Samantha attrapa au vol le chiffon, s’essuya les mains, et par un mauvais reflexe se frotta le front avec son poignet droit. Elle barbouilla son visage de graisse noire, ce qui fit pouffer Sophie malgré la gravité de la situation. La belle rousse lui tendit un miroir et un chiffon propre, et Samantha devint aussi rouge que ses prunelles.
Rose, devant le poste de télévision allumé, avait la mine grave.
— Alors c’est aujourd’hui, se contenta-t-elle de dire, les bras croisés.
« Le groupe terroriste E.C.O a assiégé la nouvelle usine de la MBE ; ils réclament la vérité sur l’implantation de cette usine, sans quoi ils la feront exploser. »
— Sam, Eddy, Rachid, ordonna Rose d’un ton calme. Habillez-vous. Laurent, Sophie, Lucie, aidez-moi à préparer le matériel. On décolle dans quinze minutes.
Tous hochèrent la tête, en silence, avant de s’affairer. Une tension bénéfique baigna l’air ; une appréhension palpable, l’adrénaline nécessaire au combat. Edmond et Samantha se dirigèrent vers l’armurerie, alors que Rachid s’en alla quérir son sac qu’il avait déposé dans un coin près du laboratoire. A peine avait-elle fini de charger les voitures que Lucie commençait déjà à tourner en rond, Sophie l’accompagnant pour la détendre. Rose, elle, après s’être rapidement changée dans les appartements de Samantha, s’approcha du bureau ; elle prit le plan de l’usine, qu’elle plia en quatre avant de le placer précautionneusement dans une poche interne de sa combinaison. Laurent lui tendit une minuscule oreillette qu’elle prit du bout des doigts et qu’elle enfonça dans sa cavité.
— Test, dit-elle en maintenant l’index dessus.
— Un-deux, un-deux, répondit Laurent, son casque audio posé sur la tête.
L’oreillette répéta d’un son parfaitement audible. Rose leva son pouce vers le scientifique.
— Bon, tu seras encore nos yeux et nos oreilles, lui dit-elle en ajustant le fil du récepteur dans sa combinaison. Tu me tiens au courant de la moindre information. On se réserve notre canal secret.
— On garde le même mot de passe ?
— Toujours, répondit Rose en hochant la tête.
Elle resserra sa queue de cheval, posa son masque sur son nez, referma sa combinaison jusqu’en haut puis plaça ses dagues de chaque côté de ses hanches. Edmond arriva, costume et loup jaune sur le nez, suivi de près par Samantha, dans le cliquetis habituel de son armure. Enfin, Rachid les rejoignit, son visage à demi caché par un casque ailé aux allures médiévales, sa combinaison grise en kevlar possédant un léger bouclier carré fixé à l’avant bras gauche, et tenant dans sa main droite une courte et solide masse. Lucie et Sophie s’approchèrent aussi, la première étant encore plus pâle que Samantha en temps normal.
— Parfait, déclara Rose. (Elle se mit au milieu du cercle qu’ils formaient). Nous procédons comme prévu : Sam, Eddy, vous partez devant et vous vous montrez à E.C.O. Il faut d’abord qu’ils ne vous voient que tous les deux, qu’ils pensent avoir l’avantage ; nous arriverons juste après ; ça devrait les déstabiliser. Ne vous en faites pas, nous ne serons pas loin.
Edmond et Samantha hochèrent la tête. Lucie sauta dans les bras d’Edmond, tremblante de la tête au pied.
— Fait attention mon Edou…
— Ne t’en fait pas, je reviens en un seul morceau.
— Et pense à moi.
Il lui sourit.
— Ça sera de toute façon nécessaire.
Lucie mit un peu de temps à le libérer, lui donnant une dernière étreinte plus puissante, avant de le laisser partir, l’œil mouillé et la gorge serrée. Lucie donna aussi une étreinte plus légère à Samantha, qui n’osa pas bouger avec son armure.
— Toi aussi fait attention petite Sam, murmura la jeune femme blonde à son égard.
Sophie elle aussi lui lança un regard inquiet. Samantha adressa un hochement de tête à ses amies. Il était bon d’être aimé. Lucie la relâcha, et les jeunes guerriers montèrent dans la supercinq et partirent. Sophie s’approcha alors de Rose et enlaça à son tour sa belle.
— Fait attention à ta combinaison, j’en ai marre de la recoudre.
Son œil était tout de même tendre et on y décelait toujours l’appréhension dans son iris.
— Oui chaton, répondit Rose d’une voix fluette.
Elles s’embrassèrent, avant que Rose ne rejoigne l’Enclume.
— Allez, à la Tarbbouche mobile, dit-elle à l’encontre de Rachid.
— Que la fête commence ! ajouta ce dernier joyeusement.
L’air était déjà lourd, et pourtant le ciel était parfaitement dégagé sous le soleil couchant. Edmond se gara à quelques pas de l’usine, dans un parking vide ; l’adrénaline à la gorge, il se dirigea à pied vers le bâtiment, Samantha à ses côtés. Quelques voitures de police, gyrophares allumés mais sirènes muettes, se tenaient à bonne distance du lieu d’attaque. Leurs occupants ne prirent même pas la peine de sortir. Edmond et Sam passèrent un barrage immobile, et arrivèrent devant la grande place, éclairée par quelques réverbères, où semblaient les attendre Océane, Corentin et Ernest. Chacun, par effet de spectacle, avait revêtu son costume menaçant, les masquant partiellement. Trois hordes de leurs animaux fétiches les accompagnaient, toutes plus imposantes encore que la dernière fois qu’ils s’étaient croisés. Quand Samantha et Edmond s’approchèrent suffisamment, se révélant à la lumière des lampadaires, un brouhaha protestataire cassa le silence du soir. La voix d’Ernest résonna alors :
— Tous les deux, encore ! Il fallait s’en douter. La dernière fois ne vous à donc pas suffit ?
— Il faut croire que non, répondit Edmond rempli d’une assurance soudaine. Ce soir, nous vous arrêtons une bonne fois pour toute pour mettre fin à cette histoire.
Ernest se mit à rire, d’un rire dément.
— AH AH AH ! Non, la fin de cette histoire, c’est que Myblood-Early va répondre de ses crimes ! Fini les mensonges, les arrangements avec l’état, le lobbyisme à peine caché ! Gagner de l’argent sur le dos de la planète, c’est terminé ! La nature a ses défendeurs désormais !
— Et que comptez-vous faire ? demanda Edmond.
Ernest, sous son masque de poils, eut un sourire malsain.
— Nous avons placé une bombe au phosphore dans l’usine.
Edmond avala bruyamment sa salive ; une goutte de sueur froide lui coula du front jusqu’au cou. Samantha, elle, resta stoïque. Elle ne savait pas ce qu’était une bombe, et à vrai-dire, elle s’en tamponnait légèrement le coquillard. Elle se contenta de prendre un air indéfectible.
— Chacun de nous a un détonateur, reprit Ernest en articulant chaque mot. Nous pouvons déclencher l’explosion à tout moment ; et si jamais ils nous arrivent quelque chose, de toute façon, un minuteur la fera détonner à minuit. C’est le temps que l’on laisse à la MBE pour qu’elle se manifeste.
— Personne ne viendra dans ce laps de temps ! protesta Edmond.
Ernest rigola une nouvelle fois, cette fois-ci d’un rire froid, déterminé.
— Alors dans ce cas… oups !
Edmond serra les poings, le cœur battant dans sa poitrine.
— Cela ne se passera pas comme cela, rétorqua Samantha de sa voix métallique. Vous nous avez eus par surprise les dernières fois. La donne a changé !
Ernest l’observa, choqué de cet aplomb, et scanna la chevaleresse comme si elle ne portait pas son armure. Il soupira et renversa sa tête en arrière.
— A deux ? Mais que pouvez-vous faire, contre NOUS TOUS ?
Il ouvrit alors les bras, et le brouhaha derrière eux devint assourdissant. Les armées entières des trois membres d’E.C.O se dévoilèrent de la pénombre des réverbères. Elles avaient encore gonflé de volume pour arriver à une taille plus que gigantesque. Les rats qui suivaient Ernest étaient noirs d’encre, gros comme des chats, des crocs menaçants et des yeux emplis de rage. Océane avait un nuage énorme au dessus d’elle, au bourdonnement aussi assourdissant que celui d’un hélicoptère. Les cloportes quand à eux soulevaient Corentin dans les airs, comme un volcan dont il serait la lave éruptante. Son corps entier était recouvert de bestioles, ne laissant entrevoir que ses yeux.
— VOUS ETES SEULS ! SEULS ! reprit Ernest, dément.
— Non, ils ne sont pas seuls, rétorqua une voix dans l’ombre.
Rose se révéla à la nuit, se déhanchant, si effrontée que s’en devenait insultant. Elle se plaça à droite d’Edmond et de Samantha. Ernest et les deux autres eurent un léger mouvement de recul.
— Ce n’est pas… ce n’est pas parce que vous êtes trois cette fois-ci que cela va changer grand-chose !
— Oh, mais ils ne sont pas trois, répondit alors une nouvelle voix, cette fois-ci masculine, sortant de l’autre côté de l’ombre. Rachid vint quand à lui se placer à gauche de Samantha, allure décontractée, relevant le torse où le symbole d’une enclume trônait, sa masse posée sur son épaule. E.C.O eut un nouveau mouvement de recul, et le brouhaha animal diminua quelque peu ; on entendit presque les membres du groupe déglutir. Ernest reprit ses esprits, et se redonna de l’entrain.
— Peut-être, peut-être que vous avez l’avantage du nombre humain cette fois-ci. Mais nous, nous avons la bombe, et nous avons nos fidèles !
Il leva les bras au ciel, suivit de près par Océane et Corentin, et le brouhaha repris de plus belle ; un tintouin assourdissant, mêlant grognements, bourdonnements et la sonorité visqueuse qu’émettaient les milliards de cloportes qui se choquaient les uns contres les autres. Cette fois-ci, c’est l’équipe de Rose qui eut un mouvement de recul, sauf cette dernière qui les regarda d’un air qui signifiait « ne faiblissez pas ».
Une drôle d’électricité baigna l’atmosphère de la place, dans un instant suspendu dans le temps. Samantha serrait la paume de son épée dans sa main gantée, fixant à travers la visière de son casque Corentin avec lequel elle comptait bien prendre revanche. Rose, les mains lévitant au dessus de ses hanches, disposée à dégainer ses dagues, observait les moindres faits et gestes d’Ernest ; Rachid faisait de même, conscient que si celui-ci tombait, les autres suivraient sans aucun doute. Enfin, Edmond tachait de croiser le regard d’Océane à travers son masque ; cette dernière semblait tout faire pour l’éviter, fixant un point derrière leur groupe.
Un chat renversera une poubelle dans un tintouin grotesque. Tout alla très vite ; les rats, échauffés, se mirent à courir vers eux. Samantha, la plus prompt du groupe, utilisa la puissance de son armure pour se jeter sur Corentin, qui éleva immédiatement un mur de cloportes qu’elle explosa comme une plaque de plâtre. Ce n’était pas bien difficile, mais cela la ralentissait considérablement. Edmond suivait Samantha et profitait de son ouverture pour se rapprocher d’Océane, qui éleva ses abeilles en huit au dessus d’elle à une vitesse prodigieuse. Les rats arrivèrent sur Rose, qui ouvrit enfin les fourreaux de ses holsters et attrapa ses dagues, parée à la riposte ; Rachid, à côté d’elle, faisait tournoyer sa masse dans l’attente. Les premiers rongeurs sautèrent et Rose tailla dans le vif en tourbillonnant, des gestes fluides et précis, une danse acérée et mortelle. Des rats volèrent par-dessus elle et Rachid utilisa sa masse comme une batte. Les pauvres bêtes mourraient dans un craquement sonore écœurant. L’arrivée en masse des mammifères étaient telle que rapidement, ils furent débordés et les premiers crocs se plantèrent dans la chair de Rose. Ils n’arrivaient pas à percer la peau de l’Enclume, mais s’agrippaient à son armure et alourdissait son porteur à tel point que les mouvements du combattant devenaient erratiques. Rose fit la toupie sur elle-même, les dagues en externe, pour éliminer le surplus de rats et venir en aide à son comparse. Ils se mirent dos à dos, acculés en rond par l’armée poilue. Ernest se tenait encore à une vingtaine de mètres ; ils n’avaient pas avancé d’un centimètre et autour d’eux, le sang et la chair éparpillés dépeignaient déjà un véritable champ de bataille.
— Il faut qu’on s’approche de lui ! beugla Rose dans la pagaille.
— Comment ? Tu as vu la taille des rats ? Tu as vu leur nombre ?
— Danse coordonnée ? suggéra Rose entre deux efforts.
Rachid hocha la tête.
— Ça peut se tenter !
Edmond glissait sous les salves d’abeilles, se relevait, lançait une onde rapide pour éloigner un nouveau bloc d’insectes, et de temps en temps un rat solitaire. Entre deux attaques, il courrait le plus vite possible vers Océane qui tachait de s’éloigner maladroitement, manquant plusieurs fois de tomber en reculant sans regarder derrière elle. Quand il fut assez proche, la jeune femme changea de stratégie et envoya d’énormes nuages d’abeilles, imparables et difficilement séparables avec des ondes, obligeant Edmond à reculer à son tour. Samantha, elle, profitait de la force de son armure pour avancer, coûte que coûte, et gagnait peu à peu du terrain en découpant des monticules de cloportes qui ressemblait à s’y méprendre à de l’argile vivant ; elle en élimina aisément un, puis deux, puis trancha une troisième vague qui faillit l’engloutir ; la vague se brisa en explosant au sol sous la forme de milliers de cloportes, qui se reformèrent aussitôt et se regroupèrent comme une flaque d’huile. Sam n’en teint pas compte ; elle n’était plus qu’à quelques mètres de sa proie lorsqu’une dizaine d’énormes rats se jetèrent sur elles, la renversant à terre. Ernest avait lancé quelques unes de ses forces venir à l’aide de Corentin. Cela permit à Rose et Rachid de reprendre un peu d’avantage et de s’approcher du chef d’E.C.O ; en marchant et tournoyant dos l’un contre l’autre, ils éloignaient les nuisibles dans une danse macabre obsédante, parvenant à gagner du terrain.
Edmond releva la tête et remarqua que les nuages d’abeilles étaient devenus moins gros, plus éparses et surtout revenaient moins rapidement. Il en profita pour reprendre un peu son souffle et éloigna le dernier naissain qui le menaçait ; Océane ne s’intéressait plus à lui et regardait dans la direction opposée. Il vit alors Rose et Rachid s’acheminer vers Ernest en effectuant leur ballet sanguinaire spectaculaire. Une parfaite distraction pour Océane dont il pouvait profiter. Edmond fit tournoyer son bâton autour de lui pour se redonner de l’entrain et entama sa course vers la jeune femme ; quelques groupes d’abeilles gardiennes veillaient au grain, mais sans les ordres de leur maitresse, leurs comportements étaient désordonnés et le parcours devenait un jeu d’enfant. Il ne lui restait plus que cinq mètres ; un mur de cloportes s’éleva devant lui en une fraction de seconde, et il tomba la tête la première dedans ; les grouillants recouvrirent son corps des pieds à la tête, le faisant tomber à la renverse. Les millions de petites pates sous lui se mirent à travailler en même temps, et ils emportèrent Edmond au loin en le faisant glisser au sol comme s’il était sur une patinoire, sans la moindre possibilité pour lui de lutter contre.
Rose et Rachid arrivèrent à deux pas d’Ernest. Celui-ci envoya ses dernières forces en vain, et fut aidé in-extremis par un énorme nuage d’abeille qui attaqua le couple de combattant, les aveuglants, permettant à Ernest de s’éloigner. Les trois membres d’E.C.O se regroupèrent alors devant la porte de l’usine, et profitèrent des quelques instants de répits qu’ils s’étaient procurés pour appeler de nouvelles forces. Edmond, débarrassé des arthropodes qui l’avaient incommodé, rejoignit Samantha qui s’était relevée et restait immobile, subjuguée par le spectacle. Si la quantité d’animaux qu’E.C.O avaient déjà réunis avant était importante, elle n’était en fait rien comparée jusqu’alors ; les abeilles cessèrent leur razzia sur Rose et Rachid, et l’équipe complète ne put que constater la force prête à se déchainer sur eux.
Le nombre d’abeilles étaient si impressionnant que le ciel étoilé n’était même plus visible, et leur bourdonnement faisait vibrer les lampadaires. Corentin était sur un tel monticule de cloportes qu’il atteignait désormais une taille d’environ cinq mètres de haut. Ernest avait rameuté, avec ses gros rats, des centaines de rats d’égouts plus modestes, mais tout aussi dangereux. Edmond, Samantha, Rose et Rachid se rapprochèrent pour faire face d’un bloc, se préparant à l’attaque cataclysmique qui les attendait.
— Leur maîtrise des animaux s’est encore affinée, fit remarquer Samantha.
— De manière exponentielle ! ajouta Edmond.
— On fait front et on attend que l’orage passe ! martela Rose.
Les derniers soldats rejoignirent les rangs d’E.C.O, pendant quelques secondes troubles. Quand le dernier rat monta sur l’épaule d’Ernest, ils envoyèrent, d’un simple geste du doigt, toutes leurs armées combattre ensemble. Rose et chacun des autres membres se mirent en appui, prêt à encaisser. Les premiers rats arrivèrent, par centaines, percutant d’abord Rose qui était au premier plan puis chacun des membres derrière. Les crocs des rats se plantèrent dans sa chair, ainsi que celle d’Edmond ; Samantha et Rachid leur vinrent en aide à coup d’épée et de masse. Les abeilles s’agglutinèrent autour des deux pour les aveugler, et Corentin ordonna à ses cloportes de les faire tomber à terre et de les éloigner. La défaite devint tangible.
Rose ne comptait pas en rester là. Menée par une rage soudaine, elle tourbillonna de nouveau sur elle-même, se débarrassant des quelques nuisibles accrochés à sa peau ; les dagues tenues à l’envers dans ses paumes, elle trancha les rongeurs aux alentours. Une nouvelle horde courra vers elle, prête à lui sauter à la gorge. Au dernier instant, elle fit un saut périlleux arrière, propulsant les bêtes en l’air dans un couinement de surprise, qui retombèrent en pluie autour dans un bruit sourd. Apeurés, certains rats commençaient à quitter le navire, débarrassés de l’emprise d’Ernest. Plein d’orgueil, Rose souffla sur sa mèche pour libérer son œil et fixa les membres d’E.C.O avec une telle rudesse qu’elle lut la crainte s’écrire sur leurs visages.
— Inutile de gesticuler ainsi, la toisa de loin Ernest pour garder son courage. Vous avez perdu. Nous sommes bien plus forts.
Les grouillants se mirent alors à les encercler, les acculant, menaçants, obligeant chaque membre à se rapprocher les uns des autres. Ils étaient piégés. Les abeilles se mirent alors à bourdonner joyeusement au dessus d’eux.
— Quelle victoire, mes amis ! se pavana Ernest. Les héros qui ont vaincu la bête il y a quelques mois, battus par quelques animaux.
Ernest serra les poings, fier, absolu dans sa victoire.
« Le monde va nous prendre au sérieux désormais, continua-t-il la mâchoire serrée. Il y sera contraint. La MBE pliera devant notre puissance. »
Rose grinça des dents, un regard haineux envers les membres d’E.C.O. Sa combinaison comportait de multiples trous de morsures, et son sang séché avait taché le lycra. Dans un des trous, sur sa peau couverte d’écarlate, elle sentit une goutte, et observa la poisse rouge se diluer. Puis il y en eut une autre. Ses bras furent bientôt recouverts d’eau, eau qui ruissela rougie au bout de ses doigts ; Rose leva les yeux au ciel. De grosses gouttes tombaient, lourdes, rafraichissantes. Rapidement le pétrichor embaumât l’atmosphère, et la pluie mouillant ses cheveux la réconforta. Edmond, Rachid et Samantha l’imitèrent, levant eux aussi les yeux au ciel. Derrière les abeilles, des nuages épais envahissaient l’espace.
BRAOUM !
Le ciel craqua une première fois, accompagné d’éclairs aveuglants. Puis une deuxième détonation, rapidement suivit d’une troisième, apportant avec elles une pluie de plus en plus drue et fouettante. Les animaux qui les entouraient relâchèrent peu à peu de leur étreinte ; certains s’évaporèrent même dans la nature, perdus, comme s’ils sortaient d’hypnose. Les armées s’amenuisèrent drastiquement, malgré les efforts des membres d’E.C.O pour les garder en contrôle.
Rose rigola.
— On dirait que la chance tourne, Ernest.
Ce dernier eut un mouvement d’effroi.
Rose reprit sa position d’attaque, suivit rapidement par ses trois comparses. Ils attaquèrent alors en un bloc.
Les membres d’E.C.O firent leur maximum pour les ralentir, mais la marche était furieuse, invincible. Edmond envoyait paitre rats et abeilles avec ses ondes, Rose et Samantha tranchaient de plus belle cloportes et rats, et Rachid jouait au baseball avec ce qui venait. Rien ne semblait pouvoir les arrêter.
Une déflagration brisa la nuit.
PAN !
Ce n’était pas un coup de tonnerre.
Edmond se jeta à terre, par un réflexe fort humain. Rachid fut percuté en plein torse et s’arrêta sous le coup de la surprise. Samantha et Rose tournèrent les yeux vers lui. La balle s’était écrasée au niveau de son cœur. Rachid posa une main gantée dessus, baissant la tête vers son torse, les gouttes d’eau ruisselant de son casque.
Bordel, ça fait tout de même mal.
Il décrocha la balle, logée entre deux plaques de kevlar, et la fit tomber à terre. Elle était exempte de toute trace de sang, sous les yeux ébahis d’Ernest qui n’en revenait pas. Rose tourna des yeux vengeurs vers eux ; Ernest tenait toujours l’arme à la main, un 9mm semi-automatique ; Corentin et Océane posaient des yeux horrifiés sur lui. La présence de l’arme et de son utilisation avaient l’air d’être tout autant une surprise pour eux.
— ON SE SEPARE ! cria d’un coup Ernest à l’encontre de ses collègues.
Par instinct de survie, Océane et Corentin obéirent, et chacun envoya alors une armée pour aveugler l’équipe, profitant de la dispersion causée pour partir en courant dans trois directions différentes. Les nuages d’abeilles et les vagues de cloportes se dissipèrent, suivant alors leurs maitres respectifs ; Rose et les autres se retrouvèrent esseulés au milieu de la place. Samantha fut la plus prompte à prendre une position de départ, épée en avant.
— Je m’occupe du cloporte, assura-t-elle. (Sous son casque, elle étrécie les yeux). J’ai une dette à faire payer.
Rose approuva d’un hochement de tête.
— Edmond tu…
— Je m’occupe d’Océane, répondit-il sobrement.
Rose posa une main sur son épaule.
— Tu vas y arriver. Avec Rachid, nous on s’occupe d’Ernest. C’est de loin le plus fou et le plus dangereux.
Chaque membre se tourna dans la direction dans laquelle son adversaire avait filé. Rose réajusta son masque et ses cheveux, et se mit en position de courir, empoignant ses dagues à l’envers.
— Ah, et si possible, ajouta-t-elle, essayez de les ramener vivants.