Cela me fit mal de l’admettre, mais l’idiot ne m’avait pas menti.
Vendémiaire se déroula sans la moindre visite de la part de Lazarus, et bientôt le ciel orangé fit place à celui plus froid, plus gris de Brumaire.
Il pouvait paraitre assez étrange que je m’en plaigne. Après tout, la routine s’était solidifié dans l’entre temps et était désormais plutôt agréable. D’autant plus quand il s’avéra que le piano magique de la salle de musique était celui de Mafalda. Il était désaccordé, bien entendu, voir cassé, mais Phobos se révéla être non seulement un visiteur régulier du Manoir, mais également un numérologicien assez polyvalent. Cela lui prit quelques essais, mais il finit par raccorder la bête. Non sans faire fuir quelques octopèdes scandaleusement grands, qui m’avaient peut-être fait bondir de manière ridicule. Ce qui n’avait pas été sans le faire rire.
Je trouvais qu’ils avaient un peu tous la fâcheuse manie de rire quand il y avait des arachnides dans le secteur et ça aussi, c’était scandaleux.
Une chose était certaine, le piano, Mafalda savait vraiment, vraiment en jouer. En fait, on dépassait le stade de talent. J’ignorais comment elle s’y prenait, mais sous ses doigts, le piano semblait prendre vie. Après avoir réhabitué ses doigts à la musique -période qui, scandale numéro trois, fut outrageusement court - et quasi-continue. Elle s’était également mise à m’accompagner lorsque je dansais.
Je lui en étais plus que reconnaissante. Ce n’était pas des plus facile de s’entrainer au bruit simple de la mesure, ni très amusant, et l’ajout de la musique apaisa mes nerfs. C’était si similaire au Conservatoire, mon âme et mes muscles s’en retrouvaient tranquillisés. Je ne parvenais toujours pas à réaliser ce fichus quatrième mouvement d’un seul bloc, mais je tentais de ne pas trop m’attarder dessus, sans quoi je me serais apitoyée sur moi-même, et je n’avais pas envie.
Sceptinul, mon Esprit Familier en soit remercié, ne fut pas très présent lors de cette petite accalmie. À peine fut-il remit sur pieds qu’il fut renvoyé je-ne-savais-ou, faire-je-ne-savais-quelle-merde et les rares occurrences ou il demeurait au manoir, il prétendait que je n’existais pas, je faisais semblant de ne pas le voir. Nous ne nous étions plus adressé la parole depuis l’épisode de la danse et je refusais de croiser son regard.
Le plus ironique, dans cette histoire, c’était que cette mascarade ne faisait que confirmer la théorie de Phobos. Il était persuadé que j’étais la bonne amie de son filleul et que ma bouderie était une conséquence de ses ‘écarts à sa masculinité’. Il avait apparemment sermonné Scetus sur le sujet, et jugeait désormais que ma ‘rancune’ trainait en longueur, qu’il était temps de passer à autre chose. Je me contentais de hausser les épaules, en maugréant que Scetus était bien libre de faire ce qu’il voulait et que ce n’était pas très charitable d’en parler de la sorte, mais il commençait vraiment à me casser les pieds. Au point que Mafalda tentait doucement de le détourner de nos ‘réconciliations’, se doutant probablement que s’il continuait, je finirais par lui jeter quelque chose à la figure.
Phobos finissait toujours par renoncer, en partie parce qu’il n’arrivait jamais é résister bien longtemps à Mafalda. Et oui, cela voulait dire exactement ce que cela voulait dire. Mafalda prétendait s’offusquer, clamant que je me faisais des idées, mais je remarquais qu’à chaque fois que Phobos passait, elle trouvait toujours le moyen de s’être pomponnée, au point que cela finit par devenir un indicateur de son arrivée imminente.
Brumaire vint donc, et avec lui, les élections septentrionnales. L’affaire du Trocadéro n’avait vraiment pas fait bonne presse à la Vox, d’autant moins quand il s’avéra que Lazarus n’avait pas menti. Un Syndic avait bien admis toute l’affaire, et sa hiérarchie ne chercha même pas à l’abandonner. Si proche des élections, ils avaient dû se décider d’y aller à la provocation pure.
La suite fut vraiment détestable. Les débats s’envenimèrent au point que l’assemblée siégeante due être mise au chômage jusqu’à la sortie des résultats finaux, car les membres existant commençaient littéralement à se taper dessus. Il régnait un climat chaotique, pour ne pas dire explosif et je me mis à me ronger les ongles sans savoir quoi espérer exactement. Que fallait-il souhaiter? Commodus, c’était la crise d’urticaire, donc non, Gauthier de la Vox ce n’était pas mieux, et Lazarus, il me faisait froid dans le dos.
Ce n’était pas tant ce qu’il disait, justement, c’était plutôt ce qu’il passait sous silence. Si on l’écoutait c’était étrangement correct, mais le problème, c’était que Phobos était généralement dans le coin, et se chargeait de corriger les non-dits. Notamment en révélant ce qui se tramait dans la Cohorte. Mafalda n’osait jamais l’interrompre, mais elle me jetait toujours un petit regard et me servait de la cannelle, voir vers la fin, du vin. Je me mis à imaginer le pire pour Mathurin- et Monsieur Ebenezer par tous les Saints! Phobos avait disserté pendant un bon dix minutes sur les Teknokrates, mais dans son esprit, tout ce qui s’apparentait de près ou de loin à un rouage était un abus de teknologie qui ne valait même pas que l’on s’embête avec un procès.
La fin de semaine vint donc, et je me mis à imaginer le pire, ne sachant pas même qui prier pour un miracle, car je n’étais pas certaine de ce qui constituerait un miracle en cet instant.
On nous en délivra pourtant un, même s’il fut aussi doux qu’un vieux pull en laine défraichis.
Commodus, par on ne savait quelle force de l’esprit, chipa in extremis la majorité. Par un accord de circonstance, apparemment, mais il le fit, et demeura en fonction.
J’ignorais s’il s’agissait d’une blague, mais je la trouvais amère et assez mauvaise, même si elle avait le miracle d’exister.
On s’en offusqua, bien entendu, et avec effusion, mais je notais tout de même quelques petites choses intéressantes. Je n’avais pas été la seule à pousser un soupire mi-soulagé, mi exaspéré ce soir là. Mafalda n’avait jamais semblé être en désaccord avec son bon ami, tout du moins elle n’avait jamais rien exprimé allant dans ce sens, mais désormais, je me posais des questions.
Le côté positif de cet affaire, c’était qu’à force d’écouter la Voix Sacrée, d’entendre Phobos inévitablement transiter vers le salemni, j’avais fait des progrès assez fulgurant, pour ne pas dire inquiétant. Scetus mis à part -et de toute manière je ne souhaitais pas comprendre ses grommèlement- je comprenais désormais Mafalda, voir même Phobos -du moment qu’il limitait son débit de parole.
Ce fut à un tel point que je commençais à faire la leçon à Britannicus en salemni. Cela allait contre mes principes, mais bon.
Et ce n’était pas sans ses avantages. Je commençais à pouvoir laisser trainer mes oreilles et attraper aux vol des conversations assez… intéressantes.
Il y eut un autre avantage à ceci. L’expression de pure stupéfaction sur le visage de Lazarus quand il daigna enfin venir au Manoir et que je le saluais dans sa langue.
Je m’étais en effet résolue à ne pas me laisser mener en bourrique, comme il avait eu tendance à faire Cros de nos derniers échanges, et comme me l’avait un jour répété tante Lydia, le meilleur moyen d’arracher un peu de contrôle à quelqu’un, c’est de faire en sorte qu’il se retrouve avec une expression de merlan fris.
Bon, cela restait Lazarus, donc le regard hagard et peu avenant, on devrait repassé. Il avait bien entendu des cernes assez marquées, ce qui n’était pas surprenant, mais il était toujours aussi soigné.
Il y avait aussi toujours ce fichu costume si bleu, qui lui allait beaucoup trop bien pour mon propre bien.
Mais changement de politique oblige, j’avais décidé, moi aussi, de ne pas aller en guerre sans armure. Je portais une petite chemise blanche bien douce, associée à une jupe bleue nuit ceinturée à la taille par une large ceinture. Mes cheveux étaient tressés du sommet de ma tête et tombaient tranquillement jusqu’à ma taille.
« Chère Sidonie, j’ose espérer que tu n’abuses pas de potion Babel par ma faute. » Il dit aimablement, et s’était ressaisi d’ailleurs très rapidement.
Son visage était à nouveau impassible, mais je notais tout de même quelques petits regards à la sauvette qu’il me lança avant de me baiser la main.
La mission V.V.V ( Véritablement Vengeance Vestimentaire) était bien devenue V.I.V.E (VIctoire VEritable) comme prévu.
Eheh.
« Oh, cela ne serait pas prudent de mélanger les potions. » Je répliquai « Bon, ne vous attendez tout de même pas à ce que je parle uniquement en salemni. »
Contre ma main, ses lèvres s’étirèrent en un sourire.
« Je suis des plus curieux de découvrir ce qui t’a décidé. Tu semblais assez rétissente à l’idée. »
« Je ne vais pas rester éternellement la préceptrice de Britannicus, il va bien falloir qu’il aille à l’école, et les établissements magiques enseignent exclusivement en salemni. Nous avons donc débuté les leçons dans le ton. »
« Je vois, cela m’apparait être une excellente raison. Tu as, ma parole, fait des progrès fulgurant. » Il renchérit, et cela me faisait mal de l’admettre, mais sa voix était bien plus clair en salemni. C’était comme s’il savourait chaque mot et le medelvio était une tasse de tisane froide à ses yeux.
C’était probablement le cas.
« Il faut dire que notre dernière entrevue remonte. Je commençais à croire que vous m’aviez oubliée. » Je dis d’un air joueur que je ne me connaissais pas vraiment.
Euh… Oupsi?
« Je doute que cela soit possible, chère Sidonie. » Il répondit de concert « J’étais retenu, comme tu n’es pas sans ignorer. »
Je retins un petit frisson, et ce n’était pas de peur, je crois.
Double oupsi.
« En effet. Personne ici, ne doutait de vos prises de fonctions au Bureau Miroir. »
« Toi comprise? »
« Je n’en étais pas certaine. » Je répondis, et ce n’était pas vraiment faux. Personne n’aurait pu en être absolument certain après tout.
Il était en revanche inutile de lui préciser que j’avais peut-être rongé mes ongles face à cette possibilité.
Il haussa les sourcils, comme s’il s’agissait là d’un comportement tout à fait iconoclaste.
« Ah, et pourquoi cela, si je puis me permettre? »
« Cela me semblait précipité. Il y a un an de cela, le Conclave peinait à dépasser les vingtièmes après tout. » Je répondis tranquillement.
Tout de même, multiplier un score par sept en à peine quatorze mois…
Bref.
« Nous en avons fait du chemin, en effet. Je suppose qu’il n’y a pas matière à être désappointé. C’est une belle performance. » Il dit lentement, laissant presque transparaitre une certaine bouderie.
« Vous êtes déçu. »
« Ce n’est qu’un contre-temps. L’histoire est bien loin d’être achevée.» Il me donna pour toute réponse, mais sa paupière gauche tiqua.
Oui, déçu, voir en colère. Je commençais un tout petit peu à comprendre la gestuelle de l’animal, assez pour comprendre que sous ce masque aimable, il y avait une fureur noire. Cette rage, elle imprégnait chacun de ses gestes, et insufflait une certaine violence dans ses faits et gestes.
« Comment ne pas l’être? Déçu, j’entends. » Il renchérit alors « Quand ce qui nous tiens éloigné du bureau est le résultat de magouilles internes? »
« La Vox pourrait dire la même chose. »
Un éclat balaya son regard.
« Dois-je en déduire que tu n’es pas peu satisfaite, pour ta part? »
« Je ne sais pas, je ne suis pas, pas satisfaite? C’était des élections étranges, peu respectueuses je trouve. Certains ce sont comportés de manière indigne. » Je tentai d’esquiver, et il reconnut mes efforts par un sourire sarcastique.
« Mais tu est soulagée. »
« Aurais-je tort de l’être? Que se serait-il produit si vous aviez obtenu le Bureau Miroir? »
« Tu sembles en avoir une idée assez nette sur la question. »
Alors, comment présenter cela de manière polie. Je jouais un moment avec ma tasse au contenu désespérément argenté. Si encore les lèvres bleus, je ne m’en préoccupais pas vraiment, cela ne serait pas très productif.
« Phobos nous a rendu visite, et, a été assez bavard, en particulier à propos des bruits de couloirs. » Je finis par dire tout simplement.
Un bref éclat de colère zébra ses iris brunes.
« Je ne suis pas la Cohorte. » Il dit d’un ton de prime abord calme, mais c’était comme un contre courant. Silencieux en surface, tractant les pêcheurs inconscients vers le large, les amenant implacablement mourir dans un noeud silharay.
Quelque chose me disait que Phobos allait en prendre pour son grade, d’une manière ou d’une autre.
Bon, je suppose que l’on n’avait jamais deux oupsi sans un troisième.
« Ce n’est pas ce qu’il en dit. » Je dis. Ce n’était pas très gentil de ma part d’enfoncer de la sorte le clou, mais une partie de moi y trouvait un certain plaisir, de mettre un peu Scipio dans l’embarras. Il pouvait se montrer charmant, mais je n’avais pas encore digéré son qualitatif des femmes omegs.
À en juger par la lueur dans son regard, cela n’échappa pas à Lazarus.
« Qu’en dit-il alors? » Il demanda, visiblement disposé à me faire cette fleur.
« Que vous êtes un excellent orateur et je suis plutôt d’accord avec lui. »
« Mais encore? »
« Qu’un bon orateur connait son texte, mais le meilleur des orateurs mesure ses silences. » Je répondis, et c’était une citation directe, au passage.
« D’après toi, qu’ai-je passé sous silence? »
« Je ne pense pas que cela serait très productif d’en discuter. » Je haussais les épaules.
« Irais-tu imaginer que je te mentirais? »
« J’en viens à espérer que vous le feriez, car me faire traiter d’insecte, cela ne serait pas très poli de votre part. » Je dis simplement, car il était hors de question que j’admette, qu’au fond, cela me ferait de la peine. Un petit peu.
Un tout petit peu.
Et j’étais parfaitement consciente que c’était là une sensation ridicule.
Pour être franche, j’ignorais ce que j’attendais comme réponse de sa part.
« Je ne pense absolument pas que tu sois un insecte, et comme tu le sais, je serais bien incapable de te mentir. » Il dit, et son sourire était bien doux, bien trop doux.
Paradoxalement, cela me hérissa, comme si quelque chose souhaitait me mettre en garde.
« Alors qu’est-ce que vous pensez? »
Lazarus m’observa un petit moment, de toute évidence perdu dans ses réflexions, évaluant la manière la plus délicate de déclamer l’insulte. Car c’était bien une insulte qui allait suivre, son air ne faisait aucun doute là-dessus.
« Je suis capable de contrôler les éléments. Je pourrais faire fondre cette pierre, balayer cette bâtisse d’un revers de main, asservir à ma volonté lacs et rivières. Cela induit en revanche une différence de talle entre toi et moi. » Il renchérit alors « Voilà le fond de ma pensée. Nous sommes différents. Cela n’implique pas que nous devons nous disputer pour autant, nous n’avons qu’une vie après tout, et il faudra bien s’accorder pour construire la suite. »
C’était une bonne réponse, ça. Dans le sens ou je ne trouvais rien à en dire. J’aurais dû, et je sentais que je n’étais pas vraiment d’accord, mais je ne parvenais pas à le formuler correctement sans me rendre ridicule. C’était horrible, la manière qu’il avait de tout rendre logique, même ça.
« Qu’en penses tu? » Il dit, en haussant légèrement les sourcils, et toujours ce fichus sourire aux lèvres.
C’était vraiment injuste, comment étais-je supposée débattre de politique avec Beria Lazarus, quand même Commodus s’était emmêlé les pinceaux face à lui?
« Je ne suis pas d’accord, et je cherche à l’expliquer sans avoir l’air stupide, mais vous ne me facilitez pas la tâche. » Je répliquai et il eut un petit rire.
« Peut-être est-ce si dur à démonter parce qu’au fond tu es d’accord. » Il dit avec un air fin et je secouais immédiatement la tête.
« Oh non, je sais que je ne le suis pas, ça, c’est très clair, ce qui l’est moins, c’est comment le dire sans avoir l’air ridicule. » Je répondis « Ce n’est pas mon métier, à moi, il me faut un peu de réflexion pour formuler ça correctement. »
« Je prends ça pour un compliment, mais je suis convaincu que tu te desserre. Essaie-donc, nous verrons bien. » Il dit.
« Pointer du doigts les différences ne me semble pas être honnête, parce que personne ne se ressemble, et avec cette logique,- bref vous voyez ce que je veux dire. » Je commençai à peine, et m’emmêlais déjà les pinceaux. Bah bravo, vraiment.
« Je saisis l’argument, mais je ne te mâcherais pas le travail. » Il dit, en prenant une petite gorgée de thé, m’observant comme on observait un enfant faire ses premiers pas. Il n’aurait pas dû me toiser de la sorte, car cela m’énerva assez pour écraser ce sentiment d’incompétente.
« Je ne suis pas convaincue que l’on puisse construire quelque chose de durable en basant tout sur les différences. Il faut de tout pour faire un ballet.» Je dis, et fis exprès de basculer en medelvio, principalement pour l’emmerder, mais je me rendis vite compte que les mots coulaient bien plus rapidement dans mon esprit.
« Mais dans un ballet, il y a des danseurs étoiles, les seconds, et les autres. Chaque personne est importantes, mais il y a bien un premier rôle, et il faut bien décider de qu’il s’agira. » Il répondit au quart de tour, en salemni, une lueur dans le regard. Il prenait de toute évidence plaisir à l’exercice.
Il n’était pas le seul.
Cette étincelle me secoua les neurones, comme si j’avais été piquée à vif dans la moelle. Je me redressais immédiatement. Le ballet, mon territoire, pas le sien.
« Oui, le meilleur danseur, pas le plus magique. »
« J’ai cru comprendre que tu étais une magnifique danseuse, tout du moins, Mafalda n’a que des éloges à faire à ce sujet. » Il dit alors.
« J’aime danser, mais je ne vois pas le rapport. »
« Combien dans ta classe sont-ils magiques? » Il demanda, l’air de rien, et j’eus l’impression de me trouver au bord d’un précipice..
« Une bonne moitié. »
« Penses tu être meilleure qu’eux? »
Oh. Le. Petit. Sagouin.
« Je ne le pense pas, je le suis, Monsieur Lazarus. Sans quoi, on m’aurait déjà montré la porte. » Je répliquai, en levant le menton. Il eut un petit sourire, presque affectueux, et je le jurai, solennellement, cet air condescend, il le paierait, extrêmement cher.
Même si c’était la dernière chose que je ferais de ma vie, je la lui ferais ravaler cette petite moue. Il en pleurerait de rage, et moi, je savourerais ma victoire sans modération.
« Et, toi mise à part, sont ils moins bons, ou meilleurs que leurs homologues omegs? »
« Je- ah, je vois ou vous voulez en venir. » Je dis en me frappant les mains, et j’étais assez fière de moi. Ridicule, probablement, mais je m’en fichais « Vous essayez de me piéger en me faisant dire quelque chose que je ne pense absolument pas. Je ne dis pas que les mages devraient être écartés. Je dis que le critère ne devrait pas être la magie. Si un mage est le meilleur en danse, et bien il est le meilleur. Si ce n’est pas le cas, qu’il laisse sa place sans faire d’histoire. »
Contrairement à Isadora, par exemple, qui avait pleuré de rage un bon cinq minutes quand Maitre Desjardins m’avait attribué Makadena. Certes, ce n’était pas le premier rôle, mais Makadena étant la suivante de Desmelda dans le ballet homonyme et c’était une histoire d’amour tragique. Autrement dit, Makedena a ses moments, et d’ordinaire on le réservait exclusivement aux étoiles. Pour une raison nébuleuse, elle était partie du principe que se rôle devait lui revenir et avait tenté de se jeter sur moi, toute griffe dehors quand il s’avéra que cela ne serait pas le cas. Malheureusement pour elle, j’étais assez rapide quand il s’agissait d’esquiver les cruches (et Berthe lui avait peut-être fait un croche-patte).
Ah que Berthe me manquait. Jamais elle ne se serait laissée embarquée dans cette histoire. Elle lui aurait ri au nez avant de prendre la poudre d’escampette. Elle aurait été inflexible.
« Le problème chère Sidonie, c’est que les gens sont rarement aussi raisonnables. Pour beaucoup, ne plus se baser sur la magie implique de l’écarter, par la force. »
« Mais c’est un autre problème ça, qui, au passage, est alimenté en mettant les gens chacun dans leur coin. »
« Donc, d’après toi, j’ai tort d’être préoccupé. » Il dit d’un ton clair, le regard pétillant. On aurait dit Britannicus la fois ou il avait trouvé le moyen de me piquer mon roi en quatre coups.
Je refusais d’avoir un encore.
« Je pourrais vous demander la même chose. »
« À la différence qu’il n’a jamais été question d’éradiquer les omegs. »
« Ça, c’est parce qu’il y a beaucoup plus d’omegs que d’alters. Vous placez un mage et un omeg dans une pièce en revanche, et la question se pose. »
« Ne sommes-nous pas dans une même pièce? »
« La question ne s’est-elle jamais posée? » Je répliquai.
Lazarus me sourit, pour toute réponse. Il n’y avait après tout, rien d’autre à ajouter à cela.
« Tous les mages ne sont pas assoiffés de sang. »
« Et tous les omegs ne détestent pas la magie. »
« En effet, mais ce n’est pas une question d’avis personnel, c’est un problème de groupe. Dans une masse, les convictions, les principes fondent comme neige au soleil, et tu te trompes lourdement si tu imagines qu’avec de telles idées tu serais en sécurité dans une foule. »
Je plissai des yeux, et fixais un moment ma propre tasse.
« Je pense que vous êtes pessimiste. » Je murmurais, parce que je ne trouvais en toute franchise rien d’autre à dire.
« Si je le suis, c’est malheureusement une question d’expérience. À force de voir le pire, on finit par s’y accoutumer. »
« La guerre était horrible, mais tout le monde n’était pas d’accord. » Je protestai « Beaucoup d’omegs se sont battus dans la Régulière. »
Il avait intérêt à faire attention à ce qu’il allait dire.
Très. Attention.
« Il n’y a pas besoin de remonter aussi loin, chère Sidonie. Je gage que tu as désormais une assez bonne idée de la raison de la présence de Britannicus entre ces murs. »
« Plus ou moins. » Je dis prudemment, et à nouveau, la sensation d’être au bord d’un gouffre se fit sentir. « … son mari l’a battu à mort, n’est-ce pas ? »
« Mais en connais-tu la raison? » Il demanda en me fixant, de manière assez intense pour que cela fut déroutant.
« Il n’y a jamais vraiment de raison avec ce genre de type, non? »
« D’ordinaire, oui, et les autres fois ou il la battait, il n’y avait pas d’explication franche, mais là, il y en avait une. Qui explique d’ailleurs pourquoi il ne s’est pas retenu. » Il renchérit « Tu dois avoir une petite idée, non? »
Oh non.
« Britannicus a fait de la magie et il s’est rendu compte qu’elle l’avait trompée. » Je dis, en priant pour que cela ne soit pas le cas, même si, pour être honnête, une toute autre explication n’était pas pour autant une victoire.
« Pas exactement, il n’a pas poussé le raisonnement jusque là figure-toi. Sa seule faute, c’était d’avoir produit un rejeton magique, et par ailleurs, Britannicus a fait preuve d’un sang froid exceptionnel ce jour-là. Il a couru se réfugier au poste de la maréchaussée, sans quoi, lui aussi il serait mort. Quand les constables sont arrivés, l’homme était en train de fouiller la maison de fond en comble pour le trouver, un couteau de cuisine à la main. » Il dit tranquillement « Et pourtant, à l’entendre lors de son interrogatoire, il l’avait aimé. Il l’aimait toujours, mais c’était un mage désormais et il ne pouvait pas le tolérer. Malheureusement il est loin d’être un cas isolé.»
Bon.
Je demeurais sans voix un petit moment.
J’aurais aimé me dire que ce n’était pas possible, mais malheureusement, ce n’était pas le cas. Il avait raison, sur ce point. Certaines personnes n’aimaient vraiment pas la magie, et étaient prêtes à tout pour s’en défaire.
Quel gâchis.
« C’est- à quel point Britannicus est au courant? » Je finis par me racler la gorge, en espérant ne pas trop apparaitre faible et qu’il ne s’imagine pas que je lui concédais tout l’argumentaire.
« C’est un petit garçon courageux, mais je ne t’apprends rien. » Lazarus dit, et son sourire fut plus faible, mais plus sincère « Tu as beaucoup de compassion, mais je te prie de me croire quand je te dis que tu n’es pas une généralité. »
« Je ne suis pas non plus une exception, les Drèkes sont des gens bien, Monsieur Ébénezer, Madame Silverine, Blaise, Enguerrand, son frère, le quartier, Berthe c’est ma meilleure amie… et je pourrais continuer. » Je secouais la tête « Il y a beaucoup de gens bien, des gens qui veulent juste vivre tranquille sans se prendre la tête. »
« Mmh. » Il huma, en hochant vaguement la tête.
Il se détourna entièrement de moi, et cessa alors de me regarder.
J'ai trouvé ce chapitre particulièrement fluide, malgré quelques répétitions, c'était bien lié et j'ai été happée dans le récit.
Petite question :
Comment Sidonie reçoit-elle les informations? Journaux ? Les visites de Phobos ? Autre ? Un mélange de plusieurs choses ? Parce que je la trouve très au courant pour voir qu'elle est enfermée et tu ne donnes pas de précision particulière sur la manière dont l'information vient à elle.
Autre question :
Quel est exactement l'axe politique de Beria ? Il veut vraiment "éradiquer" les omegs ? Ou simplement que leur "supériorité" (pour reprendre sa façon de penser) soit reconnue de tous ?
Parce que quand il raconte l'histoire de Britannicus, je comprends qu'il considère les alters comme des victimes, mais du coup, concrètement, je ne comprends pas ce qu'il veut en faire. Par exemple, même si j'ai toujours un point d'interrogation sur le fait que Sidonie serait réellement une omeg, il a l'air de vouloir la convaincre de certaines choses.
Deux remarques :
- "Elle s’était également mise à m’accompagner lorsque je dansais." -> c'est chouette. J'aime beaucoup la manière dont elles se sont rapprochées.
- "comme on observait un enfant faire ses premiers pas. Il n’aurait pas dû me toiser de la sorte" -> je ne sais pas si la comparaison est très juste. C'est plus attendrissant, un enfant qui fait ses premiers pas... On ne le toise pas, en général ^^
À très bientôt !
Ça fait toujours trop plaisir de lire tes commentaires! Ravie que ce chapitre passe bien (je pense que je commençais à avoir plus la confiance que j'écrivais un roman ici, et j'arrêtais d'en rajouter pour 'faire du chiffre').
Question information, c'est un petit mélange de ésodio, journaux et Phobos pour le sous-texte. Je pense que dans la réécriture il y aura une discussion pour illustrer (et j'en profiterais pour mieux dessiner la position politique de Lazarus).
En gros, Lazarus, c'est un suprémaciste mage. Il ne veut pas éradiquer les omegs, car il faut de tout pour faire un monde -mais il souhaiterait que "l'ordre naturel" cesse d'être remis en question (et qu'on arrête de mélanger les torchons et les serviettes aussi). Concrètement, cela veut dire que les hautes responsabilités, elles devraient être prises par des mages, car ils sont plus 'capables'. Il n'a pas de problème avec les 'bons' omegs qui restent à leur place, par contre les scientifiques et les tekniciens, eux, il veut les éradiquer, car ils posent un réel danger à "l'ordre des choses". Bon bien sur, tout ça est édulcoré dans ses discours.
Quel rapport avec Sidonie et l'histoire de Britannicus? Il commence à apprécier Sidonie -elle s'occupe de Britannicus, elle a sauvé les miches de Scetus. Le problème c'est qu'elle ne rentre pas dans les cases d'un bon 'omeg' qui dit oui et qui s'exécute. Elle lui échappe, et pour quelqu'un qui vit pour le contrôle, ça a son charme mais c'est également très agaçant.
D'autant qu'il y a ce problème de Voix qui ne marche pas, et même s'il n'en fait plus mention de manière directe, il n'a pas abandonné pour autant. A priori ce n'est pas héréditaire, ce n'est pas magique, donc peut-être est-ce psychologique?.
Un des moyens de le prouver -voir régler le problème- c'est de la casser psychologiquement et d'espérer que dans le tas, il détruit également ce qui la protège. C'est là que l'histoire de Britannicus entre en jeux. Il conduit la conversation pour l'amener à un certain sujet sans en avoir l'air. Je n'en dis pas plus, ça s'explique dans les chapitres suivants.
Ça fait plaisir que leur relation passe bien ^^
Oui je crois que ce n'est pas tout à fait adapté. Ce que je voulais dire, c'était qu'il la regardait comme une gamine maladroite et ça l'énerve. Elle trouve ça réducteur et insultant.
à bientôt!
Merci pour toutes tes précisions, à bientôt ! ^^