32 | Aux racines de nos pensées (1/2)

Notes de l’auteur : Chapitre mis à jour le 29 juin 2024.

NOVA ELLÉE.

… parce que, tout de même. Sèche tes larmes, Nova. La douleur part, elle filoglisse loin et loin ça frappe moins fort ton bras lourd de fatigue, ton corps lourd de fatigue, ton j’être lourd de fatigue. C’est ça c’est bien, recolle un sourire aux lèvres et relève la tête, presse ce mouchoir contre ton menton ça va bien s’arrêter, youpiyoup ! un jour ça s’arrêtera de saigner. Et si ton poignet enfle ce n’est pas grave nooo, jamais-jamio ! Tu dépoussières ta jolie chemise viva des beaux éclats et tu recolles, recolles, les morceaux brisés à l’intérieur de toi. C’est calme tu es calme, suffisamment pour que ça soit moins flouflouille la vue la vie et que tu puisses analyser où on t’a amenée après que l’Ombre t’a jetère dans les escalières. Et tu découvres que voilà : par ici, sous les catacombes, c’est fatras de bordel. Le vieillard t’avait assis sur un pouf-poussière et tout autour ce sont des meubles comme la basse bibliothèque, l’élimée méridienne, le vieux piano, l’antique secrétaire, les cartons qui s’entassent et se froissent. Je lève le menton j’y vois des photos, des lettres, des livres, des amulettes, et plus loin encore, sous les ampoules pendues au plafond, plusieurs miroirs. Celui là-bas est brisure il renvoie une image désastreuse de moi, comme si j’étais brisure moi aussi. Je passe une main dans mes cheveux hélas c’était une main ensanglantée je suis vermeil partout maintenant. Je ris amer, car enfin vraiment ? Comme si ça ne suffisait pas les Grisœils qui m’ont vilainé la face, toutes ces croûtes au nez et l’oeil au beurre noir et le bras qui… ! Certes je ne vois pas bien sans mes lunettes que l’Ombre a C AsS ÉeS mais je vois suffisamment de ce moi autrefois belleau aujourd’hui estropiée toute tordure que ça me tiraille encore plus voilà je déteste c’est vrai à ce moment-là précis je DÉTESTE mon corps fragile vulnérable il se CASSE il est trop GRAND trop FIN trop DROIT trop ÇA je voudrais me l’arracher m’arracher en totalité et ne garder que mon âme ma délicate âme qui vole et s’élèvole mais non à la place je suis là et LOURDE et MAL et… chut chut on a dit chut, Nova. On a dit souris. On a dit sèche tes larmes. On a dit jolie et douce Nova. On a dit belle tu restes belles tu l’as toujours été, tu l’es tu le seras à jamais élégante PARFAITE en toutes circonstances qu’il pleuve qu’il vente tu… n’est-ce pas ?

Le vieillard revient, tenant un plateau où trône une théière, deux tasses, une assiette de biscuits. Il s’agenouille, pose le tout sur la table basse, nous verse du thé. Des effluves de sucrofleurs s’évadent aussitôt. Puis il me tend ma tasse avec un timidé sourire, me demandant si ça va mieux ? J’hoche la tête, il hoche la sienne avant de vita!vite détourner le regard, comme s’il était gêné ou quelque chose comme ça. Il s’assied ensuite sur un gros coussin olivâtre, juste en face de moi. Serre sa tasse de ses fébriles mains et se recule un peu comme ça, à l’ombre. Mon regard se plisse. Curiosé. Je l’examine et cet étrange sentiment ne me quitte pas, celui de l’avoir déjà croisé quelque part sans me rappeler où où… où ? Petit, frêle, un monocle à l’oeil, des cheveux blancs dressés sur le crâne, un type de vêtements qui remonte à vieux, c’est une personne déphasée, folifolle, qui vous regarde en étant là mais pas là et qui porte des pensées floliflant je ne sais où. Et qui nerveuse, tout de mêmement ? beaucoup trop. Tous ces biscuits qu’il grignote à la compulsive, toute sa tasse qu’il monte régulièrement aux lèvres… Il sirote il mange il sirote il mange. Et soudain il se décale sur la gauche, je ne comprends pas, comme s’il désirait que je ne vois pas quelque chose derrière lui. Je penche la tête où il s’est déplacé alors le vieillard traine ses fefesses encore plus là où je regarde. Hein ? Quoi mais… Il sourit, les miettes tombent et la poussière vole.

— Qu’est-ce que vous…, marmonné-je.

— Vous voulez des biscuits ? Je les ai cuits hier et sans vouloir me lancer des fleurs, ils sont plutôt excellents !

Je penche le buste il penche le sien en miroir à moi et ça m’agace alors je me lève, parce que tout de même qu’est-ce qu’il cache là-derrière. M’empare d’une lanterne à la lumière vacillotine, contourne sa silhouette, ignore sa question paniqué il me demande ce que je fais où je vais ? Sans mes lunettes je ne voyais pas bien mais maintenant que je m’approche, je discerne les contours d’un… je fais deux-trois pas toujours plus au fond et alors je vois c’est un… violoncelle. Un battement de coeur qui rate. Il rate parce que ça me rappelle cette musique que j’ai entendue juste avant d’entrer dans la brocante. Cette hypnotisation ce moment hors du temps. Il rate parce que je pense le reconnaître ce violoncelle, à sa taille à son bois c’est de l’ébène et les violoncelles en ébène c’est rare et c’est encore plus rare quand ils sont vieux comme ça et qu’ils ont ce magnétisme cette prestance cette beauté. Je m’accroupis, lève la lanterne. Encore je l’examine. À dire vrai, je ne peux pas en être certaine, puisque je ne l’ai jamais vu auparavant, mais maman en a tellement parlé de ce violoncelle, le décrivant comme ça il a toujours été comme ça dans ses mots aussi noir aussi beau dans ma tête. Alors ça s’empourpre juste ici dans la poitrine et mes joues chauffent-coquelicot à l’idée que le brocanteur puisse l’avoir volé. Emporté je tourne la tête en arrière. Le vieillard est resté assis tout penaud sur son coussin délavé et je ne prends pas pitié moi j’assène juste :

— Ce violoncelle appartenait à ma mère.

Ma voix était tranchante. Tranchante comme elle a rarement été tranchante. Le brocanteur déglutit, ose me dire qu’il ne voit pas où je veux en venir ? Ça m’irrite que d’avantage, alors brusquette je pose la lanterne me relève m’empare du violoncelle m’approche du vieillard tout en essayant de maîtriser la vague de chaleur qui s’est remise à fluer dans mes veines mais c’est dur si dur et quand je suis là toute proche de lui il se recroqueville il se recule et moi je le recouvre de toute mon ombre et je vibre :

— Angéline ? Vous resituez ? Pourquoi il est ici alors qu’il est à ma mère ?

Il trifouille ses doigts et ça monte toujours toujours PLUS la fulgure car enfin je sais bien combien il était important pour maman-Angie à chaque fois elle m’en a parlé comme si c’était une perte immense. Il avait été volé bien avant ma naissance, qu’elle m’expliquait, personne n’a jamais su comment d’ailleurs, il n’y a jamais eu aucun signe d’effraction nulle part et je lui avais fait remarquer qu’elle aurait très bien pu l’avoir perdu mais non, elle en est sûre : l’identité du voleur est connue, elle sait même très bien où se trouve son instrument, simplement elle est dans l’incapacité de le récupérer dans l’immédiat. Mais un jour, un jour…

— C’est vous qui l’avez volé, n’est-ce pas ? m’agité-je. Avouez ! Vous l’avez volé ! C’est pour ça que vous êtes aussi nerveux, vous savez qui je suis et qui est ma mère et… et –

… et mon souffle pourrait exploser et je ne sais pas qui est cet étrange bonhomme et je…

— Il appartenait à sa famille, c’était l’un de ses héritages le plus précieux ! Pourquoi vous avez fait ça ? Vous avez dû venir au Pensionnat à plusieurs reprises pour tâter le terrain et c’est pour ça que votre visage m’est familier et –

Et j’en ai marre je ne comprends pas pourquoi ça ne s’arrête plus la colère sourde j’essaie pourtant de me calmer j’AVAIS essayé j’y arrivais très bien et je l’ÉTAIS calme au plus calme de moi et pourtant là ça brase se réembrase je suis juste tellement sur les NERFS et ÉPUISÉE et je vois qu’il essaie de cacher autre chose sous le coussin alors mon pied se jette en avant et mon pied dégage sa main à lui et mon pied soulève le coussin et je vois ce qu’il essayait de camouflette et ça me RAH! et je crie :

— Et ça c’est À MOI !

Je me recule avec une main qui tient le violoncelle, un pied sur le métamorphe, un bras en écharpe, un menton qui goutte-sang, un dos chaleur-suant. L’essoufflée, je le regarde et c’est comme si je n’étais plus moi je me demande soudain ce qui sonne si dissonant à l’intérieur de moi je suis comme ÉclA/t é E et j’ai tellement sosommeil. Misèrde de misère, j’ai tellement sommeil… Épaumée je suis partout partout où je vis. Ça me vacille je perds un peu l’équilibre, tandis qu’en face l’homme reprend soudain contenance, redresse son buste, durcit son visage et ordonne :

— Rend-moi ce livre, Nova. Et repose ce violoncelle.

— Sinon quoi ? Et d’où vous connaissez mon prénom ?

— Sinon je te renvoie en bas gérer l’Anima de Céleste Volia et… et l’enfant-idéelle. Et cette fois, ne compte pas sur moi pour te sauver la peau.

Epoustouflette je cligne des yeux à plusieurs reprises. Primo des premiérées, parce qu’en évoquant l’Anima de Céleste, il fait référence à l’Ombre ? Si j’en crois Maxine qui m’a retracé l’histoire du Pandémonium, Céleste était celle qui le gouvernait avec Océane Libelle. Donc quoi qu’est-ce que ça veut dire ? Deuxio des deuxiémérées, Léon ? Il a vu Léon ? Alors que j’ai toujours été la seule à… à… ma gorge s’assèche… à… comment c’est seulement possible ? Mon regard tombe sur son monocle qui est beaucoup trop épais trop loupe pour être un simple monocle et ça ne me maîtrise plus je couche le violoncelle et virula je le lui arrache son monocle. Ça ne me ressemble pas, mais je suis juste tellement fatigue et douleur que c’est comme si plus rien ne comptait. Plus aucune civilité plus… rien. Je mène sa loupe à mon oeil et… Oh. bon. sang. C’est pour ça que le brocanteur a perçu Léon et l’Ombre ! Sa lunette voit les idéelles toutes les idéelles qui existent partout. L’étage en est gorgé.

Leurs contours sont flottiflouilles, pas aussi marqués qu’une idéelle qu’on discernerait avec ses yeux à soi, elles sont néanmoins là. Et c’était tout simplement… l’étourdissette. Les oiseaux il y avait plusieurs oiseaux volitant ou perchés aux poutres, un chat qui y grimpait, des objets inanimés comme l’arrosoir, l’ange-statue, le tableau, la couronne de fleurs, et des plantes qui gravissaient les parois. Je trouvais ça trop époustou’beau que ça m’a calmée, tout de suite ça m’a calmée. Et… fatiguée, d’une certaine façon. Comme si on m’avait étouffoiré les pensées et que tout me parvenait plus qu’avec lointaineté. Sourdité. Il y avait aussi des mots au mur, là ça s’écrivait en doré, c’était une lettre ou je ne sais, qui commençait par « cher Bartolomé ». Il y avait le poisson qui nage autour de ma tête, ça m’a souri d’éblouissement et des larmes ont effleuré à la bordure des cils. Cette incroyablette vision me rappelait juste tellement… tout. Tout ce que je voyais quand j’avais dix ans. C’était alors tellement d’idéelles autour de moi qui vivaient l’extravagia. Et puis les années ont passé. Malgré tout ce que j’ai essayé d’enjolimager ma vie, ça s’est flétri. Il n’est resté à la fin plus que Léon Ariel. Et je… je me suis retournère en étant tellement moins colère, prête à séréniser un dialogue avec le brocanteur. Mais lui n’avait certainement pas le même état d’esprit que le mien. Son regard : noir. Ses mains : serrées avec fermeté autour de la tasse. Son souffle : rapide et brusque. J’ai alors compris que lui arracher son monocle, c’était l’erreur à ne pas commettre.

On m’a percé la tête. Je ne sais pas ce qu’il se passait mais c’était comme une lance qui me forait le front. J’ai glapissé de surprise c’était cet ordre ASSIEDS-TOI ET RENDS-MOI MON VINOCLE qui a résonné dans tout l’entier de mon crâne mon crâne-cathédrale et je n’ai comme pas eu le choix. J’avais mal et je me suis assis. Là. Sur mon pouf. J’ai tendu mon bras et je le lui ai rendu son lorgnon au vieil homme. Mécaniqué, mon corps avait agi mais il avait été guidé par autre chose autre quoi ? que moi. Je ne comprenais pas. J’ai dû déliria ? Une fois de plus. Et avec tout ce que je n’ai pas dormi, rien d’étonnant à ça, non ? J’étais surtout penaude à l’ultra penaude, parce que je prenais conscience de ce que j’avais fait, à savoir l’accuser de vol sans preuve aucune, lui filouter le violoncelle le métamorphe et enfin sa loupe à l’oeil, et je ne m’expliquais pas ma propre conduite. Depuis quand je suis aussi l’offense-agression ?

— Excusez-moi, bredouillé-je. Je ne sais pas pourquoi je me suis comportée comme ça.

Je sèche mes yeux des humidités, avec toutes ces questions irrésolues ça me laisse toute embrouillère à l’intérieur je ne sais plus ce que je dois ressentir, quelle est la bonne attitude à adopter. Mes paupières tombent de fatigue, je les frotte je ne dois PAS dormir. Un filandreux et long moment passe. Fait de honte et de pudeur, je n’osais plus regarder le vieil homme et étais concentrée à frotter cette tache de sang à mon short beige mais à la place j’en ajoutais d’autres et ça m’énerve c’est l’un de mes shorts préférés j’ai toujours réussi à le maintenir très propre mais là c’est l’enfer peut-être que le brocanteur a du sel j’ai entendu dire que le sel ça fonctionne bien pour enlever les taches mais il faut le faire avec de l’eau froide et surtout quand c’est encore frais avant que ça s’imprègne trop dans le tissu sinon ça – un biscuit apparaît dans mon champ de vision. Surprisée je relève le regard, découvre l’homme tout aussi embarrassé que moi. Des sourcils contrits, une ride désolée sur le front, il me tendait un ptit biscuit et l’autre main c’était ma tasse qui fumait. J’ai hésité. Mes doigts ont finalement glissé dans l’anse, j’ai pris la biscottine, bu et mangé, et si le sablé était duro’sec, le thé était doux à l’incroyable. Il fleurait un éclat acidulé, à l’arôme de canneberges et d’hibiscus, je décelais peut-être même des feuilles de mûres. Ça m’a détendue, les épaules du brocanteur se sont relâchées mais il restait déconfit. Il marmonne :

— Moi aussi, je m’excuse. Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai… je n’aurais pas dû faire ça.

— Faire quoi ?

Il détourne les yeux, se tortille sur son coussin, décroise ses jambes les plie de côté.

— Je n’ai même pas fait exprès. En fait j’étais juste…

Il soupire. Réfléchit. Grimace et recroise ses jambes, puis relève le regard lorsque il avoue :

— La dernière fois que j’avais projeté une idéelle dans l’esprit d’une personne date d’il y a plus de dix ans.

J’ouvre la bouche d’ahurissé.

— Qu-quoi ? C’est possible de faire ça ?

Il sourit en tristé, hoche la tête en tristé. Et toute la consternation monte dans mon ventre lorsque je réponds :

— Mais… ça devrait pas être interdit ?

— Oh mais oui, ça l’est. Par extension, puisque idéeller tout court est déjà interdit.

— Certes mais… est-ce que ça devrait pas être encore plus interdit que… ce premier interdit-là ?

— Je suppose que ça le serait si les gens savaient que c’était possible de le faire ? Utiliser des idéelles ainsi est propre à l’idéologie naïenne.

Mon coeur rate une battée.

— Vous venez de Naïa ? m’horrifié-je.

— Non. Plutôt de l’Onde, si je suis honnête avec toi.

Et il pointe du doigt sa cicatrice à la joue, tout en ajoutant :

— Même si j’ai été banni il y a bien sept ans de cela.

Je cligne des yeux pendant que l’information monte à mon cerveau, et quoi et quoi, l’Onde est pernicieuse à ce point-là qu’elle bannit ses membres et les stigmatise à vie ? Mais quand finirai-je de découvrir tous les coups bas qu’elle porte là ici tout partout ?

Le brocanteur et moi, on s’observe un moment sans plus rien nous dire. Il crispe un sourire, monte sa tasse à ses lèvres, tandis qu’en face je tente de démêler mon brouillis d’émotions. Je devrais sûrement avoir peur, me méfier ou que savez-je ? Mais à l’étrangette, je vis à l’hypra calmité. Peut-être parce que justement, ce bonhomme a été banni et que, je ne sais ? À vivre désillusion sur désillusion, j’avais vécu une forme de trahison moi aussi et que je pouvais comprendre sa colère, sa déception ? Une réaction légitime aurait été qu’il se tourne vers Naïa par après, mais une part de moi refusait de croire non savait qu’il ne l’avait pas fait. Je lisais ses émotions à lui et je voyais, dans la recroqueville de ses épaules, dans le poids de son sourire, dans l’agitée de ses mains, un peu de crainte, beaucoup d’humiliation, une strie de colère, une braise de haine, mais aucune volonté de nuire ou de se venger. No. Jamia.

— Qu’est-ce que vous m’avez projeté dans la tête ?

— Je t’ai ordonné de t’asseoir. Et de me rendre mon vinocle.

— Ah. C’était donc ça que j’ai… ‘fin…

Je baisse la tête, mon ongle se remet à gratter cette tache à mon jadis joli short et un cyclonéen bâillement me déboîte la mâchoire. Puis je bafouille :

— Bon. Si ce n’est que ça…

— Nova, ne minimise pas les conséquences de cet acte. Toi-même, tu en pressens les dangers.

— Oui mais là, en l’occurrence, ce n’était pas –

— Non. Il n’y a pas de « en l’occurrence ». J’aurais dû mieux me maîtriser, un point c’est tout.

— Certes…

J’ai égratiné la tache plus fort, les sourcils froncés. La vérité, c’est que je sentais bien à l’intérieuré que ça m’indignait, mais là, j’avais l’esprit trop évaporé, feutré, pour prendre la mesure de ce qu’il avait fait. Trop fatigue pour pousser ma petite gueulée. Et puis il était trop… regrettant ? Alors je n’ai rien dit… et… planant, le silence s’est assis avec nous. C’était un silence froissé par nos surotements, grignotages, et il y avait… avait… ma tête qui versait en avant je baillais et luttais pour ne pas… non Nova ne ferme surtout NE FERME PAS LES YEUX vois-je tout va mieux regardons-je mon menton a arrêté de saigner c’est bien hélas mon short est toujours aussi sale quelle disgrâce après je n’ai plus aucune classe et je sursaute et hein quoi ?? On m’a appelée ? Je lève la tête, la mine interrogative.

— Pardon, vous avez dit quelque chose ? bafouillé-je.

— Je te disais que tu peux te coucher sur le canapé là-bas si tu as sommeil.

— Je n’ai pas sommeil.

— Ce n’est pas ce que dit ton corps.

— Est-ce que vous auriez du sel, à tout hasard ?

— Du s-sel ?

— Oui… ? S’il vous plaît ?

Son oeil s’ouvre d’effaré, ses fines rides se crispent d’horrifié.

— Bonté divine Nova ! Jamais je ne te donne du sel !

— Quoi ? Pourquoi ?!

— Parce qu’enfin on ne met pas du sel dans son thé ! Ce serait un massacre !

C’est à mon tour de l’observer extra hagarde. Quoi ? Mais qu’est-ce qu’il raconte ?

— De toute façon, je n’en ai pas…

Mes épaules s’affaissent. Son visage se sérieurise.

— Crois-moi Nova, c’est mieux ainsi…

— Humph…

— Même si je commence sérieusement à me demander pourquoi personne n’aime mon thé.

— Et moi, pourquoi tout converge toujours pour m’empêcher de retrouver ma grâce d’antan.

Ses sourcils se lèvent d’incompréhension, puis se froncent parce qu’il cogito-réfléchit à ce que j’ai dit. Il ne comprend pas, et moi je lui souris et je n’ai aucune raison de lui sourire mais voilà, j’ai donné un grand sourire-lumière, sûrement un peu crispé, vieux réflexe ou j’en sais rien. Ça n’a pas duré, j’étais trop écrasi’lasse. Il comprend encore moins mon moi aux agissées bizarres, secoue sa tête aux chevi’ blancs, l’air de chasser des pensées et se dire « bon bref ». Il détourne le regard. Se verse une nouvelle tasse fumante, inspire, expire, à la nerveuse un peu, tandis que de mon côté j’étais prise d’une nouvelle baillée à toucher le sol de mon menton. Et comme ça, on est restés en silencière. Personne ne savait quoi dire, quoi faire. On était juste bloqués là au dernier étage de la Brocante avec le pendule qui oscillait le temps qui passe et moi qui fanais dans le sommeil. Je luttais mais ça devenait de plus en plus dur, là ouvre ouvre les yeux en grand et c’est le SOURIRE et le COUTEAU hein quoi non qu’est-ce que je pense je ne dois juste pas… pas… dormir… et le reste… il n’y a pas de reste. C’est toi. Moi. Et la lune blanche à travers la fenêtre qui nous caresse le visage.

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