30. Télégramme

Par Hinata
Notes de l’auteur : Vous ne l'attendiez plus, et pourtant la voilà : l'ultime lettre de ce recueil ! (mais pas le dernier texte avec ces personnages ! J'espère revenir bien vite avec une nouvelle fiction, ouvrez l'œil ;) )

Mon cher Léon,

Je profite d’un réveil prématuré pour t’écrire les nouvelles de ces derniers mois. La maison est plongée dans un silence gris qui m’aide à mettre de l’ordre dans mes pensées. Même le vieux Ballast, d’ordinaire matinal, ronfle tranquillement dans son panier. Je m’attèle donc à cette lettre, espérant avoir pu te partager, quand le jour poindra, tout ce que j’ai à te dire.

Avant toute chose, j’espère que tu vas bien, de même que les personnes qui t’entourent. Est-ce que les petits du village continuent de t’appeler abuelo ? Ici, Gilles et moi sommes aussi devenus un peu grands-pères : Prime vient de rentrer de France avec son bébé et son fiancé. Elle a demandé tout spécialement à Mouska de nommer sa fille, qui porte donc depuis quelques jours à peine le doux nom d’Harmonie. C’est toujours un peu douloureux de voir fleurir une nouvelle génération, cela me rappelle que nous autres, aux pétales rabougris, seront bientôt emportés par le vent. Et en même temps, je ne peux m’empêcher d’y trouver un réconfort plus grand que la tristesse. Avec tous ces bourgeons qui ne cessent d’apparaître, Mouska ne sera pas une fleur solitaire après mon départ, ou bien ce sera son propre choix.

En parlant de fleur solitaire, Gilles semble s’être pleinement remis du départ de Nicholas. Nous avons reçu une carte de vœux de sa part. Sa nouvelle vie en Belgique lui plaît beaucoup, notre jeune ami y exerce dans un hôpital le métier de sage-femme dont il rêvait. Son mot pour la nouvelle année te mentionne aussi, il n’est pas au courant de ton installation en Bolivie. Si tu ne compte pas lui écrire, je peux l’informer à ta place, ou bien ne pas m’en soucier, dis-moi ce que tu préfères.

L’aube commence à colorer le ciel derrière les grands pins. Cela fait déjà un moment que les premiers chants d’oiseaux s’attachent à m’en avertir. Je n’étais déjà pas très rapide dans ma jeunesse pour écrire des lettres, cela n’est pas allé en s’améliorant. Peu importe, je suis déjà heureux d’avoir pu te parler un peu de ces petites choses. Il en reste une que j’ai à cœur de partager avec toi.

Depuis quelques temps, j’ai entrepris un certain rangement dans les affaires de tes beaux-parents. J’ai découvert certains documents qui avaient été soigneusement relégué au fond d’une malle, laquelle n’a cessé d’accueillir d’autres papiers au fil du temps. Ce sont là des archives personnelles qui remontent à la jeunesse de mon oncle et j’y ai trouvé des bribes de correspondance échangée avec son jeune frère. Avant que tu n’y penses trop, je tiens à t’assurer que je n’ai rien appris de nouveau.

Tu connais aussi bien que moi l’histoire que l’on m’a racontée enfant : mes parents ont débarqué sur l’île pour séjourner quelques temps à l’Orée des Embruns avec Gaëlle, Jasmin et leur fille de trois ans. A peine arrivé, mon père a tourné les talons et retraversé le bras de mer, abandonnant sa femme enceinte de cinq mois sous le toit de son frère. Je suis né dans cette même maison (à peine quelques semaines avant que tu y voies le jour à ton tour) et moins de quatre ans plus tard, je perdais mon deuxième parent dans un accident idiot, devenant une bonne fois pour tout le pupille de mon oncle et ma tante.

Au lieu de révélations quelles qu’elles soient, je n’ai finalement rien trouvé de plus qu’une confirmation de ce qu’on m’a toujours dit. Tu vas pouvoir le constater par toi-même puisque je joins dans cette enveloppe deux messages qui en disent long sur la véracité de ce récit. Le premier est une lettre, plus brève que ce que j’ai jamais écrit. Il est à supposer que même transporté de bonheur, mon père n’était pas très porté vers l’écriture. Cela va en s’aggravant quand le bonheur le quitte : le second message est un télégramme envoyé à ma mère depuis le côté française. Comparé à la lettre qui date d’à peine un an plus tôt, il rend toute cette histoire sérieusement pathétique.

Je crois que ce dernier mot résume plutôt bien mon ressenti à l’égard de tout cela. Comme je te l’ai dit : rien que je ne savais déjà. Le pathos de mon histoire personnelle m’a toujours été on ne peut plus apparent. Enfant, je m’en suis détaché grâce à toi, à Hermine et à vos parents. Aujourd’hui, j’arrive à y voir une certaine banalité. Gilles dit que je fais preuve d’un cynisme qui ne me ressemble pas. Je serais curieux de savoir ce que tu en penses. C’est peut-être vrai. Peut-être que j’essaye encore de protéger le petit garçon qui est à l’intérieur de moi.

Je n’ai rien dit à Mouska de tout cela. La question de nos origines est un sujet sensible que nous partageons silencieusement. Cela ne veut pas dire que je ne répondrai pas aux questions que Mouska pourrait me poser un jour. Tant que nous en parlons, figure-toi que Mouska a terminé, il y a peu, une magnifique peinture de toi. La toile est immense, je crois qu’avant de la tendre, notre virtuose n’a pas réfléchi à la façon de lui faire quitter la pièce une fois le tableau terminé. La fenêtre de son atelier est très grande, peut-être qu’il sera possible de la sortir par là. En tout cas pour le moment, notre artiste n’a pas l’air de vouloir la déplacer. Il faut dire qu’elle va très bien dans son atelier. La verdure, les montagnes, et ta petite silhouette à lunettes baignée de soleil, tout cela donne à l’endroit des airs de voyage. Je me suis demandé, en découvrant cette œuvre, si Mouska regrettait d’avoir refusé ta proposition. Je reste persuadé que t’accompagner lui aurait énormément plu. Peut-être que si de mon côté j’avais accepté de quitter l’île et la maison, la question ne se serait pas posée. Enfin, Mouska continue de m’assurer que cette vie lui plaît, qu’aucune autre ne lui semble plus souhaitable. Après tant d’années, je ne vais pas commencer maintenant à mettre sa parole en doute.

Les rayons du matin viennent jusque sur ma main, il est temps de conclure cette lettre. J’aimerais que ce papier puisse faire traverser jusqu’à toi la chaleur qui m’habite, j’aimerais te serrer dans mes bras, mon ami. Tu nous manques beaucoup.

Avec toute mon affection,

 

Ton ami de toujours

Basile

 

~

 

Mon bon Jasmin,

Je n’aurais pas cru que ce jour arriverait si prestement où je te rejoindrai dans cette contrée qu’on appelle amour. Je l’ai rencontrée, cette femme dont je n’osais même pas rêver. Sophie est déjà tout pour moi, mon univers tout entier s’est blotti au creux de ses bras. La chose la plus sidérante, c’est que je lui plais, pas autant qu’elle me plaît, mais assez pour lui donner envie de me regarder, de me parler, m’écouter, m’accompagner là où j’irais. De toutes les manières, je ne veux aller nulle part où elle ne serait pas.

Notre vie est présentement un tourbillon dont le seul point d’ancrage s’avère le battement à l’unisson de nos cœurs épris. Lorsque nous reprendrons pieds, j’accourrai vous la présenter dans cette maison de famille dont tu m’as tant parlé. A ce propos, j’espère que Gaëlle se porte bien, de même que ma petite nièce. Embrasse-les toutes les deux de ma part.

Ton cher frère,

Lysandre.

~

FR - Port-Le-Castel - 04/03/1881

Pour Sophie.

Excuses pour départ prompt. Décision inchangée. Ma famille pour toi et ton enfant. Vœux de bonheur. Adieu.

Lysandre.

 

~

 

J'espère que le format un peu incongru de cette fiction vous a plu, merci d'avoir lu !

 

 

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Gwenifaere
Posté le 26/01/2021
C'était une très belle fin pour une très belle histoire !
L'histoire de Lysandre et Sophie m'intrigue tout de même j'avoue, mais le côté fragmentaire fonctionne bien avec tout le reste, tous les non-dits, les choses qu'on est obligés de reconstruire nous même.
Vraiment je suis ravie d'avoir suivie ce roman épistolaire, il était superbe ! J'ai beaucoup aimé, merci pour ton partage !
Hinata
Posté le 26/01/2021
Aaaaah <3 merci beaucoup Gwenifaere pour ce dernier commentaire si gentil !!
Oui l'historire de Lysandre et Sophie reste un des plus gros mystères, j'aimerais bien l'éclaircir un peu par la suite, et en même temps j'aime bien l'idée que des choses restent irrémédiablement dans l'ombre ^^ donc on verra haha

Je suis ravie pour ma part que ce récit épistolaire t'ait plu ! C'est bête mais ça me touche encore plus venant de personnes dont les écrits me plaisent, donc voilà je suis vraiment très contente !
Merci d'avoir pris le temps de me partager ton ressenti, c'est très précieux.
_HP_
Posté le 18/01/2021
Oh noooon 😭
Déjà, je trouve ça trop, trop, troooop mignon que Basile et Léon soient toujours en contact, depuis leur enfance ! Et Mouska qui peint Léon... Le tableau a l'air magnifique ! (si un jour tu ne sais pas quoi dessiner... 😏👀😂)
Bon, étant donné que tu n'as fait aucune mention d'Hermine, et que dans la lettre précédente, qui a l'air de dater de quelques années quand même, je suppose qu'elle est morte 😭
En tout cas merci pour ces petites lettres très amusantes et touchantes, c'était génial ! Et j'ai hâte de voir cette nouvelle fiction ! ^^
Hinata
Posté le 18/01/2021
Wuaaah, ultime commentaire T^T Et toujours aussi prompte après 30 chapitres, ça m'émeut :')

Ah mais ouiii ! Même sans Hermine (RIP <3), ils sont très proches et même si le déménagement de Léon à l'autre bout du monde distend un peu leur amitié, Basile a vraiment le souci de maintenir un minimum de lien ^^ Heureusement, il a encore Mouska et Gilles qui vivent avec lui à l'Orée, donc le départ définitif de son meilleur ami et beau-frère a été plus facile à encaisser.

Haha, c'est tellement plus facile de décrire une œuvre d'art que de la faire, ça met la barre un peu haut XD Mais peut-être que je m'y risquerai un jour, qui sait ? ;)

Merci à toi pour ta présence indéfectible (je me répète hein ? XD) Vraiment ça change tout d'écrire en sachant que des personnes aussi adorables que toi sont toutes enclines à lire ce qu'on a fait !
Owii, moi aussi j'ai hâte ! C'est encore très flou, mais l'envie est là, j'espère que j'arriverai à mettre quelque chose au point avant fin 2021 haha XD

Bonne journée HP <3
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