Alex - 7 Juillet 2024
Montpellier
Après deux pleins d'essence, deux détours parce que je pensais être suivie, et une paranoïa grandissante, j'arrive enfin à Montpellier, deux heures en avance. J'me pose près du parking, planquée dans un coin, pour surveiller les entrées.
Et là... pause glace. Framboise (meilleure gout je veux rien savoir). Parce que même les fugitives ont droit à un moment de douceur. Je la déguste lentement, yeux plissés vers l'entrée. Une putain de minute de paix dans ce monde de cinglés.
Glace terminée, je me lève, vérifie mon flingue planqué dans le dos et le petit couteau glissé dans ma manche. Je commence à chercher la fameuse voiture. Quand je la repère, je m'approche prudemment.
Et c'est là que j'entends ce "clic". Le genre de bruit qui réveille ton instinct de survie en un millième de seconde.
Le cran de sécurité d'un flingue.
Je plonge en avant et lance mon couteau. Il se plante à trois centimètres du visage d'un abruti que je reconnais immédiatement.
— PUTAIN CHRIS ! Tu veux te faire exploser le crâne ou quoi ?! Beuglais-je.
Il sorti de sa cachette, habillé comme à son habitude, jeans noir, t-shirt et veste en cuir malgré la chaleur.
Ses cheveux brun avaient poussé depuis la dernière fois, je pensais qu'il plaisantait quand il me disait qu'il voulait faire une coupe mulet, je me suis trompée, mais j'admet que la coupe allait bien avec ses yeux vert.
— Oups... J'ai pas pu résister, tu marchais comme un piquet, j'ai eu envie de jouer.
— Y a rien de drôle. J'suis pas d'humeur.
Il me dévisage et son regard se fige sur l'hématome qui couvre mon visage. Souvenir d'une porte voulant dire bonjour.
— Merde... Il t'a retrouvée ?
Je détourne les yeux. Trop de souvenirs, trop de douleurs. Et ce matin, j'ai revécu chaque coup dans un cauchemar qui puait la réalité.
— J'ai pas envie d'en parler. Passe-moi mon matos. Je te paye et je me tire. Je dois quitter la France, c'est plus vivable ici.
Chris acquiesce, ouvre le coffre. Et là... j'me permets un petit rictus. Vêtements, cartes, armes, munitions, trousse de secours, nouveau téléphone. Le kit du parfait fantôme. Je balance mon sac dans la bagnole.
— Voilà tes six mille, comme prévu.
— Garde-les. C'est cadeau.
— Tu te fous de moi ?
— J'me fous des conséquences. Écoute, j'ai eu un tuyau. Y a une rumeur... Un type qu'on appelle "le Caméléon".
— Le Caméléon ? C'est une blague ? Il manque plus qu'un "Scorpion" et on a un Marvel low-cost.
— Je suis sérieux, Alex. Ce gars... il est capable de te filer une nouvelle vie. Nouvelle identité, nouvelle gueule si tu raques assez. Il te fait disparaître comme par magie.
Je le fixe, plissant les yeux.
— Tu me charries ?
— Pas du tout. Personne ne sait à quoi il ou elle ressemble, mais il serait en Pologne. Le seul indice qu'on a, c'est le mot "Artémis".
— Sérieusement ? Artémis ? Je me barre pas dans l'Est pour chercher quelqu'un au pseudo de déesse grecque.
— J'te jure que c'est tout ce que j'ai. À toi de voir si tu veux continuer à te planquer dans les chiottes d'un Flunch.
Je m'apprête à répondre quand un bruit métallique fend l'air.
Une grenade roule jusqu'à nous.
— À TERRE !!! Hurla Chris.
Flash. Lumière. Son. Mes tympans explosent, mes yeux hurlent. Je me jette au sol, désorientée. Mon couteau tombe de ma manche. Trop tard pour le récupérer.
J'essaie de ramper vers la voiture, aveugle, mais on me chope par les pieds. Je réagis au toucher, tire à l'aveugle. Mon assaillant s'écroule à côté de moi, raide mort. Mais à peine le temps de respirer que deux autres me plaquent au sol, et me lient les mains dans le dos.
— LÂCHEZ-MOI ENFOIRÉS !!!
Je me débats, mais un coup bien placé dans les côtes me coupe le souffle. Les mêmes côtes qu'il m'a fracturées il y a neuf ans. Et qui n'ont jamais eu droit à une foutue pause. Le sol me paraît aussi dur que mon destin.
On avance. Chris est là, à genoux lui aussi. Et devant moi... Lola. Son sourire a l'arrogance d'un démon en talons. Je serre les dents. Je me rappelle encore de la veille. Cette garce. On s'est battues. Et j'ai gagné. Mon couteau s'est logé dans son épaule comme une déclaration de guerre.
— Tiens, tiens... regardez qui voilà. Alex la sauvage, murmurait Lola en se massant l'épaule gauche. Elle brule encore, ta lame. Mais je suis pas rancunière.
Elle se tourne vers Chris.
— Et toi, t'es qui ?
Il répond par un mollard sur ses bottes.
— Mauvaise idée, répond-elle, glaciale.
Elle sort son flingue et le cogne à la tête. Chris s'écroule, inconscient. Mon cœur se déchire.
— CHRIS !!! Enfoirée, t'as intérêt à...
Je n'ai pas le temps de finir. Coup de poing. Je tombe sur le côté, le goût du sang dans la bouche.
— Insolente jusqu'au bout, hein ? T'as oublié ce que c'est que de craindre Tom.
Et là... là je perds ma façade.
Mes pupilles se dilatent. Mon estomac se tord. Je vire au vert. Mon souffle se bloque dans ma gorge. Ce nom seul suffit à faire tout dérailler. C'est pas de la peur, c'est de la terreur pure. Celle qui te prend aux tripes, te fait transpirer d'un coup. Mon cœur cogne, cogne, cogne. Comme s'il voulait fuir à ma place.
Elle sourit. Elle l'a vu. Elle l'a senti. Et elle s'en régale.
— Oh oui, il aurait adoré être là. Mais monsieur est en Amérique, un petit business à conclure. Ne t'inquiète pas, il revient bientôt. En attendant, je vais me charger de toi.
Elle s'approche, glisse sa main sur le col de mon t-shirt. Je frissonne. Pas de peur. De rage.
— Un mouchard ?! Espèce de...
— Oui. Pendant notre petite danse d'hier, tu n'as rien vu venir, comme d'habitude.
Elle me plaque violemment contre un poteau en béton. Les menottes m'empêchent de me défendre. Je me cambre sous la douleur. Le métal entrant dans mon dos.
— Tu vas répondre à mes questions. Ta coopération déterminera ton traitement.
— Va te faire foutre.
Une gifle. J'éclate de rire, même si ma joue hurle.
— C'est moi qui t'ai offert ce magnifique œil au beurre noir. Contente que tu l'aimes. Dis-je en toisant son oeil qui se souvient de coup de boule.
— Tu crois être drôle ? D'accord. Moi aussi j'aime jouer.
Elle prend son téléphone et appelle.
— Mon amour ? J'ai une surprise pour toi.
Elle retourne le téléphone. Tom apparaît sur l'écran.
Et là, le sol s'efface sous mes pieds.
Sa voix. Son regard. Son sourire.
Je suffoque. Littéralement. Mon corps me trahit. Mes mains tremblent. Mes poumons se contractent. Mon cerveau panique. La terreur me broie le ventre. Je ne contrôle plus rien.
J'ai envie de hurler. De pleurer. De courir.
Mais je fais rien. Rien. Parce que c'est lui. Parce que même à travers un écran, Tom a ce pouvoir sur moi. Cette emprise putride qui me colle à la peau.
— Ma femme adorée... Tu es parfaite. Comment l'as-tu trouvée ?
— Grâce au mouchard, chéri.
— J'aime beaucoup cette surprise mon coeur.
Je mime un haut-le-cœur. Mon dégoût tente de masquer la panique. C'est pitoyable.
— Chérie, tu veux bien la "préparer" pour mon retour ? Et lui faire ravaler son arrogance à l'occasion.
— Bien sûr mon coeur.
Elle me gifla. Je ne fléchis pas. Je souris. Mieux vaut ses coups à elle que son regard à lui.
Mais elle change de stratégie.
— Tu crois que je n'ai pas vu ta réaction quand on t'a frappée dans les côtes ? Ne t'en fais pas. Je vais prendre soin de toi.
Ses hommes me mettent à genoux. Elle commence à frapper. Poings. Pieds. Toujours au même endroit. Mes côtes n'en peuvent plus. Je suffoque. Mais je reste fière. Jusqu'au dernier coup.
Elle prend de l'élan, vise les côtes... mais par chance (si on veut) son pied finit dans mon visage. Ma tête claque le sol. Je sens un filet de sang glisser sur ma tempe. Je suis à moitié consciente. Elle tourne son téléphone pour qu'il puisse voir le spectacle.
— Je pense qu'elle a compris le message, chéri. Amène la à la propriété et prépare-là.
Tom raccroche.
Mais Lola reste.
Je tente de me redresser avec difficulté, mes côtes hurlent, mon crâne veut imploser, et mes mains sont engourdies. Elle me saisit par la gorge et me soulève. Mes jambes tremblent.
— Je sais tout ce qu'il t'a fait. Et je peux tout refaire... Tout.
Elle glisse sa main vers mon ventre, remonte lentement. Ma respiration se bloque. Mon cœur s'emballe. J'ai envie de vomir. J'ai peur, oui. Mais c'est pas la même. Ce n'est pas cette peur paralysante qu'il m'inspire, lui. Elle... elle me dégoûte. Lui, il m'anéantit.
— Même ce qu'en théorie, je ne devrais pas pouvoir faire... Dit-elle en approchant de ma poitrine.
Je tremble. Elle jubile.
Elle relâche ma gorge en riant. D'un geste lent, elle remet une mèche derrière mon oreille.
Je tourne violemment la tête.
— JE T'INTERDIS DE ME TOUCHER, PÉTASSE !
Elle sourit, satisfaite de ma peur.
— Bonne nuit, princesse.
Elle m'injecte un produit dans le cou. Ma vision se brouille. Mes jambes lâchent. Je tombe. Juste à côté de Chris. Et le noir m'engloutit.