30 Juillet 1912
Maman et les précepteurs ont bien remarqué que j’étais triste en ce moment, ou plutôt “éteinte et ayant perdu cette vivacité qui lui allait si bien”. Pas tout le temps tout de même, ce serait faux de l’affirmer. Beaucoup de jours je suis malheureuse c’est vrai, d’autres, apathique serait le terme plus juste et certains, mais plus rares, normale, bien, comme avant, car la vie suit son cours et moi aussi.
A mon bureau, depuis la grande fenêtre, je vois la mer.
Marius est parti. Qui sait quand il reviendra? Certainement pas pendant ces vacances d’Eté, peut-être à Noël mais sans même venir dire bonjour ici... Je n’en sais rien.
Tout a commencé ces premiers mois de l’année 1912. Contrairement à son habitude Marius, à Paris chez ses grands-parents pour ses études, rentrait peu et écrivait moins. J’entendais nos mères glousser dans le salon à propos d’une danseuse de l’Opéra Garnier dont il s’était entiché, au doux nom de Natalia. J’avais moi dans ses lettres des récits du quotidien bien moins croustillants et justifiant par leur monotonie leur envoi peu fréquent. J’en conclus que tout le monde était au courant moi excepté évidemment et, peu subtilement je l’admets, j’essayai de lui faire comprendre comme cela me décevait. J’écrivis donc à ce cher Marius comme il semblait s’ennuyer dans les quelques lettres qu’il m’envoyait en comparaison aux amourettes -j’aime choisir mes mots- à rebondissement qu’il racontait à sa mère et donc à la mienne, peut-être à Jean et à tous les autres sauf à moi!
En guise de réponse, sa lettre fut aussi banale que toutes celles auparavant sans aucune allusion à mon commentaire. Je jouai le jeu d’un courrier semblable par la suite, ennuyeux à mourir, mais je ne pu m’empêcher à la troisième missive que j’envoyai d’insister sur tout ce qui allait le contrarier. Je lui disais comme je m’amusais, le nombre inimaginable de compliments sur mes capacités de marin et pas uniquement que je recevais lorsque je partais faire du bateau avec ses amis Martin et Léonard. D’ailleurs, «c’est fou» écrivais-je, ce dernier aussi trouve que la mer me fait de très jolis yeux! Ensuite j’expliquai que parfois ils venaient jouer aux cartes à la maison et décrivis toutes ces choses heureuses de vie du bord de mer. Je ne mentais pas, il savait à quel point l’océan suffisait à mon bonheur et que j’aimais beaucoup Léonard et Martin.
Sa réponse fut plus qu’explicite. Quelques jours plus tard, le 28 Mai exactement, je sortis dans le jardin car j’entendais un moteur vrombir. J’avançai jusqu’au portillon au bord de la route où Marius m’attendait dans la voiture que son père devait lui prêter. «Salut Raph’, je t’emmène?»
Non, pas à moi quand même.
Comment pouvait-il me faire ça? J’étais donc si stupide à ses yeux? Paris l’avait-il changé à ce point ?
Alors bien moins froidement et indifférente que je l’aurai aimé, je lui dis que non vraiment il ne fallait pas me prendre pour une gourde. A quel point j’étais abasourdie qu’il puisse penser que revenir comme une fleur ainsi et qu’un petit tour en coupé sport Jules d’Aoust allait arranger les choses. Il pouvait chercher à m’appâter la bouche en cœur comme il devait le faire avec ses danseuses d’opérettes autant qu’il le voulait, cela ne changerait rien. Je vis émerger dans son regard un agacement glacial. Je repartis vers la maison sans prendre le temps de me retourner ni de voir Monsieur le Prince de Paris remettre ses lunettes de chauffeur et dévaler la pente vers le village tambours battants. Je voulus être claire, j’écrivis une lettre où je lui racontais ma colère, ce que je pensais de lui et la déposa directement dans sa boîte aux lettres pour être sûre qu’il la recevrait rapidement.
Le lendemain, sa mère au téléphone nous prévenait qu’il ne pourrait pas venir pour le thé de cet après-midi car il avait déjà programmé d’aller faire du bateau avec Martin et Léonard.
Touchée.
Elle nous expliquait comme elle était triste car son fils repartait finalement demain et prévoyait de ne rentrer que dans longtemps, sûrement pas aux vacances d’été ni après peut-être pour diverses raisons.
Coulée.
Dans la lettre que je lui avais écrite je lui disais à quel point je pensais que c’était un imbécile. Que je n’étais et ne serais certainement pas comme sa petite femme bien sage à attendre gentiment son retour, ni son bouche trou pour quand il se sent délaissé par ses Natalia ou autres danseuses de malheur. Que jamais je ne cèderais mes envies d’indépendance à quiconque et encore moins à un mufle pareil, de ce fait moi aussi je m’amusais sans lui et il allait falloir l’accepter. J’écrivis comme je lui en voulais d’être revenu seulement au moment où il s’était rendu compte que j’avais d’autres garçons autour de moi et s’en était donc senti piqué au vif dans son égo masculin. D’avoir cru qu’une balade en voiture allait pouvoir faire pardonner l’absence de mots et d’esprit dont il avait fait preuve depuis le début d’année. Finalement, je conclus sur le fait qu’il existait partout une multitude d’«ami-Marius» sur cette terre et que, si cela devait me rendre plus heureuse, je n’aurai aucun problème à en choisir un autre que lui.
La dernière phrase était complètement fausse, les autres pour la plupart violentes dans la forme mais très vraies. Il le savait, c’est pour cela qu’il était parti très en colère. Sinon le reste je le pense assez intelligent pour y déceler ma jalousie. Je ne regrette pas ce j’ai dit... si ce n’est le méchant mensonge. Voilà je pleure encore. Je me sens si sotte de larmoyer pour ce type de raisons. On peut le dire, aujourd’hui fait partie des jours tristes. J’ai mis en place diverses techniques pour y pallier. J’essaie de m’imaginer être une personne extérieure m’observant pleurnicher à mon bureau. Je trouve la scène pitoyable, je ne pleure plus.
Je descends prendre l’air dans le jardin, cela va me faire du bien. Je grimpe pieds nus au cerisier. Adossée contre son tronc, sur ma branche, ma robe est aussi rouge que les cerises que je mange. Je ferme les yeux et respire un grand coup. Je me sens plus en paix. Le soleil, la fraîcheur de la mer, l’odeur des fruits, tout est agréable. Le temps file sans que j’y fasse attention.
Prise dans la torpeur de l’après-midi, je somnole tranquillement lorsque je sens l’arbre tanguer car quelqu’un grimpe me rejoindre.
C’est Marius. Il est revenu.
Cela valait bien la peine de pleurer.
Il s’installe sur une branche épaisse non loin de moi mais pas contre le tronc, dans l’autre sens pour bien me voir. Nous nous regardons l’un l’autre sans un mot. C’est peut-être mieux d’ailleurs...
Cela fait maintenant quelques instants que nous nous taisons muets comme des carpes, idiots comme je ne sais quoi. N’y tenant plus, car je veux m’expliquer une nouvelle fois, je parle la première. Je m’excuse sur la manière dont j’ai dit les choses et pour la dernière phrase. Le reste, il me connait, il sait très bien ce que j’en pense. Il me dit que c’est lui qui est désolé, et pour tout. Je ne réponds pas. Je préfère lui lancer une cerise au milieu du front, «poc», elle tombe par terre en laissant un rond rouge parfait entre ses deux yeux.
«Merde Raphaëlle, grandis un peu par contre!»
Je hausse les épaules et descend à toute vitesse. Je sens ma robe s’accrocher à une branche mais, dans mon élan, il est trop tard pour en sauver le pan prisonnier. Pied à terre, on entend le long «crac» du tissus maltraité. Marius éclate de rire dans l’arbre. Je jure comme lui il y a deux minutes tout en repartant vers la maison. Arrivée sur la terrasse je me retourne, les mains sur les hanches et lance vers le cerisier:
«-Bon tu viens, il y a du clafoutis! Je ne vais pas passer ma vie à t’attendre tu sais!
-Ni la mienne à te courir après!»
Le gâteau était délicieux et Marius revient demain peindre à la maison.
La partie de ce chapitre que j'ai préféré c'est la fin (quand elle est dans le cerisier et tout). Je trouve qu'on ressent en même temps très bien l'ambiance apaisante de l'Eté et que la scène de réconciliation est bien rendue:
-le fait qu'on sait pas trop quoi se dire et qu'on se sent un peu bête après une grosse dispute entre meilleurs potes (ou plus hem)
-et puis leur dernier dialogue juste parfait pour ces deux inséparables *__*
D'ailleurs leur dispute est amenée de manière cohérente avec l'évolution de leurs caractères je trouve, leur âge surtout et cette distance que tu leur as infligé (monstre que tu es x)) en ce début de 1912 et donc les jalousies qui naissent avec!
Toujours hâte de lire la suite ;))
Ton commentaire me fait vraiment plaisir!!
Je comprends ta préférence pour ce passage que tu as lu avec exactement ce que voulais faire ressentir (hehe yes!!) et j'avoue que moi aussi j'aime beaucoup ce dernier dialogue :))
Je suis contente que tu trouves que ça vienne logiquement car j'avais peur qu'on puisse être dubitatif sur Marius qui changeait (pas tant que ça finalement :')) de cette manière. Mais donc oui ils sont un peu plus vieux, un peu plus éloignés (désolée x)) et doivent apprendre à vivre l'un sans l'autre chose quasi impossible pour eux comme on le voit,j'espère, à la fin justement!
A bientôt !