31. La mort a un si doux visage

Notes de l’auteur : Novembre 1941

Je me suis assise au bord du lit, passant ma main dans ses cheveux. Je me suis perdue en contemplant les traits de son visage si fin et pourtant si marqué. Il y a une cicatrice sur son front. Une autre sur sa joue gauche.

Son corps entier est une carte marquant les différentes batailles qu'il a menées.

Chaque trace est une douleur et un rappel constant.

Dis-moi, Thomas, ô combien tu as eu mal. Ô combien tu en as versé des larmes. Dis-moi, Thomas, ô combien tu te rappelleras une fois que ça sera fini.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Sa voix me surprend et m'interpelle. Ses yeux, bien qu'à moitié endormis, me regardent avec une tendresse que j'avais oubliée.

— Que tu es belle, Élise !

Ses mots m'avaient manqué. Il n'y avait que lui pour me trouver « belle » alors que je suis restée une partie de la nuit éveillée. Incapable de dormir. J'étais restée assise là, à le regarder en me demandant si face à moi, je n'avais pas la douce illusion d'un amour jadis perdu.

Ses bras viennent m'attraper, me réchauffer tandis que mon oreille plaquée sur son torse écoute son cœur me parler.

À cet instant, les larmes me sont montées.

— Tu pleures ? Pourquoi ? Hé ! Je suis là, regarde-moi, je suis là et je vais bien.

Oui, mais pour combien de temps ?

Je ne suis pas folle, je sais que nos jours ensemble nous sont comptés. Il n'y aura sans doute pas d'autre.

— Est-ce que c'est dur, Thomas ? Est-ce que tu...

— Oui. C'est dur. Je ne pourrais pas te dire exactement comment, il n'y a pas de mots pour décrire ça. Il n'y en aura aucun d'ailleurs. L'enfer sur terre est à proprement parler une bonne description. Le feu. Les flammes. Les cris d'agonie. La mort. La mort a bien des visages, Élise, je m'en suis rendu compte, et tous les jours, elle revient nous chercher. Un par un.

La mort a aussi ses traits. Elle a sa voix.

Je le sais.

— Je dois aller poster cette lettre au village, viens-tu avec moi ? Elle est pour Antoine.

Il me regarde sceptique et va même jusqu'à froncer les sourcils. Je sais qu'ils ne se sont jamais entendus. Pas une seule fois, mais Thomas comprendra pourquoi c'est important pour moi.

—Si tu veux. Je ne peux décemment pas rester au lit toute la journée même si j'adorerais ça. Surtout avec toi à mes côtés.

— Tu as des habits dans l'armoire, je t'attends dehors.

— Tu ne restes pas avec moi ?

Je n'ai plus l'habitude. En fait, je n'en ai jamais eu l'habitude.

J'ai connu Thomas l'enfant et l'adolescent. J'ai connu les courbes de ses deux corps, mais je n'ai pas encore eu le temps de me faire à celles de l'adulte se tenant à mes côtés.

— S'il te plaît. C'est aussi étrange et irréel pour moi, tu sais ? Me dire que nous sommes là, tous les deux, une nouvelle fois réunis. Dans ma tête, ça tient au miracle, parfois même au rêve. J'en ai si souvent rêvé. Pouvoir te revoir. Te serrer dans mes bras. Te dire ô combien tu es belle. Ô combien tu comptes pour moi et... ô combien je t'aime.

— Beau parleur. Monsieur a eu des cours à ce que je vois.

— Même pas !

Je le regarde se relever, déboutonner sa chemise et alors que son torse, nu, apparaît sous mes yeux, un léger cri d'effroi m'échappe.

— Désolée... Je ne...

— Ah... ça... Ne t'en fais pas.

Les marques de la guerre et du temps. Les cicatrices des batailles. Les plaies de l'horreur et les souvenirs d'une mort presque trop proche pour presque nous happer.

— Est-ce que tu as mal ?

—Ça dépend des jours. Mais ce n'est pas tant là que j'ai mal... C'est surtout à l'âme. Mon cœur a pleuré de si nombreuses fois, que je ne compte plus. Au début, on fait des cauchemars, et puis après, tu sais, aussi horrible que ce soit à dire... on s'y fait. On attend notre tour parce qu'on se dit que le prochain, ça sera forcément nous. J'ai été chanceux, Élise. Trop chanceux. Je ne sais pas si je continuerai à l'être et je ne peux te promettre de...

— Je sais.

Je n'ai pas envie de l'entendre, mais je le sais. J'en ai conscience.

La prochaine fois, Thomas ne reviendra certainement pas.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Elora
Posté le 11/06/2021
Un chapitre très triste, je ne peux que leur conseiller de vivre à fond le moment, ils doivent profiter tant qu'il en est encore temps. J'ai peur de la suite, mais je ne m'arêterais pas là !
MissRedInHell
Posté le 23/09/2020
Encore une fois, un chapitre un peu doux-amer et j'aime beaucoup ce mélange ! Leur relation vraiment fusionnelle me plaît vraiment et on sent leur lien proche dans les dialogues. Et en même temps, y a les traces de la guerre et cette éternelle épée de Damoclès. En tout cas, je trouve les deux très bien mélangés sans jamais aller à l'excès. ^^

D'ailleurs, j'ai beaucoup aimé cette phrase "Son corps entier est une carte marquant les différentes batailles qu'il a menées." que j'ai trouvé super belle. :3
ManonSeguin
Posté le 24/09/2020
oooh tu me flattes là :) <3 Je suis tellement satisfaite à chaque fois en me disant "Yes ! Ce chapitre lui a plu" ahaha :D
MissRedInHell
Posté le 24/09/2020
<3
Vous lisez