38- Des galinettes cendrées et des hommes

Notes de l’auteur : 3 Frimaire 1925, temps: pourri, Nerub: bien là, Heure: Minuit
Humeur: contorsionnée

« Alors? » Je murmurai à mon complice.

Cela pouvait paraitre Caucase, et la vérité l’était encore davantage.

Brumaire s’était enfuit sans ménagement, ni même avoir la délicatesse de nous laisser protester, ou à minima de le remarquer. La faute à toutes ces petites choses insignifiantes qui s’étaient produites, additionnées, grain par grain, jusqu’à former une énorme dune. Pour commencer, Mafalda s’était teinte les cheveux en noir. Elle avait en vérité débuté le mois par une expérience capillaire qui lui avait laissé les cheveux d’un mauve si franc que trois pauses avaient été nécessaires afin de rattraper l’affaire.

Je tenais à préciser qu’initialement, l’objectif avait été le blond blé, et non, je ne parvenais toujours pas à comprendre comment nous en étions arrivées là.

Je tenais à préciser, que ces quelques reflets violets, survivant envers et contre tout, lui donnait un certain piquant et d’ailleurs, Phobos s’était mis à apporter des fleurs lors de ses visites. Des myosotis, bien entendu, car si Phobos avait apporté autre chose qu’une fleur bleue, son orgueil aurait probablement pris feu.

Mais à vrai dire, rien ne concernait notre présence à Scetus et à moi, dans ce couloir, au beau milieu de la nuit, sans la moindre lampe éso à portée. La seule source de lumière à notre disposition, c’était ce halo bleu blanc provenant des paumes du Grand Tapis.

Il avait, il y a quelques secondes de cela, invoqué une ombre et cette dernière avait filé le long du tapis brodé, pour atteindre la porte de gauche. Celle de Britannicus.

« Tu n’es décidément pas patience ce soir. » Il siffla.

« Ou alors tu es juste lent. » Je dis en étirant de manière peut-être un peu surexagérée mes jambes.

À ma décharge, cela faisait bien dix minutes que nous étions tous deux accroupis à même le tapis, et je m’étais entrainée toute la journée à la danse.

« Tu veux qu’on échange de rôles peut-être? »

« C’est ça, pour que tu fasses craquer la plus petite planche de parquet comme hier soir. Merci mais c’est une mission d’infiltration. »

« Rappelle-moi, ma mémoire me fait défaut, mais qui a manqué de se prendre une cage sur la tête? »

Alors, je savais que dit comme cela, cela pouvait paraitre étrange. Mais il y avait un contexte. Britannicus avait perdu sa première dent de lait. Adorable, pourrait-on se dire. Et cela avait ma première réaction. À Scetus aussi. Nous avions été assez ra-vi de pouvoir lui conter les histoires de la galinette cendrée des dents, qui déposait des pièces de dix duccas sous l’oreiller.

Le problème, c’était que Britannicus, loin de se ravir à l’idée d’un petit peu d’Argent de poche, avait plutôt poussé le raisonnement. Un petit lézard inoffensif et plein aux as allait passer dans sa chambre. Il en vint donc à la conclusion qu’attendre le bon moment pour piéger l’animal serait beaucoup plus profitable que d’attendre son cadeau.

Oui, Britannicus s’était choisi pour vocation détrousseur, ce mois-ci.

Inutile de préciser que l’on avait vite déchanté, car ce petit était assez roublard pour être un problème. J’avais peut-être un peu trop jouée aux échecs avec lui.

Comme Scetus disparaissait toute la journée et ne rentrait que tard le soir, nous nous retrouvions à devoir nous accroupir dans ce couloir, lui à s’amuser avec une ombre et moi prête à me glisser dans la chambre sans pour autant me prendre une boite en ferraille sur la tête.

En théorie.

Il y avait eu des petits ratés.

« Moi, et c’est entièrement de ta faute au passage. Ton ombre elle était supposée s’en occuper. »

« Très bien, et pourquoi n’a-t-elle pas eu le temps de le faire? » Il siffla « Serait-ce, à tout hasard, parce que certaines personnes ne savent pas compter jusque dix? »

« Tu avais dit comptes jusqu’à dix dans ta tête! Pas comptes jusque dix à la vitesse d’un escargot-»

« Vous faites quoi? » Une voix surgit dans mon dos et me fit bondir, et peut-être poussé un bref cri ridiculement aïgue.

Le crétin à ma gauche se dépêcha de ricaner -mais il ne perdait rien pour attendre, car j’avais été loin d’être la seule à monter dans les octaves.

Pour l’heure cependant, Britannicus nous toisait avec un air très soupçonneux.

« Bah nous aussi, on attend que la galinette passe. » Je répondis avec un sourire, avant de tapoter le tapis à mes côtés.

« Àh trop chouette, tu avais pas trop l’air emballé au diner, je pensais avoir dis une bêtise. » il dit en s’installer pile entre Scetus et moi. « Je paris que c’est lui qui t’a convaincu. »

« Et pourquoi ça? » Nous nous offusquâmes en coeur, ce qui fit bien rire cette petite fripouille.

« Par contre je pense c’est fichu pour cette nuit, désolé mais vous faites trop de bruit. »

« On reéssayera plus tard. Mais, d’ailleurs, comment exactement es-tu sorti de ta chambre? » Scetus fronça les sourcils.

Britannicus ne répondit pas, se contentant de sourire d’un air très malicieux, avant de déposer un bisous sur ma joue, puis celle de Scetus.

« Faut aller vous coucher, sinon vous allez être fatigué demain. » Il fanfaronna d’un air tout à fait radieux, avant de disparaitre derrière sa porte.

« Tu as une influence terrible sur ce garçon. » Scetus s’exclama d’un air blasé, à peine la porte fut-elle claquée.

« C’est ça, entre moi et Monsieur-je-disparais-sans-prévenir-ni-annoncer-ce-que-je-fais, c’est de moi qu’il tient les cachotteries. » Je dis, sans même doser l’ironie dans ma voix.

Je n’eus pas besoin de le voir lever les yeux au ciel.

«Rien de bien intéressant. » Il se contenta de dire en se relevant, avant de m’offrir sa main.

La manière dont il me hissa sans effort était scandaleuse. Moi, j’étais toute ankylosée. La faute à ce quatrième mouvement qui me résistait encore et toujours. En tout particulier cette pirouette. Mes chevilles ne la supportaient pas, mais à leur décharge, je n’étais pas entrainée pour le faire sans pointe.

« C’est ça, parce que Lazarus t’envoie clairement faire du bénévolat. »

« Ce n’est pas Lazarus, c’est la Cohorte. » Il répliqua machinalement, et se paya le regard ironique qu’il méritait  « C’est vrai, il n’est pas de la Cohorte. »

« Bien sur. Il n’est au courant de rien, comme toujours. »

« Je n’ai pas dit cela. » Il dit en m’emboitant le pas. Il faisait en effet nuit et sur mon trajet de retour à ma chambre, il y avait deux spectres et une russalka.

Bien que, avec Scetus dans le périmètre, rien ni quoique ce fut, fut-elle la trace ectoplasmique de Meleferegor lui-même, n’osait pas sortir son nez spectral.

« De toute manière, cela ne t’interesserait pas ce que je fais. »

« Évidemment, c’est une passion dans ma vie, demander des précisions sur des sujets ennuyants au possible. » Je répliquai.

La question n’était pas anodine, du tout, pas plus que son esquive à lui. Depuis quelques temps, Mafalda avait rangé l’ésodio, Phobos se stoppait net dans ses envolées politiques. Je n’avais plus la moindre idée de ce qu’il se produisait à l’extérieur, et à chaque fois que je tentais une opération de tirage de nez sur Scetus, ce dernier trouvait un moyen d’Esquiver.

Je reconnaissais un dénominateur commun, dans tout cela, plus particulièrement une personne assez agaçante.

D’autant plus agaçant qu’il ne s’était pas montré depuis presque trois semaines.

Non pas que j’en avais là quelque chose à faire, c’était une simple remarque. Et une simple interrogation.

« Tu pourras lui demander pendant votre prochaine séance de thé-potin. »

Au premier abord, c’était de l’ironie, mais… il y avait un ton assez grinçant, dans tout ceci.

Voilà pourquoi, bien que nous ayons atteint ma chambre, je décidais de tenter ma chance pour creuser un petit peu.

« Je n’y manquerais pas, la prochaine fois que je le verrai. Bon, je serais probablement obligé de me représenter car il a de toute évidence complètement oublié mon existence, mais bon. »

Je m’étais surpassée, entre ma petite moue boudeuse, jouant avec mes ongles, et je m’étais même légèrement laissée allée contre ma porte. Bon, mon ironie était probablement un peu trop grinçante. Tout autre que moi aurait pu y percevoir une part de- mais non.

Ridicule.

« La Vox Populi fait des histoires à l’assemblée, le Syndic s’échauffe à la moindre esbroufe et Commodus est con. Il a un tout petit peu de choses à gérer en ce moment. »

« Mmmh. »

Scetus laissa échappé le plus exaspéré de tous ses soupires. Et cela en disait long.

« Et au risque de te le rappeler, la dernière fois que vous avez véritablement discuté du sujet en question, le choc t’a envoyé au tapis. »

Mon regard devait être noir, car il leva les mains.

« Ce n’est pas une critique, c’est un constat. »

« Et donc, il t’envoie ou, toi? » Je revins à la charge, et il s’en rendit bien compte.

Cette fois-ci en revanche, il ne se défila pas. À sa décharge, c’était la quarantième fois que je lui posais cette question. La persuasion, c’était une guerre d’usure, et sa patience avait claqué il y a bien longtemps.

« On a retrouvé l’adjudant de ton père, et il a craché des noms, entre autre. » Scetus finit par admettre.

« Et la maréchaussée? »

« Balladier et son fiston ont été promu, pour te donner le niveau. »

« Mais comment c’est possible? Déjà ils se sont trompés, mais ensuite ils m’on un tout petit peu perdu donc-»

« Je te fais une fleur en te lâchant des petites infos ici et là, ne sois pas trop gourmande. » Scetus me coupa la parole, doucement mais fermement.

« Donc, tu as été promu, toi aussi. »

« Il y a eu des… petits incidents, dont un qui a envoyé notre chargé de sécurité à la retraite éternelle, alors.... Normalement c’est le travail d’un sorceleur, mais il se trouve que les ombres c’est assez discret et pratique comme outil de filature alors…»

« Comment ça- attends quoi? »

« Il va me tuer… bon, fichu pour fichu, il y a eu du grabuge à Rocam le mois dernier, les indices montrent des actions coordonnées du Syndic, et Beria essaie de faire retirer leur approbation septentrional à la Vox. » Il grogna « Et s’il te pose la question de comment tu le sais, est-ce que tu pourras au moins prétendre pendant cinq minutes que tu l’as entendu en écoutant aux portes? »

Je demeurais une bonne seconde à la fois stupéfaite et outrée. J'eus la désagréable impression d'être redevenue une gamine de cinq ans, que l'on sermonait pour une histoire stupide de filets.

« Pourquoi- je ne suis pas en carton merci. »

« Au risque de répéter la vérité qui dérange, la dernière fois qu’il a mentionné un truc dans ce gout là, tu as plus ou moins décidé d’aller faire un câlin au sol. » il dit en se massant discrètement la nuque. « Ça sert à rien d’en rajouter. Cette affaire finira par être éclaircie. »

« Donc, en attendant je fais… quoi? »

« Et bien pour commencer, tu essaies de ne pas te faire tuer. » Il répliqua, en jetant un petit regard de l’autre côté du couloir.

La russalka était tapis dans l’ombre, ses yeux jaunes me fixant de la porte entrebâillée, grognant de temps à autre.

« Elle s’est calmée quand même, il y a de cela un mois elle aurait quand même bondi pour me transformer en sandwich. »

« Oui, c’est assez étrange d’ailleurs. Ce n’est d’ordinaire pas dans la nature d’une russalka de faire preuve de retenue… enfin bref. S’il te plait, si tu dois blâmer quelqu’un, blâme les porte et- Ah, et j’allais oublier. » Il dit en tendant la main dans le vide.

Un odeur d’ozone prit mon nez d’assaut, un éclat m’aveugla momentanément et quand je rouvris les yeux, un paquet rectangulaire se tenait entre ses paumes.

« Bon, ne vas pas te faire des histoires, on était à Rocam, quartier des artistes, et Peps’- Phobos a commencé à me caser les pieds pour que je te ramènes quelque chose. Alors, bref, voilà. Tu l’ouvriras plus tard, bonne nuit. »

Scetus me colla le paquet dans les mains, le regard fuyant, et avant même que je puisse sortir de ma stupéfaction, il avait tourné les talons -non, il avait pris la fuite.

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Cléooo
Posté le 19/11/2024
Coucou Dramallama !

Je ship un peu Sidonie et Scetus, après ce chapitre. Je sais que Scetus a d'autres attirances, mais je trouve aussi qu'il se bonnifie au fil des chapitres et Beria est un chouilla trop condescendant. Pas que je dise que ça pointe vers une relation Beria-Sidonie (même si, peut-être, un tout petit peu) maaaais j'aime bien la relation avec Scetus et je suis sur que le petit Bri-Bri penserait pareil.

Quelques remarques :
- "Cela pouvait paraitre Caucase" -> cocasse ?
Les paragraphes 4 et 5 commencent exactement pareil.
- "Au risque de répéter la vérité qui dérange, la dernière fois qu’il a mentionné un truc dans ce gout là, tu as plus ou moins décidé d’aller faire un câlin au sol." -> petite remarque. Je trouve que ce genre d'expression ressemble beaucoup à ce que Sidonie dirait, plus qu'à Scetus (je parle du "câlin au sol").

À bientôt !
A Dramallama
Posté le 21/11/2024
Coucou!

Eheheheheh, je suis ravie! Après je trouve que les deux ont un truc justement parce qu'il n'y a pas d'ambiguïté. Ils savent tous les deux que ce n'est pas possible et que l'autre est du même avis. Ça instille un certain équilibre... qui n'existe pas avec Beria.

je note tes remarques, encore merci (et à bientôt!)
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