Les mains tremblantes d'énervement, Astrée peinait à allumer sa drogue à l'aide du trop lourd briquet en argent dont elle avait hérité avec le paquet. Elle en voulait à cet idiot de garagiste de se montrer si alarmiste. Elle lui en voulait d’ajouter un peu plus de bordel dans une vie qui n'en manquait, pourtant, pas. Évidemment qu'il avait dû commettre une erreur. Comment pourrait-il en être autrement ? Elle n'avait jamais eu d'ennemi, et n'en aurait jamais. Elle n'était pas ce genre de personne suffisamment importante pour susciter quelque intérêt qu'il soit. Faste ou néfaste. Alors comment pourrait-elle envisager sérieusement l'hypothèse que quelqu'un ait pu lui en vouloir suffisamment pour saboter sa voiture ? Et dans quel but ? C'était totalement stupide. Elle avait abandonné sa Mini sur un parking pendant plus d'une semaine. Elle n'en avait pas vraiment l'utilité ici, et si elle n'avait pas tenu à se rendre à Sarlat ce jour-là, probablement que le véhicule se trouverait toujours stationné à la même place, à l'heure actuelle.
Assise sur un banc de pierres plusieurs fois centenaire, l'arrière du crâne en appui contre le mur, elle fixait les volutes de fumée qu'elle envoyait rejoindre les nuages. Il fallut plusieurs minutes à la porte d'entrée sur sa droite pour s'ouvrir. Bien plus qu'elle n'avait imaginé. Elle s'était attendue à quelques secondes, voire peut-être une minute avant d'être rejointe. Elle s’était représentée son frère sur ses talons, mais finalement, ce dernier avait pris son temps, probablement trop intrigué par la suite de la conversation téléphonique. Se laissant choir sur le banc aux côtés de son homologue féminin, Pâris n'émit aucun jugement concernant le bâton de dynamite qui lui pendait aux lèvres, et se laissa faire lorsqu'elle posa sa tête contre son épaule. Sans un mot. Elle n'avait pas besoin qu'il lui parle pour la rassurer, il suffisait qu'il soit là. Solidaires dans l'adversité, comme toujours. Il lui accorda le temps de la cigarette, et ce ne fut que lorsqu'elle l'écrasa au sol, qu'il s'autorisa ses premiers mots.
— Je fais l'effort de ne rien dire par rapport à ton empoisonnement volontaire, merci de faire celui de ne pas polluer notre héritage, critiqua-t-il en se penchant pour ramasser le mégot coincé entre deux pavés.
— Désolée, je n'ai pas l’habitude, s'excusa-t-elle en se réinstallant contre son épaule lorsqu'il revint à sa position initiale. Je te promets que c'est très occasionnel, seulement lorsqu'on attente à ma vie.
— C'est pour ça que je n'ai rien dit, tu remarqueras. Ça, et aussi parce que la tronche des deux autres méritait bien quelques grammes de nicotine dans tes poumons.
— La tête de qui ?
Elle répondait pour la forme. Son esprit et sa voix dérivaient ailleurs à mesure que les longs doigts de son frère s’insinuaient entre ses ondulations cuivrées. Apaisant, et tellement familier.
— Monsieur sourire mille volts et sa copine psychorigide… L'expression sur leur visage lorsque tu as hérité du paquet ! Délicieux ! J'en ai déduit que la Bête n'était d'origine pas très prêteuse.
— La Bête ?
— Oui, tu sais, rapport à la Belle et la Bête.
— Tu le trouves poilu ?
— Non, je... Laisse tomber, tu refuses de comprendre.
— Je ne refuse pas de... commença-t-elle avant de se résoudre à lui obéir et laisser tomber en soupirant. Bref, Ben est toujours au téléphone avec le garagiste ?
Il confirma d'un hochement de tête qu'elle sentit plus qu'elle ne vit, et vint reposer sa joue contre les cheveux de la jeune femme. Peut-être que Benjamin allait réussir à donner un sens à tout ceci, peut-être qu'il allait parvenir à démêler toute cette histoire. Elle n'avait même pas eu la présence d'esprit de s'inquiéter des délais de réparation. Elle connaissait la cause, mais combien de temps, encore, allait-elle devoir être privée de son précieux véhicule ?
— Tu sais... commença le frère tel un funambule sans filet. Je ne voudrais pas paraître alarmiste, mais le chauffard d'hier, et maintenant ça...
— Oh, s’il te plait… Remballe ton violon et ta pipe, Sherlock, personne ne cherche à me tuer, grommela-t-elle en se redressant juste assez pour braquer un regard de défi sur son frère.
— Non, pas te tuer, mais, peut-être te faire peur ? Et arrête de me regarder comme ça ! Je ne suis pas en train d'évoquer le lapin de Pâques, je dis juste que... Tu avoueras que c'est bizarre, non ?
— Pourquoi quelqu'un chercherait à me faire peur ? C'est pas comme si je me présentais aux municipales, je ne dérange personne.
— Et la psycho-rigide ?
— Quoi ? Charlotte ?
— Son animosité envers toi ne passe pas vraiment inaperçue.
— C'est une garce pédante, mais je la vois mal s'amuser à démonter la voiture de toutes les personnes qu'elle ne porte pas dans son cœur. Ça ferait trop de monde.
— La jalousie a toujours été le mobile premier de tout bon polar.
— Justement, on n’est pas dans un polar. Tout au plus dans un Zola… Et elle serait jalouse de quoi ? De mon mètre dix de jambes ? De mon parcours professionnel des plus glorieux ? Oh non, je sais ! C'est mon compte en banque ? C'est ça ? Je chauffe ?
Son soupir, ses yeux révulsés, et la façon dont il secouait la tête avec désolation la fit douter de ses propositions pourtant tout à fait réalistes.
— Tu sais, Astro, par moment je me demande comment tu peux être à la fois si intelligente sur tellement de choses, et systématiquement complètement stupide pour le principal.
— Définition de « principal » ?
— Les mecs.
— Tu plaisantes ou quoi ? Y a pas plus douée que moi pour vous gérer.
— Je ne te parle pas de nous. Nous on est ta famille, on ne compte pas. Je te parle des vrais mecs, ceux susceptibles d'honorer ta culotte.
— Tais-toi, je sens que tu vas dire une énorme connerie ! lui ordonna-t-elle en plaquant sa paume contre la bouche fraternelle pour l'empêcher de dire ce qu'elle ne supporterait pas d'entendre.
Ce fut alors qu'il entreprenait de répandre sa bave sur la main qui le bâillonnait, réaction parfaitement adulte et raisonnable, que la porte d'entrée s'ouvrit à nouveau sur un membre de la fratrie. Benjamin, une main dans ses cheveux désordonnés, le portable dans l'autre, semblait chercher ses mots, embrasser la scène qu'il avait sous les yeux pour mieux en apprécier les attentes et anticipations de chacun. Oui, il semblait futile et superficiel de prime abord, mais le cadet de la branche cadette n'avait plus rien à prouver en matière de réflexion et analyse pour qui le connaissait.
— Ast... Avant que tu ne partes en sucette et ne remette en question tout ce que je vais avoir le malheur de te dire, rappelle-toi que je m'occupe de ta voiture depuis que tu l'as reçu pour ton anniversaire et que tu as toujours eu une pleine et totale confiance en moi. Pas de raison que ça change aujourd'hui, pas vrai ?
— Accouche, Ben.
Astrée n’avait plus la patience pour ce genre d’introduction. Elle se trouvait même légèrement vexée qu’on puisse prendre autant de précautions avant de lui parler. Était-elle à ce point incontrôlable aux yeux de tous ?
— Pour commencer, le liquide de refroidissement c'est ce qui sert à éviter la surchauffe du moteur. Quand il n'y en a plus, ça donne un moteur qui fume et une voiture en rade.
— Exactement ce qui m'est arrivée, oui. Donc, en gros, je n’avais plus de liquide de refroidissement, c'est ça ?
La jeune femme entrevoyait un petit de lumière au bout du tunnel. Son cousin éteignit la flammèche en un rictus venant s’accrocher à ses lèvres.
— Avant que tu ne prennes la route, j'avais tout vérifié, l'huile, le moteur, et le liquide de refroidissement, tu penses bien.
— Alors quoi ? s’agaçait-elle.
— Le tuyau d'arrivée de liquide a été sectionné… Manuellement… Coupure nette. Il n’y a pas l’ombre d’un doute.
Elle sentit son frère s’agiter sur sa droite, et perçut la voix de son cousin gagner une tonalité supplémentaire.
— Mais ! Parce qu'il y a un « mais », t'emballe pas Pâris, s'il s'agit bien d'un acte de malveillance, ça n'a rien de très dramatique. En gros, tu ne risquais pas ta vie. Ça te ruine le moteur, mais ce n'est pas comme saboter les freins… Le but c'était la panne, pas l'accident.
Son visage, offert à son cousin qui la surplombait, n'était plus qu'inexpression totale. Elle ne réagissait pas. Non pas qu'elle soit d'un calme raisonnable, elle était absolument l’inverse. Ni calme, ni paniquée, simplement profondément détachée, comme si elle ne réalisait pas encore ce dont on venait de lui faire part. Elle faisait une confiance aveugle à son cousin, et lui vouait même un culte pour tout ce qui concernait deux points : la mécanique et l'Histoire. C'était lui qui s'occupait de sa voiture depuis qu'elle était en sa possession, lui évitant des frais d’entretien exorbitants. Alors, s'il lui disait que le moteur de son véhicule avait été manuellement saboté, ce ne pouvait être que la stricte vérité. Il n'existait pas d'autre explication, sinon il y aurait déjà songé et lui en aurait fait part. Alors oui, elle avait enregistré toutes les informations qu'il venait de lui fournir, surtout celle du simple accident que sa tendance au déni l'entraînait à minimiser toujours plus. Mais elle n'y réagissait pas plus que cela. Peut-être plus tard, éventuellement. Mais pour l'instant, une seule question avait ses faveurs.
— Combien de temps ? demanda-t-elle finalement. Combien de temps avant que je puisse la récupérer ?
— Je dirais quelques jours, répondit-il après une petite seconde de surprise. En attendant, au besoin, tu pourras toujours utiliser la mienne.
D'un mouvement de menton, il désigna le SUV stationné un peu plus loin dans la cour. Ainsi, il avait eu la présence d'esprit de descendre en voiture, contrairement à Pâris.
— D'accord. Merci.
Tirade très succincte qu'elle ponctua en se levant du banc. Toujours aussi inexpressive, elle les dépassa l'un et l'autre pour s'engouffrer dans la fraîcheur de l'intérieur, les laissant sur place à s'échanger des regards surpris.
*
Astrée avait pris la fuite, jusque tard. Dans un premier temps, elle avait cherché à fuir un frère et un cousin qui n'auraient eu de cesse de lui rebattre les oreilles avec cette histoire de voiture sabotée. Dans un deuxième temps, c'était essentiellement lui qu'elle avait cherché à éviter. De peur qu'il ne l'évite, lui, de manière bien trop ostentatoire. Elle préférait être l'instigatrice de la prise de distance que de devoir la subir. C'était moins dur à supporter. Petit jeu de dupe pour son cerveau qui, lui, n'était pas dupe. Mais après tout, tant qu'elle ne le voyait pas faire, qu'elle ne subissait pas concrètement sa froideur et sa distance, alors elle pouvait encore prétendre que ça n'existait pas, et que si elle rentrait maintenant, tout de suite, il l'y attendrait, l'y accueillerait avec un grand sourire. Peu probable, le sourire n'étant clairement pas une fonction première chez cet homme, mais qu'importe, c'était bien plus tolérable ainsi.
Elle avait cherché Jeanne, en vain. Elle avait des questions à lui poser, des éclaircissements à quémander, mais la vieille femme n'avait pas ouvert sa Poste de toute la journée. Est-ce qu'elle aussi cherchait à éviter la petite baronne ? Aurait-elle fait une entorse à son professionnalisme légendaire juste pour ne pas prendre le risque de la voir, elle, débouler dans sa toute petite agence postale de province ? Astrée n'était pas suffisamment égocentrée pour l’envisager. Cela dit, Jeanne demeurait introuvable. Alors, la jeune femme tua le temps en allant visiter le château de Beynac. S’il fourmillait de touristes en cette période, il était nettement moins impressionnant que celui de Castelnaud. Mais au moins, celui-ci ne lui évoquait pas la mort. Seulement la vie. Les vies, celles de tous ses ancêtres.
Sur la promenade, elle avait croisé le Capitaine bien décidé à lui parler, lui aussi, du fameux tournoi qui se profilait. Pourquoi tenaient-ils tous tant à ce que la baronnie participe ? Ces temps-là étaient révolus depuis plusieurs siècles, cela n'avait aucun sens de s'y raccrocher de la sorte. Plus aucun Beynac ne vivait dans la région depuis son arrière-grand-père. Et encore, même ce dernier avait partagé son temps entre la terre de ses ancêtres et la capitale. Son propre grand-père avait passé son enfance écartelé entre deux régions, le nord et le sud. Et que dire de son arrière-arrière-grand-père, certes résident à temps plein de Beynac, mais dont l'occupation première avait été ses champs, ses plantations, son agriculture et ses bêtes. Pas très seigneurial, tout cela. Non, vraiment, la fascination de ces gens envers un titre qui n'avait plus aucun sens depuis bien des siècles lui échappait totalement.
Finalement, à la nuit tombée, après avoir disparu tout le jour, elle avait rejoint ce lit que son frère occupait déjà, et, rompue de fatigue, s'était autorisée à l'inaction en s'allongeant à son côté. Sauf que le sommeil n'était pas venu immédiatement, et que son esprit en avait profité pour cavaler. Et plus il lui échappait, plus elle peinait à rejoindre Morphée. Un véritable cercle vicieux des plus agaçants. Les doux ronflements sur sa gauche ne l'aidaient, bien évidemment pas. Son salut, elle le trouva dans ces éclats de voix qui lui parvinrent par-delà la porte fenêtre ouverte sur la cour. N'ayant pas la moindre idée de l'heure, elle récupéra son téléphone pour s'en informer, et constater qu'il était excessivement tard. Voire excessivement tôt, en réalité. La voix féminine était facilement reconnaissable. Mais à qui parlait-elle ? Ou plutôt après qui en avait-elle ? Deux portières avaient claqué, elle ne pouvait donc être seule, mais si Charlotte ne semblait se soucier ni de l'heure, ni de l'endroit, son interlocuteur, quant à lui, chuchotait en retour.
Astrée n'entendait que des mots décousus, échappés ici et là, ne formant aucune phrase réellement identifiable. « Mais... Marre... Tu... Nan... Déteste... Je... » et puis un râle. Un insupportable râle d'exaspération. Alors, Astrée se leva, quitta le lit au profit du parquet que ses pieds foulèrent jusqu'à la porte fenêtre. D'ici, elle espérait mieux discerner la conversation qui se tenait presque sous ses fenêtres, à présent. Ce n'était pas de l'indiscrétion puisque la blonde ne semblait pas faire grand cas du fait qu'on l'entende ou non. « Lâche-moi, je n'suis pas ivre ! » scandait, d'ailleurs, cette dernière. Pourtant, clairement, elle l'était. Voix malhabile, mots à moitié avalés, même l'écho de ses pas sonnait comme dissonant. Dos au mur, Astrée tendait l'oreille sans se faire voir. Elle aurait dû fermer la fenêtre, et retourner s'allonger, mais c'était plus fort qu’elle. Elle avait besoin de savoir qui était la personne en compagnie de Charlotte. Et si c'était lui ?
— ... elle lui a même pas rendu, ricanait la blonde, d'un rire froid et douloureux, un rire faux. Tu sais, ça, qu'elle lui a même pas rendu ? Le Dupont en argent de son père... Pffff, envolé entre les mains de cette... cette...
— C'est son problème, chuchotait l'autre voix qu'elle percevait désormais.
Pierre.
— Non, non ! C'est là qu'tu te trompes ! C'est mon problème à moi ! Parce que moi j'emprunte un livre, un foutu livre qui n'est même pas à lui, et j'essuie une tempête glaciale comme si j'étais une moins que rien... Il m'parle plus, il m'regarde même plus... gémissait-elle entre deux jurons, chaque fois que ses talons hauts se coinçaient entre les pavés.
— Tu as définitivement trop bu. T'as pas les idées claires.
— Au contraire, j'suis très lucide. C'est vous, vous qui l'êtes pas ! Vous vous laissez berner par ses grands yeux larmoyants... « Bouhouuu, j'suis en deuil, c'est trop triste, sauvez-moi… » Biche aux abois, mon cul !
— Charlotte, bon sang !
Cette fois, Pierre avait donné de la voix à son tour.
— Tu vas réveiller tout le monde !
— Ouh ! Monsieur a peur que j’trouble le sommeil de son nouveau joujou ? Ou bien est-ce la réaction du grand Syssoï qui te fiche la trouille ?
Elle se moquait, ricanait. Mais si la volonté était là, le résultat était bancal et sonnait creux. Malgré les attaques envers elle-même, malgré la cruauté dont elle faisait preuve vis-à-vis de sa situation familiale, Astrée ne pouvait s'empêcher de ressentir de la compassion en cet instant. Elle aurait dû être en colère, mais elle ne ressentait qu'une infinie tristesse. Une tristesse faisant écho à celle de Charlotte, qui, désormais, sanglotait sous sa fenêtre.
— Mais qu'est-ce que vous lui trouvez ? hoquetait-elle, le souffle court. Elle est plus jolie que moi ?
— Non... Bien sûr que non, répondit Pierre face à cette supplique.
— Alors quoi ? C'est quoi ? Qu'est-ce qu'elle a de plus que moi ?
Sa voix semblait plus étouffée, comme si... Astrée hasarda un coup d'œil, décolla son dos du mur pour la première fois, afin de surprendre le duo enlacé quelques mètres plus bas. Pierre l'avait attiré contre lui, et maintenait la tête blonde contre son épaule.
— Rien, rien du tout. Tu te fais des idées, Charlotte. Ton partenaire est juste un odieux connard, et tu le savais avant de signer. Rien n'a changé.
— Oui, mais... tenta-t-elle en s'essuyant le nez d'un revers de main. Il est... Il est tellement gentil avec elle.
Gentil ? Finalement, peut-être qu'elle ne parlait pas d'elle, ou de lui, parce qu'en aucun cas Syssoï aurait pu être qualifié de « gentil » envers la petite baronne. Quand ils avaient été tous les deux seuls, si, parfois, mais jamais en présence de témoins, surtout pas de Pierre, et encore moins de Charlotte.
— Syssoï ? Gentil ?
Le ricanement de Pierre donnait raison à Astrée, Charlotte avait perdu toute lucidité.
— Tu n'étais pas là, tu ne l'as pas vu changer comme j'l'ai vu faire, Pierre ! Ça a beau être un odieux connard, c'est mon odieux connard à moi. J'suis rien sans lui. J'suis perdue sans lui.
Et les larmes, à nouveau. Les sanglots dans la voix de Charlotte et dans la gorge d'Astrée. Elle aurait dû en vouloir à la blonde de l'insulter de la sorte, mais quelque part, ce qu'elle disait, ce qu'elle gémissait sur l'épaule du tatoué, résonnait dans ses tripes à elle également.
— J'étais là, la première... poursuivait-elle sur un misérable air de défi.
« Je le connais depuis sept cents ans. » songea Astrée sans parvenir à comprendre d’où émanait cette brusque certitude « Depuis tellement plus que ça, encore. » marmonna son âme en retour. Charlotte avait tort, tellement tort, mais elle n'en avait pas la moindre idée. Pierre répondit quelque chose d'inaudible, mais qui devait être suffisamment à propos pour que les larmes cessent, la respiration s'apaise, et :
— Embrasse-moi.
Hein ? Ça, Astrée ne l'avait pas vu venir.
— Tu es ivre, triste et fatiguée. C'est pas moi que tu veux, lui répondit un Pierre dont l'abnégation avait jusqu'à présent totalement échappée à Astrée. Redemande-le moi lorsque ce ne sera plus un acte désespéré.
Il se montrait respectueux sans fermer la porte pour autant. Plutôt malin, il évitait de la vexer un peu plus. Après tout, ils n'en étaient pas à leur premier rodéo, tous les deux. Toutefois, malgré son refus, ses paroles semblèrent convenir à la blonde qui accepta de se remettre en mouvement. Soutenue par l'ostéopathe, elle progressait difficilement sur les pavés de la cour en direction de leur coin de gentilhommière. Astrée le sut car, à mesure que les pas s'éloignaient, les siens s'avançaient sur le seuil, dépassant la porte-fenêtre pour déboucher sur le balcon et suivre du regard les deux silhouettes enlacées. Du coin de l'œil, elle attrapa une ombre sur sa droite, à sa hauteur. Et avant même d'obliquer dans cette direction, elle sut, et se statufia.
A moins d'un mètre, un autre balcon, jumeau du sien, appartenait à cette chambre tout aussi jumelle de la sienne. Cette ombre ne pouvait avoir qu'un seul visage. Un visage, des traits, un regard qu'elle entraperçu une seconde, ou deux, ou peut-être une minute ou une heure entière. Un visage, des traits, un regard qui en firent de même, scrutant son visage à elle, ses traits à elle, son regard à elle, sans un mot. Puis, visages, traits et regards, d'un même mouvement, depuis deux balcons différents, reprirent vie, pivotèrent et réintégrèrent leurs chambres respectives.
Elle aurait dû fermer cette foutue porte-fenêtre. Elle aurait dû le faire dès les premiers éclats de voix. Mais elle ne l'avait pas fait cette fois-là. Et la fois suivante non plus, lorsque le cœur battant à tout rompre, elle s'était réfugiée contre le mur, comme s'il y avait un risque quelconque pour que, brusquement, l'ombre jaillisse sur son balcon à elle et pénètre dans sa chambre. Un risque ? Peut-être bien qu'il ne s'agissait pas d'un risque si elle en nourrissait secrètement le fantasme. Là encore, bien qu'animée par l'envie de se cacher, elle conserva la porte fenêtre ouverte, et depuis ses draps, son regard ne quittait pas les voilages qui dansaient au gré de la légère brise... Elle en était convaincue, de l'autre côté du mur, l'ombre en faisait de même.
J'ai beaucoup aimé ce chapitre (je crois que je me répète :p), où Astrée peut souffler un peu. J'adore toujours ses dialogues avec Paris, et puis Benjamin ^^ Ils sont soucieux de l'aider, n'empêche. Et ça n'empêche pas la question de pourquoi ils sont venus :p
Et donc, on a confirmation du sabotage... maintenant, qui a fait le coup ??
Jeanne, introuvable, tiens tiens.... est-ce qu'elle l'évite parce que pareil, faut qu'elle découvre la vérité par elle-même, ou ça cache autre chose ?
Et puis la petite séance d'espionnage. Je trouve qu'on sent bien le côté "je le fais mais je ne le devrais pas" et la curiosité qui est la plus forte. Ça rend Charlotte bien plus humaine, en tout cas, et Pierre presque gentil (oui je continue de m'en méfier :p). Très classe qu'il ne profite pas d'elle, aussi (oui ça devrait aussi être un comportement normal, mais le souligner dans un texte ça contribue à faire passer le message du coup ^^).
J'ai beaucoup aimé la pensée distraite d'Astrée sur les 700+ années, et le fait que ça ne lui paraisse même pas bizarre de dire ça :p
Je sens qu'ils vont chacun passer la nuit à regarder les rideaux de l'autre :p Rah, rien n'est simple pour eux ! Ils se voient, ils savent, mais ils se disent rien ^^
Je me demande quels sont les nouveaux problèmes qui vont tomber sur Astrée, du coup. Si elle va penser à lui rendre son briquet, à lui (ce qui rabattrait le caquet de l'autre :p). Si le SUV va être lui aussi saboté. Et comme c'était une panne et pas un danger mortel comme pour Syssoï, est-ce qu'on cherche juste à lui faire peur à elle, ou à l'orienter sur un chemin, tandis qu'on cherche à éliminer Syssoï ? (quoique ça pourrait même être Syssoï qui ait tout manigancé même si ça ne colle pas avec l'apparence de son caractère...).
Et est-ce que Pâris va lui parler des rêves qu'il a fait, lui ? (ou c'était pas un rêve mais une vision, enfin, il lui est arrivé un truc pas normal ^^).
Pauvre Astrée, je sens qu'elle n'est pas au bout de ses peines....
(Désolée de ma réponse plus que tardive, méchant Covid a fait un détour par ma gorge, mon nez, mes poumons et à peu près tout le reste de mon corps aussi. Je sors à peine la tête des mouchoirs et de la couette)
Comme d'habitude, je ne vais pas répondre à tes questions, mais je suis contente que tu trouves Charlotte plus humaine et Pierre un peu moins agaçant, du coup. Y a tout plein de choses que tu as relevé et qui sont très précieuses pour la suite. Je ne spoile pas, mais de fait c'est très rassurant de mon côté, ça veut dire que certains sentiments et/ou préssentiments sont bien passés.
Bon courage pour la Covid, on va au testing demain pour ma fille ainée (cas dans la classe donc classe en 40aine....). Joie et bonheur !
Et je m'en vais lire la suite du coup, ça fera mon petit plaisir du vendredi soir ^^