28- Tu quoque me pater!

J’ignorais pourquoi, mais quelque chose se hérissa à nouveau, au niveau de ma nuque, me suppliant de ne pas poser de question, de ne pas attraper cette perche, de surtout, surtout, ne pas jouer le jeu.

« Qu’est-ce que ce Mmmh veut dire exactement? » Je fis fi des mises en gardes, car visiblement, mon instinct de survie était à nouveau en vacances.

« Je ne suis pas d’accord, voilà tout. » Il haussa les épaules, l’air distrait. Faussement, distrait. Il se retenait de sourire.

« Vous affirmez parler d’expérience, je fais de même. Ce n’est pas matière à débat. » Je répliquai, sans trop savoir pourquoi. Par attrait du morbide, je pense, car je ne me faisais aucune illusion sur l’intensité du coup qu’il s’apprêtait à m’infliger.

Cette ombre de sourire était une promesse si abominable, et pourtant je ne parvenais pas à détourner le regard, ni même à renoncer.

Son regard glissa à ses côtés. Sur la petite table en bois sombre. Je ne saurais dire comment cela avait pu m’échapper, mais une chemise brune s’y trouvait.

Dossier Drèke y était inscrit.

Je me retins de respirer un bon dix secondes dans l’espoir de faire taire l’emballement de mon coeur.

« Et qu’est-ce qui s’y trouve, de si terrible, qui invaliderait mon avis? » Je demandai le plus calmement possible, quand je me rendis compte que rien, pas même mes exercices habituels ne viendraient à bout de ce martèlement là.

« Discutais-tu politique avec toutes les personnes que tu as cité?»

« Non. » Je dis, en agitant la main, comme si cela pourrait faire s’envoler ce sous-entendu stupide et idiot qu’il faisait planer, comme un rapace.

Je n’étais malheureusement pour lui pas une proie et il ne relâchait pas même un rapace dangereux comme un aigle de la nuit. Non, c’était un pygargue tout ébouriffé, qui s’appelait très certainement Nathalie.

« Mais connaissent-ils tes opinions? »

« Bon, ou voulez vous en venir? » Je me braquai, comme il l’avait prévu, mais tant pis. Que cela cesse, qu’on en finisse à la fin.

« Que ce n’était pas une hypothèse quand je disais que si on connaissait tes opinion, tu ne serais pas en sécurité dans une foule. » Il répliqua « On te donnerait de bien vilains noms, traitre à ta race, magicienne spirituelle, pour les plus poli. Les autreste jetteraient des ésoputain, magipute, et autres insultes tout aussi eu savoureuses. »

Je fermais les yeux une seconde pour m’effacer ça de l’esprit. Ça n’y avait pas sa place, non, cette idée était indigne, très certainement de lui, et tout particulièrement de moi.

« Vous savez, Mistigri, à un moment elle s’est mise à revenir à la maison avec des proies vivantes, simplement pour s’amuser. Je lui mettais une pichenette entre les deux yeux pour lui faire passer l’envie.»

« J’ai cru comprendre que la truffe était la zone à viser, quand il s’agit de discipliner un chat. » Il dit alors.

« Je sais, merci. Je pense qu’elle comprenait que je refusais de le faire mais que si elle continuait à cacher les carcasses sanglantes sous mon lit, j’allais finir par répondre en conséquence. »

Lazarus haussa les sourcils, et cette fois-ci ne retint pas son sourire. Il me jaugea du regard pendant une bonne seconde, si longue, si pénible, qu’elle prit des airs d’infini.

« Soit. Comme je te l’avais promis, voici le dossier de maréchaussée te concernant. Tu y trouveras certaines choses, le témoignage et les aveux de la personne qui te désigne comme coupable, entre autre. »

« Et qui ment. » Je sifflai, car il était toujours bon de répéter les vérités importantes. C’était un des principes de l’apprentissage.

« Je sais cela, ce n’est pas la question. La question c’est pourquoi. »

« Et vous pensez que c’est parce qu’il ou elle ne me jugeait pas assez extrême? » Je ne cherchais pas à dissimuler mon mépris, devant une telle idée. Il le fallait, il fallait qu’il comprenne à quel point cette idée était pitoyable, méprisable même.

Dans le cas contraire, je ne le supporterais pas-

Non.

Je connaissais mes proches. Il cherchait à me faire mal voilà tout et ma lecture le prouverait. Cassini me vienne en aide, que je le détestais en cet instant!

« Je suppose que cela se résume à protéger les fidèles à la cause, tout en faisant tomber ceux qui manquent de loyauté. »

Je n’y tins plus et me levais pour agripper le dossier, mais il leva le bras au dernier moment, le plaçant littéralement hors de ma portée.

« Vous commencez sérieusement à me casser les pieds » Je sifflai furieusement, et il leva la main, comme s’il espérait m’apaiser.

S’il pensait que je n’étais pas prête à lui grimper dessus pour mettre la main dessus, il se trompait lourdement.

Un petit sourire fit tressaillir ses lèvres.

« Et je vais te le donner, mais… je dois te mettre en garde. » Il dit simplement.

« Me voici prévenue, merci bien, maintenant, donnez le moi. » Je m’écriais d’une voix sifflante et aigue à souhait et il eut une petite grimace. J’espérais sincèrement avoir maltraité ses tympans.

Il ne semblait pas déterminé cependant à me concéder, et j’agrippais donc son bras et me mit à tirer. Il avait une poigne de fer.

« Doucement, doucement. » Il rit cette fois-ci franchement. « Que dirait-on si quelqu’un te voyait? »

« Ça dépend, avant ou après ma main dans sa gueule? »

« Quel est l’étendu de ta connaissance du gospel de Sainte Cassini? » Lazarus demanda d’un ton tranquille, comme si je n’étais pas en train de me suspendre à son bras tel un paresseux. Une lueur indescriptible s’était glissé dans son regard.

Je fronçais immédiatement les sourcils.

« Je le connais très bien, pourquoi cela? »

« Alors, tu pourras me réciter sans le moindre mal la moindre petite litanie, n’est-ce pas? » Il dit en approchant son visage du mien, me narguant de manière vraiment scandaleuse.

« Vous en avez un en tête?»

« Psaume des humbles. »

Je ne tentai pas de retenir mon sursaut. Il n’était pas allé cherché bien loin avec celui-là, pas le moins du monde. Hormis la litanie de la lumière, c’était bien la leçon cassinienne la plus connue, la plus apprise, la plus répétée… et dont la morale était plus ou moins: nous désirons ce qui nous fait souffrir.

Bah super.

« C’est culotté de votre part, de me l’agiter sous le nez, pour ensuite en appeler à ma ferveur religieuse pour me faire renoncer à le lire.» Je dis d’un ton sec.

« N’est-ce pas là le fondement même de la religion? Apprendre à renoncer? »

« Si vous me dites à quand remonte votre dernière visite au Temple, j’y renoncerai. »

« Je suis prêt à te le donner, car je n’ai qu’une parole, mais je te le déconseille, en toute sincérité. Cela ne t’apportera aucune réponse satisfaisante et te fera souffrir. » Il dit alors.

« Si c’est le cas, pourquoi me l’avoir promis? » Je me braquai.

Et aussi, pourquoi m’avoir appâté de la sorte? C’était vraiment trop facile de me pousser à demander, pour ensuite jouer aux grands seigneurs et me déconseiller de le lire.

À un moment il fallait arrêter d’être hypocrite.

« Parce que, que je sache, tu n’es pas une gamine et à ta place, j’agirais de même. Je te serais en revanche grés de te rappeler de trois points. » Il dit alors « Premièrement, il s’agit là du travail de l’Inspecteur Balladier. Deuxièmement, si j’ai pu faire jouer de mes relations pour t’en obtenir une copie, je suis dans l’impossibilité d’intervenir. »

« Et le troisième? »

« N’oublie pas que je t’ai mise en garde. » Il dit, et enfin, abaissa légèrement son bras.

« Vendu. » Je répliquai sèchement, et lui arrachait littéralement la chemise des mains.

Je l’ouvris à la volée, les mains tremblante d’appréhension et -inutile de le cacher- d’excitation. Depuis que j’avais été passé à tabac par cette merde d’inspecteur, ce fichu témoin, il m’avait un peu obsédée. Que cela fut quelqu’un que je connaissais, comme Lazarus le présentait, cela empirait ma manie à ce sujet et j’avais passé des heures à tenter de trouver ce petit bâtard. Le tout était de trouver désormais ce fichus papier dans cette montagne-

Dossier Drèke, dans le cadre de l’enquête de l’attaque de la Magivertisté.

Dossier Drèke, rien que ça. Mes doigts firent glisser les premiers feuillets, qui étaient pour la majorité des commodités administratives, sans intérêts à mes yeux. Le dossier était si épais, un index, cela aurait été appréciable, mais bon.

Arrestations effectuées le 8 Fructidor 1925, Rocam, Medelvie Septentrionales. Ci-joint, mandat d’arrêt à l’encontre de Sidonie Drèke, vagabonde, fille de loi de Mathurin Arthur Drèke et Catherine Raymonde Drèke, née Jobard, rédigé le 8 Fructidor 1925, rédigé à six heures trente trois, ratifié à six heure trente cinq par Invidia Poena, judicarda de la Judicaste Ésotérique, émis à six heure trente sept.

Ma parole, ils n’avaient pas perdus leur temps tous. Deux minutes pour ratifier un mandat d’arrêt… Invidia Poena ne pouvait avoir lu les éléments à charge en si peu de temps. Surtout qu’il s’agissait d’une judicarda de la Judicaste Ésotérique. Les judicard de la cour des mages, ils étaient d’ordinaire difficilement joignable. Et quand bien même, c’était à croire que l’on l’avait prévenue qu’une demande mandat d’arrêt allait atterrir sur son bureau et qu’elle devait se dépêcher de la ratifier.

Preuve à charge, Témoignage d’un tiers, confirmation de la présence de Sidonie Drèke sur les lieux du crime.

Et on y était. Mes mains tremblait au point que je peinais à tourner les pages. Tout ceci c’était un ramassis de blabla, résumant mon interrogatoire, et je n’avais pas envie de m’y pencher davantage. Je l’avais vécu une fois, et c’était déjà trop.

Contenu du témoignage: description des faits et gestes de Mademoiselle Drèke, présence avérée sur les lieux du crime, profile psychologique établis, implication directe dans l’acte commis confirmée. Voir page 34.

Bien, page trente quatre donc, en avant guignant! Vraiment qu’elle bande de guignols. Profile psychologique établis, qu’est-ce que cela pouvait bien dire- s’agissait-il de mon apothicaire ou bien-

Témoignage à charge, confirmant la présence de Mademoiselle Sidonie Drèke sur les lieux du crime. Interrogatoire conduit par l’Inspecteur Maurice Balladier, réalisé le 8 Fructidor 1925 à six heures quinze du matin.

C’était à peine quinze minutes après mon départ de la maison. Décidément, j’aurais du rester dans mon lit ce jour-là. Je le savais, je le savais… et j’accepterais le bôttage de cul de Madame Catherine sans me plaindre, je le jurais- mais attendez une minute.

Témoignage conduit à six heure quinze, mandat rédigé à six heure trente trois, validé à six heure trente cinq, émis à six heure trente sept…

Il devait s’agir de l’enquête la plus rapide de siècle- bref, je m’y attarderais plus tard. Pour le moment, la question, c’était l’identité de ce Fromage De Parme-

Je tournai la page.

Mon corps se pétrifia, au point que ma nuque devint un bloc de granite. J’aurais aimé pouvoir lever la tête et jeter à Lazarus toute l’incompréhension en moi, mais je ne pouvais pas, je n’y parvenais pas. Ces lettres aspiraient mon attention, matant mon esprit, empoignant mon coeur et en chassant le sang. Je me sentis mal- mais non, c’était impossible, impossible.

Il devait s’agir d’un sosie, d’une imitation-

Mon regard coula le long de la page, déroulant sous mes yeux l’écriture si fine, si illisible de- non, ce n’était pas possible, c’était impossible.

Je filais à l’en-tête, priant tous les dieux, quels qu’ils furent, de par pitié, de non, par pitié-

Document à charge: aveux de Mathurin Arthur Drèke

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Cléooo
Posté le 02/11/2024
OH MY GOD Mathurin ! Comment as-tu osé ?!

Pauvre Sidonie... Elle espérait qu'il allait être sa porte de secours, et il a en fait été l'objet de sa chute...
Beria la prévient, mais je le trouve assez condescendant quand même. Dans un moment pareil, il pourrait faire preuve d'un chouilla plus d'empathie...
Quelle chute en tout cas, j'ai hâte qu'elle puisse échanger avec Mathurin et tirer ça au clair.

Quelques remarques :
- "Je n’étais malheureusement pour lui pas une proie et il ne relâchait pas même un rapace dangereux comme un aigle de la nuit." -> je n'ai pas bien compris cette tournure
- "tout aussi eu savoureuses" -> peu ?
- "à lui grimper dessus pour mettre la main dessus" -> répétition dessus
- "Le dossier était si épais, un index, cela aurait été appréciable, mais bon." -> je n'ai pas compris ce qui était appréciable?
- "qu’une demande mandat d’arrêt" -> de mandat d'arrêt
- "en avant guignant!" -> Hum. Est-ce que tu cherchais l'expression "en avant Guingamp"? si oui, je ne sais pas si elle se prête à l'histoire.
- "la plus rapide de siècle" -> du siècle

À bientôt ! :)
A Dramallama
Posté le 03/11/2024
Salut Cleooo!

EHEHEHEHEHEHEHE! Bon j’avoue j’avais hâte que tu arrives à ce point là pour avoir ton ressenti! (J’adore les trahisons, mais il faut qu’elles soient bien faites)
Concernant Lazarus… oui il ne déborde pas de compassion le petit (pour moi il ne la prévient pas, il s’assure plutôt qu’elle le lise, c’est comme quelqu’un qui te dit « mmmh je te conseille fortement de ne pas penser à des éléphants roses en tutu »).
Merci pour tes remarques, elles m’aident beaucoup pour la réécriture!

À bientôt ^^
Cléooo
Posté le 03/11/2024
Mais je suis CHOQUÉE. Je voulais lire la suite aujourd'hui mais journée chargée, j'ai pas pu. Je m'y attèle dès demain !
À très vite ^^
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