Eldria, Salini et Dan étaient pris au piège. Dans quelques secondes à peine, des mutins armés et déchaînés enfonceraient la porte et se rueraient dans le réduit où ils avaient trouvé refuge. Alors, ce serait fini. Mieux valait ne pas imaginer les atrocités qui suivraient.
Dan, face au danger, serrait sa dague avec courage, dans une posture de combat résolue. Il semblait déterminé à faire face aux assaillants qui, à en juger par les bruits inquiétants du loquet contre le bois fatigué, ne tarderaient pas à se jeter, en nombre, sur lui. Mais Eldria le savait : le jeune homme avait beau leur avoir prouvé qu’il savait se défendre, il n’en restait cependant pas moins improbable qu’il parvienne à repousser, à lui seul, une dizaine d’hommes. Quant à Salini et elle, désarmées, il serait tout bonnement illusoire de croire qu’elles auraient la moindre chance de leur résister. Tout était perdu. Leur fuite héroïque s’achevait ici, écrasée contre ces murs nus.
À côté d’Eldria, Salini avait placé la main devant sa bouche, comme pour s’empêcher de hurler de désespoir. Elle sanglotait en tremblant. Eldria, quant à elle, recula machinalement d’un pas. Elle était trop effrayée pour pleurer. Son dos rencontra bientôt le mur opposé à la porte, scellant son destin. Elle n’avait plus nulle part où aller. C’était la fin.
Pourtant, à cet instant, quelque chose d’inattendu se produisit. Quelque chose qui la fit soudain sursauter, en même temps que Salini. Sous son omoplate, une brique céda. Un déclic résonna sous leurs pieds, suivi d’un grondement sourd. Le sol vibra, les pierres gémirent... puis tout un pan de mur s’affaissa lentement, révélant un passage sombre derrière un nuage de poussière.
– Comment... comment tu as fait ça ? s’exclama Salini d’une voix décontenancée.
– Je... je n’en sais rien ! balbutia Eldria, aussi stupéfaite qu’elle.
Dan se retourna d’un bond, ses yeux brillant d’une lueur fébrile. Il ne perdit pas une seconde :
– Vite, c’est notre seule chance !
Sans attendre, il arracha la torche du mur et s’élança dans l’étroit passage qui s’ouvrait encore sous leurs yeux ébahis, entraînant Salini et Eldria par le bras. Devant eux, un escalier plongeait dans la pénombre, et à leurs pieds, un levier de fer surgissait du sol. Dan l’actionna sans attendre. Aussitôt, le pan de mur cessa de s’abaisser puis, comme si d’imposants rouages dissimulés s’inversaient péniblement, il remonta lentement, dans un grondement pesant.
– Plus vite... plus vite... siffla Dan entre ses dents.
Avec angoisse, ils observèrent peu à peu l’ouverture qui se réduisait à vue d’œil tandis que, de l’autre côté, la porte retenant leurs poursuivants semblait prête à éclater. Ils ne surent pourtant jamais en combien d’éclats elle se brisa : le passage secret avait enfin fini de se refermer sur eux, ne laissant qu’un simple mur de briques, sur lequel il était désormais impossible de déceler la moindre fissure. Le silence s’abattit.
– Vous... vous croyez qu’ils vont nous suivre ? murmura Salini, encore tremblante.
– Ils comprendront vite que nous ne sommes pas restés derrière la porte, répondit Dan d’un ton grave. Mais par chance, comme moi, il est peu probable que l’un d’eux ait connaissance de ce passage dérobé.
Il ramassa une pierre massive à ses pieds et la coinça dans le mécanisme du levier.
– Au cas où ils trouveraient comment le rouvrir, ça devrait les bloquer.
Salini soupira longuement, essuya ses larmes et retrouva un semblant de contenance. Eldria, elle, demeurait un peu en retrait. De façon impromptue, ses jambes abandonnèrent soudainement le combat qu’elles menaient contre la gravité et cessèrent de la porter. Elle s’effondra, manquant de peu de basculer dans l’escalier.
– Eldria ! s’écria Salini en se précipitant vers elle, Dan à sa suite.
– Ça va... ça va, grogna-t-elle en tentant de se redresser.
Toute la pression, qu’elle avait supporté ces derniers jours et dernières heures, avait soudain pesé de tout son poids sur elle. Elle était passée par toutes les émotions : la joie, le doute, la peur, la tristesse, la colère, la honte... Tout se mélangeait en elle dans un chaos insupportable, au point qu’elle ne se reconnaissait plus.
Alors, dans un geste étonnamment affectueux, Dan posa doucement ses mains sur ses épaules et plongea ses yeux bruns dans les siens.
– Ça va aller, Eldria. Je te le promets. J’ai confiance en toi.
Eldria se surprit à s’empourprer devant cette inattendue marque d’estime. Légèrement mal à l’aise, elle s’effaça de sous ses paumes et, reprenant péniblement contenance, se releva.
– On ne devrait pas traîner ici, éluda-t-elle, jetant un regard inquiet vers le passage invisible derrière eux, imaginant les renégats Eriarhis s’échinant déjà à deviner où leurs proies avaient disparu.
Dan hocha lentement la tête après l’avoir sondée quelques instants – mais elle avait maintenu le regard fuyant.
– Tu sais où on est ? lui demanda Salini.
– Pas la moindre idée, répondit-il en posant prudemment le pied, la torche levée, sur la première marche de l’escalier sombre qui descendait dans la roche. Mais nous allons bientôt le découvrir.
Leurs voix résonnèrent contre les parois de pierre brute et leur écho se perdit au loin, là où leurs pas ne pouvaient désormais que les mener. Le manque de visibilité aurait aisément pu laisser croire que cette descente lugubre s’enfonçait jusque dans les profondeurs du monde, mais heureusement, après seulement une cinquantaine de marches, ils atteignirent une sorte de modeste antichambre en pierres taillées, plongée dans le noir, où trônait une étrange table de métal.
– On dirait... commença Salini d’une voix faible.
– Une table d’opération, compléta Dan.
Eldria s’en rapprocha.
– Ou... de torture, constata-t-elle avec anxiété. Regardez, il y des attaches en cuir, aux quatre coins...
Un silence pesant s’abattit. Eldria sentit son estomac se nouer à l’idée que Karina, Dricielle, et plusieurs autres filles avaient été menées par le passage en haut des escaliers... peut-être jusqu’ici.
– Eldria a sans doute raison, renchérit Salini. Regardez.
Elle désignait une console encombrée d’outils métalliques, aux formes plus inquiétantes les unes que les autres.
– J’ignore ce qu’ils font dans ce lieu, mais ça me met très mal à l’aise.
Contre un autre mur, deux bibliothèques disproportionnées, croulant sous des rangées de volumes poussiéreux, semblaient les dominer, comme prêtes à s’écraser sur eux à tout instant. Devant elles s’élevait un présentoir d’un noir brillant, sur lequel reposait un unique livre ouvert, d’aspect ancien, dont les pages épaisses avaient été jaunies par le temps.
Alors que ses compagnons continuaient de fouiller, Eldria sentit naître en elle un besoin urgent de s’approcher de l’ouvrage, qui semblait presque étendre ses pages comme deux bras ouverts, invitant à les consulter. Rongée par cette envie soudainement irrépressible, elle se pencha sur le présentoir. La page de gauche était vierge, mais celle de droite attira inexorablement son regard. Elle put lire :
Quand viendra le malheur, l’empire s’effondrera,
Et le Roi d’épouvante aux ténèbres pliera.
De l’onyx et l’or surgira le Prince élu,
D’un serment sans amour, dans les chaînes conçu.
La Reine des tourments, aux vices consumée,
Par le bras du courage sera désarmée.
Salini s’approcha à son tour et lut à voix haute, par-dessus son épaule.
– Eh bien... dit-elle en frissonnant. Je ne sais pas ce que c’est, mais ça glace le sang. Comme cet endroit, d’ailleurs.
Dans leur dos, Dan était demeuré silencieux. Pour la première fois, il paraissait soucieux.
– Ne perdons pas de temps, dit-il en se dirigeant vers l’unique porte à double battant qui les attendait. Nous sommes encore dans le fort : il nous faut trouver une issue, et vite.
Les lourds battants pivotèrent dans un grincement sourd, révélant une vaste salle obscure dont on ne distinguait pas le fond. À la lueur fragile de leur torche, Dan, Salini et Eldria s’y engouffrèrent à pas feutrés, soucieux de ce qui les attendait après ce qu’ils venaient de découvrir
Soudain, une lumière diffuse s’éveilla de part et d’autre de la salle, comme en réaction à leur intrusion. D’un vert pâle, phosphorescent, presque irréel, la lueur révéla les proportions vertigineuses du lieu : vingt mètres de large, peut-être plus de cent de long, sous un plafond décoré qui s’élevait à près de sept ou huit mètres.
Eldria sentit un frisson glacial lui parcourir l’échine. La lumière provenait de dizaines de grands tubes de verre, d’un mètre de large et de deux ou trois de haut, alignés avec une régularité macabre le long des murs.
– Qu’est-ce que... ? souffla Dan qui, comme Eldria et Salini, avait immédiatement remarqué les activités profanes qui semblaient être à l’œuvre dans ce sous-sol crasseux.
Chacun des caissons cylindriques était rempli d’une eau olivâtre, huileuse. Et dans ce liquide d’aspect étrange flottaient... Eldria eut un soudain haut-le-cœur : des dizaines de corps, nus, baignaient, les bras tristement écartés, à l’intérieur des tubes en verre. Des femmes. Leurs yeux étaient clos dans une sorte d’expression paisible. Pourtant, de leur colonne vertébrale à chacune s’échappaient six tuyaux noirs, qui surgissaient hors de ces sinistres cuves pour serpenter jusqu’au plafond, se perdant dans la pénombre lugubre des lieux.
Eldria resta figée d’épouvante. Ses yeux s’écarquillèrent en parcourant la salle : presque tous les caissons étaient remplis de ce macabre contenu. Seuls quelques-uns, au fond, demeuraient encore vides. Avec horreur, Eldria posa son regard sur une des jeunes femmes immergées, ainsi exposées : ses longues mèches blondes ondulaient presque gracieusement dans l’eau légèrement trouble, autour de son visage fermé. Elle avait déjà vu ce visage. C’était celui de la dénommée Killi Hodrick. Elle avait retenu ce nom, pour avoir été celui de la première captive dont elle avait pu assister à la prétendue "libération". Et si Killi Hodrick était ici, cela signifiait que...
– Par la Déesse... Eldria !
La voix étranglée de Salini, non loin, résonna comme une alarme. Le cœur d’Eldria se contracta. Elle se tourna, prête à affronter l’indicible qu’elle craignait déjà.
Karina était là, elle aussi. Son corps dénudé, qu’elles connaissaient si bien, flottait nonchalamment dans l’une des cuves.
– Oh non... Karina ! Karina ! s’écria Salini en se précipitant vers son ancienne compagne de cellule.
Elle se mit à taper avec insistance contre l’épaisse vitre qui l’entourait. Eldria, sous le choc, resta figée d’effroi.
– On va te sortir de là ! Tiens bon !
Mais ses coups répétés n’engendrèrent aucune réaction. Karina ne semblait en rien consciente de leur présence. Son corps dérivait doucement, indifférent aux coups et aux cris.
– C’est inutile, dit alors Dan dans leur dos, d’une voix étonnamment calme.
Il s’était arrêté devant une autre cuve, dans laquelle était immergée une fille brune qui ne devait pas avoir plus de vingt ans. Comme avec la dénommée Killi, Eldria eut la désagréable sensation d’avoir déjà aperçu ce visage.
Dan leva sa main sur la vitre, ses yeux graves fixés sur la prisonnière immobile.
– Elles ne sont plus en vie.
Salini se figea, et Eldria le dévisagea, incrédule.
– C... comment peux-tu en être sûr ? balbutia-t-elle.
– Leurs poitrines ne bougent pas. Elles ne font pas de bulles. Et regarde leur gorge... toutes portent une entaille. Elles ne respirent plus. Ceux qui ont fait ça voulaient... probablement conserver leurs corps.
Ses mots tombèrent comme une sentence. Eldria sentit ses jambes vaciller. Oui... il avait raison. Elle s’en rendait compte maintenant. Ces femmes n’étaient plus que des dépouilles suspendues dans leur cercueil de verre. Était-ce là le sort ultime qui les attendait toutes, dans cette prison ?
– Non... souffla Salini avant de s’effondrer à genoux, la tête basse.
Eldria eut soudain une horrible pensée, qui éclipsa tout le reste, comme une aiguille glacée qui transpercerait son esprit :
– Dricielle !
La panique au ventre, elle se mit à arpenter les rangées, inspectant chaque tube, chaque visage éteint, redoutant à chaque instant d’y découvrir la dépouille scarifiée et sans vie de la pauvre jeune fille qui, l’espace de seulement une nuit après leur arrivée, avait été sa compagne de cellule. Ses muscles endoloris protestaient, mais elle n’y prêta aucune attention.
Deux fois, trois fois, elle parcourut la salle. Pas de Dricielle. Mais une autre vision la frappa, plus dérangeante encore : certains corps semblaient... vieillis. Leurs visages étaient ridés, parcheminés, comme ceux de vieilles femmes étrangement constituées. Certaines paraissaient avoir soixante-dix ou quatre-vingts ans. Un frisson la traversa. C’était impossible : l’armée d’Eriarh n’occupait cet endroit que depuis un peu plus d’un an. Et parmi toutes les captives qu’elle avait côtoyées, aucune n’avait jamais dépassé la quarantaine.
Après une minute de recherche frénétique, Eldria dut s’interrompre. Essoufflée, résignée mais rassurée, elle s’adossa à la paroi : Dricielle n’était pas là. Au moins, elle, avait peut-être échappé à ce funeste sort...
Relevant la tête, elle aperçut Salini, toujours agenouillée, secouée de sanglots. Plus loin, Dan demeurait immobile face à la femme brune, qu’il fixait avec une intensité étrange. Soucieuse et intriguée, Eldria l’approcha :
– Tu... tu la connaissais ? osa-t-elle.
Il baissa la tête, et ferma les yeux quelques secondes, comme traversé par une fièvre douloureuse.
– Ça n’a pas d’importance, trancha-t-il en redressant brusquement la nuque, comme si de rien n’était.
Puis, se tournant vers Salini :
– Aide moi à la relever.
Eldria hocha la tête et passa un bras sous l’épaule de Salini. Son amie paraissait au bord de l’effondrement.
– Je n’ai rien pu faire, Eldria, balbutia-t-elle. On n’a pas su la protéger...
– Je sais...
Elle la remit debout et la soutint.
– Allez. On doit avancer.
Elle jeta un dernier regard dans son dos, en direction de Karina et des autres femmes, victimes des atrocités, aussi terribles qu’énigmatiques, commises en ce lieu occulte.
Heureusement, ils ne s’étaient pas enfermés dans un cul-de-sac et purent reprendre leur fuite en avant, désireux de mettre rapidement le plus de distance possible entre eux et ceux qui les recherchaient probablement activement. Un peu plus loin, les murs taillés laissèrent place à une cavité naturelle étroite, à peine assez large pour deux. Dan prit les devants. L’obscurité les enveloppa aussitôt, et la torche qu’il portait à bout de bras devint leur unique salut.
– C’est un endroit étrange... murmura Eldria à Dan, en aidant toujours Salini à marcher. Qu’étaient ces cuves ? Et cette lumière, qui s’est allumée quand on est entrés...
Un nouveau frisson la parcourut.
– Tu crois qu’on... nous observe ?
Pas de réponse. Dan avançait, imperturbable, concentré. Elle ne sut même pas s’il l’avait entendue. Elle préféra ne pas insister, mais son silence obstiné, anormal, l’angoissait davantage que tout ce qu’il aurait pu dire.
Ils arpentèrent ainsi de longs boyaux souterrains, où seul résonnait l’écho de leurs pas, parfois rompu par le clapotis régulier de gouttes s’infiltrant à travers la roche. Leur périple souterrain dura plusieurs minutes. Dan marquait parfois une brève pause devant une bifurcation, jaugeant du regard les ténèbres, mais sans hésiter plus de quelques secondes.
– Où sommes-nous ? demanda enfin Salini, la voix encore fragile.
Dan ne lui prêta pas plus d’attention qu’à Eldria. Celle-ci prit donc le relais, tentant de combler ce silence pesant :
– Je n’en ai aucune idée... mais je ne pensais pas qu’il y avait tant de galeries sous la prison. C’est une vraie fourmilière.
Et effectivement, il leur fallut un long moment pour retrouver trace d’une construction humaine. Leur torche était pratiquement consumée lorsqu’ils croisèrent une volée de marches taillées dans la pierre, menant à une lourde porte de bois semblable à celles du fort. Dan s’interrompit encore et inspecta les alentours. Eldria crut qu’il allait s’y diriger. Mais il passa devant sans ralentir, reprenant son avancée dans la caverne.
– Dan... tu es sûr que c’est par là ? s’inquiéta Eldria en voyant la torche dangereusement perdre de son intensité.
Elle n’avait pas particulièrement peur du noir et n’était pas non plus claustrophobe, mais la perspective de se retrouver perdue, sans source de lumière, dans ces immenses galeries, la rendait particulièrement nerveuse.
Dan l’ignora une fois de plus. Son visage était fermé, mais son allure avait changé : son pas était plus ferme, presque assuré. Comme s’il avait retrouvé un chemin familier. N’ayant pas d’autre choix que de lui accorder leur confiance, Eldria et Salini resserrèrent le pas derrière lui, l’angoisse nouée au ventre.
Après une bonne minute de marche sur un sol soudainement devenu plus praticable, ils débouchèrent dans une petite caverne naturelle, à peine plus vaste que les précédentes. Les gouttes tombant du plafond avaient formé une épaisse nappe d’eau en son centre, comme un tout petit lac sombre sous la terre. Autour, plusieurs autres passages s’ouvraient sur d’autres galeries obscures. Les maigres flammes récalcitrantes qui léchaient encore vaillamment le bois de leur torche vinrent dessiner d’inquiétantes formes sur les pierres saillantes, alors qu’ils s’avançaient dans ce nouvel espace inconnu.
Soudain, une lamentation faible, à peine audible, monta de leur gauche. Eldria et Salini sursautèrent, le souffle court. Elles tournèrent la tête... mais ne distinguèrent d’abord rien. Puis, dans la clarté mourante de la flamme, une silhouette se révéla peu à peu, émergeant de l’obscurité. Eldria sentit son sang se glacer.
Une femme. Jeune. Ses cheveux noirs et sales lui tombaient devant le visage. Ses bras étaient écartés en croix, enchaînés à d’énormes anneaux rouillés plantés dans la roche. Son haillon crasseux ne cachait presque plus rien, et d’innombrables cicatrices lacéraient les parties visibles de sa peau.
La lumière vacillante se rapprochant inexorablement, l’inconnue leva doucement la tête. Ses mèches crasseuses s’écartèrent pour révéler les traits fins de son visage. Eldria et Salini poussèrent, de concert, un cri de stupéfaction, mêlé d’effroi.
– Dricielle ! s’écria Eldria.
La jeune femme semblait gravement affaiblie. Qui sait combien de temps elle avait croupi ici, seule, abandonnée, dans le noir ? Malgré son état déplorable, elle réussit à prononcer péniblement ces mots, d’une voix décharnée :
– Aidez... moi...
Eldria et Salini, bouleversées, s’élancèrent d’un même mouvement. Mais ce fut Dan – qui n’avait pourtant jamais vu Dricielle – qui les devança. Il s’avança vers elle d’un pas décidé.
Ce qui se passa ensuite sembla se dérouler au ralenti pour Eldria. D’un mouvement vif, Dan avait décroché sa dague de sa ceinture. Comment comptait-il casser des chaînes aussi épaisses avec ce simple ustensile ? Il se plaça au niveau de Dricielle et la considéra longuement, d’un air impassible, la dominant de toute sa hauteur.
Ce fut à cet instant qu’Eldria pressentit que quelque chose – elle ne savait encore quoi – n’était pas normal. Elle s’avança à son tour, avec pour projet de faire comprendre à Dan que Dricielle était des leurs. Mais elle fut trop lente.
Il leva sa dague.
– Dan, non !
Eldria et Salini ne purent qu’être témoins du geste inattendu de celui qui avait jusqu’alors été leur guide, et en qui elles avaient toute confiance. La lame effilée s’enfonça, net et implacable, dans la poitrine de leur ancienne camarade. En plein cœur.
Un hoquet d’incrédulité échappa à la jeune femme, ses yeux s’écarquillèrent, cherchant désespérément à comprendre. Son regard voilé s’accrocha une ultime fois au visage, froid et calculateur, de son assassin. C’était trop tard.
Il avait frappé pour tuer.