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Alex et le vétérinaire quittèrent les berges pour le parking où ce dernier avait garé sa voiture. En apercevant la forme de l'auto dans laquelle il s’apprêtait à monter, Alexandre resta stoïque.

— Mais, vous avez vraiment le droit de rouler encore avec ça. Elle a passé le contrôle technique ? interrogea-t-il.

— Le contrôle quoi ? demanda François.

— Vous vous foutez de moi, là? répondit Alex de plus en plus inquiet.

— Oui tout à fait, avoua le vétérinaire tout en restant le plus sérieux du monde, ma 4L fonctionne à merveille.

Sceptique en remarquant les grosse traces de rouille un peu partout, Alexandre saisit la poignée de la portière et tenta de l’ouvrir avec précaution.

Je vais y aller doucement, ce serait dommage qu’elle me reste dans les mains, se dit-il.

— Ah par contre, la porte passager ne s’ouvre plus, lui indiqua son conducteur en prenant place.

— Je passe de votre côté alors.

— Ne faisons pas de chichi, sourit François en ouvrant la fenêtre côté passager, vous êtes encore jeune et robuste vous…Pas comme ma voiture.

— Vous ne voulez quand même pas que…

— Les preuves se dégradent docteur…lui indiqua Fdj en montrant la glacière.

Alors ça, tu vas me le payer, enragea le jeune homme silencieusement avant de passer difficilement par la fenêtre de la 4L.

— Il aurait été plus rapide que je passe par votre côté quand même, s’insurgea Alex une fois sa contorsion finie.

— Oui, mais ça aurait été beaucoup moins drôle pour moi, sourit Fdj.

— Démarrez maintenant parce que sinon mes poings vont vous dire bonsoir, commanda son passager.

Le vétérinaire s’exécuta et moins d’une heure plus tard, il était dans la chambre froide du centre médical. Les restes de Jean-Claude disposés devant lui, Alex ne savait vraiment plus quoi penser. Le pauvre pêcheur avait été si déchiqueté qu’il peinait à savoir quelle partie de corps humain il avait devant lui.

— Oh mais voilà qui est intéressant, s’exclama le vétérinaire une loupe à la main, cette partie-là n’est pas humaine, finit-il en se saisissant de la chair.

— Pitié ne me dites pas que c’est un loup-garou, supplia Alexandre.

Son interlocuteur le regarda comme s’il avait perdu la raison puis reprit :

— C’est une écaille ! annonça le vétérinaire en la lui montrant.

— Du poisson qu’il aurait mangé avant de mourir ? Étrange qu’elle soit si bien conservée. J’appelle le capitaine pour lui dire, prévint le médecin. Bizarre aussi, il ne répond pas, reprit-il après quelques sonneries.

Fdj, qui ne pouvait s’empêcher d’ouvrir tous les placards environnants pour contempler le matériel, acquiesça et prit aussi son téléphone.

— J’essaie à mon tour, déclara-t-il. Allo ?

À travers le combiné ils purent entendre des hurlements, des coups de feu et des bruits de course.

— Capitaine mais que se passe-t-il ? demanda Fdj tout en mettant le haut-parleur.

— C’est horrible, deux pêcheurs se sont fait attaqués par quelque chose dans la rivière, c’est la panique de tous les bords et on ne voit rien…

Puis plus rien, Enizan avait raccroché. Les deux hommes eurent quelques secondes de réflexion et se mirent à courir en direction de la 4L.

— Mais comment allons-nous les aider, nous n’avons rien, souligna Alex qui avait tout de même prit une trousse de secours avec lui.

Fdj ouvrit alors le coffre de sa voiture et en sortit un fusil à lunette.

— Mais qu’est-ce que vous faites avec ça, hurla le médecin tout en s’éloignant.

— N’ayez crainte, c’est un fusil tranquillisant. C’est que ça peut être dangereux une vache. Montez, ordonna-t-il enfin d’une voix étonnement assurée.

Pendant le trajet, le jeune docteur, fébrile, contacta les pompiers ainsi que la gendarmerie pour qu’ils viennent sur les lieux mais compte tenu de la distance, il réalisa vite que De Jourdan et lui seraient les premiers sur place. Avec prudence, Fdj gara sa voiture sur le parking et à la seule lumière de la lampe frontale du vétérinaire, ils approchèrent avec angoisse du camp, partiellement détruit. Soudain, un bruit de mouvement dans le canal les fit sursauter.

— On est bête, bientôt on aura peur des poissons, s’amusa Alex avant d’être frappé et projeté à terre.

De Jourdan lui saisit alors le bras pour l’attirer vers lui. Alexandre, paralysé par la surprise et la peur n’arrivait pas à se relever dans toute la terre boueuse. Quand il y arriva enfin, il sentit quelque chose de froid contre sa jambe qui tentait de l’entrainer dans le Canal mais les jets de lumière projetés par la frontale d’Fdj n’étaient pas suffisants pour identifier l’agresseur.

— Par ici, par ici, leur cria-t-on.

C’était le capitaine Enizan et quelques autres qui s’étaient postés derrière des arbres pour capturer l’attaquant.

— Attention, derrière vous, c’est affreux, entendirent-ils encore.

Fdj eut le temps de se retourner et de tirer vers la masse qui se jetait sur eux. Sa flèche tranquillisante fit mouche et un énorme animal écrasa Alexandre qui s’était accroupit pour ne pas se faire tirer dessus. Tout redevint alors calme et les sirènes des secours se firent entendre au loin.

— Bon sang, mais qu’est-ce que c’est ? se demanda Enizan tout en s’approchant.

— C’est lourd en tout cas et ça sent le poisson. Vous pouvez me dégager sinon ? hurla Alex, toujours immobilisé.

— Je rêve ! Ben c’est une carpe, intervint l’un des pêcheurs.

— Une carpe ? s’étonna Fdj.

— Une grosse carpe, compléta le pêcheur.

— Avec des dents, s’exclama le vétérinaire en éclairant la mâchoire de l’animal.

— Une grosse carpe avec des dents, acquiesça le pêcheur.

— Et des petites pattes, rajouta Alexandre, sortez-moi de là !

Le lendemain matin, tous les habitants de Droche avaient entendu parler de la carpe géante tueuse qui avait été prise en charge par les pompiers et placée dans une énorme citerne en attendant de trouver une solution. Le vétérinaire avait tout de même eu le temps de prendre quelques échantillons de l’animal et il n’y avait pas de doute possible, la dent trouvée sur les restes de Jean-Claude appartenait bien à la carpe mutante.

C’est avec entrain, qu’il se rendit au cabinet d’Alexandre pour lui faire part de la nouvelle mais à sa grande surprise, une file d’attente c’était formée à l’entrée de sa salle d’attente et l’agent d’accueil semblait submergée.

— Madame Honnette, mais que se passe-t-il aujourd’hui ? demanda-t-il.

— Ah ben, tout le monde veut voir le docteur qui s’est fait écraser par la carpe géante, vous pensez. Son planning est chargé, lui qui se plaignait de n’avoir personne !

La femme bien en chair s’éloigna ensuite pour répondre au téléphone et Fdj, dépité, sortit du centre médical. Les résultats qu’il avait obtenu étaient des plus importants et démontraient qu’une substance inconnue présente dans l’animal l’avait fait muter à une vitesse phénoménale et l’avait transformée en cette créature difforme. Il hésita un instant à contacter Cannelle, la journaliste du Drolique-info mais se ravisa. Cette information était trop importante pour être révélée aussi rapidement, il voulait l’avis du médecin.

Alors qu’il allait regagner sa voiture son portable sonna. C’était le capitaine Enizan qui l’informait d’un problème avec la carpe. Il monta à toute vitesse dans sa voiture et enragea lorsqu’un convoi exceptionnel d'un énorme camion venant en sens inverse l’obligea à se garer de longues minutes.

Sur les lieux, il ne put que constater avec stupéfaction la disparition de l’animal et avec elle, la découverte de cette substance étrange. Le rapprochement entre ce vol spectaculaire et le convoi qui l’avait ralenti fut vite fait.

Sans perdre une seconde, il se rendit alors à son cabinet, là où il avait laissé les échantillons récoltés sur la carpe. Mais quand il vit une voiture de police garée sur son parking, il comprit que c’était trop tard. Quelqu’un avait vandalisé le cabinet et toutes les preuves avaient disparu. Plus question de prouver quoi que ce soit.

 

Quelques jours après le cambriolage, la plus grande société de la ville, Biostat, spécialisée dans les nouvelles technologies entre autre, faisait paraitre un communiqué dans le Drolique-info à l’attention de la population. L’entreprise venait de finir la réfection de la station de traitement des algues et elle était à nouveau complètement opérationnelle. D’après les vérifications de leurs techniciens, aucuns signes ne montraient que le petit incident survenu un mois plus tôt ait eu un quelconque impact sur la vie des habitants et encore moins sur leur environnement.

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