A travers la fenêtre du train, on pouvait apercevoir au loin des nuages lourds d’orages emplir le ciel, annonçant un temps peu clément. Mais en cet instant, nul endroit n’était plus orageux que le cœur de Sofia.
Elle avait passé une nuit épouvantable durant laquelle elle n’avait pas fermé l’œil, la douleur du chagrin lui tordant le ventre jusqu’à lui en donner la nausée. Puis lorsque l’aube avait pointé le bout de son nez, Sofia avait sauté dans le train de la première heure afin de pouvoir se rendre à Chesbury, le village de son enfance. Elle s’y rendait donc un jour plus tôt que prévu.
Adossée à la banquette et accablée de fatigue, Sofia tentait de grappiller quelques instants de sommeil. Mais les sifflets du train, les secousses régulières ou encore les crissements de ferrailles ne lui facilitait pas la tâche. Tandis que ses joues s’imprégnaient de larmes, elle caressait le pelage de Fely qui, positionné sur ses genoux, dormait profondément.
Alors qu’elle fermait les yeux dans une énième tentative de rejoindre le monde des rêves, des bruits de pas résonnant au loin dans le couloir du train annonçaient l’arrivée de personnes. Quelques secondes plus tard, deux jeunes hommes chargés à s’en fendre les bras s’arrêtèrent devant le compartiment de Sofia, laquelle, trop perdue dans ses émotions endeuillées, n’avaient pas remarqué leur présence. Ils déposèrent les bagages au sol, le visage rougi par l’effort. Tandis que l’un s’étirait le dos, l’autre, plié par la douleur, tentait de reprendre sa respiration. Il semblait que chaque membre de leur corps était endolori.
-Ouah, j’en peux plus… !
-A qui l’dis-tu ! J’ai l’impression que mon lumbago de la dernière fois est revenu.
-Il faut vite qu’on trouve un compartiment vacant à Belling si on veut éviter qu’elle nous écharpe !
-Tiens, regarde ce compartiment-là. Il est seulement occupé par cette jeune femme. Si on essayait ?
Son camarade regarda à travers la vitre.
-‘Sais pas trop... On dirait qu’elle dort. Pas très envie de la réveiller.
-Ca me fait pas plus plaisir qu’à toi de la déranger, mais tu sais ce qui nous attend si on ne trouve pas de compartiment vide à Belling. Ça vaut bien une petite entorse à la galanterie, non ? Vas-y essaies.
-Bon, bon…
Le jeune homme, efflanqué et avec les cheveux blonds brossés sur le côté, fit alors coulisser la porte du compartiment de Sofia et pénétra à l’intérieur. A pas de loups, il se dirigea vers elle et, gêné, lui tapota doucement l’épaule.
-Euh…Excusez-moi…Miss ?
Les paupières de Sofia papillonnèrent légèrement et son regard embué de larmes et de surprise s’orienta vers son interlocuteur. L’intrus parut alors comme l’homme le plus désolé au monde.
-Euh…Non, rien…Pardonnez-moi de vous avoir dérangé Miss.
Et avec toute la délicatesse possible, il se retira avant même que Sofia ait eu le temps de prononcer le moindre mot, referma la porte et retourna auprès de son collègue.
-Qu’est-ce qu'il s’est passé ?
-Elle avait l’air triste. La pauvre...Je ne me voyais pas lui demander si elle voulait bien quitter son compartiment pour nous le laisser.
-Mais James, on va se faire ratatiner par Belling si on ne lui trouve pas un compartiment libre ! Et tu peux être certain que plus on la fait attendre, plus son envie de nous fustiger de coups de canne augmente. Crois-moi, j’ai déjà eu ma dose ce matin. Et il n’y a pas un autre compartiment plus vide que celui de cette jeune femme.
-Ecoute, allons réessayer ailleurs. Viens.
Ils ramassèrent tous les bagages, non sans mal, puis s’engouffrèrent dans une autre voiture.
Lorsque le train arriva à destination, Sofia en descendit. Sa valise dans une main, la cage de Fely dans l’autre, elle marcha le long du quai foisonnant de passagers tandis que la locomotive projetait des panaches de fumée. Sa démarche était semblable à celle d’une morte-vivante.
-Avancez, limace !
Quelques mètres plus loin, Sofia aperçut un pan rose dépasser d’une des portières du train ainsi qu’une canne pousser violemment un homme efflanqué qui, chargé comme un baudet, descendait les marches. Inévitablement, ce dernier dégringola et atterrit douloureusement au sol, une ribambelle de bagages l’accompagnant dans sa chute à travers un grand fracas. Tous les regards convergèrent alors en sa direction.
-James ! Mais quel empoté, c’est pas vrai !
Le pan rose s’étira alors pour dévoiler une magnifique robe en tournure ainsi que l’étendue de la personne qui la portait. Il s’agissait d’une femme d’une quarantaine d’années, au visage durci par la colère. Elle avait un nez proéminent, des ridules marqués, des cheveux blonds réunis à l’arrière du crâne à l’aide d'une barrette endiamantée et un grand chapeau rose orné ostensiblement de plumes. Elle portait de nombreux bijoux aux doigts ainsi qu’autour du cou et s’appuyait à l’aide d’une somptueuse canne en noyer. Mais ce qui était le plus marquant chez cette femme, c’était l’aura arrogante qui émanait d’elle. Elle avait le menton hautement relevé ainsi qu’une démarche trahissant une attitude méprisante. Elle lança alors un regard assassin au jeune homme qu’elle venait d’expulser du train par sa canne.
-Je suis entourée d’une bande d’abrutis incompétents ! Surtout d’incompétents et encore
plus d’abrutis !
-Je…Je…suis…dé…désolé ma Lady, balbutia James en ramassant à la hâte les valises qui jonchaient le sol.
Sofia le reconnut, c’était celui qui l’avait dérangé dans le train.
-Je n’ai que faire de vos excuses, imbécile ! tempêta-t-elle en pointant une canne menaçante en direction de James. Si l’un de mes bagages est cabossé ne serait-ce que d’un centimètre, croyez-moi que vous allez le regretter ! Stewart ! Aidez ce guignol à ramasser toutes mes valises ! Et plus vite que ça !
Stewart, son collègue, vint alors aider James à ramasser les valises éparpillées au sol alors que lui-même avait les bras chargés. Puis un homme très élégamment vêtu descendit à son tour du train. Son allure était tout aussi guindée que celle de la mégère rosée.
-Et dire que ces deux bourriques me servent de domestiques, se plaignit-elle à l’homme qui venait de la rejoindre. Non mais vous vous rendez compte, Lord Nimbert ? Ils sont sensés m’être utile et au lieu de ça, ils me font perdre mon temps. Regardez, tout à l'heure, je leur ai demandé de me trouver un compartiment libre car je ne supportais pas de partager le mien avec des petites gens et même ça ils ont été incapable de le faire ! Ce sont des incompétents ! Si vous voulez mon avis, je ne leur donne pas assez de coups de canne.
-Allons, Lady Belling, répondit Nimbert. Tempérez votre caractère. Ne serait-ce que pour le temps de notre tournée. Vous savez bien de quoi il en retourne.
Pour toute réponse, Belling se contenta de rouler des yeux exaspérés au ciel. Puis Nimbert et elle longèrent le quai, les deux valets s’efforçant comme ils pouvaient de les suivre avec la montagne de valises débordant de leur bras.
Je suis curieuse des personnages que tu as introduit, Belling est tout de suite dans la catégorie 'détestable' (si elle ne souhaite pas se mêler au petit peuple, j'ai envie de dire qu'elle y aille en coupé!)
Je dois avouer que les histoires se déroulant dans un vieux Londres ne sont pas ce que je lis habituellement. Je suis généralement plus attiré(e) par les récits modernes. Ne sachant pas par où commencer sur ce site, j'ai décidé de lire ton roman, surtout parce que tu as eu la gentillesse de mettre mon récit dans ta pile à lire, ce qui m'a beaucoup touché(e). Même si ce n'était pas mon style de prédilection, je me suis finalement laissé(e) emporter par ton univers, bien qu'il m'ait fallu un peu de temps pour m'immerger complètement. Comme pour une série télé, j'aime lire plusieurs chapitres avant de me faire un avis définitif, car je sais qu'une bonne intrigue nécessite parfois de poser les bases.
J'ai également trouvé intéressant de découvrir des mots que je ne connaissais pas, et cela m'a amusé de devoir chercher leur signification. C'est toujours un plaisir de rencontrer un vocabulaire riche et varié !
Je pars du principe que si j'arrive à m'imaginer la scène pendant ma lecture, c'est un bon signe pour continuer. Et je dois dire qu'à partir du passage du train, j'ai vraiment commencé à apprécier ton récit. J'ai hâte de poursuivre ma lecture !
Oh merci infiniment pour cet adorable commentaire !
Je suis vraiment très touchée que, malgré que le genre dans lequel s'inscrive mon livre ne soit pas ce que tu préfères, tu as quand même pris le temps de lire et de découvrir mon univers. Ca me fait très très plaisir !
Et le fait aussi que tu ai pu découvrir des nouveaux mots qui t'ont donné envie d'en découvrir la signification, je trouve trop chou aussi !!! 😄
En effet, j'ai ajouté ton roman dans ma PAL car j'avais trouvé le résumé très bien écrit et je suis hyper réceptive aux jolies plumes et, comme toi, au vocabulaire riche. Et aussi parce que, bien que le thème de la science-fiction ne soit pas non plus ce que je préfère lire, je trouve ça toujours chouette de découvrir des nouveaux univers, des créations des autres.
Et puis on est sur ce site pour s'entraider, alors si je peux aider avec des conseils (qui j'espère seront bien xD) alors ce sera avec plaisir :D
D'ailleurs cet après-midi, comme j'ai du temps, je commencerais la lecture de ton roman et je te ferais un retour ^_^
A bientôt ! :D
Eh bien j'ai de la peine pour ces deux valets, qui sont plutôt traités comme des esclaves ! Ça m'interroge cependant : est-ce tout à fait normal de rouer ses employés de coups dans l'Angleterre du XIXe ?
Sinon ce chapitre est intéressant, les nouveaux personnages sont intriguant. Je me demande si Sofia les rencontrera de nouveau prochainement !
Deux remarques sur la forme :
- Plutôt que "elle avait l'air triste", dire qu'elle pleurait serait peut-être mieux ? Je trouve étrange d'avoir "peur" de parler à quelqu'un seulement parce que cette personne a l'air triste. Les larmes me sembleraient un meilleur motif. Aussi, elle est en deuil. Peut-être est-elle vêtue de noir ?
- Ensuite : "des cheveux blonds réunis à l’arrière du crâne à l’aide" -> le crâne à l'aide de ...? J'ai l'impression qu'il me manque un bout de phrase ^^
À bientôt !