28. Fenore

Par Hinata

Les nuages noirs avaient envahi l’océan du ciel à une vitesse effrayante. Toute la Plaine autour d’eux baignait dans une pénombre terne et irréelle. Même la nuit avait d’ordinaire quelque chose de plus scintillant et lumineux que cette journée-là.

Un énième souffle de vent les poussa en avant dans un mugissement sourd et menaçant. Fenore avait d’abord cru que ces immenses bourrasques les aideraient à fuir plus rapidement la tempête. Il n’en était rien. Pour chaque vague qui survenait dans leur dos, une autre les balayait en pleine face, et ils devaient lutter pour continuer à marcher.

La tempête derrière eux avait tout d’un monstre de vent et de nuages dont la simple respiration leur était un danger. Elle les poursuivait inlassablement, son haleine orageuse se rapprochant toujours plus. 

Lorsqu’elle leva les bras pour se protéger le visage de la rafale suivante, Fenore ne put retenir un bref cri de douleur. Il faisait atrocement chaud et la sueur omniprésente sur sa peau irritait ses brûlures. Ce n’étaient pourtant pas des blessures sérieuses, simplement de petits souvenirs de ses débuts en tant que Révélée du feu. Beherzt lui avait promis de soigner ces lésions bénignes qu’elle avait rapidement accumulées sur ses mains et ses avant-bras. Mais avec l’arrivée de la tempête, qui, malgré leurs deux changements de cap, ne les avait pas lâchés, ils n’en avaient pas eu le temps. Peu importe, Fenore était prête à se passer de pansements pendant encore trois jours pourvu qu’ils se sortent vivants de cette galère. De toute manière, ce n’étaient pas quelques bouts de peau à vif qui l’empêcheraient d’avancer. Même après la nuit excessivement courte qu’ils venaient de passer, elle sentait encore une grande force dans ses jambes. Elle avait bien fait de se proposer pour se placer en tête de file.

D’un coup d’œil en arrière, elle vérifia que tout le monde était resté aligné. La vue de Domyrade, Beherzt et Nesli bien positionnés à sa suite, persévérant comme elle, le front plissé par l’effort, lui redonna espoir. Mais un seul regard vers le ciel au-delà, plus tumultueux encore qu’avant, altéra quelque peu son optimisme.

Lorsqu’elle se tourna de nouveau, ce fut pour constater qu’Atkos ne revenait toujours pas. Aucun signe non plus à l’horizon de l’abri qu’ils cherchaient à atteindre. Les craintes qu’elle avait réussi à tenir à l’écart jusqu’ici l’assaillir aussi violemment qu’une rafale.

Et si Atkos s’était trompé ? S’il n’y avait pas la moindre construction abandonnée dans cette région de la Plaine ? Beherzt avait dit que l’observatoire était réputé pour n’être plus qu’un tas de ruines. Atkos l’avait démenti. Mais il ne revenait pas.

Et cette tempête qui continuait à se rapprocher depuis des jours malgré les détours qu’ils avaient entrepris ! Ou bien Atkos n’y connaissait rien et ils avaient tout simplement aggravé leur cas comme des débutants au moment de changer de direction. Ou bien il y avait là quelque chose de surnaturel. Peut-être que cet orage les poursuivait bel et bien. Juste au moment où elle avait enfin laissé sortir son pouvoir au grand jour… Et si c’était sa faute à elle ?

Au lieu de la laisser marcher en tête, les autres devraient peut-être continuer sans elle et la laisser derrière, à la merci des forces de ce monde qui tenaient tant à en finir avec elle…

Un bruit de voix étouffé juste derrière elle la sortit de ses pensées. Son regard fut immédiatement attiré par la forme ailée d’Atkos, loin dans le ciel, et qui se démenait pour avancer dans leur direction.

L’hybride atterrit avant d’être arrivé à leur niveau. Après l’avoir rejoint, ils le trouvèrent accroupi dans l’herbe et encore un peu essoufflé. Le vent avait ébouriffé ses cheveux et surtout les plumes de ses ailes, qu’il gardait soigneusement ramassées dans son dos.  

− Alors ? s’enquit Beherzt.

− En continuant dans cette direction, on y sera sans problème avant la tombée de la nuit.

Beherzt se tourna vers la tempête qui grondait et grossissait derrière eux. Fenore pensait comme lui : ce n’était pas tellement la tombée de la nuit qui risquait de les rattraper en premier à ce stade…

Un éclair lointain zébra tout à coup l’amas de nuages noirs.

− Oh non, marmonna Atkos.

Fenore sentit son corps vibrer lorsque le roulement de tonnerre leur parvint, soulignant d’une manière sinistre le murmure du faune ailé.

− La foudre peut être dangereuse pour toi, lui dit Beherzt.

C’était donc ça. Oui, les oiseaux fuyaient le ciel par des temps comme ça, donc les Ailés aussi.

− Tu ferais mieux de repartir tout de suite et de nous attendre là-bas.

La main blanche de Nesli apparut alors sur l’épaule d’Atkos.

− Est-ce que tu crois que tu pourrais emmener Domy avec toi ? lui demanda-t-elle, l’air soucieux.

Domyrade ? Dans les bras du faune ailé qu’elle détestait ouvertement ?

Les regards convergèrent en direction de leur amie humaine. Fenore n’avait pas fait attention à elle, et comprit pourquoi en la découvrant bien plus effacée que d’ordinaire. Elle se tenait courbée, bouche pincée, et une main pressée sur la tempe. Sans son halo de cheveux détachés autour d’elle, et maintenant qu’ils la regardaient tous, elle ne pouvait pas leur cacher son visage pâle et crispé.

Beherzt se pencha sur elle avec inquiétude.

− Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Après un moment d’hésitation, elle leva les yeux vers lui et avoua :

− J’ai essayé d’influer sur le vent.

− Domy ! Je t’avais dit de ne pas…

− Je sais, le coupa-t-elle.

La main sur sa tempe tremblait à vue d’œil. Beherzt soupira d’un air contrarié mais n’insista pas.

− Je peux la porter, déclara Atkos.

− Tu es sûr ? Voler m’a l’air déjà assez difficile pour toi dans ces conditions… Et avec l’orage qui se rapproche…

− Je ne dis pas que ce sera facile, mais j’y arriverai. Au moins sans elle vous pourrez avancer à un meilleur rythme.

− Tu es d’accord, Domy ? lui demanda Nesli d’une voix douce mais toujours empreinte d’anxiété.

Contre toute attente, la jeune fille hocha simplement la tête sans chercher à argumenter. Elle devait vraiment être à bout de forces pour céder aussi facilement.

Une nouvelle succession d’éclairs illumina le ciel pendant qu’Atkos la calait dans ses bras. Fenore avait hâte qu’ils se remettent en marche.

− J’ai peur que ce ne soit pas une bonne idée, marmonna Beherzt.

− Ne t’inquiète pas, lui répondit Domyrade. Je vais l’aider à voler avec mon Don.

− Tu risques de t’épuiser tout à fait et de perdre connaissance !

− De toute façon, que je sois consciente ou pas, il devra me porter.

Un coup de tonnerre plus fort que les autres fit sursauter Fenore. Après un signe d’au revoir à ses amis, Domyrade s’agrippa au cou d’Atkos qui raffermit sa prise puis s’envola sans attendre. Le reste d’entre eux se plaça de nouveau en ligne pour repartir.

 

***

 

Le bras en visière devant son visage, Fenore chercha des yeux la silhouette de l’observatoire. Il ne manquerait plus que, par sa faute, ils dévient de la trajectoire. Heureusement l’ombre massive de l’édifice tranchait encore sur le gris du ciel, droit devant eux. L’apparition de sa silhouette à l’horizon était le seul point positif. Pour le reste, la pluie leur arrivait en face et le vent se déchaînait plus que jamais. Non content de ralentir considérablement leur progression, il retournait contre eux herbes, cheveux et vêtements, qui les fouettaient sans relâche dans un désordre épuisant.

Un nouvel éclair jaillit silencieusement dans le ciel, rapidement suivi d’un coup de tonnerre. Trop rapidement. Le cœur de l’orage se rapprochait, et avec lui celui de la tempête qui ne leur ferait pas de cadeau s’ils se laissaient rattraper.

Si elle avait pu, Fenore se serait mise à courir pour arriver enfin. Elle se contenta de serrer les dents en faisant un pas de plus. Bientôt. Bientôt ce serait fini.

Une pression sur son bras la fit pivoter. Nesli avait dépassé Beherzt pour lui dire quelque chose. Le fracas de l’orage couvrit les paroles qu’elle lui articula péniblement au milieu d’un tourbillon de mèches qui s’échappaient de sa tresse. Renonçant à communiquer en paroles, son amie se contenta de pointer vivement sa lance vers la droite d’un air décidé. Puis sans attendre de réponse de sa part, elle lui fit signe de la suivre et prit la tête du groupe.

Cela valait mieux ainsi. Avec quelqu’un d’autre comme guide, ils avaient plus de chances d’arriver sains et saufs à l’observatoire.

Sans plus se soucier de la direction, et partiellement abritée par ses amis qui la précédaient, Fenore se concentra pleinement sur sa marche. Elle s’efforça de faire abstraction du picotement insupportable de ses brûlures aux bras. Elle devait ignorer aussi l’irritation sur son visage, le frottement insupportable des lanières de son sac sur ses épaules, sa queue de cheval qui cinglait ses joues sans répit. Ne pas y penser. Avancer.

 

***

 

Ils s’arrêtèrent un instant au pied de l’enceinte de l’observatoire. Même s’ils n’étaient pas si hauts, la simple vue de ces murs de pierre la rassura considérablement. Il existait bien un abri dans cette mer d’herbe en furie. Et ils y étaient arrivés. Elle sentait la pierre mouillée sous sa paume.

− Par ici, les appela Nesli en se mettant à longer la muraille, toujours vers la droite.

Ce grand mur lui rappelait celui, beaucoup plus imposant, de la cité-marchande où elle était passée en quittant son royaume. À quoi ressemblait l’observatoire à l’intérieur ? Ils avaient vu sa silhouette sombre dépasser au loin.

Elle leva la tête, mais il était bien sûr impossible de voir quoi que ce soit désormais. C’était comme s’il n’existait plus qu’eux et ce mur, au milieu du gris de l’orage qui claquait des mâchoires partout autour d’eux.

Ils tombèrent rapidement sur une entrée. À cet endroit, les remparts laissaient la place sur vingt pas à une grille, à travers laquelle on pouvait entrevoir l’intérieur de l’enceinte. Nesli empoigna les barreaux à deux mains et s’employa à la pousser. La grille ne bougea pas d’un pouce. Fenore essuya du revers de sa manche le mélange de pluie et de sueur qui lui coulait dans les yeux et s’approcha également.

De l’autre côté, les attendaient plusieurs bâtiments. L’observatoire n’avait rien de la stature gigantesque d’une cité-marchande. On aurait plutôt dit d’énormes maisons de sergents rassemblées au même endroit. La construction centrale, surtout, attirait l’attention. Son toit n’était pas en forme de dôme, comme les autres, mais tout à fait plat. De là-haut, on devait voir à des lieux à la ronde.

La grille se mit soudain à remuer et Fenore fit aussitôt un pas en arrière. Son regard passa des mains pâles de Nesli aux barreaux qui ondulaient comme des serpents. Puis son amie eut un mouvement brusque et plusieurs barreaux se tordirent sur le côté, comme écartés du chemin par une force surelfique. Le métal s’immobilisa. Fenore ne put s’empêcher de l’effleurer rapidement lorsqu’elle passa par l’ouverture à la suite de ses amis. L’acier était redevenu parfaitement rigide. Quel pouvoir incroyable.

Elle dut hâter le pas pour rattraper Beherzt et Nesli qui s’éloignaient déjà en direction des bâtiments. Ils foulaient une route de pavés, ou quelque chose qui avait dû l’être à une autre époque. L’herbe de la Plaine poussait partout, même entre les dalles du chemin. Il y avait aussi d’autres végétaux : des buissons, des haies, et une foule de petits arbres fruitiers. Le vent soufflait partout dans la végétation, mais beaucoup moins fort qu’à l’extérieur des remparts. D’ailleurs, marcher leur demandait beaucoup moins d’effort désormais. Ils atteignirent très vite une succession d’arches en pierre qui les mena jusqu’à une sorte de cour.  

Fenore était curieuse de savoir à quoi ressemblait la façade des bâtiments qui les entouraient, mais on ne voyait qu’un amas confus de brume et de pénombre. Le soleil n’était peut-être pas encore couché, derrière les nuages, mais cela revenait presque au même. Sans compter que même s’ils étaient déjà bien plus à l’abri, le ciel continuait de cracher des éclairs furieux et une pluie diluvienne.

 

***

 

La pause ne dura que le temps de reprendre un peu leur souffle et leurs esprits. Ce fut rapide pour Fenore : le simple fait de se trouver à l’intérieur, enfin à l’abri des éléments qui se déchaînaient dehors, lui redonnait une énergie insoupçonnée. Elle se sentait tout à coup plus alerte, plus sereine. Ça ne lui posait pas de problème de devoir repartir pour explorer les ruines et retrouver Atkos et Domyrade. Et de ce qu’elle voyait, Beherzt et Nesli se trouvaient dans le même cas.

Ce ne fut pas une partie de plaisir pour autant. D’accord, Beherzt avait clairement eu tort en soutenant contre Atkos que l’observatoire n’était plus qu’un tas de pierres incapable de les protéger de la tempête. Cela dit, le bâtiment se révélait bel et bien en ruines.

Ils durent escalader des éboulis pour passer au travers de murs à moitié écroulés, sauter au-dessus du vide au beau milieu d’un escalier où des marches manquaient, et rebrousser plusieurs fois chemin face à des passages impraticables ou aux allures trop suspectes. Après être sortis vivants de l’attaque du clan hybride et avoir échappé au cataclysme irréel qui les talonnait, il aurait été bien stupide de mourir d’une chute à travers un plancher moisi.

Un sursaut porta Fenore en avant pour aider Nesli qui venait de trébucher. Avant qu’elle ait eu le temps de l’aider, son amie reprit l’équilibre en s’appuyant sur sa lance. Après un coup d’œil dans leur direction par-dessus son épaule, Beherzt s’arrêta pour les attendre, et il en profita pour placer ses mains en porte-voix et appeler à la ronde le prénom de leurs deux amis. Seul l’écho lui répondit, et il laissa retomber ses bras.

Même si elle avait hâte qu’ils retrouvent Atkos et Domyrade et aurait été rassurée de les entendre répondre à l’appel, Fenore ne pouvait que remercier la lune de ce silence qui les entourait. La fatigue n’avait pas quitté ses jambes ni son dos, et sa peau la piquait toujours de partout, mais le calme incroyable des lieux compensait ces désagréments. Fini le tonnerre et les hurlements du vent. La tempête ne rugissait plus que dans le lointain… Ah non, ça y est, ils s’étaient assez enfoncés dans le bâtiment pour ne plus l’entendre du tout. Seul résonnait de temps à autre le crissement de leurs pieds sur les gravats, ou tout simplement le bruit de leurs pas.

L’écho semblait d’ailleurs de plus en plus prononcé. Ils traversaient des salles de plus en plus grandes et hautes de plafond. Lorsque Beherzt appela une nouvelle fois, sa voix ricocha longtemps sur les parois en pierre. Fenore aurait aimé qu’il n’en fasse rien. L’absence persistante de leurs amis combinée à l’atmosphère fantomatique des lieux, faisait naître en elle un mauvais pressentiment.

Elle qui avait été fière de s’habituer à la pénombre qui régnait partout, se rendit compte de tous les endroits qui restaient sinistrement plongés dans l’obscurité. Là ! Fenore retint son souffle tout en sondant le recoin sur sa droite. Elle était sûre d’avoir vu quelque chose bouger. Non, il n’y avait rien. Et là ! Une forme bizarre ! Et ce bruit, qu’est-ce que c’était ?

Elle tendit l’oreille en essayant de calmer son cœur qui s’emballait dans sa poitrine. Tout son corps sursauta quand un autre bruit étouffé se fit entendre à l’opposé. Elle pivota et assista au départ précipité de Beherzt dans cette direction.

− Ce sont eux ! Atkos ! Domy ! Par ici !

Nesli et Fenore se hâtèrent aussitôt à sa suite. Leur ami n’avait d’ailleurs pas halluciné : on entendait distinctement désormais la voix d’Atkos qui les appelait. Alors qu’ils traversaient tous les trois une grande salle circulaire, sa silhouette apparut sous une arche de pierre. Fenore entendit Nesli pousser un soupir de soulagement avant de presser encore le pas. Elle serra Atkos dans ses bras qui lui rendit maladroitement son étreinte.

− Et Domyrade ? demanda Beherzt qui sondait les alentours avec inquiétude.

− Elle n’est pas loin. J’ai trouvé un endroit où nous pouvons passer la nuit.

− Est-ce qu’elle va bien ? s’inquiéta Nesli.

− Oui, elle est simplement inconsciente.

− Et tu l’as laissée seule ?

− C’est bon, Nesli, la tempéra aussitôt Beherzt. Au moins il nous a trouvés. On va juste se dépêcher de la rejoindre.

 

***

 

À peine eurent-ils passé le seuil de la pièce où Atkos les faisait entrer, que Beherzt et Nesli se précipitaient tous les deux auprès du corps inconscient de leur petite Domyrade. Ses paupières s’entrouvrirent pendant que Beherzt prenait d’une main son pouls et de l’autre la température de son front. Elle devait déjà être sur le point de reprendre connaissance avant leur arrivée.  

− Tu as fait de beaux rêves au moins ? souffla Beherzt en l’aidant à se redresser.  

Sa voix tremblait de soulagement. C’est vrai que c’était la première fois que leur groupe se séparait, et dans des circonstances particulières qui plus est. Mais maintenant qu’ils étaient de nouveau réunis, Fenore n’arrivait plus à s’inquiéter, même en imaginant ce qui aurait pu arriver. En fait, elle se sentait brusquement vidée de ses forces.

Elle délogea son sac de ses épaules et le laissa tomber sur le sol en même temps que son corps engourdi. Son regard se mit à errer dans la pièce où ils se trouvaient. Il y faisait aussi sombre que partout ailleurs, mais ses yeux commençaient à s’acclimater à la pénombre.

Les murs avaient dû être très beaux. On distinguait encore des endroits recouverts de jolis motifs. Mais que ce soit les murs, le sol ou le plafond, la plupart des surfaces semblaient noircies, ou alors complètement abîmées, comme si on les avait attaquées au burin. Les quelques gros meubles de la pièce ressemblaient plus à des tas de bois qu’autre chose. Il y avait une énorme table renversée dans un coin, avec deux pieds manquants.

Cela dit, elle comprenait pourquoi Atkos avait choisi cette salle parmi toutes les autres. Contrairement au reste du bâtiment, les murs étaient dépourvus de ces grandes fenêtres sans carreaux par où la pluie rentrait. Il y faisait donc sombre, mais sec. Fenore passa une main sur les dalles de pierre du sol. Elle n’avait jamais été dans une maison construite autrement qu’avec du bois. Était-ce la raison pour laquelle tout ici semblait aussi… figé ?

Elle ramena son attention sur ses amis. Assises par terre également, Nesli et Domyrade parlaient à voix basse. Beherzt s’était relevé et discutait avec Atkos tout en examinant lui aussi les lieux d’un regard circulaire. Ses yeux se posèrent sur elle. Il glissa encore quelque chose qu’elle ne comprit pas à l’attention du faune ailé, puis vint s’asseoir à côté d’elle.

− Tu tiens le coup ?

Elle hocha la tête.

− Atkos a perçu quelque chose avec son Don tout à l’heure. Sûrement un puits ou un bassin. Il va aller voir.

Brusquement, Fenore eut très soif.

− Je vais avec lui, intervint Nesli.

− Alors je reste ici avec Domyrade, proposa Fenore.

Beherzt parut sur le point de dire quelque chose, mais garda finalement le silence. Près de lui, Domyrade fut prise d’une toux sèche qu’elle étouffa dans sa manche. Elle avait suivi Nesli à côté d’eux, mais luttait visiblement pour garder les yeux ouverts. Fenore aussi sentait ses paupières s’alourdir.

− Allez-y, conclut Beherzt à l’adresse de Nesli et Atkos. Mais ne vous épuisez pas avec vos Dons et évitez de vous perdre.

Ils acquiescèrent avec sérieux, rassemblèrent toutes les outres vides dans un sac et partirent sans tarder.

Même si elle aurait tout donné pour simplement s’allonger sur la pierre et dormir, Fenore se hissa de nouveau sur ses jambes pour aider Beherzt à rassembler des débris de bois. Ils allumèrent un feu de camp à un endroit où de l’air passait et emportait loin d’eux la fumée. Sans rien dire, Beherzt retira les deux couches de vêtements trempés au-dessus de sa chemise. Elle fit de même pendant qu’il allait fouiller dans leurs sacs. Domyrade s’avança doucement près du feu.

Même si de nombreuses boucles s’étaient délogées de la coiffure, ses cheveux tressées dégageaient encore son visage. Comment pouvait-elle garder un air aussi déterminé après tout ce qu’il s’était passé ? Cela ne l’épuisait-elle pas, à la longue ? Elle tourna la tête dans sa direction et Fenore ne chercha pas à fuir son regard. Les épaules de son amie tremblaient légèrement.

Fenore leva un bras pour lui faire signe de se rapprocher d’elle. Elle allait sûrement se faire remballer, mais cela valait le coup d’essayer. Plutôt que de dormir, en fin de compte, Fenore sentait que c’était surtout de chaleur elfique dont elle avait besoin. Ou de chaleur humaine, dans le cas présent.

Après un moment d’hésitation, son amie se décala et Fenore l’entoura de son bras. Sa petite sœur Irals lui manquait, et ses petits frères également. La tête de Domyrade bascula sur son épaule. Est-ce qu’elle dormait ou continuait de fixer les flammes ?

Beherzt refit son apparition et déposa une couverture sur elles. Fenore n’aurait pas cru qu’elle puisse trouver un jour autant de réconfort dans un bout de tissu aussi humide. Elle remercia Beherzt d’un petit sourire qu’il lui rendit avant de s’enrouler près du feu dans une autre couverture.

Il ne resta pas immobile longtemps. Quand il ne se penchait pas en avant pour remettre du bois sur le feu, il se retournait pour observer les alentours. Fenore était habituée à l’air attentif de Beherzt, mais elle l’avait rarement vu aussi agité.

− Tout va bien maintenant, se décida-t-elle à lui glisser d’un air rassurant.

Il ramena les yeux sur elle mais ne répondit rien.

− Domy va très bien et les autres ne vont pas tarder à revenir avec de l’eau, ajouta-t-elle à voix basse.

− Ce n’est pas ça qui m’inquiète, affirma-t-il en baissant les yeux vers le feu.

Une boule se forma dans la gorge de Fenore.

− Si c’est à cause du feu et de mon pouvoir, je…

− Non, la coupa aussitôt Beherzt. Ne t’en fais pas Fenore, je ne m’inquiète pas du tout pour ça. Je sais que tu fais attention. Et tu as fait des progrès, il n’y a pas de raisons pour qu’un accident arrive, tu… Ce n’est pas ça, non plus.

− Alors quoi ?

La question lui avait échappé. De quoi avait-elle l’air à le harceler comme ça ?

− Je ne suis sûr de rien, répondit lentement Beherzt, mais il se pourrait très bien que nous ne soyons pas les seuls à l’intérieur de ces ruines…

Un silence s’installa entre eux, ponctué seulement des craquements du feu et de la respiration régulière de Domyrade. Fenore se retint de regarder par-dessus son épaule. Au lieu de ça, elle posa sa tête sur celle de son amie. Elle ne voulait pas s’alarmer. De toute façon, danger ou pas, dans l’état où elle était, Fenore ne serait bonne à rien. Il leur fallait reprendre des forces avant toutes choses.

Mais lorsqu’elle ferma les paupières, des bruits suspects les lui firent aussitôt rouvrir. Elle guetta un moment, mais en vain. Elle se faisait des idées. Tout allait bien. Il suffisait de…Non, impossible de refermer les yeux.

Elle serra un peu plus fort Domyrade dans ses bras. Entre la soif et l’angoisse, sa gorge lui faisait de plus en plus mal. Elle peina à déglutir. Quand est-ce que tout cela se terminerait enfin ? Cesserait-elle un jour d’avoir peur ?

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Alice_Lath
Posté le 23/08/2020
Il y a un nain qui respire encore dans la Moria ! Hahahaha, enfin, en dehors de ça, j'ai vraiment aimé ce chapitre : tu as fait naître une très belle tension quand ils partent à la recherche d'Atkos et de Domy, puis pareil sur la fin. C'était très maitrisé et ça a réussi à m'embarquer et à me faire le petit coup de stress en mode : "eeeeeh merde, j'espère que ça va passer crème". Puis le coup de l'orage, j'adore cette ambiance de pluie à l'extérieur héhé, c'est les meilleurs. Et serait-ce le moment où notre cher Monsieur Nain va nous révéler (mdrrr c'est le cas de le dire) tous ses talents ?
Hinata
Posté le 23/08/2020
"Il y a un nain qui respire encore dans la Moria !" c'est TELEMENT ÇA !! Haha tu m'as fait trop rire XD

Merciii pour tout ce que tu me dis T^T C'est trop gentil, ça me fait trop plaisir !!
L'orage était trèèès kiffant à écrire huhu, même si j'avais super peur au final de trop me focaliser sur l'ambiance au mépris de l'action... ça a été un peu le dilemme pour tout ce chapitre haha, j'ai mis hyper longtemps à le pondre, mais au final il s'en sort bien, c'est parfait ^^

Ah ha, Beherzt fait vraiment guetter tout le monde, c'est génial (et ça me fait beaucoup rire que tu l'appelle Monsieur Nain XD c'est un peu plus élaboré que "le nain", j'approuve complètement haha)

Merci encore pour ta lecture et ton comm,
à bientôt j'espère ^^
_HP_
Posté le 14/07/2020
Hey !

Je sais que je l'ai sûrement déjà dit, mais j'admire tous ces points de vue que tu arrives à avoir sans jamais te mélanger, et surtout sans jamais perdre le caractère des personnages 😄
J'ai juste envie de prendre Fenore dans mes bras et de lui dire "Non. Arrête de culpabiliser, tu n'y es pour rien." (ou alors c'est que je manque de câlin 😜😂😂😂)
La fin est super intrigante ! J'ai pensé comme Xendor, peut-être que la tempête a surpris l'armée de Murn et qu'ils se sont abrités là ?
Et est-ce que ça annonce une réconciliation pour Atkos et Domy ? On verra 😝
Hâte de connaitre la suite ! ^^ <3

• "Ils foulaient une route de pavés, où quelque chose qui avait dû l’être à une autre époque" → je crois que c'est "ou quelque chose" ^^
• "La pose ne dura que le temps de reprendre un peu leur souffle et leurs esprits" → "pause", non ? ^^
Hinata
Posté le 14/07/2020
Coucou ! :)

Oh merci!! (t'inquiète hein, des trucs gentils comme ça, on les dit jamais assez XD) Au bout de quatre ans avec ces personnages, ça va je m'emmêle pas trop les pinceaux haha, mais c'est chouette si en tout cas leur particularité à chacun transparait (enfin!) dans le texte !

Aww oui, Fenore a besoin de tellement de câlins !!

Aah, cool ! Le petit effet suspens qui va bien fonctionne, apparemment XD Et bien sûr je ne donne aucune réponse, tu verras plus tard ;)

Merci pour les coquilles :p

A la prochaine ;) Bise <3
Xendor
Posté le 14/07/2020
Ah ah ! Une rencontre avec des sbires de Murn ? C'est l'hypothèse la plus évidente. Cependant, vu que c'est une cité en ruines, et que je ne sais pas comment elle en est arrivée là, il est raisonnable de penser à un genre de culte secret, ou un groupe de malandrins. Enfin, on verra ça dans le prochain chapitre, je pense.

J'aime beaucoup la façon dont tu gères les points de vue multiples, et je t'avoue que ça m'inspire beaucoup quand j'écris.

Courge pour la suite :)
Hinata
Posté le 14/07/2020
Oh, des petites hypothèses...intéressant, intéressant ^^
ah oui, tiens ! Il faudra pas que j'oublie un petit résumé de l'histoire de l'observatoire !

Un grand merci pour ton comm !
A plus ;)
Notsil
Posté le 14/07/2020
Coucou !

Un chouette chapitre ! La fin de la course-poursuite, Fenore qui doute et culpabilise ; Atkos qui joue avec les éclairs mais en cours de réconciliation avec Domy... bien ^^

Ca se regroupe et ça se sépare : pour le moment ils sont saufs de la tempête, mais, un danger plus grand ne les guetterait-il pas ??

Je me demandais comment Atkos et Domy avaient pu arriver à l'intérieur avant eux, vu la grille, puis bon, je me suis souvenue qu'ils avaient volé :p

A mon sens, il manque un petit poil de découragement face à la grille, d'ailleurs. Un côté '"si près du but" et on reste trempés sous la pluie, avant que Nesli n'intervienne (ou avant qu'elle réalise que son amie saura quoi faire avec son Don, vu que même s'ils en ont parlé, il faut un peu de temps pour assimiler ^^).
La fin sur les bruits suspects, c'est bien, ça donne envie de connaitre la suite :p
Et ça me rend encore plus curieuse du pouvoir de Behertz (j'ai un doute soudain, mais il me semble que lui n'a pas révélé le sien....).
Hinata
Posté le 14/07/2020
Salut salut !

aah, contente qu'il t'ait plu ! C'est trop cool que t'aie perçu les doutes et la culpabilité de Fenore (j'avais peur d'avoir pas assez insisté dessus ^^"), puis le rapprochement circonstanciel d'Atkos et Domy :)

Haha, oui on sait pas trop s'ils se retrouvent dans une meilleure situation qu'avant, finalement ^^

Je note pour le passage de la grille, d'ailleurs je m'étais pas mal attardé sur le découragement dans un premier temps mais j'avais enlevé pour accélérer le rythme, mais du coup je tenterai un entre-deux !

Merci beaucoup pour ton commentaire !!
A très bientôt pour la suite ;)
Vous lisez