2- La route

Notes de l’auteur : Attention, il y a certaines scènes qui peuvent choquer la sensibilité de certaines personnes.

Alex -7 Juillet 2024

Je viens de quitter Paris. Direction le sud.

A1. Pleine nuit. Phares aveuglants. Néons rouges qui filent comme des veines ouvertes.
J'ai encore plusieurs heures à rouler, mais mes yeux brûlent. Si je continue, je vais finir en carpaccio sur l'asphalte.

Je m'arrête à la première aire d'autoroute. Une aire minuscule, paumée, comme arrachée au béton. Toilettes sales, trois bancs qui tiennent par miracle, et des places poussiéreuses pour motos, bagnoles et poids lourds. Le genre d'endroit où tu pries que personne d'autre ne s'arrête. Surtout pas un type comme lui.

Je retire mon casque. Regarde mon téléphone. Trois heures du matin. Mon corps hurle repos. Chaque muscle me supplie.
Je gare la moto. Je m'allonge sur une table de pique-nique, sans réfléchir. Mon Beretta contre moi, un couteau planqué dans mon dos. Le reste au fond du sac. Pas de place pour les erreurs.

Trente minutes. Juste trente.
Juste de quoi rester vivante.

Mais dès que mes paupières se ferment, l'enfer revient.

Il y a neuf ans, chez Tom

Un seau d'eau glacée. En pleine figure.

— Allez, debout, la pétasse !

Sa voix. J'ai un haut-le-cœur. Chaque syllabe me retourne les tripes.
Je me redresse, suffoquant. Mon souffle se bloque net. Mes côtes hurlent.
Je plaque une main sur mon flanc. Mauvais réflexe. Il l'a vu.

— T'as encore mal, on dirait... Approche-toi, Chipie.

Son sourire est lent. Presque amusé. Le genre de sourire qu'il affiche juste avant de devenir un monstre.
Un frisson me traverse. Mes jambes veulent reculer. Mon cerveau hurle non.

— Non, Tom, s'il te...

CLAQUE.

Je m'écroule. Ma joue brûle. Le goût du sang envahit ma bouche.

— Combien de fois je dois te dire de pas m'appeler comme ça ? Hein ? Tu veux retourner à la maison ? Tu veux qu'on recommence ?

— Je suis désolée... s'il vous plaît...

— La pitié, c'est bon pour les faibles. Et t'es pas censée l'être, hein ? Tu veux être une grande fille, non ?

Il me toise comme un chat avec une souris.
Je tremble. Je n'arrive pas à le regarder dans les yeux.

— Face au mur. Bras en croix.

Je m'exécute. Tremblante. Les bras tendus. J'ai froid. Mon t-shirt colle à ma peau. Il me fouille. Lentement. Avec insistance. Il sait que je n'ai rien. Il le fait pour le contrôle. Pour me rappeler que je ne suis rien.

Sa main s'attarde. Ma poitrine. Je retiens un sanglot. Je retiens tout. Ne pas réagir. Ne pas respirer.
Il souffle dans mon cou. Lentement. Je ferme les yeux.

Click.
Les menottes. Derrière le dos.

Il m'attrape par les cheveux. Et me traîne. Comme une poupée brisée. Quelques pas suffisent. La douleur dans mes côtes me fait vaciller.
Je tombe.

BAM.

Son poing me cueille. Je vois flou. Le sang coule déjà de ma lèvre.

— Tombe pas, Chipie. Sinon j'te ramasse à ma façon.

Je n'arrive pas à parler. Je n'arrive même plus à pleurer.

Il me tire jusqu'à la Maison. Son antre. Mon enfer.
Il m'attache. Poignets autour d'un poteau. Dos à lui, mon ventre appuyé sur le métal froid.

— Tu disais que t'avais mal où ? Ici ?

Il envoie un coup de pied côté droit. Ma vision se brouille. J'arrive à tenir.

— Non ? Alors ici ?

Mon corps se tord. Mes os crient. Moi, je reste muette. Par réflexe. Par peur.

— Bon. Testons l'autre côté.

Il y met toute sa force, mon souffle s'éteint. Je tombe à genoux.

— Debout !

Je n'y arrive pas. Il m'écrase d'un nouveau coup.

— Dix secondes, ou t'es punie. Une vraie punition.

— S'il... vous plaît...

— Dix.

Je bouge un genou.

— Neuf.

Ma gorge brûle.

— Huit.

Il tourne autour de moi. Comme un vautour.

— Sept.

Je tente de me lever. Mes jambes flanchent.

— Six.

Un coup dans le flanc. Je m'écrase.

— Cinq.

Je suffoque.

— Quatre.

— S'il vous plaît, monsieur...

— Trois. Voilà. Tu commences à comprendre.

Je crache du sang. J'essaie.

— Deux.

Je suis debout. Enfin. Tremblante. Brisée. Mon souffle siffle. Et je soupire.

Erreur.

Poing dans les côtes. Je m'effondre.

— T'as échoué. Maintenant, c'est moi qui décide.

Il s'éloigne. Je sais ce qu'il va chercher. Je sens mon cœur battre trop vite. Je manque d'air.

— Non... pas ça...

— Supplie encore une fois, et je t'arrache la langue.

Clac.

Le cuir.

Premier coup. Mon t-shirt se fend. Je serre les dents à m'en fendre la mâchoire.

Deuxième coup. Un gémissement. Faible. Mais il l'a entendu.

— T'as pleuré ? Dis-le !

— Oui... monsieur...

Il fourre un tissu dans ma bouche. Je suffoque.

— Silence maintenant.

Les coups tombent. Longs. Cruels. Comptés.
À la fin, mon corps lâche. Mon esprit aussi.

Il a profité de mon inconscience. Comme d'habitude.
Puis il a dit à ses chiens de me jeter dans ma cellule. À moitié morte.

Pas d'eau. Pas de nourriture. Une semaine.

Fin du flashback

Je me réveille d'un coup. Ma gorge brûle. Mon cœur tape si fort que je crois qu'il va exploser.
Je suis trempée.

Encore lui.
Toujours lui.

Je regarde mon téléphone, mes yeux se sont écarquillés quand je vis six heures affiché sur l'écran.

Il faut que je bouge. Que je roule. Que je disparaisse.

Je ramasse mes affaires. Machinalement. Mon cerveau est en mode survie.

Je sors mon téléphone. Numéro magique.

— Identifiant ?

— Reine de trèfle.

— Liste ?

— Totale.

— 43°36'33"N 3°53'053E, seize heures. Six mille. Renault blanche. Alpha, Charlie, 4, 9, 5, Zulu, Hôtel.

— Compris.

Je raccroche. Je jette le téléphone dans les bois. Pas de trace. Jamais.

Montpellier. 16h. Un contrebandier m'y attend.

Je remonte sur ma moto. Le moteur rugit dans la nuit.

Je roule. Je fuis.

Je ne peux pas me permettre d'échouer.

 

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