27 Mars 1909
Tout miroite dans la forêt encore mouillée de ce matin. Il fait doux et les bourgeons débourrent à peine. Il doit être seize heure tout au plus comme le laisse deviner la lumière orangée qui tombe en nouvelle pluie sur le sol déjà trempé.
Les feuilles mortes craquent sous nos pas. Je vois des petits crapauds s’échapper en bondissant loin du sentier et des débris où ils s’étaient blottis. Je décide donc de marcher avec un peu plus de précautions de peur d’en blesser un à mon passage. L’Homme est très généralement un être lourd et inattentif au petit peuple quel qu’il soit et personnellement, j’ai une affection toute particulière pour le petit crapaud des bois. Cela fait rire Marius qui, il a du comprendre au regard que je lui lance, a tout de même décidé de faire comme moi, c’est-à-dire éviter d’écraser un batracien dans notre inconscience d’enfants.
J’aime nos balades dans les bois tous les deux les premiers jours de printemps. L’air y est moins iodé certes, mais bien plus tendre qu’à la maison où le vent est capricieux. «Exactement comme toi» écrirait Marius s’il avait ce carnet, «mais c’est celui que je préfère» rajouterait-il ensuite. Je ne supporte pas quand il fait son romantique comme ça... Cela lui prend depuis qu’il s’est plongé dans les Misérables et que le personnage dont il a hérité du nom semble grandement l’inspirer. Enfin, s’il peut lire plutôt qu’abimer mes affaires, tant mieux! La dernière fois il a cassé le mât d’une de mes maquettes en voulant «voir si c’était du solide» -je cite...-.
Quoiqu’il en soit, j’aime cette promenade dans la forêt derrière le manoir de Dordogne où nous invitent les parents de Marius à l’orée du mois d’Avril. Les terrains sont moins sableux, les arbres différents et, comme la rivière est proche, on peut y voir pleins de grenouilles et souvent des libellules.
Marius qui ouvrait la marche s’arrête brutalement: une immense flaque d’eau boueuse coupe le sentier. Avec toute la bienséance qu’Hugo aurait donné à son personnage à cet instant, il me propose de me porter pour éviter de mouiller mes jupons. Je refuse évidemment. Je suis assez grande pour éviter de me salir toute seule et mes vieilles bottines sont d’un cuir très sûr. Certes, j’avoue, j’attends aussi avec impatience de voir son air éberlué et ses joues rosir à la vue de mes bas, charmants avec ça, que j’aurai été obligée de dévoiler au moment de passer. Néanmoins, je promets sincèrement que je n’ai jamais voulu en arriver là lorsque je l’ai poussé. En effet, après mon déclin de son offre, si galante soit-elle, alors qu’il observe stratégiquement la flaque pour mieux la franchir, j’en profite pour le bousculer. Il perd l’équilibre et tombe dans l’eau... Ce qu’il peut être maladroit des fois!
Il est très vexé, je me force à ne pas rire quand je l’aide à se relever. Lorsque je vois son pantalon tout gorgé d’eau de pluie et de gadoue, je suis un peu plus embêtée. Il a l’air triste en regardant ses chaussures toutes crottées. Non sans malice, je lui propose de le porter pour traverser la flaque. Il grommelle, m’envoie balader comme il sait très bien faire et commence à revenir sur nos pas. Je l’appelle une fois en m’excusant de l’avoir poussé, il ne se retourne pas. Une deuxième fois, rien. Tant pis pour lui! Je soulève ma robe et fais des pas les plus grands possibles pour passer l’obstacle de la discorde sans trop abîmer mes affaires. Je jette un petit regard en arrière. Marius me fixe tout rouge et les yeux ecarquillés tant j’ai relevé ma toilette et que l’on voit mon pantalon en dentelle -magnifique je précise, il est tout neuf-. Je lâche tout mes jupons d’un coup, il ne faudrait pas exagérer non plus et reprends ma marche en sifflotant. Quelques secondes plus tard, Marius est à côté de moi les mains dans les poches, la mine un peu renfrognée. Quel nigaud tout de même, j’ai treize ans et lui bientôt aussi, nous nous connaissons depuis tout petit mais un bout de mollet suffit à l’intimider depuis quelques temps maintenant. Cela m’amuse énormément c’est vrai.
Il essaie d’imiter le chant des oiseaux en sifflant comme eux. Il regarde le ciel tout enchevêtré de branches encore nues avec joie. Ca y est, il ne m’en veut plus. J’observe un peu plus préocuppée ses vêtements tout salis par ma faute... Il va se faire gronder mais je dirai que c’est moi parce qu’il a fait fait pareil quand Papa a découvert ma maquette cassée. Marius déteste l’injustice autant que moi et cela fait sans doute partie des raisons pour lesquelles je l’aime autant qu’il m’aime. Enfin je crois. Nous ne nous disons rien à ce propos et c’est très bien comme ça d’ailleurs. Pour le moment je n’ai besoin que d’un ami et de rien d’autre, il remplit merveilleusement ce rôle je dois bien l’avouer.
Il sourit tout en continuant de fixer les cimes parce qu’il sait que je le regarde depuis quelques minutes déjà. Je l’arrête brusquement et mets ma main sur sa bouche pour éviter qu’il ne geigne ou ne fasse quelque chose de ce genre propre au garçon mais qu’on associe un peu trop vite aux filles. Un biche passe, traversant le sentier sous un puit de lumière. Nous restons silencieux et immobiles encore longtemps après son passage et la nuée rayonnante presque féerique qui l’accompagnait.
«-Tu as vu? Me demande Marius l’air mystérieux d’un coup.
-Quoi donc?
-Et bien les nymphes! Les petites nymphes qui riaient sur sa croupe!
-Comment?? Mais... non...
-Vite alors!»
Il prend ma main et nous nous engouffrons en courant entre les arbres sur le sillage de l’animal. Nous marchons encore un petit moment puis il murmure toujours avec le même air «j’espère qu’elles nous aurons attendu». Il soulève alors les branches feuillues juste devant et m’invite à avancer. Pourtant même lui est surpris lorsque pleins de petites fées lumineuses deferlent sur moi pour jouer avec mes cheveux. A nos pieds certaines chevauchent des oiseaux qui sautillent d’excitation, d’autres des crapauds. Celles-ci ont décoré leurs rennes avec des grelots minuscules. Je peux même voir noué à leur peau nue, au dessus de leur cuissarde droite en ajonc, un petit poignard taillé dans une épine. L’une d’elles me remercie d’avoir fait attention sur la route tout à l’heure. De grandes nymphes aux bois de cerfs fleuris dont la peau est si pâle qu’elles paraissent transparentes nous font rentrer dans leur ronde tandis que trois jeunes faunes jouent de la flûte de Pan derrière nous.
Nous dansons longtemps et jouons beaucoup dans cette clairière pleine de clochettes et de boutons d’or. Marius m’en fait une couronne.
Lorsque nous décidons finalement de partir, tout paraît plus dense. Aucun chemin ne ressemble à ceux que nous avions pris pour arriver à la fête des fées. Plus la nuit tombe, plus je m’en veux de nous être éloignés ainsi du sentier que nous ne retrouvons pas. Nous sommes bel et biens perdus et il commence à faire froid. J’ai peur de croiser un sanglier, ils sortent le soir et très tôt le matin. Les arbres sont trop hauts pour pouvoir leur échapper s’ils chargent. Je me retiens de pleurer et je crois que Marius aussi. Je suis très fatiguée et mes jambes me font mal. Je ne dis rien,parce que je sais que pour lui c’est la même chose.
Soudain, on entend des cris au loin. Je sursaute et me poste devant Marius dans un réflexe protecteur. Il faut dire ce qui est, il manque parfois cruellement d’instinct de conservation et on ne sait quelle mauvaise personne on peut croiser dans les bois la nuit venue. Pourtant les voix n’ont rien d’un Grand Méchant Loup et ressemblent de plus en plus à celles de nos pères. Elles se font plus proches, c’est bien eux! Ils nous appellent. Marius me prend sur son dos et avance le plus rapidement possible vers les éclats de voix.
Papa et le sien nous ont portés jusqu’au retour du manoir, je me suis endormie une bonne partie du chemin. Lorsque nous arrivons, nos mères et ma fratrie nous embrassent. Nous n’avons aucun commentaire sur les vêtements de Marius ou nos chaussures abîmées. Ils étaient tous très inquiets je crois. Maman m’assure qu’elle attend avec hâte le récit de nos aventures.
Je vais prendre un bon bain chaud. Mes jupons et mon petit pantalon sont empilés sur la chaise. Je souris, ceux-ci sont d’un blanc immaculé -ou miraculé à voir-. Après le dîner, je vais retrouver Marius dans sa chambre. Tout le monde dort je pense, sauf les adultes peut-être. Je m’assois au bord de son lit pour le remercier de m’avoir porté tant j’avais mal aux pieds tout à l’heure et dépose un baiser sur sa joue. Il est heureux je le vois dans ses yeux. Il me dit que c’est normal, que c’était à lui de le faire parce que je ne tenais plus sur mes jambes et que, si ça avait été l’inverse, j’aurai fait pareil pour lui. C’est vrai. En plus ça n’aurait pas été très compliqué, nous faisons quasiment la même taille, même si cela ne durera plus longtemps selon Maman et qu’il me dépassera vraiment bientôt.
Il me regarde et sourit. «C’était quand même sacrément bien comme balade Raph’, tu trouves pas?»
Oui c’est vrai que c’était sacrément bien.
C'est avec joie que je découvre ton histoire. J'aime beaucoup ta plume, je me suis déjà attachée aux personnages et je sens que je vais continuer ma lecture très prochainement.
Comme ton roman est classé ni "fantaisie" ni "fantastique", j'ai été surprise par la présence des fées, mais c'était une bonne surprise, très agréable à lire et en harmonie avec le côté "enfance heureuse" qui émane de ce texte.
À très bientôt pour la suite!
Je te réponds tardivement mais saches que je suis trop heureuse que cette histoire te plaise ainsi que les personnages! J'espère que la suite te séduira autant hehe
Merci bcp pour ton commentaire!
A bientôt ;))
Il y a un bon équilibre entre descriptions/récit je trouve, elles ne sont pas lourdes, et poétiques donc très agréables à lire. Elles sont assez précises pour qu'on se fasse une idée, et assez imprécises pour qu'on puisse s'imaginer ce qu'on préfère.
Merci pour cette histoire, j'ai hâte de continuer ma lecture !! (et j'espère que le commentaire n'est pas trop long)
(et j'ai juste repéré une faute d'orthographe, la voilà au cas où : "il grommèle" -> il grommelle)
Pour ce qui est des descriptions, du ressenti "enfantin", je suis ravie que tu le perçoives ainsi.
(le commentaire est par-fait, tu peux faire de la taille que tu veux ne t'inquiète pas du tout haha)
A bientôt et merci bcp de ton passage ;))
(merci je m'en vais régler ça de suite hehe)
Complètement fan d’un Long dimanche de fiançailles de S. Japrisot (et de l’adaptation de Jeunet), au vu de la date de naissance de Raphaëlle et de ton résumé j’ai tout de suite été curieuse de ton histoire !
Les descriptions tout au long du texte sont très belles, claires et ont en même temps un je ne sais quoi de poétique. J’ai beaucoup aimé le passage un peu onirique de la « fête des fées ».
Raphaëlle a l’air d’être une sacrée chipie et Marius est trop mims vraiment, en tout cas ils me plaisent !!
Je comprends totalement, moi aussi j'adore ce livre absolument magnifique (oui, une adaptation parfaite avec un Manech parfait hehe)
C'est trop chouette si l'histoire et les persos t'ont plu! Pour le passage de la "fête des fées" c'est top que tu l'aies ressenti comme ça car c'était vraiment ce que je voulais! Ils sont encore à un âge où le jeu et l'imagination débordent largement sur la réalité donc voilà voilà
A bientôt!
J'avoue quand lisant le résumé, je savais pas vraiment à quoi m'attendre car il en dévoile peu je trouve, mais il a piqué ma curiosité donc me voilà, et je ne suis pas déçue !
J'aime beaucoup l'ambiance que tu donnes à ce chapitre, très enfantin mais en même temps un peu adulte, quelque chose de très adolescent en tout cas !
On saisit bien les personnages, Raphaëlle et son espièglerie que tu transmets très bien dans ta manière d'écrire puis Marius un peu plus réservé mais que j'aime beaucoup !
J'ai beaucoup aimé l'évocation d'Hugo et des Misérables, cela aurait pu être un peu maladroit mais pas du tout, c'était très bien fait!
Petite suggestion tout de même : Pour ce qui est du titre de ton livre, je trouve cela un peu standard de donner le nom de l'héroïne à ton roman, et vu ton style, je suis sûre que cela ne devrais pas être trop compliqué d'en trouver un peu élaboré ! Cela reste une suggestion bien entendu, libre à toi d'en faire ce que tu veux !
J'avoue que je ne savais pas trop de quelle manière je voulais construire mon résumé, je suis donc ravie d'apprendre que sa forme t'a attiré ici!
Je suis trop contente que l'atmosphère de ce premier chapitre te plaise, et qu'on ressente cette idée d'ado plus ou moins mature encore à la frontière de l'enfance parfois. Par rapport à Hugo c'est un passage que j'ai réécrit plein de fois et j'hésitais à le laisser avant de poster donc ce que tu me dis me rassure haha
Je vais réfléchir à ton conseil pour un titre un peu plus original!
A bientôt j'espère :))