3- Au pays de Myrddin l'enchanteur

Notes de l’auteur : Bonne lecture

 

– Tu savais que cette statue est impossible à déboulonner ?

Nour reconnut tout de suite le garçon aux cheveux blonds qu'elle avait vu plus tôt. Elle leva un sourcil, engageait-il la conversation ?

– Le Conseil a essayé durant des semaines, mobilisant les hommes les plus costauds et ingénieux du pays mais rien à faire, à croire que Myrddin lui-même avait fixé la statue. Le Conseil a fini par abandonner, mais ils ont interdis à quiconque de la toucher, de la nettoyer, fit-il en fixant la statue. Maintenant que j'y pense c'est peut-être même interdit de la regarder. Au fait, moi c'est Oren, Oren Tannen, fit-il toujours en fixant la statue devant lui.

Nour crut voir ses joues déjà roses devenir rouge.

La gentillesse et la soif d'aventure étaient ce qui caractérisait le plus Oren Tannen. Il était assez petit pour ses onze ans, possédait un regard franc et des joues rondes. Sa passion pour les gâteaux au miel lui valaient quelques kilos en trop, ce que ses caramades de classe ne manquaient jamais de souligner. Lui se rêvait en preux chevalier, toujours prêt à sauver le pauvre malheureux, aider l'infortuné face à l'injustice. Son flair lui disait que cette jeune fille aux habits si étranges était digne d'intérêt, elle était peut-être perdue, ou pire, avait des ennuis.

– Moi c'est Nour Apsoum, dit-elle du bout des lèvres.

– Enchanté Nour Apsoum, répondit-il en s'obstinant à figer son regard loin devant lui.

– Il s'agit bien de Merlin l'enchanteur, le compagnon du roi Arthur, de la fée Morgane et des chevaliers de la table ronde ? demanda-t-elle en désignant la statue du menton.

– Je vois que tu connais bien ces aventures terrayennes.

– Terraya quoi ?

Cette fois, Oren osa enfin se tourner vers Nour, plongea son regard bleu dans le sien.

– De Terra, dit-il en plissant les yeux.

Ce doit être la Terre.

– On dirait que tu parles de lui au présent  ? demanda-t-elle.

Et comme quelqu'un de réel !

– Evidemment.

Evidemment, évidemment.

Comment pouvait-elle croire cette histoire abracadabrantesque. Croire que Merlin l'enchanteur existait vraiment, était encore vivant, ici dans un autre monde.

– C'est un être extrêmement puissant. A chaque nouvelle vie il parvient à se souvenir de toutes les anciennes, et demande à continuer de se faire appeler Myrddin. Cet homme est une légende, laissa-t-il échapper, admiratif.

– Vous croyez au concept de réincarnation ?

– C'est la question la plus bizarre que j'ai entendu. C'est comme si tu me demandais si je croyais à la respiration, ou au mal de pieds.

Perplexe, Nour préféra ne pas argumenter. Tout était tellement étrange ici.

– Oren, où sommes-nous ?

Oren leva un sourcil, curieux.

– L'île, c'est Epoké. Au sommet, se trouve le Sanctuaire et le Conseil d'An Domhan. Tu as forcément entendu parler d'An Domhan ?

Devant la grimace de Nour Oren poursuivit :

– Mais si voyons, c'est ici que Myrddin et ses compagnons ont trouvé refuge après les persécutions sur Terra. C'est curieux que tu ne le saches pas.

Nour hésita.

– Si tu veux que je t'aide tu dois me le dire, il est clair que tu n'es pas d'ici. Mais d'où peux-tu bien venir ?

– Je viens de la Terre, dit-elle tout bas.

– Terra ? Oh elle est bien bonne celle-là. Tout le monde sait que c'est impossible.

– Je te dis la vérité, de la Terre. Merlin, enfin Myrddin, vient bien de la Terre ?

– C'est vrai, mais le portail y menant a été condamné peu de temps après leur arrivée. Tout le monde le sait.

Nour fronça les sourcils, mécontente. En guise de réponse, elle lui raconta le médaillon, les mots prononcés et son réveil dans la remise. Elle lui montra le bijou, comme pour prouver qu'elle n'inventait rien.

– Ces motifs ne me disent rien du tout, admit Oren en faisant la moue. Cette histoire est tout bonnement incroyable. J'imagine que tu te sens un peu perdue et que tu aimerais rentrer chez toi. Ne t'inquiète pas Nour, je vais t'aider, fit-il en bombant légèrement le torse.

– Ce serait formidable, répondit-elle visiblement soulagée. Dis Oren, je trouve curieux que tout le monde soit dehors en pleine nuit.

– Pourquoi crois-tu cela ? Nous sommes en plein jour.
 

Comme pour donner écho à leur discussion le ciel s'assombrit aussi soudainement que si l'on venait de mettre un couvercle sur la ville.

Un crissement effroyable retentit au-dessus de leur tête, suivit d'un hurlement strident à vous percer les tympans, et à l'écho impressionnant. Nour enfonça la tête dans ses épaules, qu'elle cacha avec ses bras. La clarté revint aussi vite qu'elle avait disparu. Inquiète, Nour parvint tout de même à regarder dans le ciel. Elle distingua deux ailes d'une taille hallucinante, chacune aussi grande qu'une voiture, noires comme les ténèbres, une longue queue écailleuse capable de vous arracher un bras en un seul balancement, et un très long cou qui pouvait vous débusquer où que vous vous cachiez.

— Un dragon, bredouilla-t-elle à voix haute.

La tétanie s'empara d'elle, la laissant incapable de bouger le petit doigt. Le géant ailé piquait droit sur eux à une vitesse incroyable. Tandis qu'il approchait, Nour aperçu un de ses yeux qui s'embrasait, des flammes rougeoyantes encerclaient une pupille qui semblait la fixer elle, et personne d'autre. Allait-il cracher du feu, ou l'avaler tout rond comme une simple myrtille ? Elle ferma les yeux, les seuls de ses organes visiblement encore mobiles. Le sol trembla sous ses pieds, ses nattes s'envolèrent sous la force du souffle, au point qu'elle en tomba à la renverse. Le dragon passa au-dessus d'elle, si près qu'elle aurait toucher ses écailles irisées. Nour eut alors l'impression qu'un tsunami et un tremblement de terre venaient de s'abattre sur elle. Un souffle déchaîné et du crachin iodé la laissèrent penaude, clouée au sol.

Ce n'était que le début. Le dragon cracha une lame de feu qui vint embraser une des bâtisses derrière la fontaine. Le cri des habitants fendit l'air brûlant. Oren s'accroupit prés d'elle, tout aussi apeuré. Blottit l'un contre l'autre comme s'ils se connaissaient depuis toujours, ils attendirent en silence. Le dragon passa une seconde fois, embrasant tout un pan d'échoppes. Puis dans un fracas d'ailes qui reprenaient de l'altitude, il s'en alla.

Le calme revint. Bon c'était clair, elle était très, très loin de chez elle. Elle toucha le bijou sous son pull, eut une pensée pour son père. Elle sentit des mèches de ses tresses se faire la malle. Elle en souffla de dépit, pourquoi le sort s'acharnait-il ? Elle releva le buste, essuya la poussière sur ses bras, les cheveux d'une de ses tresses pendouillaient bel et bien sur son épaule.

– Tu n'es pas blessée ? demanda Oren.

Je vais bien, je crois. Et toi ?

– Pas de dégâts apparent.

– C'était bien un dragon ?

– Evidemment.

Evidemment.

– On dirait que t'en avais jamais vu avant.

Non mais j'hallucine des oreilles !

– Toi qui semble si bien les connaître, pourquoi il nous a attaqué ?

– Ca arrive parfois. Tu sais les dragons sont comme les hommes et les femmes, certains sont gentils et font le bien, d'autres sont méchants et détruisent tout sur leur passage.

Nour en resta bouche bée, elle ne s'attendait pas du tout à cette explication.

– Alors c'est vrai tu viens de Terra, affirma Oren.

 

Tout à leur discussion ils ne prétèrent pas immédiatement ce qui se jouait tout près. Les villageois étaient tous sortis de leur cache et s'efforçaient d'éteindre le feu qui se propageait, une farandole de seaux passaient devant eux. Les gens puisaient l'eau de la fontaine et se passaient les seaux à un rythme effréné. Mais ce n'était visiblement pas assez rapide pour un vieil homme qui s'énerva subitement, gesticulant. Une femme le secoua alors en l'implorant. Il la poussa sans ménagement, levant ses mains devant lui, dans une concentration extrême. Nour n'osa pas demander à Oren ce qu'il fabriquait là, quand une énorme gerbe d'eau jaillit de la fontaine, la faisant sursauter. L'immense masse d'eau se souleva et vint s'abattre sur les flammes. Le vieillard répéta l'opération une deuxième fois, une troisième fois. L'air toujours aussi concentré il effectuait une danse avec l'eau que Nour trouva hypnotique.

An bout de deux autres tentatives le feu s'éteignit enfin, sous les applaudissements.

– Qu'est ce qu'il vient de faire ? demanda Nour qui n'en croyait pas ses yeux. Il vient bien d'éteindre le feu à distance, juste avec ses mains ?

– Plutôt avec son esprit, mais oui. Ici, nous avons tous la capacité d'utiliser la psychokinésie, chuchota-t-il. Mais c'est strictement interdit. Ce monsieur aura de très de gros problèmes s'il est découvert.

Nour eut du mal à comprendre, cet homme venait de se servir de son esprit pour transporter de l'eau, c'était tout simplement génial, comme dans les films de supers héros.

Les acclamations cessèrent presque toutes instantanément, ce qui lui ôta le sourire. Que se passait-il encore ?

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