grand-chose de plus. Diplômé de grandes écoles ; divorcé, deux filles. Sa carrière a débuté il y a vingt ans dans l’entreprise Myblood-Early qu’il n’a jamais quitté. Il a rapidement eu un bon poste avant de devenir directeur de la section scientifique et agronomique, puis du développement phytosanitaire. Un homme intelligent, bon orateur de ce que j’ai vu, et parfaitement capable d’arriver à ses fins.
— Si c’était juste une vengeance d’Océane, et du groupe E.C.O en somme, pourquoi ne se sont-ils pas arrêtés là ?
— Ce n’est pas qu’une histoire de vengeance. Ou ce n’est plus.
Rose hocha la tête.
— Fait des recherches sur Myblood-Early et sur les activités qu’ils prévoient sur Caen et aux alentours. Il faut que l’on sache où ils vont frapper pour y être au plus vite.
— Ça marche.
Rose se retourna, se dirigeant vers les appartements de Samantha au son du cliquetis du clavier derrière elle. En entrant, elle découvrit Edmond et Lucie en pleine méditation sur leurs tapis de yoga. Edmond avait l’air concentré. Rose ferma doucement la porte, s’approcha de lui et posa une main douce sur son épaule. Il ouvrit les paupières et la zyeuta.
— Edmond, je voudrais te parler de la mort de Jules Miasme. Tu veux bien ?
Il n’ouvrit pas la bouche et se contenta d’hocher la tête. Lucie se rapprocha d’eux, alors que Rose s’assit en tailleur par terre.
— J’ai cru comprendre que tu n’as rien ressentit. Tu ne ressens toujours rien ?
Edmond hocha horizontalement la tête.
— Pas de dégoût, de peur, même d’une petite angoisse ? Tu peux me le dire.
— Rien du tout.
— Et tu y repenses parfois ?
Il réfléchit un moment, visualisant dans sa tête la scène.
— Je revois l’image parfois, mais c’est assez vague, et cela ne dure pas longtemps.
— Tu n’en as pas rêvé ?
— Non, je n’en ai pas rêvé.
— Ok Edmond.
Il baissa son menton vers le sol, regardant ses genoux d’un œil triste.
— Je sais je suis… bizarre.
Rose lui frotta doucement le dos.
— Non Eddy, tu ne l’es pas.
Lucie, qui observait scrupuleusement la mentor, aperçu une pointe d’appréhension dans ses yeux. Ils restèrent un moment comme cela, à en discuter, avant que Rose ne change de sujet.
— Eddy, pourrais-tu me re-décrire, du mieux possible, ce qui s’est passé quand tu as fait ta sphère ?
— Mon ressenti ?
— Oui, mais aussi ce qui s’est passé avant.
— Ok.
Il se replaça en tailleur, relevant son buste, et commença à décrire les évènements, accompagnés par des gestes de bras.
— J’ai suivi Océane jusqu’à l’arrière de la serre. Là, elle s’était arrêtée, prête à m’écouter. J’ai essayé de la raisonner. Mais je n’ai fait que l’énerver.
— Comment ?
— Je lui ai dit qu’elle avait encore de l’espoir. (Il soupira). Je sais, j’ai été bête.
— Pourquoi dis tu cela ? demanda Rose pleine de compassion.
— Eh bien parce qu’elle a ôté la vie à quelqu’un, dit-il en haussant les épaules.
Ah, oui.
— Je comprends, même si je suis assez mal placée pour ça. Alors elle t’a attaqué à ce moment là ?
— Non ! Enfin, si, mais ce n’était qu’une salve de fureur. Ensuite elle s’est calmée et elle m’a laissé m’approcher. Elle a vu que j’insistais, coûte que coûte. J’étais à deux doigts (il fit le geste), à deux doigts.
— Qu’est ce qui s’est passé ensuite ?
— Elle m’a demandé… Si on allait s’occuper d’eux. Si on les empêcherait de produire leur poison.
Rose avala ces paroles mot après mot. Soudain, elle eut une révélation et s’agenouilla précipitamment en se penchant sur lui. Elle replaça sa mèche de cheveux et le regarda dans les yeux, plaçant ses deux mains sur ses épaules.
— Edmond, ça va être très important ce que je vais te demander : quels ont été ses mots exacts ?
— Euh… bah ça je crois. Elle m’a demandé si on les empêcherait de faire leur poison. J’ai répondu que non, pas à ma connaissance ; alors elle a dit « c’est moi qui vous sauverai » et elle a préparé son attaque.
Le regard de Rose s’intensifia, fixé dans le vide, puis elle se leva aussi sec.
— Continue de repenser à cet évènement, essaie de te souvenir de chaque détail. Je dois aller voir Laurent.
Elle retraversa le bâtiment et retrouva le scientifique devant son écran, qui avait déjà imprimé quantité d’articles.
— Laurent ! l’alpaga-t-elle avant d’arriver à son niveau. Est-ce que tu sais si l’entreprise a une usine de produit chimique dans le coin ?
— Pas encore, répondit-il d’un ton calme tout en triant ses articles, mais une usine d’engrais est sur le point d’être inaugurée ; ça a fait la une de quelques journaux et la fierté de la région ; c’est le fer de lance du renouveau de l’ancienne zone d’activité de Bas-vent.
Laurent attrapa un journal et lui lança en face d’elle, sur le bureau. Rose déplia le journal et lut en diagonal l’article.
— Ok, dit-elle avec assurance. Ils en ont après ça. Qui est le futur directeur de cette usine ?
— Ça devait être Jules Miasme justement.
— J’imagine qu’il sera remplacé. Il y a un nouveau ?
— Pas encore nommé officiellement.
— Tu as les candidats potentiels ?
— J’ai le candidat.
Il lui tendit un papier imprimé qui semblait être un accord officiel. Comment l’avait-il obtenu ? Il ne valait mieux pas savoir. Rose observa le profil de la potentielle future victime.
— Rose, l’interrompit Laurent. Je ne suis pas sûr qu’ils s’attaquent à lui directement. Ils doivent probablement savoir qu’on est à leur poursuite. Ils doivent donc frapper un grand coup. S’ils tuent ce directeur, à quoi cela servirait, puisque quelques mois après, un nouveau le remplacera ? La mort de Jules Miasme était peut-être bien vengeresse, mais les suivantes ne le seront pas.
Rose releva les yeux du papier, analysant les dires de Laurent.
— Ils vont s’attaquer à l’usine, finit-elle par déclarer.
— C’est bien plus probable.
Rose rejeta le journal sur le bureau, resserra sa queue de cheval et prit son air le plus sérieux.
— Bon, partons de ce principe. Est-ce que tu peux me trouver les plans de cette usine, trouver les caméras de sécurité aux alentours ? Je veux aussi qu’on se branche sur toutes les fréquences de police et de gendarmerie, et qu’une télévision tourne en boucle dans la pièce. A la seconde où une attaque se déclare, on y va. Ah, et par principe, on se renseigne sur ce potentiel directeur et sur sa surveillance.
— Bien cheffe, répondit Laurent en toute décontraction. Je m’y mets immédiatement.
Rose hocha la tête, satisfaite ; pivotant sur elle-même, elle repartit en direction des appartements de Samantha pour retrouver Edmond et Lucie.
— Désolée, dit-elle en refermant la porte ; une illumination. Reprenons où nous en étions. Tu te rappelles de ce que tu as ressenti alors ?
— C’est… vague répondit Edmond. Mes souvenirs sont embrouillés avec la fatigue que cela m’a provoquée.
Rose s’agenouilla devant lui et lui prit le poignet droit de la main gauche, délicatement, sans toucher à sa blessure. Elle glissa sa main droite devant ses yeux pour qu’il les ferme, et murmura :
— Rappelle-toi. Tu étais dans cette grange. Océane lance ses abeilles. Que ressens-tu ?
Les yeux d’Edmond bougèrent sous ses paupières, en mouvements saccadés. Une difficile déglutition lui cassa la voix :
— Je… j’ai peur. Je me sens étouffé, emprisonné.
— Bien, murmura Rose qui serra un peu plus ses poignets. Quoi d’autre ?
— La chaleur… les vibrations. Je suis couvert d’abeilles.
Lucie devint blanche à côté, portant sa main à sa bouche.
— Et j’ai peur. Je suis terrorisé.
Rose serra un peu plus ses mains.
— Tu as peur de mourir ?
— J’ai peur… je ressens le froid m’envahir.
Il baissa la tête.
— Non, je n’ai pas peur de mourir… j’ai peur… j’ai peur de ne pas revoir ma Lucie.
Un large sourire illumina le visage de Rose. Les joues de Lucie s’empourprèrent tandis que son cœur se mit à battre la chamade dans sa poitrine.
Oh, mon Edou…
Edmond, qui sembla reprendre soudainement ses esprits, ouvrit les yeux et devint rouge de honte.
— Non-non, Eddy, n’ouvre pas les yeux. Reprends le cours de tes pensées.
Rose tourna la tête et fit un signe du doigt à Lucie pour qu’elle s’approche. Les joues encore échauffées, elle vint maladroitement jusqu’à eux et Rose lui indiqua de se placer à côté.
— Tu as eu peur de la perdre. Tu as alors pensé à elle ?
— Oui… à ses yeux verts qui me regardent avec amour. Son odeur un peu vanillée. Sa peau douce.
Rose indiqua à Lucie de prendre les poignets d’Edmond à sa place. Elle lui chuchota à l’oreille : « quoi qu’il arrive, ne prends pas peur. Tu ne crains rien avec lui »
Lucie acquiesçât, prit la place de Rose, attrapa de ses doigts doux les avant-bras d’Edmond. Aussitôt un frisson commun parcouru leurs échines. Les poils d’Edmond se hérissèrent, et une vibration fut perceptible dans l’air. Rose se recula de quelques pas, observant attentivement la scène.
— Et ensuite Edmond ?
— J’ai… je me suis rappelé du goût de ses lèvres.
Lucie su immédiatement ce qu’il fallait faire, et déposa un tendre baisé sur sa bouche. Aussitôt l’air tourna très vite autour d’eux, et Lucie cria de peur, attrapant Edmond dans ses bras. La sphère fit voler les papiers autour d’eux, soulevant les draps, décrochant des tableaux aux murs. Edmond ouvrit les yeux et serra dans ses bras Lucie pour la rassurer.
— C’est bon, c’est bon Lucie, je suis là. Tu m’as fait réussir. Tu m’as fait réussir…
Lucie se risqua à ouvrir un œil, et se rendit compte de la pagaille que cela provoquait autour d’eux. Elle se sentit tout de même protégée dans cette sphère transparente qui soulevait la poussière aux alentours, ainsi que ses cheveux. Rose se trouvait à trois mètres d’eux et sa propre mèche volait au gré du vent.
— C’est… fascinant, dirent en cœur Lucie et Rose. Cette dernière tenta de s’approcher, mais la sphère était compacte de l’extérieur, et l’empêchait de passer à travers.
— Eddy ?
Edmond tourna les yeux vers elle, ce qui provoqua une ouverture et Rose failli tomber à la renverse sur eux. Elle reprit son équilibre et regarda sa main. Deux fois elle fit pénétrer ses doigts dans l’onde tourbillonnante. C’était froid et pas franchement désagréable sous cette chaleur.
— Ça c’est fort. Tu peux faire passer qui tu veux je crois. Lève-toi pour voir.
Il s’exécuta et la sphère se souleva aussi ; ils se déplacèrent alors de quelques pas avec Lucie, restant le centre de l’univers de cette formidable sorcellerie.
— Là je crois qu’on a trouvé un sacré avantage au combat, assura Rose.
Soudainement, la sphère se rompit et Edmond fut rattrapé par reflexe par la guerrière, avant que son genoux ne cogne à terre. Elle le soutint par l’épaule et l’aida à s’assoir sur le lit, sous l’œil inquiet de Lucie.
— L’effet ne dure pas très longtemps par contre, répondit-il d’une voix faible.
Rose lui frotta le dos d’encouragement.
— Ça tiendra avec le temps et l’entraînement. Ce que tu viens d’accomplir est déjà grandiose. Il faut que l’on trouve un nom. Colère de dieu ça te va ?
Edmond prit sa tête douloureuse entre ses mains. A côté, Lucie l’engloba dans ses bras et l’embrassa sur la joue. Il accepta son baisé avec bonheur.
— Colère de dieu… D’où tu tiens ça ?
Rose hocha les épaules.
Détruisez toutes les créatures. Elles ne peuvent pas être régénérées.
— J’sais pas, mentit-elle. Je trouve l’effet approprié.
— Pas très modeste.
— C’est vrai, mais c’est rigolo.
Elle tapa sur son épaule et se leva du lit.
— Repose-toi bien avant de réessayer. Plus tu t’entraineras, et moins ça te fera mal. Ce soir Sophie nous prépare un bon repas. En attendant si vous voulez rentrer pour vous reposer vous pouvez.
— Merci Rose, répondit Lucie. Je pense qu’on va emprunter un des lits de la chambre de Samantha. Je ne pense pas qu’elle y verra d’inconvénient.
— Du moment que vous ne faites pas trop de bêtises.
Elle fit un clin d’œil et quitta la pièce, les laissant rouges de honte.
Laurent rangeait tranquillement tous les papiers qu’il avait imprimé, dans un dossier qu’il avait sobrement intitulé « E.C.O ». Plusieurs cibis grésillaient sur une petite table à coté, et la télévision de la salle de projection avait été ramenée près du bureau. Une chaine d’information tournait en boucle.
— Super travail, le félicita Rose en arrivant près de lui. Tu as trouvé des failles de sécurité ? Les plans ?
— J’ai quelques caméras utilisables, répondit-il ; j’ai découvert que le futur directeur est caché dans un endroit secret. Ils ont peur aussi. Quand au plan, cela n’a pas été facile, j’ai même dû craquer un serveur gouvernemental. Mais je l’ai.
Il le sortit et le tendit à Rose, qui s’empressa de le poser sous la lumière et l’observa. Le bâtiment semblait pragmatique, plutôt grand. Bizarrement il lui rappela quelque chose. Puis, son cœur s’arrêta d’un coup d’un seul.
— Oh putain !
Laurent se retourna de surprise, mais Rose avait déjà disparu. Il l’entendit farfouiller dans un tiroir de la salle des archives, se battant avec l’ouverture à clé. Elle revint à pas rapide, nerveuse, ouvrit le dossier jaune –l’original- à une page précise, et le posa avec fracas à côté du plan.
— Dis-moi que ce n’est pas la même chose.
Interloqué, Laurent se pencha sur le dossier et le plan, grattant son menton avec son index.
— Désolé pour toi Rose, mais ce sont exactement les mêmes plans, finit-il par déclarer.
Putain de putain de putain.
Elle fit les cents pas devant le bureau, se tenant la tête entre ses deux mains, emplie d’une folie soudaine, avant de se calmer et de s’arrêter devant Laurent, ne tenant cependant pas en place et bougeant sans cesse.
— Bon. Quoi que fassent les membres d’E.C.O, nous allons devoir pénétrer dans cette usine, coûte que coûte. Prions même qu’ils l’attaquent, cela nous servira d’excuse pour y accéder.
— Justement, Rose, je voulais te soulever une question à laquelle je n’avais pas pensé avant. Tu n’as pas peur que le pouvoir d’E.C.O ne soit qu’une simple technologie ? Je veux dire tu n’as jamais vu ça, Hilda et Luigi non plus. Si ce n’était pas de notre ressort ?
Rose devint soudain stoïque, le regard figé dans le vide.
Merde, ça non plus je n’y avais pas pensé.
— Tu as raison, répondit-elle en tachant de garder un air calme. Mais ce plan (elle le désigna sur le bureau), ce plan change toute la donne. Je prends le risque. Je dois en avoir le cœur net.
Elle soupira longuement, reprenant ses esprits, tout en serrant ses poings.
— J’ai besoin d’une clope.
La guerrière fouilla dans le tiroir du bureau, en sortit un vieux paquet de cigarette et se dirigea d’un pas militaire dehors avec. Il faisait beau et le soir commençait à peine à tomber. Sophie n’allait pas tarder à revenir avec le repas. Rose sortit un briquet, et mis en incandescence le bout.
Dix ans. Je ne peux pas être plus de dix ans tranquille !
Trop d’informations se bousculaient en même temps dans sa tête, et Rose aurait voulu, précisément à ce moment là, pouvoir se dédoubler pour ne plus se sentir seule face à ces problèmes. La porte grinça derrière elle, et la tête blonde de Lucie se dévoila. Rose tacha de sourire et Lucie s’installa à côté d’elle.
— Ça va ? demanda Lucie à son encontre. Elle avait perçu, malgré la façade, que quelque chose clochait.
Cette petite est étonnante.
Rose sourit alors sincèrement.
— Ne t’en fait pas pour moi. Les choses sont un peu précipitées, c’est tout.
Lucie hocha la tête.
— Tu as une cigarette pour moi aussi ? demanda-t-elle d’une voix timide.
— Tu fumes toi ? répondit Rose en recrachant sa fumée sur un côté.
— Je fumais avant. Ça m’arrive encore de fumer en cachette mais… Ne le dit pas à Edmond.
Rose rigola, et fit non de la tête.
— Où est-il ?
— Il s’est endormi sur un lit.
— Oui, cela ne m’étonne pas.
Rose tendit le paquet de cigarette et Lucie en prit une du bout des doigts, qu’elle alluma sous un soupir d’extase.
— Rose ? demanda-t-elle d’un ton grave. Ce n’est pas dangereux hein ? Son pouvoir… cela ne va pas le rendre malade, comme un pagurus ?
La guerrière refit non de la tête.
— Tu n’as rien à craindre là dessus. Nos pouvoir nous fatiguent, nous épuise. Mais des centaines de tests ont été fait. Jamais cela ne nous a rendus malade. Ça (elle montra la cigarette), ça c’est beaucoup plus nocif.
Lucie tira une grande bouffé qu’elle recracha aussitôt.
— Merci Rose.
Elles regardèrent un instant en direction de l’Orne ; quelques kayaks voguaient sur le canal.
— Lucie, j’aurais une faveur à te demander.
Le ton était cette fois sérieux, solennel.
— Oui ?
— Eddy risque de souffrir d’un post-traumatisme après la mort de Jules Miasme. Je le crains. Il semble ne rien ressentir pour l’instant et c’est normal, nous sommes en plein rush. J’aimerais que tu le surveilles. Il risque de faire des cauchemars, c’est normal. Je veux juste que tu me tiennes au courant. Il aura du mal à m’en parler.
Lucie recracha une grosse lampée de fumée, avant de tapoter la cendre au dessus d’un vieux bidon ouvert servant de cendrier.
— Oui. Edmond n’aime pas se sentir faible comparé à toi. Il a besoin… de te prouver quelque chose, je crois.
Rose pouffa.
— Il ne se rend pas compte que ce qu’il appelle faiblesse est en réalité sa plus grande force. Il est concerné par les autres. J’ai perdu cette humanité il y a des années et des années de cela. Edmond est vraiment quelqu’un de bien.
Rose sourit sincèrement, un sourire qui illuminait son visage jusqu’alors préoccupé. Lucie se rendit compte que Rose aussi aimait vraiment Edmond. Pas de la même manière qu’elle bien entendu, mais elle tenait sincèrement à lui. Cela provoqua la diffusion d’une chaleur réconfortante au plus profond d’elle-même.
— On s’attache à lui hein ? demanda-t-elle bêtement.
— C’est quelqu’un à part, répondit Rose en toute franchise.
Elles échangèrent un regard et la porte grinça de nouveau derrière elles ; cette fois-ci, les cheveux noirs de Samantha et les bouclés de Rachid passèrent la porte, apportant avec eux une lourde odeur de transpiration et de… butane. Tous deux avaient un air éreinté mais satisfait, celui que l’on a après un dur travail accompli. Samantha était couverte de bleus autour du cou, et semblait même saigner à la commissure des lèvres. Son débardeur noir portait des auréoles grises sous les bras et le galbe de sa poitrine.
— Qu’est ce que vous faites là tous les deux ? demanda simplement Rose.
— Je voulais allez me rafraichir, mais Edmond dort dans ma chambre, répondit Samantha. Je ne voulais point le réveiller.
Lucie posa sa main sur son avant bras et chuchota un petit « merci », alors que Samantha lança un regard étonné en voyant la cigarette au bout de ses doigts. La petite blonde posa son index sur sa bouche et murmura alors un « pas un mot ». Samantha hocha la tête.
— Ça a été votre entraînement ? demanda Rose.
— Oh oui, elle est coriace cette petit Sam, rigola Rachid. Elle a réussi, au bout de quatre heures, à me mettre à terre !
— Deux fois ! ajouta fièrement Samantha. Et vous ?
Rose recracha une lourde bouffée de fumée sur un côté qui s’échappa dans les airs comme la cheminée d’une locomotive.
— Edmond a réussi à refaire son nouveau pouvoir, ce qui est une bonne chose. C’est pour cela qu’il se repose. Et on pense savoir où aura lieu la prochaine attaque. Reste à savoir quand.
— Bonnes nouvelles, répondit Rachid.
Ils entendirent une voiture venir au loin, puis traverser l’allée de gravier et enfin s’arrêter devant eux. Sophie arrivait avec le repas, l’énorme casserole embaumant un mélange de gras de lardon, d’oignons et de parmesan tout juste fondu. Un gargouillement résonna, et tout le monde se tourna vers Samantha.
— Quoi ? se plaignit la jeune femme. Ne me dites pas que cela ne vous mets pas aussi en appétit ?
Dans le hangar, on réveilla doucement Edmond, et autour d’une table dressée et entourée de chaises trouvées dans tous les coins, ils participèrent tous au divin repas salvateur. Il n’y eu pas d’alerte ce soir là. Le lendemain, ils se retrouvèrent tôt, tous ensembles, pour reprendre les entraînements, observer les lieux de la potentielle future attaque, et rester à l’écoute des cibis. Aucune nouvelle n’était non plus arrivée ce jour là.
Le troisième jour, Rose apprenait à Samantha les bases de la mécanique en effectuant des réparations sur la supercinq, enchantant la chevaleresse aux yeux rouges. Rachid, Edmond, Lucie, Sophie et Laurent s’adonnaient à une partie de tarot autour des différentes sources d’informations extérieures dont ils disposaient. La journée passa plus lentement, la tension étant retombée ; la pensée qu’il n’y aurait pas d’attaque commença même à flotter dans l’air. L’atmosphère était lourde, un orage étant prévu dans la soirée, laissant de grosses gouttes de transpiration sur le front et les t-shirt moites. La descente du soleil s’entamait quand une des cibis se mit à grésiller.
« Intrusion dans la zone d’activité des Bas-Vents, je répète, intrusion dans la zone d’activité des Bas-Vents ! Des individus cagoulés sont sur place »
Laurent bondit d’un coup d’un seul et trifouilla les fréquences d’une radio à proximité ; rapidement, il trouva ce qu’il cherchait :
« On nous signale à l’instant une possible attaque terroriste au Nord-Ouest de Caen, dans la zone d’activité des Bas-Vents. Si vous êtes à proximité de cette zone, éloignez vous. »
Enfin une autre cibi grésilla :
« Les individus sont menaçants ! Je répète, ils sont menaçants ! Ils veulent faire sauter le bâtiment ! »
Tout le monde se figea autour de la table.
— ROSE ! cria Laurent assez fort pour qu’elle accoure aussitôt, s’essuyant les mains pleines de cambouis dans un chiffon qu’elle jeta ensuite à l’adresse de Samantha.