35. Le procès

Par tiyphe
Notes de l’auteur : Yello ! Me revoilà de cette longue période sans nouvelles !

Pour info : je suis en train de retravailler la temporalité de ce tome qui se passe sur une trop courte période. Au début de ce chapitre, je parle d’un mois qui s’est écoulé entre la disparition de Louise (attaque de la Grande Compétition) et le début du procès, ce sera plus de l'ordre des 4 mois (pour laisser du temps à la préparation du procès et surtout à l’apprentissage de Louise dans l'Anti-Chambre).
Je laisse pour l’instant cette temporalité pour coller avec celle de l’Anti-Chambre et parce qu’il faut que ça colle avec les chapitres précédents également. Je ferai les modifications à la relecture.
J’envisage aussi de rallonger le temps entre l’attaque au dortoir et celle de la Grande Compétition.

Voilà, n’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez :)
(si vous n'avez pas perdu patience entre temps, désolée pour l'attente ;_;)

Johny

Officiellement, le procès de Chloé Janssens avait débuté quatre jours auparavant. Officieusement, cela faisait presque un mois que les Grands Occupants tentaient de se mettre d’accord sur le protocole le plus adapté à la situation. Un mois que Louise avait disparu. Un mois que la hiérarchie de l’Entre-Deux s’effritait de plus en plus. Un si long mois pour ceux qui attendaient impatiemment le verdict et si court pour ceux qui le préparaient.

D’anciens jurés ou avocats et même des condamnés pour petits délits avaient été convoqués à la Grande Académie. Chacun avait apporté ses connaissances sur ce qu’ils avaient vécu et appris dans leur pays respectif et à leurs différentes époques. La base de données était si importante que les conseillers avaient passé plus de temps à se décider qu’à organiser quoi que ce soit. 

En 474 ans, c’était la première fois que ce monde vivait une situation pareille. Des crimes mineurs et majeurs étaient commis dans l’Entre-Deux et ils étaient punis, le plus justement possible. Mais que faire face à des attentats d’une telle proportion ? Chloé méritait-elle d’être emprisonnée un siècle, pour l’éternité ou alors d’être envoyée en Enfer ? Pouvait-on lui pardonner la mutilation d’autant de personnes, malgré la guérison ? Était-elle pleinement consciente et responsable de ses actes ?

Toutes ces questions, Johny les avait entendues en boucle lors des réunions du dessus et du dessous. Aucun Occupant ne semblait avoir la réponse et pourtant tout le monde paraissait vouloir donner son avis. Entre ceux qui exigeaient de livrer Chloé au Mal et ceux qui dénonçaient les mauvaises conditions qu’elle avait subies dans sa cellule, beaucoup croyaient Hans et ses accusations quant à des expériences effectuées sur sa descendante. Parmi eux, certains pensaient même qu’elle l’avait mérité. Et puis, il y avait un petit groupe qui souhaitait lui laisser la chance de s’exprimer devant un tribunal, qui lui laissait le bénéfice du doute. 

Le doute.

Cette émotion tournait elle aussi en boucle dans le ventre de Johny. Il avait une machine à laver à la place de ses entrailles. Plus il était interrogé, plus on lui demandait de prendre des décisions, plus l’essoreuse écartait ses organes contre les parois de son abdomen. C’était douloureux, frustrant, oppressant. Le trentenaire se sentait grignoté de l’intérieur par l’incarnation même de l’incertitude.

De bruyantes exclamations de surprise sortirent Johny de sa torpeur. Les Occupants autour de lui se levèrent alors d’un seul mouvement et se mirent à applaudir, crier ou proférer des insultes. Le Norvégien dut se camper sur la pointe des pieds et se tordre le cou afin d’apercevoir la responsable de ces assourdissantes interjections. Il ne savait toujours pas si c’était le tambour dans son abdomen ou l’appréhension du procès qui lui vrillait l’estomac. Dans le plus vaste amphithéâtre de la Grande Académie, Chloé Janssens faisait son entrée.

C’était sa première apparition publique depuis qu’elle pouvait se tenir assise, seule, qu’elle avait quasi retrouvé l’usage de la parole, mais surtout celui de son esprit. Sa silhouette avait tant changé après l’attentat de la cérémonie que Johny en fut frappé l’espace d’un instant. Le corps de l’adolescente s’était considérablement amaigri et son abondante chevelure n’était plus. Il ne restait qu’un crâne à l’apparence d’un papier kraft qui aurait été froissé, abîmé, taché. Le brun et le rose pâle éclaboussaient la totalité de son front jusqu’à sa nuque. Paraissant à peine consciente, Chloé avait été installée dans un des sièges de Lucas, flottant à quelques centimètres du sol. Son esprit, lui, semblait se trouver au-delà du plafond de l’Entre-Deux.

— Quoi ? cria une femme sur le rang devant Johny, le réveillant de son observation.

— Je disais : étais-tu là les premiers jours du procès ? lui répondit un homme aussi fort pour couvrir le vacarme général.

— Oui, pas toi ? s’étonna son interlocutrice.

Inconsciemment, Johny se mit à écouter ces deux Occupants. Il s’allongea sur la petite tablette devant lui qui servait à prendre des notes lors des cours et tendit une oreille pour se concentrer sur les voix qui le divertiraient le temps d’un soupir.

— Non. Qu’ai-je manqué ? interrogeait l’homme.

— Bah, tu sais, la présentation des dix juges, des jurés, de la défense et de l’accusation, énuméra la femme. 

— Et Kōseina ? A-t-elle déjà parlé ? s’inquiéta le premier.

— Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? s’offusqua la seconde. C’est elle qui a introduit l’affaire, l’accusée et restitué les faits tels qu’on les connaît actuellement.

Soulevant un œil sur le dos de l’homme devant lui, Johnny remarqua la déception dans son attitude. Kōseina était une enseignante en statistiques et théories de l’Entre-Deux très populaire. Beaucoup d’Occupants venaient suivre ses cours pour découvrir les secrets de ce monde et se laisser porter par les connaissances alimentées de recherches poussées et sérieuses.

— Elle a retracé les trois attentats, leur nombre de victimes, les lieux, poursuivait la femme qui semblait s’exprimer en liste. Les juges lui ont demandé s’il y avait un quelconque lien entre l’accusée et ces endroits.

— Oui. Maintenant que tu en parles, je me souviens de l’avoir entendu, intervint l’homme. La salle du dortoir qui a été attaquée était celle où elle dormait, n’est-ce pas ? Mais alors, cela veut dire qu’elle était mineure à son arrivée. Comment une enfant a-t-elle pu commettre une pareille horreur ?

— Il paraît que des expériences du Mal ont été faites sur elle, s’invita un troisième Occupant dans la conversation.

La femme porta les mains à sa bouche, un air sidéré bien trop exagéré pour Johny sur son visage. Alors que les deux amis s’exclamaient de ces révélations, le Norvégien se recula contre le dossier de son assise. Si la présentatrice Kōseina avait insisté sur les objectifs impartiaux de ce tribunal, aussi extraordinaire fût-il, beaucoup d’individus ici paraissaient les avoir oubliés. Les rumeurs sur un traitement moralement discutable circulaient de plus en plus et n’étaient en faveur ni de l’accusation ni de la défense.

Les voix des trois personnes devant Johny furent étouffées par l’agitation générale qui s’étendait sur tout l’auditoire. L’amphithéâtre qui logeait ce tribunal se remplissait toujours, débordait dans les allées, entre les rangées, sur les marches, contre les murs, dans les airs sur des bulles bleu ciel. Il était clair que Chloé était l’attraction principale du procès, pensa Johny en observant le tumulte autour de lui. De nombreux Occupants s’étaient déplacés pour la voir, elle.

Heureusement qu’il s’était présenté dès le premier jour, se félicita le trentenaire intérieurement. Il lui semblait être cependant devenu une ventouse depuis le début de l’instance tant il se sentait collé à son siège. Alors, tandis que l’adolescente était amenée sur l’estrade à la place qui lui était attribuée, la machine à laver dans l’estomac de Johny ne s’atténuait toujours pas. 

Il se focalisa sur Kōseina pour oublier le reste. L’enseignante-présentatrice se tenait accoudée nonchalamment sur son pupitre. Sa longue frange cachait ses traits ne laissant pas déterminer si elle se concentrait sur son texte ou faisait une pause cérébrale. Même avec l’agitation ambiante, elle n’avait pas encore relevé la tête.

Le sourire de Kōseina s’étendit lorsqu’elle se redressa enfin. D’un geste, elle alluma le phénoménal écran qui se trouvait derrière elle. Il illumina l’estrade, mettant ainsi en lumières les dix juges et le jury composé d’une trentaine d’Occupants tirés au sort parmi ceux ayant passé plus de cinq ans dans l’Entre-Deux. Le procès était diffusé grâce aux technologies de Lucas dans plusieurs grands lieux. Tout le monde avait accès à ce qui allait se produire dans les prochains jours.

Un magistrat réclama le silence de la foule alors que tous n’étaient pas encore installés. Certains s’assirent à regret, tardant à tarir l’excitation ambiante. La fièvre étouffante qui avait envahi les gradins à l’arrivée de Chloé affectait Johny si ardemment que de grosses gouttes roulaient sur son front et le long de ses joues avant d’imbiber sa barbe mal rasée et blanchie par le stress accumulé. Le trentenaire retira sa redingote et s’essuya avec. Sans un regard pour le vêtement et la trace d’humidité qu’il venait de lui infliger, l’homme jeta l’habit sur un siège vide qu’il avait réservé à côté de lui.

Un mouvement sur l’estrade agrippa alors son attention. Lucas se faufilait en catimini derrière l’adolescente et la présentatrice, pour s’installer à sa place. Mais il était impossible d’être discret pour le Sauveur aux grandes ailes noires de corbeaux. De nouvelles huées s’emparèrent de l’espace et engloutirent les précédentes qui s’étaient estompées.

Les premiers jours du procès, Lucas avait aveuglément brillé par son absence. S’il ne s’était jamais présenté dans l’amphithéâtre, il ne s’en était jamais excusé non plus. Il avait simplement envoyé quelqu’un pour le remplacer pendant une durée indéterminée. Aussi étonnant que cela pût paraître, le Créateur avait fait annoncer être un membre de la défense. D’après Cacilda, la consigne venait de Louise qui refusait de savoir une citoyenne de son peuple sans protection judiciaire.

Ce fut la dernière chose que Louise communiqua à l’Entre-Deux. Depuis environ deux semaines, les Occupants coincés dans l’autre monde ne donnaient plus aucune nouvelle. Ils étaient entrés dans un tunnel traversant apparemment les montagnes blanches et au bout de quelques heures : silence radio. L’équipe de Gabie ne captait plus leurs signaux, plus de son, plus rien.

— S’il vous plaît, clama fort Kōseina dans son microphone.

Ses mains positionnées fermement sur le pupitre semblaient vouloir l’arracher pour le lancer sur ceux qui continuaient de vociférer. Pourtant les traits de son visage ne pouvaient pas être plus détendus. Le contrôle qu’elle avait sur elle-même avait dû être grandement travaillé, imagina le trentenaire qui admirait l’enseignante.

— On a raté quelque chose ? chuchota une voix près de Johny.

L’intéressé sursauta avant de découvrir l’expression embêtée de Tadjou.

— Excuse-moi, je ne voulais pas te surprendre, ajouta ce dernier avec une moue désolée. On a été arrêté à l’entrée par des manifestants qui crient au complot, soupira le garçon.

Johny bafouilla plus qu’il ne répondit, avant de remarquer que son manteau se trouvait là où son ami souhaitait s’asseoir. D’un geste presque agressif, il retira l’habit pour le poser sur ses genoux qui vibraient en rythme avec son lave-linge.

— Tout va bien ? s’étonna un timbre plus grave derrière Tadjou.

Johny cligna plusieurs fois des yeux, avait-il des problèmes de vue ? Il n’avait pas remarqué l’armoire à glace qui essayait tant bien que mal de se contorsionner entre les jambes de ceux déjà assis, dans le but de se faufiler derrière l’adolescent, plus habile. Le spectacle aurait amusé le Norvégien, s’il ne se sentait pas aussi nauséeux.

— J’ai chaud, maugréa l’homme à ses amis qui s’installaient enfin. J’ai chaud et j’ai l’impression d’avoir fusionné avec mon siège depuis ces quatre derniers jours. J’espère que vous avez ramené de quoi consommer.

Tadjou retira un sac de son dos qui semblait aussi lourd que son propre poids. Il le posa sur le plateau devant lui dans un bruit sourd de verres qui s’entrechoquent, sans que cela parvienne à couvrir la clameur autour d’eux.

— Doucement, réclama Johny. J’ai envie ni de partager ni de perdre une goutte.

— Tu comptes vraiment boire pendant le procès ? tenta pour la cinquantième fois Tadjou. Pourquoi être sur place si c’est pour ne rien suivre ? Nous aurions pu céder nos sièges à d’autres personnes.

— Laisse-le, intervint Hans. On a pris des bières et des boissons peu alcoolisées, sur le long terme il ne pourra pas être ivre.

— Voilà, c’est juste pour me rafraîchir et me faire supporter ce moment, conclut le trentenaire en haussant les épaules face au visage résigné de son jeune ami. Tu sais bien que je n’ai pas vraiment le choix d’être là.

Un silence se fit entre les trois compagnons, largement envahi par le chaos ambiant. Johny soupira en attrapant une bouteille dans la glacière. Le verre froid sur la paume de sa main l’enivra, il se pressa alors d’appliquer cette exaltation dans la nuque, sur ses joues, son front. Un râle de ravissement s’extirpa de sa bouche.

— Merci les gars, chuchota-t-il. Vous avez aussi pris la télécommande ?

Hans hocha la tête avant de tendre un petit boîtier au trentenaire. Johny s’empressa de l’utiliser sur lui-même. Une bulle de silence l’entoura, le coupant de tout le reste. Enfin seul, pensa-t-il. Pourtant, il n’aimait pas être seul, il était mort seul. Alors pourquoi cherchait-il cette solitude à présent ? Il gratta sa barbe parsemée de taches blanches de tailles et formes inégales avant d’ouvrir sa bière. La première gorgée fut tout aussi salvatrice que la sensation de fraîcheur précédente ou l’insonorité présente.

Au même instant, un puits de lumière envahit la scène et les gradins. Au-dessus des têtes, le plafond s’éventrait lentement ne laissant apparaître que du blanc. Un air frais s’engouffra à travers la bouche béante. Dirigeant les yeux vers l’estrade, Johny remarqua que Kōseina avait triomphé du vacarme. Sa voix ne lui parvenait pas dans son isolement, mais il la voyait bouger des lèvres dans une chorégraphie qu’il ne cherchait même pas à comprendre. Le menton levé vers les rangées les plus hautes, la présentatrice embrassait le public de son regard puissant et brillant.

Johny profita de cet instant tout en sachant qu’il serait trop bref. Kōseina introduisait une nouvelle fois le déroulement de l’instance. L’homme pouvait se permettre de se reposer quelques minutes, de s’oublier dans le silence et l’alcool. Si seulement il pouvait se trouver dans les souterrains, dans les bras de quelqu’un, sous les caresses d’une autre personne. Ses yeux se perdirent dans l’ouverture du toit qui avait transformé l’amphithéâtre universitaire en arène romaine. Les jeux pouvaient commencer.

La dernière gorgée du liquide gazeux et amer survint trop rapidement au goût de Johny. Il posa la bouteille vide sur la tablette devant lui avant d’appuyer sur le bouton de sa télécommande. La bulle éclata et la clameur envahit de nouveau son espace personnel. C’était tout du moins ce à quoi il s’était attendu, mais ce fut un silence froid et tendu qui remplaça sa carapace de sérénité. Seule Kōseina parlait d’un ton neutre, un sourire satisfait aux lèvres.

Alors que Johny allait interroger ses deux amis, la femme sur l’estrade se tourna en direction de l’accusée et annonça :

— Occupantes et Occupants, voici Chloé Janssens ! Que son procès débute.

— Merci, Kōseina, intervint une des dix juges en se levant. Merci également à Lucas pour ce silencieur. Il nous sera bien utile, en effet.

Tandis qu’un de ses collègues poursuivait, Johny ne put retenir une exclamation de surprise. Cependant, aucun son ne sortit de sa gorge. Il réitéra, plusieurs fois, mais il lui était devenu impossible de s’exprimer. La panique monta rapidement en lui. Elle tambourina dans son estomac, amplifiée par de nouveaux doutes. Était-il devenu muet ?

— Oh, oh, du calme Johny, fit la voix d’Hans non loin de lui.

Le malaise s’évanouit presque aussi soudainement qu’il était survenu. Le souffle toujours saccadé, le Norvégien offrit des yeux effrayés à ses compagnons.

— C’était… quoi… ça ? demanda-t-il, haletant.

— Tu n’as pas écouté la seule partie qu’il fallait écouter, se moqua le colosse.

— Ce que veut dire Hans, le reprit Tadjou avec un regard noir pour l’intéressé. Kōseina a spécifié qu’à partir d’aujourd’hui, et tant qu’il y aura autant de désordre, un “silencieur” serait mis en place.

— Un quoi ? s’étonna Johny.

— C’est un dispositif qui réduit au silence, expliqua Hans. Ce n’est pas quelque chose qui va aider Lucas, si vous voulez mon avis, ajouta-t-il en grognant.

— Tout le public est sous l’influence de plusieurs de ces appareils, continua le Dominicain en ignorant complètement la dernière remarque du géant. Seuls ceux sur l’estrade peuvent s’exprimer et être entendus de tous.

— Comment pouvons-nous discuter, alors ? s’étonna le trentenaire qui trimait à tout saisir.

Tadjou tapota la tablette devant lui. Johny avait cru qu’il s’agissait de simples planches de bois sur lesquelles s’appuyer pour prendre des notes ou écouter les conversations du rang du dessous. Il fut donc surpris de constater qu’il était possible de soulever le plateau du haut afin d’avoir accès à un écran tactile. L’homme se pencha vers ce que lui montrait son jeune ami. Des dessins affichaient toutes sortes d’informations pratiques comme l’heure, celle du début de la séance, le programme sur les prochains jours ou encore une fiche détaillée de chaque personne présente sur la scène.

Johny fut d’autant plus étonné de voir l’adolescent aussi habile avec ce type d’appareil moderne. Tadjou écarta deux doigts l’un de l’autre pour agrandir l’icône des gradins qui se transforma en plan intégral de la tribune. Leurs trois sièges étaient entourés d’un ovale surmonté d’une note de musique. Pour illustrer le fonctionnement de l’outil, Hans appuya sur le dessin et le silence envahit de nouveau les poumons du Norvégien.

Incommodé, Johny s’empressa de rallumer ses cordes vocales en réitérant le geste du colosse.

— OK, j’ai compris, suffoqua-t-il dans la précipitation.

Tadjou lui montra d’autres services, mais l’homme n’écoutait plus que d’une oreille. Il n’avait pas apprécié l’expérience et s’en remettait comme il pouvait. Perdu dans ses pensées, Johny laissa son regard et son attention se porter un instant sur le discours de l’accusation. Il reconnut le témoin qui racontait l’attaque du dortoir. Il s’agissait du bébé autoritaire qui gérait les sorties de l’aile N. Seule sa petite tête dépassait du pupitre et sa voix aiguë emplissait l’amphithéâtre.

— On ne peut pas couper le son du procès, ronchonna le trentenaire qui ne supportait pas l’écho strident amplifié par le microphone.

Compatissant, Hans acquiesça, avant de sortir trois bières de la glacière pendant que Tadjou réduisait le volume. Les trois amis trinquèrent aussi discrètement que possible sous leur tablette. Certains Occupants les regardaient avec envie, d’autres avec désapprobation, mais personne n’intervint ou ne leur demanda quoi que ce soit.

Dans leur bulle partagée, ils firent tout pour éterniser cet instant de détente. Tadjou avoua qu’il ne comprenait rien au charabia des ingénieurs qu’il assistait. Johny entra dans le détail de ses expériences avant d’être interrompu par Hans qui se sentait toujours aussi gêné, même après tout ce temps à côtoyer le trentenaire. Le colosse changea rapidement de sujet.

— Je n’ai pas eu le droit de rendre visite à ma descendante depuis qu’elle parle de nouveau, annonça-t-il, pataud. J’aurais aimé qu’elle me dise ce que lui ont fait Lucas et Cacilda.

— Hans ! firent en cœur Johny et Tadjou.

— Je t’ai déjà dit que Caci n’avait rien à voir là-dedans, s’énerva le premier.

— Ce ne sont que des rumeurs, nous ne sommes sûrs de rien, renchérit le second.

— Alors comment expliquez-vous son état ? s’emporta le géant.

Hans s’était levé et pointait Chloé du doigt. Si, d’un point de vue extérieur, les Occupants autour n’avaient que l’image, à l’intérieur Johny sentit ses tympans vibrer.

— Nous connaissons Lucas, reprit Tadjou. Il vit de nombreuses tribulations en ce moment, ce n’est pas quelqu’un de mauvais.

— Le connaissons-nous vraiment ? interrogea le colosse, toujours debout. Tout le monde a des hauts et des bas, ça ne fait pas de nous des tortionnaires.

Presque allongé sur le jeune Dominicain, Johny tentait de tirer sur le bras de Hans pour le faire s’asseoir. Cette fois, les Occupants derrière eux commençaient à vouloir intégrer leur bulle partagée et leur envoyaient des messages plus ou moins agressifs sur leur tablette. Le géant remarqua l’agitation et, s’il ne se calma pas, il accepta tout de même de rendre le champ de vision plus dégagé.

— Lucas a perdu son petit frère et ses parents, annonça Tadjou. Il est devenu codirigeant de tout un peuple en à peine deux ans. Il possède des pouvoirs surnaturels et est exploité pour ça. On lui demande de prendre des décisions importantes alors qu’il n’a que 25 ans. Personnellement, je ne sais pas comment je réagirais face à tous ces problèmes. Mais je ne serais certainement pas présent dans la défense lors du jugement d’une jeune fille que j’aurais torturée.

Johny eut soudain l’impression de vivre un procès au milieu d’un procès. Hans condamnait Lucas tandis que Tadjou plaidait son innocence. Pourtant le Norvégien ne savait pas qui avait raison. S’il était majoritairement en désaccord avec le colosse, certains détails le titillaient également. La machine à laver se remit doucement en route. Qui étaient-ils pour juger quelqu’un sans connaître tous les éléments ?

— C’est toi qui passes le plus de temps avec lui, intervint alors le trentenaire à l’intention de Tadjou. Qu’est-ce que tu penses de son travail ? Objectivement parlant, préféra-t-il préciser en discernant le soupir exaspéré de Hans. Est-ce qu’il s’isole souvent dans les cachots ? A-t-on le moyen de savoir ce qu’il se passe dans cette cellule ? Les gardiens doivent bien entendre des choses, nous pourrions commencer par là.

Johny reprit son souffle.

— Quoi ? s’inquiéta-t-il face aux regards ahuris que lui lançaient ses amis.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? s’étonna Hans.

— Tu veux enquêter sur Lucas ? s’étrangla Tadjou.

Les deux hommes observaient Johny comme s’ils le voyaient pour la première fois. Le prenaient-ils seulement au sérieux ? Pourtant, il l’était. S’il pouvait se retirer un poids, même minime, de doute qui le rongeaient de l’intérieur, alors il ferait tout pour. Il devait tout faire pour arrêter ce tambour infernal au creux de son estomac.

— Si c’est ce qu’il faut pour rassurer Hans et la population, oui, carrément ! mentit Johny en haussant les épaules.

***

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SweetPeace
Posté le 08/10/2021
Tu le fais mal, c'est : YEEELLLLLO !
Bon je n'ai apparemment pas résisté à la notification très longtemps, donc here amaï.
Bonne idée le travail sur la temporalité, bon c'est aussi parce que c'est un peu la mienne, mouahahah. Bonne idée que d'écouter mes conseils, je te félicite gente dame lol.

La comparaison avec une machine à laver dans l'estomac de Johny c'est vraiment bien trouvé. Et ça fonctionne.

Si le chapitre d'avant je trouvais le style de ton écriture bien plus fluide et agréable à lire, là j'ai un peu de mal sur le début. C'est assez saccadé, il y a beaucoup d'informations qui semblent listées les unes après les autres et ça gache un peu la lecture. Déso ;)

Je suis d'accord avec Sorryf, le "inconsciemment" ne fonctionne pas avec le reste de ta phrase.

C'est bizarre tu dis que Koseina n'est pas dérangé par le bruit et ne relève pas la tête, puis le paragraphe suivant qu'elle relève la tête. Soit tu avances le paragrahe où Johny décrit son attitude, soit il faut que tu en changes la fin ou le début de l'autre. Mais la liaison entre les deux est vraiment trop bizarre.

"Tout le public est sous l’influence de plusieurs de ces appareils [...]. Seuls ceux sur l’estrade peuvent s’exprimer et être entendus de tous." : là on dirait que ce sont les appareils qui peuvent s'exprimer.

Bon dans l'ensemble, j'ai un peu galéré à lire le chapitre, je l'ai trouvé très décousu, pourtant l'action et ce qu'on y apprend sont très intéressants. Ça se ressent que tu as eu du mal à le faire, je pense qu'il faut que tu le laisses un peu reposer et que tu reviennes dessus plus tard. Toutes les infos sont là, juste c'est mal amené.

Je suis forcément hypé par la fin et cette fameuse enquête, même si je pense que Lucas est clean. Mais si Johny arrive à amener la vérité pour Hans et le reste de la population, c'est cool, même pour lui je pense.
Tu insistes beaucoup sur le doute et j'imagine que c'est fait exprès, du coup ça m'intrigue.
Tout comme le fait qu'on n'ait plus de nouvelles de Louise et ceux qui sont dans les montagnes... Where arezè ?

Voilà, j'espère que mon commentaire te donnera envie de sortir un chapitre plus vite cette fois, niark !
Je rigole, prends ton temps et kiffe
Tchüüüüüssss
tiyphe
Posté le 25/10/2021
YEEELLOOOOO ! (c'est mieux comme ça ?)

Merci pour tes bons conseils :3

Ah c'est cool si la machine à laver fonctionne !

Ouai, je me doutais bien que ce n'était pas très fluide, j'ai tellement eu du mal avec ce chapitre ^^' je le retravaillerai, c'est clair
Je note toutes tes petites remarques fort pertinentes ! Merci beaucoup !

Olala le prochain chapitre est en court d'écriture, mais il n'est pas près de sortir... ^^'

Encore merci pour ton commentaire <3
Sorryf
Posté le 22/09/2021
Le procès ! le procès ! mais on a pas encore la sentence, olala.
En tout cas c'est le bordel, au proces, et ça m'a fait en peu de peine, mais j'ai rigolé qu'ils se fassent un pique nique ! Le Silencieur va effectivement etre utile, et en même temps je suis comme Johny, je le sens pas cet objet, entre de mauvaise mains ça va être facile d'en abuser, et s'il y a un endroit ou on devrait pas empêcher les gens de s'exprimer c'est bien les tribunaux.
Je me rappelle pas de cette télécommande qui fait une bulle de silence. J'ai raté un truc ? Ou j'ai oublié ?
ça me rend triste aussi que les amis de Lucas doutent de lui, quand Tadjou prend sa défense, il dit des trucs vraiment tristes :-(
mais ça me paraît pas déconnant d'enquêter sur lui, s'il a été en contact avec l'accusée potentiellement manipulée...

Au début tu dis que c'est envisageable d'envoyer Chloé en enfer, mais ils en ont les moyens ? Je croyais qu'ils ne pouvaient plus depuis la fin du tome 1

"Inconsciemment, Johny se mit à écouter ces deux Occupants. Il s’allongea sur la petite tablette devant lui qui servait à prendre des notes lors des cours et tendit une oreille pour se concentrer sur les voix qui le divertiraient le temps d’un soupir." -> Je supprimerais le "inconsciemment", parce que ça n'a pas l'air inconscient au contraire.

Sinon, c'est pas rassurant, l'équipe Louise qui ne donne plus de nouvelles depuis l'entrée dans le tunnel. J'espère que tout va bien de leur côté !
Bravo pour ce chapitre !!!!
tiyphe
Posté le 23/09/2021
Quelle joie j'ai eu hier en voyant la petite notification *u*
Ahah qu'est-ce que tu vas dire dans quelques chapitres quand tu dis déjà que c'est le bordel maintenant xD J'ai hâte !

Je suis contente de voir que le Silencieur t'intrigue et t'inquiète !

Alors cette télécommande apparaît bien au tout début du tome 2 et je ne t'en veux absolument pas de l'avoir oubliée xD C'était y a bien longtemps, chapitre 2 quand Roan fait visiter les souterrains à Loulou, je peux peut-être la faire réapparaître une autre fois dans le livre, je vais voir ;)

J'suis pas très sympa avec Lucas, je m'en rends compte x) Mais Hans est un peu aveuglé par tout ce qu'il entend, Tadjou comprend que Lucas croule sous pleins de choses et Johny a juste envie de penser à autre chose, mais on le ramène toujours à ça. J'avais un peu envie d'amener le complotisme dans tout ça et j'espère que je ne le traiterai pas de façon maladroite, c'est pas non plus pour en faire une dénonciation politique par rapport à ce qui se passe en ce moment, je ne pense pas savoir faire ça ahah, mais c'était l'évoquer et montrer que ça peut vite retourner des cerveaux, même entre personnes qui se font confiance

Pour le fait d'envoyer Chloé en Enfer, je l'évoque dans le sens où certains y pensent, ils ne savent pas si c'est possible ou pas (le puits a bien été détruit et seul Jacques était capable de créer de passage vers l'Enfer). Je peux ajouter une réflexion de la part de Johny par rapport à ça.
Et pour le coup, ça peut devenir possible si le passage entre l'Entre-Deux et l'Anti-Chambre se fait, puisque dans l'Anti-Chambre, ils ont la possibilité d'envoyer des Âmes en Enfer ou au Paradis en appelant le Mal ou le Bien ^^

Je note pour "inconsciemment", tu as totalement raison !

Ils sont dans le Néant, j'sais pas trop si tout va bien pour eux... >o<

Merci beaucoup ! J'espère qu'il n'a pas été trop éprouvant à lire ahah et merci pour ton commentaire <3 !
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