34. Sur le départ

Par tiyphe
Notes de l’auteur : A 1h du matin, ça ne peut qu'être grâce à une retraite littéraire que je poste un chapitre aussi tard alors que toutes les plumes sont parties se coucher :D (d'où la fin peut-être un peu bâclée vu l'heure ^^)
Ca y est on s'approche de plus en plus de la fin, les Occupants s'apprêtent à partir et ils ne sont pas au bout de leurs surprises, tout comme vous !
Bonne lecture <3

Louise

Le soleil invisible de l’Anti-Chambre cognait fort contre la nuque de Louise. Ouadjet et Maleine l’accompagnaient sur les sentiers grimpants entre les quelques derniers arbres qui parsemaient la montagne. Si la première semblait parfaitement à son aise, la seconde peinait autant que la Créatrice. Elles venaient de faire une courte pause sous un haut cèdre, mais la chaleur combinée à l’effort ne rendait pas l’exercice facile. 

Louise avait l’impression qu’elle ne guérissait pas aussi rapidement que dans l’Entre-Deux. Son essoufflement était bien plus réel que lorsqu’elle avait grimpé tous les étages du dortoir. La jeune femme se surprit un instant à penser qu’il était possible de se blesser dans ce monde, que les plaies ne se refermaient pas miraculeusement comme elle en avait l’habitude. 

— Pouvons-nous mourir dans l’Anti-Chambre ? s’entendit-elle demander d’une voix éraillée par l’inquiétude.

Maleine se retourna précipitamment vers elle, les yeux écarquillés. L’expression de surprise était moins flagrante sur le visage d’Ouadjet qui ne s’était pas arrêtée pour autant. 

— Que veux-tu dire ? répondit plutôt l’adolescente. 

— Si je chois, expliqua Louise entre deux souffles. Disons dans un ravin si profond que je me brise la nuque en bas. Que se passera-t-il ? 

Cette fois, les sourcils noirs d’Ouadjet se haussèrent avec conviction. Elle bondit gracieusement entre deux rochers éloignés qui mirent Maleine en difficulté avant de se tourner vers la Néerlandaise afin de l’aider. Le chemin n’était pas dangereux à cet endroit, mais Louise se méfiait de chaque pierre instable, chaque pente raide, chaque précipice vertigineux. 

— Que se passe-t-il chez toi ? demanda alors la Scribe, préférant une nouvelle fois répondre à une question par une autre. 

Louise grommela intérieurement tout en sautant l’obstacle sans accepter la main que lui tendait l’Égyptienne. Cependant, son pied glissa sur le bord de la roche qui s’effrita sur son passage. Son équilibre bascula en arrière tandis que la Créatrice voyait sa chute au ralenti. Afin de se rattraper, elle jeta son poids du corps en avant, égratignant ses paumes et ses genoux sur le granit peu érodé à cet endroit.

La douleur fut moins intense que l’humiliation ressentie. Louise se redressa comme elle put et observa les dégâts sur son pantalon de marche. Déchiré d’un côté, il commençait doucement à s’imbiber d’un liquide rouge de l’autre. La peau de ses mains était dans le même état. De honte, elle garda le regard baissé sur ses blessures. Quelques instants plus tard, les entailles se refermèrent d’elles-mêmes, sans grande surprise finalement.

— Tout va bien, Louise ? s’inquiéta Maleine.

L’intéressée releva les yeux vers l’Occupante, les lèvres étirées.

— Oui, certifia-t-elle sans se défaire de son sourire. J’ai eu la réponse à ma question.

Sans ajouter un mot, elle invita les deux femmes à poursuivre leur route, avec pour seule gêne son pantalon collant ses genoux eux aussi guéris. Elles restèrent ainsi dans une bulle de silence, concentrées sur le chemin de plus en plus escarpé jusqu’à atteindre un col. La pente qu’elles venaient de grimper aboutissait sur un imposant plateau en contrebas. Trois lacs étagés en terrasses jaillissaient de la terre, de la roche et des quelques végétaux d’altitude. Ils s’écoulaient l’un dans l’autre à plusieurs endroits en courtes cascades étendues. Si ce n’était pas la première fois qu’elle observait ce paysage, Louise ne s’en lassait pas.

Les randonneuses profitèrent de ce spectacle le temps d’une respiration. La lumière diminuait progressivement en ce milieu d’après-midi. Elles devaient s’entretenir avec Dharmadina, puis retourner à la Pyramide avant le coucher du soleil inexistant. Louise avait proposé de créer des moyens de transport, mais Ouadjet avait insisté pour qu’elles fassent le trajet à pied. Elles avaient l’éternité, rien n’impliquait de se hâter dans l’éternité, avait expliqué la Scribe en s’aventurant dans la montagne.

— Tu as eu ta dernière séance avec mon frère ce matin ? demanda tout à coup Ouadjet, alors qu’elles s’engageaient sur le sentier plus large qui descendait vers les lacs, comme si elle cherchait à faire la conversation.

— Oui, répondit Louise, gardant sa surprise pour elle.

Le cri d’un rapace fut d’abord le seul écho à cet échange inhabituel. Maleine qui marchait derrière les deux Thaumas s’approcha de la Créatrice en sautillant.

— Savez-vous matérialiser des animaux à présent ? s’intéressa-t-elle après avoir bu une gorgée d’eau.

Elle rangea la gourde dans son sac à dos, puis reporta son regard curieux sur Louise. Cette dernière s’était arrêtée et examinait intensément son index pointé vers le ciel. Elle fit comme le lui avait appris les Scribes et se concentra sur la vie. Après plusieurs secondes, ce qui ressemblait à un moucheron apparut au bout du doigt. Lorsque Maleine s’approcha pour mieux voir, l’insecte s’envola, déployant ses minuscules ailes rouges à pois noirs.

— Avec de l’entraînement, tu seras capable de bien plus qu’une coccinelle miniature, l’encouragea Ouadjet qui avait observé l’exercice.

Son air était indéchiffrable, comme souvent. Les yeux gris accentués par le khôl étaient durs quand son sourire paraissait jovial. Elle fit un signe de tête cordial avant de reprendre la descente. Les trois femmes suivirent la crête du demi-cirque qui entourait les lacs. Là où se terminait le bassin le plus bas, la montagne semblait s’être affaissée afin de laisser un torrent s’en échapper en hautes cascades.

Ce fut près de ces chutes que Louise aperçut le petit être qui les guiderait jusque dans leur monde. Nue comme un ver, la moniale sortait de l’étendue d’eau en s’ébrouant comme l’aurait fait un chien. Son corps lavé laissait deviner plus clairement les nombreux tatouages qui la recouvraient. D’aussi loin, la Créatrice ne pouvait cependant pas apercevoir ce que les dessins représentaient.

— Est-ce que votre frère prépare quelque chose ? s’intéressa alors Louise en se tournant vers la Scribe.

Maleine s’était arrêtée pour admirer une fleur qu’elle n’avait pas vue les fois précédentes et les rejoignait à présent en trottinant. Louise avait détourné le regard de Dharmadina, lui laissant de l’intimité comme elle aurait aimé en avoir à sa place. Elle préféra reprendre la conversation à propos de son entraînement de la matinée. Quelque chose dans le comportement d’Andjety l’avait et l’intriguait encore.

— Qu’a-t-il fait cette fois ? demanda Ouadjet sans montrer d’agacement ni même d’amusement.

— Aujourd’hui, nous devions échanger à propos du fonctionnement des organes vitaux chez les mammifères, expliqua Louise. Mais il a voulu avoir mon avis sur le pouvoir de Tom qui a donné une voix à Bastet.

Elle fit une pause, guettant une réaction sur le visage impassible de l’adolescente. Sa longue natte se balançait dans son dos au rythme de ses pas. Si habituellement, elle glissait comme un reptile, à cet instant elle ressemblait à une lionne.

— En réalité, ces cinq derniers jours, nous n’avons pas avancé dans mon apprentissage, poursuivit la Créatrice. Pas que cela soit problématique, préféra-t-elle insister sans comprendre pourquoi elle se justifiait. Je ne cherche pas à me plaindre auprès de vous. Andjety m’a posé beaucoup de questions sur mon don et celui de Tom. Je pensais que vous seriez peut-être informée de ses intentions. Je suis juste… curieuse.

Louise reprit son souffle après avoir débité ces paroles sans respirer. Se dévoiler était encore une épreuve pour elle, d’autant plus à une femme qu’elle ne connaissait que depuis quelques semaines. Ouadjet avançait toujours en tête. Elle les accompagnait afin de découvrir elle aussi les détails de ce voyage. Ouvrir un passage entre l’Anti-Chambre et l’Entre-Deux ne préoccupait pas seulement la Créatrice.

Ouadjet ne ralentit pas, mais se retourna vers les Occupantes.

— Je ne sais pas tout ce qui se trouve dans l’esprit de mon frère, affirma-t-elle. Tu m’en vois désolée, Louise. Lui as-tu demandé directement ses motivations ?

— Bien sûr, répondit la concernée. Mais vous restez bien mystérieux et évasifs tous les deux lorsque je vous pose des questions.

Cette dernière remarque lui avait échappé. Elle ne se décomposa pas pour autant. Depuis quand avait-elle peur des autres ? Depuis quand n’assumait-elle pas ses propos ? Si Louise s’en préoccupait malgré tout intérieurement, elle ne le montra pas et Ouadjet ne parut aucunement offensée. Celle-ci sourit plutôt, comme si elle était ravie de laisser cette impression sur son entourage, puis parcourut les derniers mètres qui les séparaient de Dharmadina.

L’ascète avait revêtu ses couches de tissus aussi poussiéreux qu’elle était maintenant propre, recouvrant ses nombreux tatouages. Elle semblait en difficulté avec les larges carreaux qui lui servaient de lunettes. D’une main, elle les maintenait sur son nez, tandis que de l’autre elle déchirait un morceau d’étoffe anthracite dans son imposant habit. Après plusieurs gestes compliqués, Dharmadina s’était reconfectionné un bandeau pour tenir les verres teintés.

Louise avait proposé de lui créer une paire lors de leur première rencontre, mais la moniale avait simplement et poliment refusé. Ces deux gros carrés avaient été fabriqués avec de l’apatite à peine translucide, lui permettant d’entrapercevoir des silhouettes. La lumière du jour y faisait parfois ressortir des teintes brunes ou vertes selon l’éclairage. Si Dharmadina les portait depuis des siècles maintenant, c’était parce que ses yeux ne pouvaient plus supporter le moindre scintillement. Longtemps habituées à l’obscurité des tunnels, ses pupilles étaient complètement dilatées.

— Maleine, mon amie, quel plaisir, fit la voix rauque en direction de l’Occupante.

Les vieilles femmes en apparence s’enlacèrent comme si elles se connaissaient depuis toujours. La Néerlandaise avait souvent rendu visite à la moniale ces cinq derniers jours, excitée à l’idée de rentrer. Elles se détachèrent l’une de l’autre à la façon de deux aimants qu’une force extérieure aurait voulu séparer. Dharmadina s’approcha de Louise et la salua d’une accolade un peu brusque qui la déstabilisa, l’ayant sûrement reconnue à sa forme ou peut-être à son odeur. Quant à Ouadjet, elle s’était mise en retrait, mais elle ne passa pas inaperçue pour autant.

— Thauma, cracha Dharmadina par terre en direction de la Scribe. Que me vaut la contrariété de ta venue ?

L’intéressée s’avança vers la moniale et la contourna. Sans un mot, Ouadjet posa ses mains sur la tignasse grise, emmêlée et ruisselante. Avec des gestes maternels et doux, elle essora les mèches avant de les attacher en un immense chignon par-dessus le bandeau qui venait d’être confectionné. Dharmadina semblait avoir un énorme champignon atomique derrière son crâne. La petite femme n’avait pas bougé durant toute l’opération, se laissant faire avec une expression tout de même agacée sur le visage.

— Ça ne change absolument rien et tu le sais, maugréa-t-elle entre ses dents serrées.

Ouadjet caressa la tête de Dharmadina comme elle l’aurait fait à un enfant qui boude, arrachant un nouveau grognement de la part du tas de tissu surmonté d’un fongus. La Scribe n’avait encore prononcé aucun mot et Louise se sentit tout à coup privilégiée. Elle obtenait au moins de l’adolescente des interrogations ou des paroles mystérieuses, à l’inverse de ces silences inquiétants.

— La dernière fois que je vous ai vue, intervint la Créatrice qui n’avait pas un temps aussi illimité qu’elle avait voulu laisser paraître à Ouadjet. Vous m’avez expliqué que nous allions traverser un tunnel impossible à éclairer, c’est bien cela ?

— C’est exact, répondit Dharmadina en se dégageant de la présence étrange de la Scribe.

Cette dernière n’en fut pas plus vexée et s’éloigna de quelques pas. À une distance raisonnable afin d’entendre la conversation tout en laissant une certaine intimité à l’ascète, Ouadjet s’installa sur un rocher au bord du lac, le regard dirigé vers l’étendue miroitante. Un léger vent s’était levé faisant onduler la surface de l’eau et voleter les innombrables tissus gris de Dharmadina.

— Pouvez-vous nous en dire plus ? interrogea Louise. Sur ces tunnels, sur ce qui nous attend et comment nous allons réussir à creuser la fin de la galerie ?

La moniale dirigea ses carreaux vers Ouadjet en soufflant, comme si sa seule présence l’oppressait, puis se retourna vers les Occupantes en tournant définitivement le dos au bassin et ses cascades tumultueuses. De nature peu indiscrète, Louise était tout de même curieuse de connaître les raisons de leur désaccord. Qu’avait pu faire la Scribe pour être autant détestée ? Était-elle même responsable de cette tension ?

— Évidemment, attesta Dharmadina. Je vous ai fait venir pour ça. Je ne voulais le dire qu’à Maleine, mais tu mérites de savoir aussi ce qu’il va se produire dans le tunnel.

Louise crut d’abord que la petite femme avait lu dans ses pensées avant de comprendre qu’elle répondait simplement à sa question. Un courant électrique lui parcourut alors la colonne vertébrale, dressant tous les poils sur son passage. Elle s’était préparée à une autre épreuve des Êtres Supérieurs, mais avait tant espéré avoir tort. Après la tempête effrayante et le phare damné, qu’allaient-ils devoir affronter à présent, frissonna la Créatrice.

— Je vais cependant devoir vous demander de me promettre une chose, exigea la moniale en appuyant sur chaque mot.

Louise ne l’avait jamais vue si sérieuse.

— Cela vaut pour toi aussi, Thauma, articula Dharmadina en direction de la Scribe immobile sur son rocher et qui ne daigna pas pivoter d’un degré.

— Tu as ma parole, entendirent aussitôt les Occupantes et l’ascète.

Sans avoir bougé et d’une voix claire, Ouadjet avait donné sa réponse. Maleine promit à son tour sans attendre, tandis que Louise se frottait le genou où son sang s’était solidifié et la gênait à chaque mouvement de la jambe. Lorsqu’elle remarqua l’attention derrière les lunettes de fortune figée sur elle, la Créatrice s’exprima :

— J’aimerais connaître les détails avant de m’engager.

À cet instant, un troupeau de cabris passa non loin des femmes faisant voler une impressionnante couche de poussière. La petite brise ambiante devint bourrasque et souffla une vague de sable rocailleux sur le groupe. Louise eut le réflexe de se protéger avec sa bulle électrique. Dans la précipitation, elle avait réussi à attirer Maleine contre elle afin de la mettre en sécurité. Dharmadina et Ouadjet furent alors englouties sous leurs yeux par l’obscurité.

Aussi rapidement que c’était survenu, le vent balaya le nuage et le paysage fut clair de nouveau. La luminosité diminuait toujours en cette fin d’après-midi, mais le ciel restait d’un bleu immaculé. Louise relâcha Maleine qui la remercia d’un hochement de tête. Elles se tournèrent d’un même geste vers les Âmes qui n’avaient pas bénéficié de la carapace sous tension. L’une comme l’autre, Ouadjet et Dharmadina n’avaient pas cillé d’une cellule.

La seconde ne put tout de même pas retenir la violente quinte de toux qui la saisît. Son chignon s’était en partie défait et de nombreuses mèches semblaient vouloir s’échapper du crâne de la moniale.

— Tu dois me promettre de ne pas prévenir vos compagnons de ce que je vais vous révéler, insista Dharmadina entre deux éternuements bruyants.

— Pourquoi ? s’étonna l’intéressée en repoussant ses propres cheveux qui s’étaient emmêlés sur son visage.

— Je veux d’abord ta parole, tu comprendras rapidement, reprit l’ascète qui secouait ses nombreux tissus pour faire tomber la couche de poussière qui s’y était accumulée.

Louise grogna intérieurement. Elle n’aimait pas être mise ainsi au pied du mur, encore moins lorsque cela concernait son peuple. La dirigeante avait appris à ses dépens que garder d’importantes informations pour elle ou avec un petit comité pouvait être dangereux.

— Très bien, finit-elle par céder. Je ne leur dirai rien.

Ces paroles suffirent à détendre la moniale autant que Louise se sentait inquiète. Dharmadina cracha quelques grains de sable avant de se moucher dans un de ses tissus, puis offrit un immense sourire.

— Parfait ! s’exclama-t-elle. Préparez-vous à entrer dans le Néant.

***

Ezéchiel

Ezéchiel ne remarquait les changements de journée que lorsque la lumière diminuait ou se manifestait de nouveau le matin. S’il n’était pas dérangé, il pouvait passer des heures sur le recueil à déchiffrer les témoignages de chaque être humain ayant accédé à l’Anti-Chambre. Il en avait fait sa mission personnelle. C’était comme s’il essayait de résoudre une énigme de presque mille pages.

Ce matin-là, l’activité au sommet de la Pyramide lui fit lever son nez. Louise et Maleine étaient rentrées dans la nuit et depuis les Occupants s’affairaient comme dans une fourmilière. Gaum passa hâtivement entre les lianes, suivit de son fauve ; Esther et Imad triaient des papiers sur la table basse ; Maleine remplissait plusieurs gourdes à la fontaine qu’elle tendait à Kahsha.

— Active-toi ! lui lança la Néerlandaise. Nous partons dans deux heures.

Sa voix était légèrement tremblante et si Ezéchiel ne connaissait pas un peu la femme, il aurait pensé que c’était dû à l’excitation. Mais les gouttes de sueur sur ses tempes trahissaient une anxiété inattendue. Depuis qu’elle était revenue de leur entretien avec la moniale, Maleine fuyait le regard des Occupants à part celui de Louise, comme s’il s’était dit quelque chose de terrible.

Autre chose étonnait l’historien. C’était de voir ses compagnons emporter tant d’objets. Ils étaient tous arrivés avec seulement leurs vêtements sur eux, pourquoi partaient-ils avec des sacs remplis à ras bord ? Surtout lorsqu’ils voyageaient avec une Créatrice, s’amusa l’homme. Cette dernière entra à cet instant dans l’espace central où l’affairement s’apparentait de plus en plus à une ruche.

— S’il vous plait, appela Louise à l’intention de ses abeilles.

Les Occupants se rassemblèrent alors sur les assises, attentifs à leur reine. Ezéchiel les suivit, mais décida de se tenir debout derrière le canapé où s’était installée Luciana. La jeune femme avait annoncé à tout le monde qu’elle restait dans l’Anti-Chambre et cela se voyait dans sa posture plus détendue que ceux sur le départ.

— J’espère que vous êtes bientôt prêts, s’enquit la Créatrice. Le voyage ne sera pas de tout repos, alors n’emmenez que le strict nécessaire.

À ces mots, Esther soupira et demanda à Imad de reposer une liasse de papiers sur la table. Ezéchiel remarqua le même doute dans le regard de Louise qu’il avait aperçu dans celui de Maleine. Il s’était définitivement passé quelque chose la veille dans les montagnes, pensa l’historien. Après plusieurs recommandations sur ce qu’ils pouvaient emporter, la Créatrice matérialisa des vêtements adaptés à la randonnée pour chaque Occupant.

Lorsqu’elle se tourna vers lui, un habit neuf à la main, Ezéchiel fit une moue désolée.

— Je ne pars pas avec vous non plus, annonça-t-il alors.

Prononcer ces mots lui fit un bien fou. Il avait attendu le bon moment pour se confier, mais les Occupants s’étaient peu réunis ces cinq derniers jours. Luciana se tourna vers lui, les sourcils légèrement relevés. À l’inverse, Louise ne semblait pas étonnée par sa déclaration, elle lui offrait son sourire poli et respectueux.

— Tu souhaites aider Luciana dans ses recherches, c’est honorable de ta part, le remercia-t-elle.

Ezéchiel préféra acquiescer, mais l’intéressée comme lui savaient que ce n’était pas la seule raison. Rien ne l’attendait vraiment dans l’Entre-Deux, tout le retenait ici. Louise ne s’attarda pas longtemps sur son cas et précisa aux autres qu’ils avaient le droit de rester ou de partir, il s’agissait de leur choix. Personne ne se manifesta.

Toujours tournée vers lui, Luciana avait un air étrange sur son visage. L’historien avait rarement vu la gratitude dans les yeux de l’Italienne et encore moins à son attention. Il lui sourit, étirant son collier de barbe avant de remarquer les regards humides des Occupants.

— Non, mais ! s’exclama Luciana lorsqu’elle aperçut à son tour les mines tristes. Vous n’aviez pas l’air aussi peinés quand je vous ai dit ne pas partir avec vous.

Elle croisa les bras sur sa poitrine avec une moue faussement vexée, provoquant l’hilarité générale. Tandis que l’ambiance se détendait, Louise s’était mise en retrait, les paupières mi-closes. C’était là le signe qu’elle créait et les Occupants n’étaient pas capables d’imaginer ce qui se matérialisa suspendu au-dessus de la table basse.

Un bassin en losange se forma devant leurs yeux. Il se colora de vert et de symboles dorés tout en se remplissant progressivement. Le liquide translucide déborda de la vasque, mais plutôt que d’arroser le bois du meuble en dessous, il se transforma en vapeur avant de l’atteindre. Ezéchiel admira ce changement d’état sorti de l’imaginaire de la Créatrice. Il l’observa, mais elle semblait toujours dans sa transe.

L’eau ne coulait pas seulement vers le bas. Goutte après goutte, elle s’élevait vers le sommet en suivant la torsion de la Pyramide. Quatre colonnes s’envolaient des coins du bassin et vrillaient vers le toit. Les premières lumières du matin s’éclatèrent dans les perles et diffusèrent des milliers de spectres sur les plantes, le mobilier et les visages émerveillés des Occupants.

Un air satisfait plana dans le regard de Louise alors qu’elle ouvrait les yeux. Elle s’avança vers son œuvre et attrapa une des billes d’eau qui aurait dû s’échapper entre ses doigts. Elle la contempla un instant avant de la tendre à Luciana, puis elle en offrit une à Ezéchiel. Dans le creux de sa main, la goutte glissait comme si elle se trouvait sur une surface plane.

— Ce sont vos nouveaux appareils de télépathie, expliqua la Créatrice. Nous en aurons un également, ajouta-t-elle en distribuant des perles transparentes aux Occupants. Et grâce à cela, malgré les frontières et peu importe le monde dans lequel vous vous trouvez, nous pourrons nous joindre à tout moment.

***

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SweetPeace
Posté le 12/08/2021
J'ai beaucoup aimé ce chapitre. Le niveau de ton écriture a vraiment évolué dans ces derniers chapitres, ça se ressent et c'est plaisant à lire. J'ai presque plus rien à dire, c'est énervant.

Loulou qui tombe, n'as-tu donc pas de coeur !?
Comment elle gère après, trop badass Louise.

Avant le coucher du soleil inexitant : ce que je comprends (et c'est dit au début du chapitre) c'est qu'il n'y a pas de soleil, mais c'est éclairé tout comme.
Du coup cette phrase, même si elle est correcte, m'a fait buguer un moment, j'ai cru que c'était le "coucher de soleil" qui était inexistant et pas juste le soleil.
J'inverserai : avant le coucher de l'inexistant soleil ou qqch comme ça.

J'aime bien l'évolution de Louise. Je ne sais pas dire si je la trouve tardive du fait qu'elle est dans l'entre deux depuis presque 500 ans ou alors elle a développé d'autres choses que son attitude pendant tout ce temps ?

Le Néant ? Rien que ça. Vu l'expression de la moniale, ça a l'air fun, non ? lol

La fameuse fontaine ! Tu m'en as tellement parlé lol. Et elle est aussi belle que ce que je pensais, on adore tes fontaines.

Bon maintenant que je suis arrivé au bout, je fais quoi ? J'attends encore 6 mois pour rattraper mon retard ? Ou dans 6 mois tu n'auras rien posté encore ? :P
tiyphe
Posté le 13/08/2021
Olala ce compliment, venant de toi T_T Je vais l'imprimer et l'afficher T_T <3 Merci !!

Non, je n'ai pas coeur mdr ! Mais doutais-tu vraiment de la badassitude de Louise ? ;)

Je note pour la phrase sur le soleil qui n'existe pas et se couche quand même ;)

C'est vrai qu'elle a vraiment évolué ces derniers temps et ça me fait mal de l'admettre, mais c'est aussi un peu grâce à l'absence de Jeanne. Pas que Jeanne la tirait vers le bas, mais je pense que Louise s'est beaucoup appuyée sur Jeanne sans l'avouer et maintenant que Jeanne n'est plus là, elle n'a pas d'autres choix que de faire les choses par elle-même et évoluer :)

ça va être délirant le Néant ! De grosses marrades !

Les fontaiiiiiiiinees <3

Meuh si dans 6 mois tu auras peut-être un chapitre ou deux xD Je suis sur le coup OK ! Me mets pas la pression T_T

Encore merci pour ta loyauté sur ce projet, ton avis compte beaucoup <3
Sorryf
Posté le 25/05/2021
ooh dans ce chapitre, c'est moins triste, on ressent plutôt la frénésie du départ \o/ J'ai hate que Louise soit de retour dans l'entre-deux !!

Le Néant... je le sens pas trop. Faudra bien rester groupés :s j'espère que c'est pas un endroit ou on peut mourir.

J'ai trop rigolé quand :
1. Louise se casse la gueule juste après avoir posé sa question xDDDD la honte :p
2. Luciana qui prend mal que les gens soient plus tristes pour Ezechiel que pour elle xDDD si ça peut lui remonter le moral, elle va plus me manquer qu'Ezechiel !

Sinon, je pense que tu devrais rappeler au tout début du chapitre qu'elles sont en route pour une visite à la moniale, parce qu'à les voir crapahuter comme ça j'ai cru qu'elles étaient déjà en route pour rentrer dans l'entre-deux, et je me demandais pourquoi il manquait des gens. J'ai retrouvé dans un des chapitres précédents que tu disais que Louise voulait rencontrer Dharma avant de partir, et qu'elle serait plus bas dans la montagne, mais avec le temps qui passe je m'en souvenais plus, je pense que ça serait pas mal un petit rappel d'emblée de pourquoi elles sont là.

Hate de voir ce fameux Néant !
tiyphe
Posté le 31/05/2021
J'intrigue vraiment avec ce Néant mdr ! J'espère que je ne me suis pas emballée sur la majuscule mdrrrr

J'ai beaucoup rigolé en écrivant sur Louise et sa chutte !!
Comment ça Ezéchiel ne va pas te manquer ? XD C'est mon perso Dictionnaire/Etymologie mdr

Je note pour le début, je rajouterai une précision pour la visite de Dharma, tu as raison ;)

Merci pour ton commentaire <3<3 !
Draguel
Posté le 23/05/2021
Bonjour Tiyphe,
Félicitation pour être proche de la fin ^^ Mais est-ce celle du tome ou de la saga ? :p
J'ai remarqué une petite formulation qui m'a gênée, "Son équilibre bascula en arrière", un équilibre ne peut pas basculer, on comprend l'idée mais je pense que c'est mal dit, son corps bascula ou elle perdit l'équilibre mais l'équilibre bascule j'ai du mal ^^'

Ohoh le Néant, voilà un pan important de ton univers que l'on va découvrir :p
tiyphe
Posté le 31/05/2021
Coucou Draguel !
Merci :3 Seulement la fin du tome ahah !
Je note pour la coquille, tu as raison ! Je modifierai ça :)

Mdr j'ai l'impression que rien qu'en mettant une majuscule à Néant j'ai titillé la curiosité xD
J'espère que ça sera à la hauteur de vos attentes :D

Merci pour ton commentaire <3
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