Aria cligna plusieurs fois des yeux. Il faisait déjà noir depuis plusieurs heures à l’extérieur et les lumignons n’illuminaient plus grand-chose. Elle rangea précautionneusement les ouvrages et la carte à leur place de telle sorte qu’on ne puisse pas suivre ses recherches. Elle prit quelques livres au hasard des rayonnages, les plaça sur les chariots des bibliothécaires afin que ces derniers ne se doutent de rien. En sortant de la bibliothèque elle tomba sur Drystan, assis à même le sol, le dos contre un mur. Les genoux ramenés vers la poitrine et les bras posés pour soutenir sa tête, il piquait du nez en plein milieu du couloir. Pour ne pas le réveiller d’un geste trop brusque, Aria l’appela en chuchotant et posa délicatement sa main sur son bras. Elle eut tout juste touché sa peau nue qu’il écarquilla les yeux, la projeta vers l’avant et plaça un dard aiguisé sur sa gorge. Ses gestes étaient vifs et précis, pas une goutte de sang n’avait coulé quand il se recula en soufflant. Ce n’était pas la première fois qu’il la prévenait de ne pas réveiller un soldat.
« On est à la Tour, Drys, pas besoin d’être sur tes gardes à ce point. Que veux-tu qu’il m’arrive ? Je ne suis même plus l’As officiel maintenant, personne n’a d’intérêt à me blesser.
_ A la Tour ou non, te protéger est mon devoir, que tu sois l’As officiel ou pas, grogna-t-il d’une voix sortie trop tôt du sommeil.
_ C’est pour ça que tu dors dans les coursives maintenant ? répliqua-t-elle sur un ton moqueur.
_ J’ai toqué mais tu m’as jamais ouvert. J’ai attendu, je devais bien te raccompagner de toute façon.
Aria s’engagea en direction de ses appartements. Il y avait eu du bon dans cette journée. Avec tous ces évènements elle avait gagné une soirée de repos, sans entrainement et donc une nuit sans cauchemar. Elle s’imaginait déjà le confort de ses oreillers et la chaleur de ses draps mais Drystan lui attrapa le bras et la ramena vers le couloir de gauche.
_ Tu as oublié quelque chose ? Mes appartements sont à droite mais si tu veux…
_ Non Aria, c’est pas ça. La Mère est passée pendant que j’attendais. Elle m’a chargé de te dire que tes appartements avaient été réattribués à l’As.
Aria pouvait sentir le malaise de son ami. Elle jeta un œil à sa spallière, l’insigne quadrilobée n’y était plus.
_ Ils t’ont demandé de quitter ta chambre à toi aussi ?
Le sourire maladroit qu’il lui adressa répondit à sa question.
_ Mais c’est pas grave tu sais ! s’empressa-t-il d’ajouter. Les dortoirs ont une vue sublime sur les jardins et c’est pratique, ils sont juste à côté du stade.
Aria le remerciait intérieurement de ne pas lui imputer la responsabilité de son déclassement dans la garde. Drystan avait une position instable dans la hiérarchie des Sages, il portait une couronne certes mais sans territoire ni peuple sur lequel gouverner cela faisait de lui un Valet de nom seulement. Grâce au grade d’escorte officielle de l’As, la légitimité de sa place à la Tour n’était pas questionnée et il échangeait sur un pied d’égalité avec les autres couronnés. Ces acquis pouvaient être remis en cause avec l’arrivée de Tychè. Dans la folie de cette journée et les bouleversements qui s’y étaient produits, Aria entrevoyait aussi la désinvolture de leur enfance. Leurs parties de cache-cache dans la Tour que Drystan perdait systématiquement, les fois où leurs pérégrinations les amenaient à disparaître pendant quelques jours pour être finalement découverts dans des pièces inconnues. Elle avait des questions, des doutes, des angoisses mais depuis qu’elle était entrée à la Tour elle avait toujours été l’As, contrainte par les responsabilités qui pesaient sur elle. Ce rôle l’animait profondément, l’incitait à s’entraîner davantage malgré les douleurs et les cauchemars, lui permettait de passer des heures dans la bibliothèque pour trouver les meilleurs compromis face aux difficultés que ses sujets rencontraient. Mais dans les paroles de Drystan tintaient une insouciance qu’elle avait oubliée et se réjouissait de ressentir à nouveau. Fatiguée par la journée, elle se mit à rire à son tour, rejoignant son ami et tous deux s’esclaffèrent à en réveiller tous les résidents de la Tour. Aria se tenait les côtes pour reprendre sa respiration, cela faisait trop longtemps qu’ils n’avaient pas été ensemble, simplement pour être eux-mêmes. Pendant plusieurs minutes, l’hilarité de l’un nourrit celle de l’autre. Les yeux brillants, Aria finit par reprendre la parole :
_ Bon puisqu’on nous a délogés tous les deux, je t’invite dans mon antre, lui proposa-t-elle, la voix infléchie par des gloussements difficile à contenir. »
Elle le guida à travers les coursives. Ils eurent un nouveau fou rire en arrivant devant l’étroit boyau qui menait à l’alcôve. Si Aria passait sans véritable difficulté, Drystan se courbait dans des positions toutes plus spectaculaires que les précédentes. Après son passage Aria n’avait plus besoin de s’inquiéter pour la saleté accumulée dans le couloir, il en était absolument recouvert. Assise sur la banquette proche de la fenêtre, elle le regarda ébouriffer ses cheveux, laissant les grains de poussière tomber dans une trainée éclairée par les reflets de la lune. Elle se demanda pourquoi elle n’avait jamais parlé de cet endroit à Drystan. C’était si naturel de le voir s’avachir dans les coussins, critiquer la présence d’un livre de botanique et s’extasier sur la dague que le Père lui avait un jour offerte et qu’elle gardait précieusement ici. La pièce lui semblait très petite face à la carrure imposante de son ami mais il la rendait beaucoup plus vivante et chaleureuse.
« Au fait, tu n’avais pas un rendez-vous épicé en cuisine hier ? voulut-elle le taquiner. Anis, c’était son nom je crois ?
_ Figure-toi que tu effrayes toutes celles qui tenteraient de se rapprocher de moi, déclama-t-il avec beaucoup de théâtralité. Madame, à cause de vous je resterai célibataire jusqu’à la fin, esseulé, errant comme un fou tandis que vous vous promènerez au bras de l’élu de votre cœur…
Un coussin s’abattit sur son crâne, l’arrêtant brusquement dans sa lancée.
_ Tu racontes vraiment n’importe quoi ! »
Il attrapa à son tour une arme en plumes afin de lui rendre la monnaie de sa pièce. Ils échangèrent des coups et des attaques de plus en plus sournoises, jusqu’à ce que Drystan, pieds et poings attachés par des liens de lierre qu’Aria avait créés en faisant appel à l’essence de Trèfle. Elle reprit sa respiration et il l’accusa de tricher. Il ne mit pas longtemps à briser les chaînes de fortune et leur combat reprit plus ardemment encore. Finalement épuisés par cette journée, tous deux s’écroulèrent sur les coussins, un sourire accroché aux lèvres et des rires résonnant dans leurs oreilles.
Je n’ai pas énormément de choses à redire étant un chapitre sans grand événement, ce qui n’est pas plus mal !
J’ai un peu pitié d’Aria et de Drystan. A peine Tychè arrive que l’As change, n’a plus sa place dans sa propre chambre, que Drystan perd presque tout ses droits.
J’ai hâte de voir comment la situation va évoluer pour chacun des membres de la tour.
C’est peut-être éloigné de ce qu’il se déroule dans cette Tour mais je suis ravie de les voir s’amuser malgré ce qu’il se passe ! J’aime beaucoup ce changement d’atmosphère.
Et puis Drystan qui attend Aria pendant des heures ! Hâte de voir aussi comment leur relation va évoluer.
Oui tout à fait, il s'agit d'un chapitre de transition, d'ambiance pourrait-on dire. On se pose un petit peu après l'enchaînement un peu précipité des évènements aux chapitres précédents ^^
Malheureusement pour eux, la politique de la Tour est assez brutale quand il est question de savoir qui dirige... Surtout quand ceux qui tirent les ficelles ont leurs propres intérêts en jeu !
J'ai bien aimé écrire cette scène plus joviale et moins intense que le reste. Ils sont effectivement dans une situation compliquée mais ça ne les empêche pas de rire et de profiter un peu de quelques instants de légèreté. Mais peut-être aussi ne prennent-ils pas tout à fait conscience de la situation ?
Pour leur relation je ne sais pas encore ce que je vais en faire XD