22 Juillet 1911

22 Juillet 1911

 

La mer est basse. Je suis allongée sur un gros rocher avec un peu moins de coquillages que les autres. Je sais qu’ici, surtout après ce qu’il vient de se passer, personne n’osera venir m’embêter. Ce n’est pas de ma faute pour une fois. Je ne peux juste plus supporter leurs sempiternels conseils de bonne conduite tout droit issus d’idées idiotes et préconçues.

Il fait lourd. Je porte uniquement mon costume de bain. C’est ça ou me promener les fesses à l’air avec ma culotte fendue ou, pire encore, être en robe loin de la fraîcheur agréable de la maison que je boude pour le moment. Hors de question donc! L’air est si moite, le temps est à l’orage. Le mien a éclaté depuis longtemps maintenant. Je m’explique.

Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Jean mon aîné de 2ans. Nous avions prévu un déjeuner avec ses très bons amis dont Marius bien sûr. Maman avait même accepté qu’ils aillent s’amuser le soir. Nous nous étions tous fait beau et j’avais choisi une robe bleue ciel en satin de coton avec des fleurs sur le décolleté. Ma mère m’avait prêté un de ses magnifique collier de perles dont les rondeurs opulentes en sont presque outrantes. Bref, tout était parfait dans le meilleur des mondes. Le repas se passait dans la joie et l’impatience des cadeaux puis vint l’heure du dessert. Papa arriva avec un gâteau au chocolat incroyable, haut de 2 étages et de ses 17 bougies flamboyantes. Tout le monde chanta, Jean souffla ses bougies puis commença à couper le gâteau dans la bonne humeur. Une première part pour lui, la deuxième pour Maman et la troisième pour moi.

C’est là que le drame débuta. Sans le faire exprès, de cela j’en suis sûre, je connais mon frère, l’assiette lui échappa des mains et la part s’écrasa sur moi. Sur mon épaule précisément et les fleurs du décolleté. Tout le monde éclata de rire. Je ne compris pas pourquoi. Ma robe était fichue et ma dignité... N’en parlons pas. Six des amis invités avaient l’âge de mon frère et étaient tous très beaux, le septième était Marius et lui aussi trouvait la situation particulièrement drôle apparemment. Je n’avais jamais été aussi vexée je crois. Je me levai sans un mot, chacun pensait que c’était pour partir me nettoyer. Je pris à pleine mains la part de Jean à côté de moi et lui écrasai sur la figure. Plus personne ne dit rien. Je pense que, spontanément, Jean qui m’aime autant qu’il aime me taquiner, c’est à dire plus que beaucoup, aurait rigolé de ma susceptibilité et tout le monde aurait suivi sauf les parents peut-être. Cependant, Maman fut plus rapide que lui. Elle me gronda froidement, je voulu me défendre mais elle me coupa d’un ton sévère: “Ah ne répond pas Raphaëlle! Conduit-toi en jeune fille convenable, ne répond pas”. Ce fut trop pour moi, je partis en claquant la porte.

 Après m’être rincée et avoir étendu ma robe sur le lit pour mesurer l’étendue des dégâts, je décidai de me changer puis prendre l’air. En traversant le jardin pour descendre vers les rochers que j’aime tant, je fis bien attention à passer en petite tenue de bain devant la baie vitrée de la salle à manger pour que tous voient à quel point ma mère avait tort et comme je savais agir en fille de bonne famille.

A l’écrire maintenant toute cette histoire me paraît bien idiote, c’est vrai. Je ne voulais pas faire de la peine à Jean que j’adore. Le reste, je m’en fiche.

Non, je ne pleurerai pas.

Je fixe la mer avec encore un peu de colère en moi. Je pense que tout ceci n’est qu’un grand n’importe quoi et je ne pleurerai pas.

Qu’est-ce que ça veut dire en soit être “convenable”? Ne pas marcher en relevant sa robe même quand c’est plus simple? Se conduire en perpétuelle nunuche bien docile? Etre d’accord avec le monde entier et surtout les garçons? M’interdire tout ce qui est spontané chez moi et ce qui me fait telle que je suis vraiment? Alors non, jamais au grand jamais je ne serai une jeune fille convenable.

Je ne pleure pas.

Je bouillonne de l’intérieur. J’ai l’impression d’hurler contre une force bien plus grande que moi, sourde à tout ce que je pourrais lui raconter. J’en suis certaine, avec son corps immense qui prend toute la place elle pourrait bien finir par m’étouffer un jour. Je me concentre sur les vagues, le flux et le reflux, le vent à peine perceptible... Le flux et le reflux, toujours.

Je n’entends plus rien d’autre.

 

 

 

Soudain je sens deux bras forts me soulever et m’emporter avec eux. C’est Jean, il court. “Allez hop la p’tite sirène, à l’eau!” Il rit. Je me débats sans trop de conviction mais ris beaucoup aussi. Tous les garçons me rejoignent dans le mer une fois que mon frère m’y a jeté. Il n’est pas fâché, l’eau est fraîche et tout mon corps se sent d’un coup plus vivant.

Marius s’approche, me taquine, me dit que non vraiment je devrais penser à être tragédienne un jour. J’essaie de le noyer. Et puis je m’accroche à son cou à l’arrivée d’énormes vagues. Il me fait remarquer deux choses. La première, à quel point ma robe était jolie et ressemblait à un ciel d’été avant, bien sûr, “l’accident” -comme il s’amuse à le dire en faisant des guillemets avec ses doigts l’air narquois-. Je fais la moue.

La deuxième, après réflexion cela reste tout de même la mer qui me fait les plus beaux yeux. D’habitude, j’aurai un peu rigolé car j’aime me moquer gentiment quand il fait le poète. Cette fois-ci je ne dis rien. Il m’embrasse sur le front.

Jean nous fonce dessus et nous entraîne avec lui sous l’eau en riant.

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AdharA
Posté le 14/05/2020
Salut!
Alors d'abord saches que j'ai bien ri à la séquence du gâteau X)
Peut-être que sa réaction est excessive mais tu l'amènes logiquement avec son fichu caractère, après je trouve normal qu'elle prenne assez mal ce que lui dit sa mère (j'aurai claqué la porte aussi )!
J'ai bien aimé le fait que ça dérive ensuite sur ses interrogations sur la légitimité des obligations de bienséance des jeunes filles de son âge (15 ans si compte bien :'))
Jean me plaît beaucoup hehe et leur relation frère/soeur a l'air chouette!

Hâte de lire la suite!!
ZouwuGirl
Posté le 14/05/2020
Merci beaucoup pour ce commentaire qui me ravi!!
C'est vrai, la réaction de Raphaëlle vexée peut paraître exagérée mais franchement qui n'a jamais agi bêtement quand il était énervé? X))
En effet, c'est une époque où ces règles sont très lourdes pour les filles même si je ne les évoque que légèrement.

Haha oui j'ai voulu rendre Jean charmant et je suis contente qu'on voit comme il est important pour elle!

A bientôt ;)
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