29 | Les indociles (2/2)

Notes de l’auteur : Chapitre mis à jour le 27 juin 2024.

JULES.

— Tiens ! S’il y avait bien une personne que je ne m’attendais pas à voir ici ce soir, c’était toi. Salut fiston.

Tous on pivote là-bas. Taya l’était d’retour avec un autre bonhomme, c’lui qui vient d’causer et qui r’garde Eustache avec… une toile-chagrin sur l’minois ? L’y a quand même tenté un grêle sourire pour heureuser l’visage, mais ça l’était raté, ‘fin j’sais pas trop, ça flottait l’embarrasse tandis qu’Eustache s’reculait en croisant les bras, la binette toute fermée. L’aristogoth’ a hoché la tête pour dire salut, l’autre gaillard l’a pas su quoi réagir. Il a ouvert la bouche, s’est ravisé. S’humecte les lèvres. Final’ il bonjour Caligo, Caligo l’bonjour en r’tour, pis il tourne l’visage vers Jules et Jules plisse les oeils pour mieux l’dévisager l’nouveau loustic.

On y voit pas bien à cause d’la sombrité mais de c’qu’elle est cap’ d’voir, l’typo ressemble vraiment à Eustache trop quoi, même si tout c’est pas pareil. Par l’exemple, ses ch’veux sont glisso’noir mais plus longs que ceux d’son fils et filés dans une queue d’cheval. Ensuite, c’est une beauté d’miriflor à la pâlo-peau et blyeux transperçards, un Vénus à l’Eustache quoi, avec des traits toutefois plus doucidoux et surtout, pas cernés pour un sou. Et s’il y avait un truc d’archi pas pareil, c’tait les vêtement. Lui l’papoune il portait un pantal’ fluide, en soie, bleu d’la nuit, pis un haut ample, jaune-soleil. Et s’il y avait un truc d’archi trop pareil, c’était c’raffinard, la grâce au bout des doigts tellement ça coule ses gestes et qu’il y a la seigneuresse dans l’maintien d’son buste, d’son visage, d’son regard, d’tout lui. Et Jules, limite si ça l’intimidait pas encore plus que l’beau-gothico et pourquoi les gens sont si impressionnants comme ça, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour être comme eux, aussi aussi… v’là quoi, , présents, mais présents vraiment quoi, pas juste dans l’ombre où Jules allait s’éclipser avant que l’bougre s’présente, Milan Héliodore qu’il s’appelle, et toi c’est Jules, c’est ça ? qu’il a dit.

Intense sa fixette. J’cache la trembouille des mains derrière moi et j’lève le menton en rocaillant un oui l’plus assuré du monde, là faut qu’j’fasse bonne impression. Ça l’tique son oeil, comme si ça l’perturbait c’que j’ai l’dit, ou c’que j’suis comme ça. Encore il m’observe, ses iris du ciel qui piquent l’ombre. J’sais pas c’qu’il pense d’moi, j’sais pas j’sais pas, j’sais pas et ça m’turbo gêne. Là-bas, y’a Taya qui l’a fini d’cruich-cruicher une nouvelle sille, elle annonce qu’elle va chercher d’aut’ gens, elle s’efface de l’aut’ côté. Enfin, Milan rouvre l’clapet. Y s’dit heureux d’faire ma connaissance tout l’y doux et j’hoche la binette. Juste ça. J’ose pas plus. Et comme l’fla-fla d’malaise s’étire dans l’silence, il choisit d’reporter son attention sur Eustache. Il lui demande comment ça s’fait qu’il est là, il pensait que y’aurait juste Caligo. Ça détourne les yeux chez l’aristogoth’. C’est frigo qui répond à sa place, son trait d’lèvres mesquinées :

— Oh ! Vous n’allez pas le croire, monsieur. Votre fils bien aimé est celui qui cachait Jules tout ce temps, avec d’autres gemmeurs, sûrement. En sachant pertinemment que Jules possède l’Anima d’Océane Libelle.

Milan arque un sourcil surpris :

— C’est vrai ?

— Vous nous auriez laissé plus de temps qu’on aurait découvert quelque chose, j’en suis persuadé, ronchonne gothico.

— Mais enfin, Eustache…, soupire Milan. Tu sais bien que l’Onde recherche la personne qui détient cet Anima depuis plusieurs années. Tu ne songes donc pas à l’intérêt commun ?

— Ou alors, juste à l’intérêt des gemmeurs ! l’méprise Caligo.

Eustache l’y tourne une tronche vibrant à la sombre colère vers Caligo, grommelle un truc inarticulé que son père lui demande d’répéter, à cause que v’là. Nobliau serre les pans d’sa cape, avec ses yeux qui sifflent vifo’bleus dans l’noir quand il s’recule encore plus au fond et qu’il avoue, avec d’la terriblo rage tremblant sa voix, toute vouée à son père qu’elle est :

— Pas l’intérêt des gemmeurs, non. Si je n’ai rien dit tout ce temps, c’est parce que ça me concerne personnellement. Ça va bien au-delà d’un simple mouvement de révolution et tu le sais.

Atta’ que quoi ? Jules qui l’sursaute, Caligo qui incline la tête avec subit intérêt, ses finasse d’lèvres qui tressaillent. Nos yeux l’accrochent en désarçonne. L’y a juste chez Milan pour qui ça l’est pas nouveau c’t information. Son minois tout lisse s’assombrit d’triste. Ses épaules ploient sous l’poids d’on sait pas trop quoi, pis il avance vers son fils mais son fils il est pas d’acc. Lui il arrête pas d’se reculon dans l’fond du fond du noir, là où ont cessé d’danser les lumièroses, et l’prévient :

— T’approche pas.

— Eustache, tu as besoin de–

— Pas besoin de ton aide, non.

Jamais Jules avait vu Eustache comme ça. Aussi coquillo-fermé. L’corps rigidax, la souffle plus rapide que d’hab’ trop quoi. L’attitude vernissée à l’amertume, il voulait plus sortir de l’ombre et Jules ça la frippait la poitrine sans qu’elle comprenne d’où ça lui v’nait c’sentiment d’archi zarbement. Elle voulait faire quelque chose mais savait pas quoi, et Milan c’était pareil l’tâtonné d’la réac’ : il s’est avancé mais s’est reculé et a passé une main aussi ‘légante que lasse autour d’sa queue d’cheval. Caligo lui ça s’arrêtait pas comment il épiait Eustache d’une vraiment drôlée d’manière. C’tait comme s’il l’rencontrait pour la première fois, ou qu’enfin il voyait tout c’qu’il avait r’fusé d’voir jusqu’alors, claustré dans l’archi fausse r’présentation qu’il avait construite d’beau-ténébro.

Au bout d’un moment, Milan a lissé son pantalon et s’est tourné vers Jules, à cause que vraiment, chico-gothico était plus fermé que jamax et que personne savait quoi faire pour lui desserrer les fesses.

— Elle est là ? qu’il demande.

Jules comprend pas d’tout d’suite. Mordillement d’sa joue, elle dit :

— Oui, j’suis là.

Milan plisse son front d’incomprého-quoi.

— Je parlais de l’Anima d’Océane Libelle.

— Oh.

Il attend, flegmatique quasi. La mine d’Jules s’boudeuse lorsqu’elle rognonne :

— Non.

— Tu n’as pas pris sa gemme ?

— Si. Elle vient souvent s’ficher dans mon béret là.

Que j’tapote tout là sur mon crâne et c’est vrai avec Eustache et Jasmin on a fouillé ma casquette parfois elle y dort et en face Milan patiente douc’ment et final’ j’avoue :

— J’veux pas la voir, c’est tout.

Les plis à son front s’chiffonnent comme l’avant et j’comprends qu’il l’fasse. Après tout les Animas c’est dur l’contrôle des allées-venues, donc les chances à c’que Jules maîtrise Océanette et l’éjecte juste pask’ elle veut pas la voir, c’est du zéro-zéro quoi. Océanette pourrait très bien s’pointer là si elle le voulait, mais Jules sait aussi qu’elle le f’ra pas. Cruellette osera pas s’aventurer ici après ses rosseries dans la ruelle. Elle m’connaît suffisamment pour savoir que si j’la r’vois, j’jure que–

— Pourquoi ?

Crispouille du flanc droit. J’lèvro-mords j’dis rien. J’soutiens son r’gard. Toujours plus ça s’sombrit les boules lumiroses. Avec Taya loin, ses flotti-pelotes s’meurent, on est quasi plongés dans l’noir et personne l’a vraiment r’marqué que ça s’noircissait la pièce jusqu’à c’gros coup d’nuit. Milan lève l’visage, observe tout autour et s’voyage là-bas, près du mur, où d’un coup d’doigt, l’y allume l’bureau. Tout l’monde sursaute et tout l’monde l’est ébloui. Quoi et pourquoi personne l’a fait ça avant ? Clignement des paupières, en fait l’chandelier c’était des fausses bougies. Des bougies-ampoules quoi. Aut’ tressauté à voir trois nouvelles personnes là et c’est trop la dingzerie c’que Taya fait à plop ! apparaître, plop ! disparaître à la vitesse d’secondée. J’tourne la tête j’les r’luque.

L’une d’ces gens c’est une madame qui a demi-rasé son crâne, barbouillé ses lèvres en noir, elle porte un jeans troué pis sombre pis son t-shirt l’y montre des bras tout tatoués. La filhouette c’est l’élance et musculeuse des gymnastiques. Plus je l’y r’garde plus je l’y trouve un air d’ressemblo à Milan, même si les ch’veux c’est pas l’charbon mais fumés bruns, pis les yeux c’est comme d’la cendre, pis l’corps c’est pas aussi mouvax. Mais quand même, quand elle s’place à côté d’lui, moi j’suis archi sûre qu’ils sont frère et soeur : le nez c’est la symétrie parfaite et la bouche et l’menton c’est filiforme, et c’est… j’sais pas. En fait c’est farfou la zarbiorie pask’ la r’ssemblance la beauté c’est la même et pourtant, Jules la trouve pas belle. Y s’dégage un truc chez elle qui m’chiffonne, une grincement d’regard, un silence d’visage impavide qui la rend lointaine et… dure. Sévère. Loin d’la doucia et fluidia d’Milan. Presque… hautaine, qu’elle fixe Jules sans rien dire et Jules ça lui mâche la gorge, fripée sèche.

Très vite, à cause que ça la flippe un peu, Jules reporte son attention sur l’aut’ dame qui discute avec Taya. Chignonne l’était en train de s’excuser, elle lui ‘xpliquait qu’on étaient poursuivis et qu’à la base c’était pas ici qu’elle voulait siller mais elle était stressée et que c’était le seul endroit auquel elle arrivait à penser sur l’moment. Ça sourit en face, pose une main sur son épaule.

— C’est pas grave, t’inquiète pas. Ici, c’est très bien.

La nana a parlé avec un léger accent. Espagnol, ou j’sais pas trop. Comme Siloé, elle porte une blouse blanche. Qui contraste avec une peau d’cuivre. Ses cheveux frisent, frisent à l’infini, et s’ils sont ram’nés en une queue de cheval basse qui explose là-derrière, y’a des rebello mèches qui embrassent ses tempes et ses joues. Un foulard couleur de l’aubergine tente d’dompter tout ça, mais c’est raté ou au contraire, l’effet froufrou ça fait très joli. À ses oreilles, deux boucles d’oreilles : l’y sont très grandes et très rondes, pleines d’un or qui fait bling bling et kling kling dans la vive clarté d’la lumière. Et malgré le miroité d’ses bijoux, qu’on trouve aussi à son cou, à ses doigts, comme de l’étincelle sur le halé d’sa peau, elle fout le calme c’te femme. C’est pas d’la pétillance et du holé-holé, bien au contraire ! C’est d’la profondeur et d’la sagesse qu’on trouve jusque dans l’iris d’ses yeux, très noirs et très philosophes, comme si elle connaissait plus d’choses que nous tous réunis. En fait, ouais, comme ça : la nana, c’est une voyante et c’est une fichtrement digne voyante. Pis faut dire… sa blouse blanche, franch’ ça lui va pas du tout. Que dalle pas ! Pour elle l’y faut un vêtement total’ moins scolaire, un truc genre un truc qui mette en valeur la puissance d’ses bras et d’ses jambes, pask’ là c’te fringue droite qui la boudine comme ça, c’est pas possible. Ouais, sûr d’chez sûr : y’a du muscle là-dedans, comme la soeur d’Milan, mais en plus grosse bastonnade. La voyante, ça fait comme si elle réfléchissait beaucoup et qu’en même temps elle était une femme d’action. Yop. C’est ça, total’ ça ! La spirite, c’est une panthère qui peut jumper à tout instant, les crocs en avant, charcuter plein d’méchants en faisant bling bling et kling kling avec ses bijoux. Et attention, quand j’dis jumper, c’est jumper plus loin et plus haut qu’les humains, plus loin et plus haut qu’les panthères même.

Après l’discutement avec Taya, la voyante pivote vers Eustache, l’est surprise d’le voir là mais dit rien, observe ensuite Caligo. Après avoir salué les deux zèbres, elle reporte son attention sur Jules. Sacrée expression. Curioso son visage. Lèvres souples et épaisses. Mélange d’bienveillance et d’impatience. Comme si elle avait faim. Faim d’Jules. Mais que ça l’était une gentille faim. Sans lâcher Juju’ du r’gard, elle remercie Eustache et Caligo d’avoir fait l’escorte. Taya, tu peux les congédier maintenant s’il te plaît ? qu’elle ajoute.

— Quoi ? Comment ça ? proteste gothico.

— Ce qu’on a à dire à Jules est confidentiel, Eustache.

— Mais !

Les joues subito gonflées au furax, il s’avance au milieu d’la pièce direction Milan :

— Papa, enfin dis-lui !

— Lui dire quoi ? lui répond-il.

— Lui dire que ça me concerne autant que toi ou Angéline. Lui dire que… que… que j’ai ce trou-là et que… j’ai besoin de… savoir

Ça vrille de l’humide dans ses yeux, à Eustache. Il les sèche d’un coup d’revers, observe son père avec une respir’ qui s’emporte et qui en même temps s’calme, comme s’il tentait la maîtrise d’lui et qu’il voulait garder toute sa prestance malgré ces gens qui l’reléguaient au rang d’rien. Terrible ça l’était, c’truc qui s’froidit soudain dans l’ciel d’ses yeux, s’gèle d’claire détermination. Son dos s’est grandi avec souplesse, c’était une vague à la cambrure des reins qui s’est élevée tout l’long d’la colonne et qui lui donnait tellement d’charme. Tant que Jules s’dit quand même l’y a c’truc folingue chez Eustache : c’sont ces sautes d’humeur entre l’calme, l’élégant, et l’élégant colérique. Alors ça l’rendait tellement beau quand il s’énervait comme ça, dans sa révolte des choses, comme un sens aigu d’la justice qu’il aurait, ou d’la vie, et que d’puis qu’il avait rencontré Jules, c’est encore plus aigu son raz-l’bol d’toute une situation que ça peut plus durer comme ça. C’est évident tellement c’est flagrance la façon dont il s’éveille Eustache, en direct, juste devant nous.

Comment ça pourrait être autrement ? On lui a fourni une Jules dans la Brocante et c’était la virouette qu’il attendait d’puis toujours, alors hors de question d’pas en profiter, lui qu’il l’était oubliette dans les débris toutes ces lentes années. Sa chance on la saisit ou on la saisit pas, et lui il a clairement choisi d’la saisir, même s’il doit s’opposer à l’Onde pour ça. Il trouvera les moyens pour tirer son épingle du jeu, coûte que coûte. C’tait tout c’qu’il nous furie-promettait à l’instant, sous sa cape des misères qui n’était même pas misère, à la fin, tellement il empestait la classe, Eustache, avec ses yeux fardés d’noir, son piercing au sourcil, ses plugs aux oreilles, ses bagues d’argent aux doigts, et tout l’reste d’ses vêtements fêtes-funèbres. Rien non, rien, l’soumettra plus jamais. Même quand Rosalia, installée derrière l’bureau, aura tranché catégo’ que ni lui ni Caligo peut rester, il aura rien courbé l’échine. Pareil avec Caligo : mister-frigo lui aura serré l’bras, bien trop longtemps, avec une lueur d’avertissement dans l’regard, ça l’aura rien changé. Eustache, lui, il aura fixé chacun des Ondés, l’un après l’autre, avec cette lenteur la plus gracieuse que Jules a pu voir dans sa vie, et des tornades noires dans les yeux. Dégageant son bras avec noblesse, il aura dit, la voix profonde et distinguée :

— Tant pis. Comme d’habitude, vous nous écartez du débat. Jamais vous nous montrez les Animas de Noée et Jules, soit disant qu’ils sont réservés aux personnes qui détiennent les Animas d’Océane et Léon. Vous préférez nous donner des leçons de flomadie à travers des « maîtres-flomades » qui ne sont capables que de nous refiler des seringues bourrées d’idéelles euphorisantes et hallucinatoires. « Elles vous ouvriront les portes vers de grands inconnus, vous feront vivre une expérience mystique incomparable et vous permettront d’entrer en communication avec le Flux. Vous en ressortirez plus clairvoyants que jamais, avec une plus juste connaissance de vous-même et du monde environnant. » Usage purificatoire, thérapeutique… mon oeil ouais ! Elles ne provoquent que malaise psychique et addiction ! Et combien tombent dans le piège, dites-moi ? Combien d’Ondés se shootent aux spirioïdes en étant convaincus que c’est la meilleure façon d’explorer le Flux ? Combien sont persuadés être plus libres alors qu’ils ne font que s’enfermer dans leur dépendance ?

Et là l’arist’orage l’y reprend sa respire tellement sa colère lui enfile des mots rapides. Il laisse trainer une pause pour que ça impacte bien tout l’monde ses explosi’paroles, et lorsqu’y reprend, c’est encore plus grondant et beau qu’avant :

— Le pire, c’est que vous justifiez cette absence de progression vers Achronie sur la base d’un ridicule chant soufflé par le Flux. Un chant que vous êtes les seuls à avoir entendu. Un chant aux allures prophétiques qui parle de Jules et de Nova comme les seules ouvreuses de la Voie possibles, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ça ne veut rien dire. Et je vous interdis de me rétorquer qu’elles possèdent une pensée plus libre que la nôtre, cet argument ça ne vaut que du vide. On est tous des révoltés, par ici. Pas plus l’un qu’un autre. On est tous capables de devenir flomade et de retrouver Achronie. Votre prophétie n’est qu’une invention pour refréner la foule dans son désir de révolte et vous amasser le plus d’argent possible. Sur le dos des désespérés, qui plus est. Crénom… Le foutage de gueule que c’est. Vous tous. Oui. C’est ça ! J’ose le clamer haut et fort, même si ça me vaudra des remontrances : vous tous. J’ose parce que je vous mets en garde : un jour, ça va se retourner contre vous, croyez-moi… Vous vous retrouverez avec des révolutionnaires en colère sous les bras, mais pas en colère contre l’Eurythmie, ah non… ça non ! En colère contre vous. Et Ciel sait ce qu’on est capables de faire quand on s’y met. Alors je vous invite très chaleureusement à revoir votre manière de fonctionner, de communiquer, de considérer les Ondés, avant que ça dégénère complètement, parce que pour l’instant, c’est franchement limite. Quant à toi…

Il pirouette vers Milan.

— Je te laisse avec l’autre-là, ton Nova bien adoré. Cellui que tu chouchoutes depuis le départ et qui est juste tellement plus drôle, jovial, angélique, tellement plus aimable que moi. Cellui à qui tu prévois d’apprendre la flomadie, incroyable maître-flomade que tu es, tout en refusant de me l’enseigner à moi. Cellui qui portera l’héritage d’Orion. Cellui qui possède sa place à l’Onde, bien qu’iel ne le sache pas encore, une place dans ton regard, une place que je n’ai pas. Mais tu sais quoi ? Pas besoin de toi. Je vais me débrouiller seul. Très bien seul. J’assemblerai les pièces du puzzle, qu’on m’intègre à vos discussions ou qu’on m’y intègre pas. Qu’on me bannisse du mouvement ou qu’on me bannisse pas. Vous pouvez me brûler la joue, m’effacer la mémoire, m’honnir jusqu’à la fin de vos jours, je n’en ai rien à faire. Je finirai pas trouver ma vérité. Par contre, je vous préviens… si vous lui faites du mal, à elle là… de la même manière que vous faites du mal à tous ceux qui entrent à l’Onde…

Et il m’pointe du doigt et me r’garde pas mais j’vois toute la violence dans son regard et dans sa voix –

— … vous entendrez parler de moi. Soyez-en certains.

Et j’jure que tout, à c’moment-là, tout, dans sa posture, dans sa face, dans ses ténèbres, dans ses mots, nous donnaient la certitude qu’il mentait pas, concernant sa dernière prévenance. Si un jour il décidait de s’venger, il s’vengerait et l’Onde le payerait cher. Oh que oui. Mon frisson. L’frisson d’nous tous. Ma rougiole des joues qu’il m’défende comme ça. Et un truc qui… j’sais pas. Mais ça chauffe dans mon ventre. Ça chauffe ultra à cause que pour la première fois d’ma vie, quelqu’un l’y sous-entend qu’il tient à moi. Et il part, comme ça. Sans m’jeter un regard. D’la rancune tordant ses lèvres. Sa cape troueuse claquant à ses mollets. Il passe d’vant Taya qui vient d’finir d’cruicher sa sille. Il glisse dedans, sans l’ombre d’une hésitation. Il disparaît. Il est plus là. Plus là. Mais l’fantôme d’sa hargne subsiste encore, et ça fait que Milan flotte dans son chagrin. Ça fait que Caligo regarde la sille comme foudroyé. Longtemps. Sa mâchoire grince tellement il la serre. Son papillon orbite autour d’son crâne. Longtemps. Avant qu’il oblique vers Jules. Plisse son regard froid, lui jette, heh quoi ? un hochement d’tête comme un signe d’encouragement. Pis alors il s’en est allé, voltant sur les talons d’Eustache, bientôt suivi par Taya qui souriait mais rongeait ses ongles sans plus oser r’garder personne. Tous, ils sont partis. Tous. Laissant Jules gérer toute seule l’broiement du ventre et la vibrouille des mains. Anxiosée, elle s’tourne vers ses aut’ qui sont tous derrière l’bureau. Tronche impassible, l’y sont à peine impressionnés par l’numéro d’Eustache. Tous sauf Milan qui vitreuse ses yeux. Et v’là qu’on l’invite à s’asseoir sur la chaise, là toute exposée à leur regard. Ça monte l’angoisse, ça monte vraiment, tout qu’elle voudrait déchiqueter sa lèvre, et en même temps, en même temps… Jules ça l’est plus la Jules d’avant.

Jules ça l’est quelqu’un qui s’est promis qu’elle s’fera plus avoir par personne et qui est plus maligne qu’vous tous. Jules ça s’rappelle la suprêmeté d’Océanette, même quand on la tue. Ça s’rappelle la frigidité d’Caligo malgré l’immense bourrasque là-dessous. Ça s’rappelle l’souple ragement d’Eustache quand on l’repousse pour la énième fois. Tous, on veut les soumettre mais rien les soumet pask’ ils ont appris à répondre et répondre fort. Chacun a sa manière. Alors Jules ça l’apprend et Jules ça la calme. Jules ça l’avance avec une rivière froide et sombre et sereine qui coule en elle, avec l’envie d’lutter comme eux, Eustache, Caligo, les indociles, et lorsqu’elle s’assied, c’est sans plus aucun chavirement nulle part. Même qu’elle enlève son béret pour leur offrir tout son visage, tout son visage l’plus laid du monde, avec des sourcils renfrognés, une bouche bourrue, un rien d’doux et un tout qui pue, terriblo, l’absence complète de peur. Et bordel, ça la foutait tellement bien, Jules, pour la première d’sa vie, d’avoir rien qui tremble, si ce n’est l’envie d’en découdre avec tous ceux qui s’mettraient sur son chemin, ou sur celui des gens qui l’méritent pas, comme Eustache, ou Caligo, ou Jasmin, ou Taya, ou j’sais pas trop qui, mais ces gens-là que p’t-être, j’sais pas trop, j’admire pour ci pour ça, bel orage qu’ils sont.

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