29. Des maux pour des mots

Notes de l’auteur : Novembre 1941

C'était comme un pressentiment, ou plutôt une conviction. Je ne saurais dire si j'ai été touchée par un quelconque pouvoir divin, mais alors que le bruit du moteur résonnait encore dans l'allée, je me suis naturellement précipitée à l'extérieur franchissant le petit portillon de l'entrée en sautant par-dessus, arrachant un bout de mon jupon.

Thomas arrive.

Je le sais.

Thomas est là.

Alors quand je reconnais la couleur de la Jeep et quand je vois le jeune homme en descendre pour m'arriver dessus en courant, ce n'est qu'une fois dans ses bras que mes inquiétudes de cette année passée s'envolent.

—  Thomas !

— Tu m'as tellement manqué, Élise !

Thomas est là.

Il a le visage marqué et pourtant, il a les yeux qui pétillent, il a le sourire aux lèvres. Il a cet uniforme propre aux soldats taché par la vie menée. Par la guerre.

Les lèvres de Thomas sont emplies de douceur, de tendresse.

Il me repose alors au sol, me dévisageant de la tête aux pieds.

—  Tu n'aurais pas un peu grossi, toi ?

— Je ne te vois pas pendant plus d'un an et tu te permets de me faire ce genre de réflexion ?

— Il fallait bien que je te dise quelque chose. Tout le reste, tu le sais déjà. Je te l'ai écrit.

— Et j'ai conservé chacune de tes lettres. Je les ai mises dans une boîte que j'ai emportée avec moi. Chacune de tes lettres est comme un petit bout de toi, alors je les garde toujours près de moi.

— Moi, je garde les tiennes sous mon oreiller. Quelquefois, je les relis. Quelquefois, je m'imagine entendre ta voix. Oh comme tu m'as manqué, Élise !

Il me serre de ses bras tandis que Stanley, le cousin d'Antoine, sort de la ferme.

— Tu dois être Thomas ! J'ai beaucoup entendu parler de toi.

— Merci de prendre soin d'Élise.

— C'est la moindre des choses, elle a fait beaucoup pour mon cousin.

Thomas me regarde d'un œil curieux, sans doute s'imagine-t-il des choses. Doit-on se répéter ?

— Ne te fais pas d'idées. Je suis restée proche d'Antoine, mais en tant qu'amie.

— Mouais...

Il a cette expression boudeuse, perplexe, et pourtant affiche un demi-sourire amusé.

Il ne m'est pas possible d'envisager d'aimer un autre homme. Ça a toujours été Thomas.

Ça le sera toujours... tant que Thomas vivra.

— Je devrais peut-être vous laisser tous les deux, je vais m'occuper de la grange à côté.

Stanley et son accent britannique me font toujours beaucoup rire. Pour un Français qui a grandi ici, il y a parfois un mélange de mots dans ses phrases ce qui ne rend pas la compréhension facile, mais au moins, elle est amusante.

— Je sais que je ne devrais pas poser cette question, mais...

Parce que je veux savoir, Thomas. Je veux savoir combien de temps j'ai avec toi. Combien de temps il me reste à profiter de toi avant que tu rejoignes les bras de la Guerre. Cette mortelle amante. Combien de temps t'ai-je rien que pour moi ? Je suis une femme égoïste et tu le sais. Rien que l'idée de devoir te partager me rend folle, soucieuse, inquiète...

Mais tu es un soldat et un soldat, ça ne reste pas.

— Mais tu veux savoir combien de temps j'ai devant moi ? J'ai une permission de trois jours.

— Seulement trois jours ?

— Mademoiselle ne serait-elle pas devenue possessive un peu ?

— N'ai-je pas le droit de l'être ? J'ai toujours appris à défendre ce qui m'est le plus cher.

— Oh ! Alors, te suis-je cher ?

— Précieux même.

— Dans ce cas...

Il m'embrasse sur le front, dégageant une de mes mèches tout en murmurant 

—Veille sur moi, Élise, car bientôt, la guerre m'arrachera à toi. Profite de moi. Rassure-moi et dis-moi ô combien tu m'aimes, combien je t'ai manqué et combien je te manquerai une fois partie, car tes mots sont, eux, la réponse à mes maux.

Malheureusement, c'est là le sombre et funeste destin de bien des gens, Thomas. Nous n'échappons pas à ça.

Nous n'échapperons jamais à tout ça quand bien même nous le voudrions.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Elora
Posté le 08/06/2021
On y est, les retrouvailles, ça fait plaisir !
Je suis désespérée, il est en vie, mais il s'imagine mort, écarte ses pensées, et demande la vie !
J'espère que ça ira, un mauvais pressentiment me prend... :(
MissRedInHell
Posté le 23/09/2020
Enfin leurs retrouvailles ! Je trouve qu'il y a un côté un peu doux-amer. Ça fait du bien de les revoir après tout ce temps et en même temps, c'est la guerre et Thomas devra repartir. C'est extrêmement tragique, mais ils ont l'air d'être parti pour profiter de ce cours laps de temps. :')

Encore une fois, je redoute de plus en plus la suite ! Je m'attends au pire à chaque fois ! /o/
ManonSeguin
Posté le 24/09/2020
Ahaha arrête d'attendre, profite du moment ! Savoure-le ! Prends les en exemple tiens ! :') Tu sais ce que l'on dit ? L'avenir est fait de surprises ;)
MissRedInHell
Posté le 24/09/2020
Clairement ! Je profite du moment ! Mais je peux pas m'empêcher de me poser des questions, chercher des hypothèses :')
ManonSeguin
Posté le 25/09/2020
La question du jour : Va-t-il survivre ? :')
MissRedInHell
Posté le 25/09/2020
Exactement ! Et je m'attends à tout ! ;-;
Vous lisez